Woody Allen, la vie et tout le reste

Par Vanessa Aubert
3 juillet 2009
MAJ : 21 mai 2024
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Au commencement était le verbe

40 films en 45 ans. Woody Allen est sans nul doute l'un des réalisateurs les plus prolifiques de sa génération tenant une moyenne record d'un film par an et restant ainsi régulièrement à l'affiche. Qui aurait pu croire pourtant qu'un jeune et frêle new-yorkais binoclard des sixties serait reconnu pour la qualité de ses scénarii, sa mise en scène et sa finesse d'analyse des rapports humains.

C'est en prenant la voie de la comédie que Woody Allen s'installe sur grand écran. Auteur de gags pour les autres puis pour lui-même, il utilise les mécanismes qu'il a mis en place dans son vécu d'homme de planches pour réaliser des films à sketches. Après Bananas, il passe avec brio de la science-fiction au film historique testant avec humour des genres différents, emporté par son admiration des Marx Brothers. Allen réalisateur dirige Allen l'acteur, créateur d'un personnage qui fera son succès : un homme en manque de virilité que son hypocondrie, ses phobies et ses interminables névroses fragilisent. En s'engouffrant ainsi dans le burlesque, il risquait pourtant à terme de n'être considéré que pour ses aptitudes à la comédie et non ses réelles qualités de metteur en scène.

 

Une autre femme

Annie Hall assure pourtant son statut de cinéaste de talent. Allen y dévoile son inventivité en plaçant son action hors-champ, en jouant avec le off, en tentant un nouveau langage. Récompensé par l'Oscar du Meilleur scénario et du Meilleur réalisateur, le film lui permet de s'imposer en offrant à Diane Keaton un rôle et un costume sur mesure. Figure emblématique de ce bijou visuel, l'actrice succède à Louise Lasser comme femme de coeur et de cinéma d'Allen pour une collaboration professionnellement enrichissante. Allen et les femmes, une histoire fixée sur pellicule. La bohémienne Annie Hall laissera la place dans Manhattan à Mariel Hemingway la femme enfant alors que Meryl Streep la lesbienne castratrice et Diane Keaton la névrosée feront face à l'idéale : New York.

 

New York Stories

New York, personnage si omniprésent de l'univers allenien que le cinéaste prend la nationalité new-yorkaise. Allen est né, vit et filme à New York. Une particularité qui explique la sublimation de l'espace. L'amour du réalisateur pour sa ville est présent dans chaque image qu'il tourne. Les lieux de discussion pullulent dans la Big Apple. Les restaurants, les musées et les rues font office de salons où l'on cause ouvertement. Les personnages se confient à leur mère et Allen lui rend hommage. La pluie sur Central Park, un banc imaginaire face à l'East River et New York est magnifiée sous la musique de Gerschwin. À chacun de croire à la réalité de cette fiction.

 

Allen au pays des merveilles

Quoi de mieux alors que le cinéma pour rehausser une terne vérité ? Une rose pourpre fera office de révélateur pour mieux lier la vie au septième art. Allen fait ouvrir grand les yeux de Mia Farrow devant son cinéma en la faisant succéder à Diane Keaton. Son innocence, sa fragilité correspondent à la femme soumise de La Rose Pourpre du Caire qui fait entrer la magie dans sa piètre existence. Le prestidigitateur Allen détournera à nouveau les acquis sociaux de Farrow dans Alice menant la petite bourgeoise au pays merveilleux des substances hallucinogènes. Cet attrait pour la magie, préfiguré dans Stardust Memories et attesté par un Scorpion de jade, semble être l'héritage direct de l'enfance d'un cinéaste perdu dans un foyer juif trop envahissant.

 

Destins tordus
Oscar du meilleur scénario, Hannah et ses soeurs traite du cercle familial comme emprisonnement. Fasciné par la fratrie, Allen s'amuse à tisser les liens de trois soeurs après avoir analyser plus tragiquement leurs états d'âme dans Intérieurs. En ayant une oeuvre à leur nom, Hannah comme Annie, Zelig, Danny, Alice, Harry et Melinda participe à ce culte de l'individu si caractéristique chez le cinéaste. Au sommet de cette construction de la personnalité, la psychanalyse offre à la parole un statut salutaire. Les divans abondent dans l'univers allenien mais la marche (dans New York) aide aussi à cette analyse constante de l'être.

 

« Dieu est mort, Marx est mort et moi-même je ne me sens pas très bien »
En démêlant les sentiments, les rapports hommes-femmes sont étudiés à la loupe et observés sous l'objectif précis de sa caméra. Maris et Femmes apparaît alors comme une fiction documentarisante. Les bougés donnent une teinte de réalisme à la séparation du couple incarné par Farrow et Allen alors que leur propre rupture défraie la chronique. La difficile cohabitation de la vieillesse et la jeunesse révèle l'angoisse chronique de la mort pour le cinéaste. Seule échappatoire, la sexualité reste l'un des thèmes majeurs d'une filmographie énonçant tout ce que l'on a toujours voulu savoir sur le sujet. Les réflexions sur Dieu, la vie, le sexe et la mort mêlées à l'humour juif plein d'ironie laissent des traces indélébiles dans des dialogues savoureux d'où émerge la philosophie allenienne. Déchirements amoureux en guise de fin à la collaboration de Mia Farrow et Woody Allen, Maris et Femmes ouvre une nouvelle ère dans le travail d'Allen libéré de toute égérie.

 

À en perdre Allen ?
Après une dernière partie de jeu avec son amie Diane Keaton, le cinéaste semble prendre plaisir à s'inspirer de genres différents comme la comédie musicale ou le théâtre grec et à tester les talents des jeunes acteurs. John Cusack, Edward Norton, Sean Penn investissent l'univers d'Allen le temps d'un film. Pourtant le réalisateur semble avoir peine à délaisser complètement le personnage d'anti-héros névrosé qu'il incarnait depuis ses débuts et il se risque à l'imposer à d'autres comédiens. Kenneth Brannagh et Jason Biggs se prêtent brillamment au jeu mais cette absence de renouvellement semble dénoter un manque d'inspiration. Allen veut passer le relais sans tourner la page et remettre en cause ses acquis de roi de la comédie. Bien que moins puissant qu'avant, le rire est là, le talent palpable mais l'engouement moins fort. Alors comme pour attester de sa présence, il donne deux vies à Melinda, deux tendances qui ont influencé son propre cinéma : tragédie et comédie. Mais celui pour qui « Bergman est le seul génie du cinéma moderne » ne parvient pas à faire une coupe franche entre ces deux penchants qui ont marqué son oeuvre. Lorsqu'il se positionne pourtant, il provoque l'étonnement en trouvant le ton juste et un style qui ne semble ne tenir qu'à lui. Les crimes et délits de son Match Point en sont la preuve. La sensualité exploitée chez Christina Ricci l'est tout autant chez Scarlett Johansson et la justesse de Jonathan Rhys-Meyers met le personnage d'Allen hors du court. New York la belle laisse la place à Londres la douce et permet à Allen de s'affranchir de ce qui semblait nuire à son plein épanouissement. Sortant de ses habitudes, le cinéaste ne fait que révéler davantage son talent en le laissant s'exprimer pleinement, à sa manière.

 

 

 

Le péril jeune
Après quatre films passés à se réinventer une jeunesse et à se faire plus noir (Le rêve de Cassandre, Match point) ou plus sexe (Match point encore, et surtout Vicky Cristina Barcelona), il était temps pour Allen d'effectuer un retour aux sources salvateur avant de repartir sur les routes européennes (prochaines étapes : nouveau passage à Londres, et enfin un film à Paris). Whatever works renoue avec la grande tradition allenienne en mettant aux prises un double de l'auteur (par Larry David, connu pour la géniale série Curb your enthusiasm) aux prises avec une dépression due à sa trop grande intelligence… et, bien entendu, avec la gent féminine. Si le personnage de Jason Biggs dans Anything else semblait marquer un passage de témoin définitif vers la jeune génération, l'incompréhension d'Allen vis-à-vis de la jeunesse moderne le démangeait trop. Et c'est ainsi que, se plaçant à nouveau dans la position du vieux cynique,  s'emploie à ridiculiser – toujours avec tendresse – ceux que les States nomment les twenty-something. Joliment stupide, comme pouvait l'être la pute de Maudite Aphrodite, le personnage d'Evan Rachel Wood est le révélateur de ce fossé qui se creuse entre un Woody toujours ouvert mais de moins en moins réceptif de la façon d'être des moins de 30 ans. Aveu de vieillesse. Belle leçon de fatalisme. Woody a bientôt 75 balais, il en est pleinement conscient, et cette sensation de l'heure qui tourne a quelque chose de prodigieusement émouvant.

 

 

 

Dossier réalisé par Vanessa Aubert

Avec la participation de Thomas Messias

 

 

 

 

  TOUT WOODY ALLEN

 

Cliquez sur les affiches pour accéder aux critiques correspondantes.

 

 

Prends l'oseille et tire-toi

 

Bananas

 

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir…

 

Woody et les robots

 

Guerre et amour

 

Annie Hall

 

Intérieurs

 

Manhattan

 

Stardust memories

 

Comédie érotique d'une nuit d'été

 

Zelig

 

Broadway Danny Rose

 

La Rose pourpre du Caire

 

Hannah et ses soeurs

 

September

 

Radio days

 

Une autre femme

 

New York stories

 

Crimes et délits

 

Alice

 

Maris et femmes

 

Ombres et brouillard

 

Meurtre mystérieux à Manhattan

 

Coups de feu sur Broadway

 

Maudite Aphrodite

 

Tout le monde dit I love you

 

Harry dans tous ses états

 

Celebrity

 

Accords et désaccords

 

Escrocs mais pas trop

 

Le Sortilège du Scorpion de Jade

 

Hollywood ending

 

Anything else

     
Melinda et Melinda
Match point Scoop
Le rêve de Cassandre
Vicky Cristina Barcelona
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