L'après Seigneur des Anneaux : comment Elijah Wood est devenu le meilleur tueur d'Hollywood

Mathieu Jaborska | 7 avril 2024
Mathieu Jaborska | 7 avril 2024

Retour sur le parcours atypique d'Elijah Wood, superstar d'Hollywood devenue figure de proue du cinéma indépendant américain.

À 18 ans à peine, il a décroché l'un des deux rôles les plus convoités de sa génération. Elijah Wood, qui avait pourtant été remarqué bien avant Le Seigneur des anneaux, restera à jamais Frodon Saquet dans la trilogie de Peter Jackson, celle-ci étant devenue instantanément un standard de la culture populaire. Comme d'autres comédiens rappelés en permanence au rôle qui les ont fait exploser, il est loin d'avoir enchainé les cartons au box-office.

En réalité, l'acteur a fait le choix de plus en plus affirmé de suivre ses envies, soutenant discrètement cinéastes accomplis et jeunes premiers, particulièrement dans un domaine qu'il affectionne : le cinéma d'horreur. S'il semble relativement rare aujourd'hui (on le verra bientôt au casting du remake de Toxic Avenger), il est en réalité devenu une figure importante du cinéma indépendant grâce à sa compagnie SpectreVision.

Chronique d'un parcours passionné, parfois à contre-courant d'un star-system qui aurait adoré l'assimiler complètement.

 

The Toxic Avenger : photo, Elijah WoodUn air de déjà vu dans le remake de Toxic Avenger

 

Impact profond

Si Le Seigneur des Anneaux a depuis légèrement occulté cette partie de sa carrière, Elijah Wood est un enfant-star. Bien entendu, ses débuts resteront gravés dans les annales de la planète pop, puisque la même année que son apparition dans deux clips de la chanteuse Paula Abdul et 8 ans après sa naissance, il fait de la figuration dans Retour vers le futur II.

Au début des années 1990, il apparait dans de nombreux films et de nombreuses séries, son personnage le plus remarqué étant celui d'Avalon, film reconnu de Barry Levinson où il hérite d'un rôle conséquent malgré son jeune âge.

Contrairement à d'autres comédiens ayant débuté très tôt, il gardera un bon souvenir de son travail précoce, notamment grâce à sa mère, qui fait attention à ne pas l'exploiter. "À cet âge, avant d'être un adolescent, on n'est pas aussi conscient de soi, donc on n'a pas la peur de comment on sera perçu. [...] Il n'y a pas de barrière jusqu'à ce qu'on devienne un adolescent et qu'on soit moins sûr de soi. J'ai dû pleurer dans Radio Flyer et The War, mais à l'époque j'avais à peu près 13 ans. Plus j'ai vieilli, plus c'est devenu difficile" se remémorera-t-il dans les colones du Washington Journal.

 

Avalon : photo, Elijah WoodEt la coupe qui va avec

 

Les deux films achèvent d'en faire une bouille très présente à Hollywood. Dans Radio Flyer, coréalisé par Richard Donner en personne, il a l'un des rôles principaux et s'en sort très bien. Mais c'est bien à partir de 1994, année de sortie de The War, qu'il devient l'un des enfants-acteurs les plus prolifiques. On le retrouve dans le North de Rob Reiner en 1994, dans Flipper le dauphin en 1996... Que des premiers rôles, du moins aux côtés de comédiens bien installés comme Kevin Costner, Bruce Willis ou même l'autre enfant-star du moment, Macaulay Culkin. Dès son enfance, Elijah Wood baigne dans le milieu hollywoodien et c'est pour ça qu'il va parvenir à le dompter.

Plus tard dans la décennie, il se dirige vers un cinéma plus pop en s'intégrant au casting principal d'un blockbuster et d'une série B d'horreur, genre pour lequel il a déjà une appétence. Le premier est Deep Impact, concurrent direct d'Armaggedon. Le comédien passe son permis afin d'assurer une séquence de poursuite en moto sur une portion d'autoroute fermée pour l'occasion. Un premier goût de la démesure des studios hollywoodiens. Le deuxième est The Faculty, remake teen de L'Invasion des profanateurs de sépulture. Cette fois, il passe beaucoup de temps avec ses collègues. Et s'occupe de plusieurs scènes d'horreur. Un autre avant-goût.

 

The Faculty : photo, Elijah WoodPrécieux stylos

 

Histoire d'un aller et retour

Sur le plateau de The Faculty, Harry Knowles d'Ain't Cool News lui fait part d'un projet aguicheur : l'adaptation de la trilogie du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson. Le journaliste lui lance : "Tu devrais jouer Frodon !".

Amateur de cinéma d'horreur, il est familier de l'oeuvre du cinéaste et s'intéresse à la chose. Des mois plus tard, son agent lui propose une audition. Bien conscient que tout Hollywood veut en être, il outrepasse le déroulé classique des auditions, engage un coach en dialecte et envoie une cassette avec l'aide de son ami George Huang, qui avait aussi participé à The Faculty. Ils tournent dans plusieurs endroits et montent le tout dans les bureaux de Miramax.

Un peu plus tard, Jackson l'appelle lui-même pour lui annoncer la nouvelle : il est le premier acteur casté pour sa trilogie. Celle-ci le marquera plus encore qu'elle marquera son public. "C'est l'aventure d'une vie" résumera-t-il à GQ. Le tournage des films dure 16 mois, sans compter les répétitions ni les reshoots. Le tout isolé au beau milieu de la Nouvelle-Zélande, aux côtés des autres membres du casting et de l'immense équipe technique. Pour vivre l'épopée de Tolkien, il grimpe dans des hélicoptères, voyage au sein du pays et se lie d'amitié avec ses congénères.

 

Le Seigneur des anneaux : La Communauté de l'anneau : photoLa carrière hollywoodienne, c'est à gauche ou à droite ?

 

Presque 20 ans plus tard, il reviendra sur l'aspect qui, pour lui, fait du rôle de Frodon une partie importante de sa vie.

"Étrangement, les souvenirs qui restent le plus ne sont pas ceux auxquels on s'attend [...] Ce sont les choses banales. Ce sont les trois heures entre les prises où nous allions dans nos loges pour faire une sieste ou jouer aux jeux vidéo. Ou lorsqu'après 15 ou 16 heures de travail, nous voulions quand même manger dehors, les brunchs le week-end, louer des films à Aro Street Video Store. Parce que c'était nos vies. Et c'était étrange d'en revenir. C'était si difficile d'expliquer aux gens ce que c'était de l'avoir fait et d'avoir été là."

Beaucoup de comédiens rechignent à revenir sur les rôles qui les ont rendus célèbres. Toutefois, l'expérience a suffisamment marqué l'acteur pour qu'il comprenne la nostalgie des spectateurs et accepte d'être à jamais assimilé à elle. Inutile de revenir sur le succès financier, populaire et culturel sans précédent que devient alors Le Seigneur des Anneaux. Fort d'une performance mine de rien assez complexe et extrême, Wood est la coqueluche du moment et tout le monde le destine à un avenir constellé de superproductions hollywoodiennes.

À moins qu'il ne rate son virage et reste l'homme d'un rôle.

Ça ne sera ni l'un ni l'autre.

 

Le Seigneur des Anneaux : Le retour du roi : photo, Elijah WoodLe plus dur est à venir

 

Chemins de traverse

"Après Le Seigneur des Anneaux, j'avais deux impressions. Premièrement, je ne voulais pas immédiatement travailler sur un autre projet de grande échelle" racontera-t-il à Indiewire. "Je voulais travailler sur quelque chose de très petit après la fin de tournage du troisième film. Mais d'un autre côté, je voulais toujours faire des choses très différentes. Donc je suppose que je n'avais pas d'attentes par rapport à ma carrière." Pas de blockbuster massif en vue, bien au contraire.

Au début des années 2000, il papillonne donc ici et là. On le voit aux côtés d'un jeune Charlie Hunnam dans Green Street Hooligans en 2005 et surtout dans un rôle secondaire génial dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Fidèle à ses envies de diversification, il se confronte à un duo créatif pour le moins original, aux méthodes qui ne le sont pas moins. Gondry a l'habitude de faire tourner ses caméras sans le prévenir, ce qui lui confère une forme de spontanéité. "Au-delà de ma participation, c'est l'un de mes films préférés" avouera-t-il à Yahoo.

 

Eternal Sunshine of the Spotless Mind : photo, Mark Ruffalo, Elijah WoodDevant un film scénarisé par Charlie Kaufman

 

Par la suite, il persiste dans les rôles singuliers, un poil en marge des tentpoles de majors. Il joue un collectionneur partant à la recherche de ses ancêtres dans Tout est illuminé, un jeune faisant face à une nouvelle conscription dans Day Zero, un asocial se prenant d'affection pour un chien-homme géant dans la série absurde Wilfred, longue de 4 saisons.

Ce n'est qu'à partir de la fin des années 2000 qu'il commence à avoir plus de mal à trouver de bons rôles. "C'est venu après" expliquera-t-il à Indiewire. "J'ai fait toutes sortes de choses après Le Seigneur des Anneaux. Puis, il y a eu une période où j'en ai moins fait et il y a eu cette répercussion étrange, décalée. Je pense que ça n'a rien avoir avec Le Seigneur des anneaux, mais plutôt avec le fait que je fasse plus jeune que mon âge".

 

Wilfred : photo, Elijah WoodWilfred. Voilà.

 

Selon lui, il atteint un stade où il ne correspond pas aux rôles de son âge. Mais cela ne l'empêche pas de se diriger vers une autre forme de jeu : le doublage. Que ce soit pour le jeu vidéo – notamment dans les Spyro le Dragon – ou l'animation télévisuelle – entre autres dans Tron : Uprising –, il s'empare du médium avec enthousiasme.

Son plus grand accomplissement à ce niveau étant probablement le diptyque Happy Feet, sa collaboration avec George Miller, chef d'oeuvre visuel qu'il arrive encore à rehausser en exprimant à merveille la détresse de Mumble, pingouin (ou manchot, on n'a toujours pas compris) joueur de claquettes parmi les chanteurs.

 

Happy Feet : photoElijah Wood prend son pied

 

Horror-corps

Elijah Wood a donc bâti sa carrière sans trop se soucier de son image, qu'il sait à jamais affublée de pieds poilus. Sa notoriété et ses envies de diversification lui ont donné l'occasion de subvertir son look de bambin corruptible, tout en s'adonnant à ses deux grandes passions : l'horreur et la création.

À vrai dire, il a toujours eu une passion pour le genre : "Je suis fan de films d'horreur depuis que je suis enfant." Influencé par Gremlins et Freddy 3, les griffes du cauchemar, il s'est frotté à des thématiques moins reluisantes dès l'après-Seigneur des anneaux.

Si son rôle de psychopathe sadique de Sin City a fait si forte impression, alors qu'il n'a demandé que deux jours de tournage (la magie des fonds verts de Robert Rodriguez), c'est parce qu'il embrasse complètement une vocation qu'on ne lui connaissait pas : l'exploration des faces sombres de l'humanité. À l'époque, c'était une excentricité du jeune au visage le plus innocent du milieu. Aujourd'hui, c'est l'une des plus petites pierres d'un édifice impressionnant.

 

Sin City : photo, Elijah WoodAnecdote : il s'est contenté de fixer comme ça pendant l'audition

 

En tant qu'acteur, il n'a pas fait tant d'incursions dans le genre, la plus célèbre étant le très singulier remake de Maniac, où il substitue le tueur massif de Joe Spinell à son physique frêle.

Déjà en 2012, il prend plaisir à expérimenter avec les codes, puisque son personnage est rarement dans le champ : le film est quasi intégralement en point de vue subjectif. Non pas qu'il ne se soit pas investi, au contraire : ses mains sont dans la quasi-intégralité des plans. De plus, lorsqu'il tue, la caméra panote, comme si l'acte le faisait sortir de son corps. Une idée tirée de confessions de véritables tueurs en série et qui le rend d'autant plus glaçant.

 

Photo Elijah WoodOn me voit, on me voit plus

 

Au cours des années 2010, il réitérera l'expérience plusieurs fois, s'attardant souvent sur des projets atypiques, pour le meilleur et pour le pire. En passant outre sa participation au Dernier Chasseur de Sorcières, il affronte une armée de zombies en primaire dans Cooties, joue sous pression d'un assassin dans Grand Piano, assume son côté hipster dans Come to Daddy et fait même partie des précurseurs de la mode du "screen life" grâce à Open Windows.

 

Grand Piano : photo, Elijah WoodElijah Wood touche du bois

 

Visions spectrales

Il y fait bien plus que réciter son texte. L'acteur a toujours clamé s'intéresser à toutes les phases de production d'un film. Alors qu'il n'était même pas encore majeur, sur le plateau de The Faculty, il était impressionné par la versatilité de Robert Rodriguez, qui montait les répétitions avant même de tourner les séquences. "Être inclus dans le processus de réalisation était passionnant et aussi très précieux" se remémorera-t-il avec émotion.

En 2012, en parallèle de son activité musicale (il a créé un label et officie en tant que DJ aux côtés de Zach Cowie sous l'alias Wooden Wisdom), il fonde un studio de production avec Daniel Noah et Josh C. Waller, The Woodshed. La société, qui plus tard sera renommée SpectreVision, entend proposer des films d'horreur à connotation psychologique.

"Je suis de plus en plus intéressé par l'idée de voir un espace où les films d'horreur qui prennent leur sujet et leurs personnages au sérieux peuvent être produits", annonce-t-il dans le communiqué. Sa firme "est née d'une conversation autour de notre amour commun pour le genre, de ce qui manquait en général, spécifiquement dans le marché américain."

 

Mandy : photo, Nicolas CageEh oui, c'est à lui qu'on doit ça

 

Bien qu'il ait des rôles dans ces productions, il s'efface au profit des auteurs – parfois assez confidentiels – qu'il met en avant. SpectreVision ne tarde pas à faire parler d'elle, grâce à des films qui prendront une place importante dans le développement du cinéma d'horreur contemporain. 

A Girl Walks Home Alone at Night influence une flopée d'artistes. Mandy relance quasiment la carrière de Nicolas Cage (avec qui il avait joué dans le DTV pourri Le Casse). L'hallucinant The Greasy Strangler est en passe de devenir culte, au sens premier du terme. Et Color out of Space, malgré l'éviction pour de bonnes raisons de son réalisateur Richard Stanley, reste l'une des plus audacieuses adaptations de Lovecraft.

La plupart des productions SpectreVision, si elles n'ont pas fait les gros titres des publications américaines, valent le coup d'oeil, comme Daniel isn't real, pépite onirique malheureusement inédite en France, en dépit d'un parcours triomphant en festival.

Ultime preuve qu'Elijah Wood fait du bien à l'industrie culturelle, loin des tapis rouges de Los Angeles : il a récemment engagé les créatifs de la légendaire marque de collectibles Mondo, virés comme des malpropres par la compagnie mère Funko, dans une boite toute neuve, nommée Mutant. Leurs nouvelles créations sont de toute beauté.

 

Daniel Isn't Real : photoLe réellement sympathique Daniel isn't real

 

Désormais, Wood continue à apparaitre ici et là dans des projets qui lui tiennent à coeur, comme Yellowjackets. Il double toujours des jeux vidéo, comme Psychonauts 2, et persiste à esquisser la facette sombre de l'espèce humaine, comme dans No Man of God, où il interroge nul autre que Ted Bundy. Le tout en parallèle de son activité de producteur, essentielle au cinéma indépendant américain.

En somme, une success-story telle que les tabloïdes qui le traquaient en Nouvelle-Zélande les détestent : discrète, passionnée et fructueuse.

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commentaires
ropib
29/04/2024 à 15:05

Vous n'avez pas particulièrement apprécié Dirk Gently ?

ChaosEngine
24/04/2024 à 11:04

Merci pour cet article fort intéressant sur un acteur passionnant et passionné !

Pat Rick
18/04/2024 à 19:43

Un bon papier, intéressant à lire avec de bonnes infos.

Ced Gdy
08/04/2024 à 17:20

Article au top

Lecon
08/04/2024 à 14:49

Article bien documenté, bravo !

actar
08/04/2024 à 13:51

L'acteur que j'aurais pris direct pour jouer Napoléon.

Ghost Leopard
08/04/2024 à 13:47

Il est bien, votre article.
Merci beaucoup pour ces informations.

Vesper
08/04/2024 à 12:34

Très intéressant cet article. Merci à l'auteur

BudSpencer
08/04/2024 à 09:50

Et sa participation dans l'excellent clip des beastie, make some noise

Arnaud (le vrai)
07/04/2024 à 22:48

Tiens vous avez pas parlé de Forever Young avec Mel Gibson, qui pourtant a été un film qui a marqué la carrière debutante d’Elijah Wood, bien avant Deep Impact et The Faculty non ?

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