Critique : Bananas

Troisième long-métrage de Woody Allen, Bananas ne requiert pas encore les caractéristiques propres au générique du cinéaste new-yorkais. La musique hispanisante prend le pas sur les sonorités jazzy, les couleurs teintent les lettres postérieurement noires et blanches pour introduire ce film représentatif du début de la carrière cinématographique du réalisateur. Avant le grand écran, c'est en effet sur scène que Woody Allen rencontre la comédie et qu'il joue lui-même ses propres sketches. Des gags qu'il tente d'animer après avoir écrit pour les autres des drôleries en une ligne judicieusement nommées one-liner. Cette base d'écriture est ainsi largement perceptible dans Bananas film à sketches de 1h21. Une influence de la scène qui permet de voir à l'écran les éléments de base du burlesque dont Woody Allen tire les ficelles avec intelligence. Si la scène parlante dans le kiosque à journaux fait mouche, d'autres gags muets ancestraux comme la chute ou la course poursuite (avec l'apparition de Sylvester Stallone en terreur des métros) montrent à nouveau leur efficacité.

Pourtant l'art de la parlotte qui vaudra au cinéaste le qualificatif d'«intellectuel » se ressent succinctement lors de la scène de rupture où déjà la caméra se mêle aux jardins de New York. Philosophie, mort, amour, sexe, les thèmes de prédilection sont énoncés en filigrane dans cette satire abrupte de la dictature du pays imaginaire de San Marcos. Woody Allen ne se restreint donc pas encore à Big Apple puisqu'il place son intrigue en Amérique du Sud et déjà s'en dégage l'ironie que l'on retrouvera notamment dans Hollywood Ending : pas de cinéaste aveugle adulé par les français, mais un américain ignorant en politique qui devient président d'une ancienne dictature et réussit à inquiéter le gouvernement américain. Une critique de la société américaine et des engagements des États-Unis dans les bouleversements mondiaux des années soixante, soixante-dix.