M3GAN : la formule parfaite qui a piégé tout le monde

Personne ne l'attendait nécessairement, et pourtant : le nouveau délire horrifique produit par James Wan, M3GAN est bien en train de retourner le box-office.

Inutile ou presque de présenter à son public de connaisseurs le brave James Wan. Révélé par les franchises Saw et Insidious, ce dernier est surtout principalement associé à tout jamais à l'univers cinématographique Conjuring, dont il a notamment dirigé les deux premiers opus et produit les moutures suivantes — aussi mauvaises soient-elles.

Malgré quelques détours par de plus amples écuries en oeuvrant notamment sur les deux premiers volets d'Aquaman pour le DCU ainsi que le septième volet de Fast & Furious, le cinéaste australien n'a nullement cherché à renier son amour de la série B, ce qui l'a poussé à pondre ex abrupto le nanar assumé Malignant, avant de rempiler au scénario et à la production d'un nouveau projet lolesque aux expectatives relativement... basses. Et pourtant.

Co-produit par la société Blumhouse, bien connue du paysage audiovisuel pour ses productions à petits budgets, le simili Chucky M3GAN a, contre toute attente, explosé tous les compteurs au box-office. On se propose donc d'autopsier ce petit succès surprise bien parti pour s'inscrire comme l'une des grosses réussites de l'année.

“Tu veux jouer avec moi ?”

Avec son cumul mondial de 168 millions de dollars (et ça tourne encore), et son budget estimé à 12 millions, affirmer que le film dirigé par Gerard Johnstone est largement rentré dans ses frais laisse un goût d'euphémisme en bouche. Certes, en termes génériques, son financement n'inspire pas l'extravagance, mais pour une production comme M3GAN, il s'agit plutôt d'un budget généreux. 

Le succès du film est toutefois loin d'être uniquement lié à son formidable taux de rentabilité (sur lequel on reviendra plus tard). En effet, la vilaine poupée a tout simplement coiffé au poteau la quasi-totalité des grosses productions horrifiques de 2022 telles que Scream (140 millions de dollars de recettes globales pour un budget estimé à 24 millions), ou Halloween Ends (104,1 millions pour 20 millions), mais aussi, d'autres projets similaires (i.e : non franchisés et produits pour trois sous) tels que le diptyque X (14,8 millions de recettes) et Pearl (9,4 millions), financé pour 1 million chacun, ou encore le surprenant Terrifier 2 (10,8 millions pour le budget ridicule de 250 000 dollars).

Une poupée pour les terrifier tous

Mais c'est peut-être avec Smile, le gros carton-magique horrifique du box-office de 2022, que la comparaison semble la plus pertinente tant les deux films partagent des points communs. L'un comme l'autre semble, a priori, inattendu sans toutefois l'être réellement. Ainsi, malgré ses allures de production indépendante, le film de Parker Finn sort tout droit du giron de la Paramount, là où M3GAN a pu compter sur une distribution assurée par le géant Universal, et a même profité d'un budget similaire à celui de Johnstone (soit, 17 millions de dollars).

Et si dans les faits, Smile a (pour le moment) ramassé davantage de billets verts au box-office que M3GAN (216,1 millions, pour être exact), leur succès est plus ou moins équivalent vis-à-vis de leur budget respectif (box-office 12,7x supérieur au budget pour Smile, 13,7x supérieur pour M3GAN) et même meilleur pour la petite soeur 2.0 de Chucky.

"Je promets de faire de toi une enfant très riche"

Là où la nouvelle bouffonnerie sympathique de James Wan ne démérite pas non plus, c'est par la pérennité de ses entrées. Après avoir démarré sur les chapeaux de roue, amassant quelque 30,4 millions de dollars à l'occasion de son premier week-end sur le territoire nord-américain (à titre de comparaison, Smile n'était parvenu à engranger que 22,6 millions de dollars – c'est presque 8 millions de moins), M3GAN s'est par la suite admirablement maintenu au classement hebdomadaire. 

Sorti le 6 janvier 2023 aux États-Unis (et le 28 décembre 2022 en France), le film s'est tout simplement propulsé en seconde place du classement hebdomadaire, avant de passer quatre semaines dans le top 5 domestique. À date, le film est par ailleurs toujours fermement inscrit dans le top 10.

L'exploit est d'autant plus remarquable que la concurrence est rude en ce début d'année ; en effet, il semblerait que le brave James Cameron soit revenu investir les salles obscures avec un petit projet indépendant intitulé Avatar 2 : La Voie de l'eau, lequel a récemment dépassé le cap symbolique des 2 milliards de dollars de recettes. Ça dit quelque chose à quelqu'un ? 

Quand Cameron vous dit que les machines, c'est dangereux

Succès mécanique

Si le succès de M3GAN a quelque chose d'inattendu, il serait toutefois fort exagéré de prétendre qu'il sort de nulle part. Il s'agit dans un premier temps de prendre en compte la réputation de Malignant. Certes, le film réalisé par James Wan en 2021 s'est lamentablement ramassé dans sa course au Saint Dollar (celui-ci n'a effectivement amassé que 33,9 millions de dollars de recettes pour un budget estimé à 40 millions). Néanmoins, sa démarche nanardesque a réussi à faire couler son pesant d'encre en amusant autant qu'il a su agacer. 

Alors fatalement, lorsqu'il a été rendu public que l'écriture de M3GAN avait de nouveau été confiée à Akela Cooper, déjà responsable du scénario de Malignant, certains ont haussé les sourcils, tandis que d'autres s'en sont frotté les mains. À ces prémices intrigantes se sont ajoutées plusieurs bandes-annonces pour le moins lunaires à base de courses poursuites absurdes dans les bois et de danses dignes d'une trend Tik Tok, ce qui, bien entendu, ne pouvait qu'ajouter un peu d'huile sur le feu.

Et histoire de bien finir d'assurer un certain succès à ce projet loufoque, celui-ci a pu se reposer sur la puissance marketing de son distributeur, lequel est parvenu à attiser la curiosité de tous les publics, qu'ils soient friands d'horreur ou non – on notera par ailleurs qu'Universal et Paramount ont été les deux plus gros fournisseurs d'horreur en 2022, ce qui leur confère une certaine expertise dans le domaine. 

Couverture promotionnelle mise à part, le concept sur lequel s'est construit M3GAN a lui aussi amplement participé au phénomène. Outre sa menace hybride mêlant les codes traditionnels de la poupée maléfique (on pense à Annabelle, The Boy, et autres Chucky en tout genre) à celui d'un Terminator en format réduit, le film se caractérise par le même je-m'en-foutisme décérébré qui faisait déjà le sel de Malignant et Terrifier.

Aussi extravagant que saugrenu, le film se joue des codes de l'horreur sans rechigner à y incorporer un sens comique bête et méchant, ce que Wan a admis profondément chérir lors d'un entretien accordé à ScreenRant en décembre dernier : "L'une des raisons pour laquelle j'adore l'horreur, c'est parce qu'il est possible d'y glisser de petites excentricités afin de les proposer à une audience plus large. C'est vraiment le côté fun de ce genre, et M3GAN n'y fait absolument pas exception".

Child's play

Cela fonctionne d'autant plus que le marché nord-américain est particulièrement friand du genre. Ainsi, X, Pearl, Black Phone, Barbare, Men, Nope, Scream, Halloween Ends, Le Bal de l'Enfer, Esther 2 et autres productions horrifiques diffusées en 2022 ont toutes enregistré une bien meilleure réussite commerciale à domicile qu'à l'international. C'est donc sans surprise que M3GAN est parvenu à cumuler plus de 90 millions de dollars de recettes domestiques contre 63,7 millions par delà ses contrées natales. 

En France, le film a engrangé la somme modeste de 3,5 millions de dollars (soit, environ 471 200 entrées) malgré une sortie pour le moins difficile. Le projet était audacieux (pour le dire poliment), et peu de distributeurs saints d'esprit ambitionnaient de compter sur un succès hypothétique. Sur l'hexagone, le film a donc été distribué par ESC, un éditeur de jeux vidéo désireux de s'essayer de nouveau au marché cinématographique grâce à un catalogue aussi bourrin qu'atypique. À titre d'exemple, on lui doit notamment la sortie pourtant très risquée de l'ultra gore The Sadness.

Réunion de crise dans les bureaux d'ESC

Les susmentionnés éléments assuraient donc plus ou moins à M3GAN une réussite, sinon critique, du moins commerciale. Mais là où Johnstone et Wan ont eu un (discutable) éclair de génie, c'est en visant une audience plus large grâce au sacro-saint PG-13 (film déconseillé aux moins de 13 ans – en France, le film est interdit aux moins de 12 ans), lequel a finalement été obtenu à grands coups de tronçonneuse dans le montage final et d'une poignée de reshoots. En effet, le réalisateur s'est déjà exprimé plusieurs fois sur le sujet lors d'entretiens accordés à TotalFilm et GamesRadar : M3GAN aurait pu être beaucoup plus violent.

Le potentiel de moult tendances Tik Tok (privilégié d'une démographie plus jeune, et donc, à apprivoiser) et l'appât du gain subséquent ont donc eu raison de toute violence franchement graphique, et Johnstone aura beau essayer de convaincre son public que le produit fini est bien plus effrayant comme cela, les 2,2 milliards de vues relatives au hashtag #m3gan sur le réseau chinois laissent amplement place au doute dans ce département.

"Walk, walk, fashion baby, work it, move that bitch crazy"

Horreur 2.0 

Bien évidemment, à l'ère des prequels, suites, spin-offs, franchises et autres univers cinématographiques étendus, cela aurait bien été le diable qu'une suite à M3GAN ne soit pas venue titiller les méninges des producteurs. De fait, si d'après Jason Blum en personne, une suite à cette potentielle nouvelle poule aux oeufs d'or était en pourparlers avant même que le film investisse les salles obscures, l'accueil critique et commercial retentissant de M3GAN en a définitivement justifié le bien-fondé. Il y aura donc bel et bien une suite au film : M3GAN 2.0, laquelle est pour le moment prévue au 17 janvier 2025 (date étatsunienne).

À noter cependant que 2025 s'annonce d'ores et déjà comme une très grosse année pour le cinéma. Avengers 5, The Batman 2, la nouvelle version des 4 Fantastiques, mais aussi Superman Legacy (la première pierre au nouvel édifice élaboré par James Gunn et Peter Safran pour le DCU), sont ainsi tous prévus au programme.

Tremble, concurrence

Le succès de M3GAN a beau surprendre, il est loin d'être un cas isolé, comme en attestent les nombreux films déjà évoqués plus haut. Une prospérité nouvelle du genre serait-elle en train de se profiler à l'ombre des salles obscures ? C'est en tout cas ce qu'en pense Shawn Robbins et Paul Dergarabedian, deux analystes spécialisés pour BoxOffice et Comscore.

"Nous sommes au beau milieu d'un nouvel âge d'or de l'horreur," a ainsi annoncé Robbins, dont les propos ont été relayés par CNBC. "C'est un genre qui a flué et reflué au fil du temps, mais qui a toujours su évoluer, maintenir un certain intérêt commercial, et surtout, a su introduire de nouveaux cinéastes au public".

Difficile, par ailleurs, de démentir de telles affirmations au vu de la pléthore de films à tendance horrifique prévus pour 2023 tels que le surprenant Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan, Infinity Pool de Brandon Cronenberg, Scream VI, The Pope's Exorcist porté par Russell Crowe, Evil Dead Rise (on entend d'ici les hurlements de détresse de notre rédacteur en chef), Beau is Afraid d'Ari Aster, The Boogeyman, Insidious: Chapter 5, Renfield avec Nicolas Cage, ou encore La Nonne 2, pour n'en citer que quelques-uns.

Personne n'échappera au raz-de-marée horrifique qui se profile

À ce regain d'intérêt s'ajoute bien évidemment la recherche perpétuelle de nouvelles franchises lucratives par Blumhouse. La société a beau être prolifique, elle n'en demeure pas moins lucide : sa franchise Paranormal Activity a déjà un pied et demi dans la tombe, Insidious n'excite plus vraiment personne en dépit de son succès passé, Halloween est définitivement terminée, quoi qu'en dise Jamie Lee Curtis, et ne parlons même pas d'Happy Birthdead.

Cette recherche d'un nouveau filon à exploiter concerne également James Wan, dont le Conjuring-verse s'apprête enfin à tirer sa révérence : en effet, Conjuring 4 pourrait bien être le tout dernier film de la franchise (tout du moins, c'est ce que dit le cinéaste). C'est donc tout naturellement que M3GAN et ses suites potentielles se positionnent d'office comme le plan idéal pour ces producteurs en manque d'univers cinématographique profitable.

En cela, le film semble presque avoir été conçu pour cocher toutes les cases d'un cahier des charges pensé pour plaire au plus grand nombre ; ce que la présence au casting d'Allison Williams, l'antagoniste surprise de l'énorme carton de Jordan Peele, Get Out, semble par ailleurs largement confirmer.

"Je suis a court de franchises, il me faut une poupée tueuse ou un truc du genre" 

Ainsi, avec des recettes supérieures (proportionnellement à son budget) aux mastodontes et autres gros succès de 2022 tels que Top Gun 2 (recettes 8,7x supérieures son budget), Les Minions 2 (11,7x son budget), ou encore Jurassic World 3 (6x son budget), M3GAN laisse donc non seulement augurer une alliance longévive entre Atomic Monster (la société de production créée par James Wan) et Blumhouse, mais aussi, la multiplication de moult projets et franchises analogues. Seul le temps nous dira s'il s'agit d'une bonne chose ou pas.