The Sadness : pourquoi c'est une sortie très risquée pour le film le plus extrême du moment

Mathieu Jaborska | 7 juillet 2022 - MAJ : 08/07/2022 13:41
Mathieu Jaborska | 7 juillet 2022 - MAJ : 08/07/2022 13:41

L'ultra-gore The Sadness débarque en salles en France. Un véritable "parcours du combattant" en termes de distribution et de promotion.

Nous sommes le lundi 4 juillet, deux jours avant la sortie de The Sadness sur les écrans français. Dans les bureaux d'ESC, le distributeur, on attend un coup de fil qui confirmerait la programmation du film dans quelques salles supplémentaires. On vise même encore un énorme multiplexe, sans grand espoir. Qu'importe : Victor Lamoussière, en charge du long-métrage, est assez satisfait : "On est plutôt contents [...], on va être sur 75-80 copies en sortie nationale et c'est un film qui part de très, très loin".

 

Et pour cause : quand on a découvert The Sadness à l'Étrange Festival 2021, on ne s'attendait pas à le voir arriver en salles chez nous. Réalisé par Robert Jabbaz, Canadien exilé à Taipei, il s'était forgé une belle petite réputation après son passage au Grimmfest et à Fantasia. L'exemple typique du gros shoot de gore qui électrise le public des festivals spécialisés... avant d'échouer – au mieux – en VOD, DVD ou Blu-ray en France. Et pourtant, cette fois, il part à la conquête d'un plus large public, grâce à ESC. Mais entre l'acquisition, la classification et la promotion, ça n'a pas été un long fleuve tranquille

 

The Sadness : photoRare image d'un distributeur après la sortie d'un film gore

 

Problème (de) mineur

"J'ai découvert le film au PIFFF en décembre dernier. Je suis allé voir The Sadness un peu au hasard et là je me suis pris une énorme claque. Je suis très client de ce cinéma là, de ce cinéma qui va un petit peu plus loin de ce qu'on peut voir d'habitude. Je reviens au bureau le lundi, j'en parle avec les collègues, on se rend compte que le film est libre de droits pour une distribution en France en salles. À partir de là, ça a été pas mal de réflexions, de boulot pour préparer un budget parce qu'on savait que dans tous les cas, ce serait risqué."

Première difficulté, et pas des moindres : le passage en commission du CNC, organisme responsable, entre autres, de la classification. Cette étape obligatoire est l'épreuve du feu pour les distributeurs qui accompagnent des oeuvres graphiques, d'autant plus que le passionnant (et assez dur, sans jeu de mots) Pleasure a tout récemment très probablement échappé de justesse à la condamnation du moins de 18 ans, puisqu'il a écopé d'un moins de 16 ans avec avertissement en seconde instance.

 

Pleasure : photo, Sofia Kappel, Dana DeArmondPleasure, qui a certainement frôlé le moins de 18 ans

 

La classification "interdit aux moins de 18 ans" aurait été catastrophique : "Je vous avoue qu'on était un petit peu stressés, parce que, vous le savez, d'un point de vue de distribution et programmation, sortir un film moins de 18 ans, c'est mission quasi impossible, autant vis-à-vis des médias que des exploitants". Dans ce cas, ESC serait monté au créneau, pour contester la décision et pouvoir assurer un minimum de promotion et de visibilité.

La mention moins de 16 ans avec avertissement, qui ne concerne tout de même que quelques films à peine par an, est déjà assez lourde à porter, mais assez logique dans le cas de The Sadness : "Alors moins de 16 avec avertissement, ça reste difficile, ça reste un parcours du combattant. Néanmoins, on se ferme un petit peu moins de portes et on garde cette promesse marketing du film trash, du film violent".

 

The Sadness : photo, Tzu-Chiang WangPromesse tenue

 

Et ça n'est pas passé loin : "On présente le film au CNC, le film passe en commission. Là, un premier avis rendu de la part du CNC hésite entre moins de 16 ans avec avertissement et moins de 18 ans. Grosso modo, ils nous avaient dit que c'était du 40 % moins de 18 ans, 60% moins de 16 ans. [...] Le CNC visionne le film une seconde fois et là, soulagement, il nous confirme qu'il ne sera qu’interdit aux moins de 16 ans avec avertissement. De toute façon, on s'en doutait, on savait qu'on n'aurait pas moins. À partir de ce moment là, on a notre interdiction donc on est fixés".

The Sadness est donc interdit aux moins de 16 ans avec l'avertissement suivant : « La violence ininterrompue tout au long de ce film est susceptible de troubler un public sensible ». Il n'a cependant jamais été question de couper quoique ce soit, comme cela s'est produit en Allemagne dans le cadre d'une sortie bien plus confidentielle. Bonne nouvelle, il pourra ainsi sortir en vidéo avec l'affriolante mention "Non censuré". Merci Rob Jabbaz : en reléguant la violence sexuelle en hors-champ, il évite à cette aventure une triste conclusion.

 

The Sadness : photoDu hors-champ, mais pas trop

 

Coming soon

Étape suivante : la programmation. Grâce au travail d'une programmatrice passionnée, Marie Demart, les amateurs de tripaille ne seront pas obligés de se contenter d'une sortie technique. Évidemment, la réputation du film refroidit bien des circuits, en particulier du côté des multiplexes. Si certains grands groupes ont suivi, d'autres ont fait preuve de plus de frilosité.

Victor Lamoussière relativise : "À deux jours de la sortie, je dois quand même saluer le fait que les exploitants ont plutôt joué le jeu. Si vous voulez, nous, quand on a fait l'acquisition du film en janvier, on en parlait avec mes collègues et on se disait : 'Si on fait 5 à 10 copies, on sera contents, le film n'est quand même pas évident'. Là, on est lundi, on est à 75 copies confirmées en sortie nationale". Finalement, le film est sorti dans plus de 84 salles. Une distribution bien sûr dans la moyenne basse du parc français, mais assez impressionnante pour une oeuvre de cette trempe. Rob Jabbaz en personne s'est d'ailleurs félicité de voir son film s'exporter à ce point.

 

 

Reste à convaincre le grand public de se ruer en salles. Encore une fois, la nature du film n'est pas son plus grand atout marketing : par exemple, la presse cinéma n'est pas la même dans le cadre des festivals et d'une sortie nationale. Un périodique comme Mad Movies, habitué à ce genre de manifestations (et donc à ce genre de propositions) accompagne très logiquement sa sortie, en lui consacrant 8 pages, tout comme les plus détraqués des membres de la rédaction d'Ecran Large ne se sont pas fait prier pour lui déclamer leur amour. En revanche, les grands quotidiens sont moins rompus à l'exercice.

Heureusement, The Sadness s'en sort mieux que prévu à cet égard. Certes, Les Inrockuptibles, Libération et plusieurs autres n'ont, sans surprise, pas été tendres, mais certains titres ont salué l'audace du film. Pour Première, c'est "un défouloir avec 100 idées à la minute", pour GQ, "une expérience de cinéma traumatisante et mémorable", pour 20 Minutes, "une expérience de cinéma hors du commun"... De quoi contrebalancer une promotion pas évidente.

 

The Sadness : photoÀ la sortie de la projection de presse

 

On en a nous-mêmes fait les frais lorsqu'on s'est mis en quête d'une miniature pour notre vidéo : sur des réseaux où la moindre once de violence est largement occultée, difficile de vendre un film dont le principal argument est la quantité de sang déversée sur ses comédiens. Ça revient à promouvoir quelque chose... sans le montrer.

"On a fait 15 versions de la bande-annonce différentes. On a fait des versions soft, des versions violentes. Sur YouTube, on a balancé la version violente, sur Facebook et autres réseaux sociaux on a pu mettre la version violente, mais là où c'est frustrant, c'est qu'on la met en organique. Évidemment, en termes de promo, dès que vous voulez faire un peu de sponso, dès que vous voulez faire un peu tourner la vidéo, et bien là on a dû envoyer des versions ultra-soft et après, chaque fois, on attendait de savoir si ça allait passer ou pas.

 

The Sadness : photoTuto beauté

 

Donc oui, c'est frustrant parce que, forcément, les bandes-annonces qui ont été les plus vues sont les plus soft. On a envoyé à certains grands medias, qui proposent des couvertures assez incroyables en termes de vues, les deux bandes-annonces. Ils nous ont dit : 'Ah non, on va prendre la soft'. Donc, bien sûr, ce n'est pas évident, parce qu'on vend un film violent sans rien montrer [...] On a marché sur des oeufs."

Le tout sans aide du CNC. En effet, ESC est surtout connu pour ses éditions vidéo. Or, pour prétendre à une assistance financière, il faut sortir trois films sur trois ans. Si le succès est au rendez-vous, ESC continuera-t-il sur cette voie ?

"On ne ferme pas la porte à la distribution d'autres films au cinéma, au contraire. Après, il y a déjà tellement de distributeurs, il y a déjà tellement de films qui sortent... On se dit que si on veut continuer à le faire, ça sera le film avant tout. Trouver la pépite. Là, on s'est dit qu'avec The Sadness, on avait vraiment un film de dingue entre les mains. Donc, si demain on trouve un autre film qui nous fait le même effet, c'est-à-dire qu'on se dit : 'On a de la chance de l'avoir vu en festival et il faut vraiment qu'on l'emmène dans les salles françaises', pourquoi pas." On attend ça avec impatience.

Tout savoir sur The Sadness

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commentaires
Néric
18/07/2022 à 12:19

@Simon,
Désolé pourtant je lis les articles ça a du m'échapper ! Merci encore de parler de ce genre de films !!

The Moon
13/07/2022 à 23:28

Bon sors de la salle...


Spoiler






J'ai eu droit à la VF et je ne suis pas rentrer dans le film, la population dans le film est gentille et sympa...
Ça manque d'authenticité, les gros dur du quotidien, il existe aussi dans les films de zombie ou pas?
Les raclures des faits divers ne se defoule pas en cas d'attaque?
Enfin voilà, je trouve qu'il n'y a pas d'offensive...que des victimes...

Je m'attendais à un vrai choc ciné mémorable...
Le film se regarde mais il est surcôté...

galetas
08/07/2022 à 20:26

Ouaip, moi aussi je suis plutôt motivé mais il n'est disponible qu'en VF.
J'imagine qu'un petit film asiatique comme celui-ci doit bénéficier d'un doublage affreux.


08/07/2022 à 13:04

En tant qu'amateur de films de genre, je ne pouvais passer à côté de la sortie en salles de The Sadness. Merci à ESC de l'avoir distribué malgré les obstacles. Ils ont cru en ce film radical et ils ont bien eu raison. Merci à MK2 de le diffuser, alors que UGC s'est montré frileux. Merci à Ecran Large de lui avoir donné de la visibilité.

L'interdiction au moins de 16 ans, me semble pertinente, tant le film est gore, surtout la première scène qui nous met rapidement en condition. Il y avait une vingtaine de personnes dans la salle, pour ce type de films, c'est une bonne surprise. Surtout, le film en vaut vraiment la peine, tant sa violence est jouissive, ainsi que sa mise en scène. Content de l'avoir vu sur un grand écran où il avait toute sa place.

Simon Riaux
08/07/2022 à 13:00

@Néric

On ne a parlé lors de l'annonce du projet.
Dans la critique.
Dans la critique vidéo.
Dans la news relayant la critique vidéo.

Et le réalisateur lui-même en cause très ouvertement.

Dans un article sur la distribution du film, on s'est dit qu'on pouvait aborder d'autres angles, tout simplement.


08/07/2022 à 12:57

En tant qu'amateur de films de genre, je ne pouv

Néric
08/07/2022 à 12:56

Film génial, mais on ne parle nulle part de l'évidente filiation avec "Crossed" le comics de Garth Ennis... Je veux bien manger mes globes oculaires si il n'y a pas eu inspiration...

Ozymandias
08/07/2022 à 10:13

Super article merci ;-) il passe pas en Suisse malheureusement..

Birdy tripaille
07/07/2022 à 23:33

Complètement d'accord avec vos coms : super l'article. Je n'irai jamais le voir (pas ma came) mais j'ai adoré lire l'aventure de ce film jusqu'à nous.

Sascha
07/07/2022 à 23:32

Je crois que c'est l'un de vos meilleurs articles. Excellent de lire les coulisses et de ressentir le stress des distributeurs. Merci car c est vraiment très très intéressant cet envers du décor

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