Sixième sens, Incassable, Le Village... quel est le meilleur (et le pire) film de Shyamalan ?

La Rédaction | 29 janvier 2023 - MAJ : 03/02/2023 18:17
La Rédaction | 29 janvier 2023 - MAJ : 03/02/2023 18:17

Sixième Sens, Incassable, Signes, Le Village, The Visit, Split, Glass, After Earth... quel est le meilleur (et le pire) film de M. Night Shyamalan ?

Notre critique de Knock at the Cabin.

Shyamalan, c'est comme Tim Burton. Il a été aussi aimé que détesté, et sa renaissance est annoncée, voire célébrée, toutes les années bissextiles, comme une tradition cinéphile. En 30 ans de carrière (mais 20 sur les radars) et 14 films (mais deux pré-Sixième sens largement oubliés), le réalisateur est passé par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel hollywoodien.

La gloire, le succès, le prestige, le titre de nouveau Spielberg : il l'a eu avec Sixième sens, et dans une moindre mesure Incassable et Signes. La honte, les quolibets, le rejet : il y a eu droit avec La Jeune fille de l'eau, PhénomènesLe Dernier Maître de l'air et After Earth. Le retour, le re-amour, le re-succès : The Visit, Split, Glass.

Après la (grosse) déception Old, Shyamalan est de retour avec Knock at the Cabin (en salles le 1er février). L'occasion de se demander quels sont les meilleurs films du réalisateur, et lesquels sont impossibles à sauver. Et attention, il y a parfois quelques spoilers sur les films.

 

M. Night Shyamalan : photoFlashback 2002

 

PRAYING WITH ANGER

Sortie : 1993 (États-Unis) - Durée : 1h47

 

Praying with Anger : Photo M. Night ShyamalanEn route vers la gloire ?

 

Probablement le film le plus personnel de Shyamalan puisque le jeune cinéaste s’appuie très largement sur sa jeune expérience de la vie lorsqu’il le réalise, le scénarise, le produit et en incarne même le rôle principal. Praying with anger raconte ainsi le parcours de Dev, un jeune homme indo-américain qui retourne en Inde pour découvrir ses racines et subit alors un choc culturel. Il va donc devoir faire des choix, prendre conscience d’une réalité qu’il n’avait pas envisagée et lutter entre ses pulsions violentes et sa recherche de sérénité existentielle.

Très sincèrement, Praying with anger est un quasi-film étudiant, filmé avec les moyens du bord et avec un financement ridicule (Shyamalan a demandé à ses parents de produire son film parce qu’il n’avait pas d’autres moyens de le faire, concrètement). Et forcément, au niveau scénaristique, il a tous les défauts d’un premier film d’apprentissage : une voix-off assez pompeuse, un rythme très chancelant, une certaine mégalomanie et globalement un manque de subtilité grossier (ce qui ne s’arrangera pas forcément par la suite cela dit).

Toutefois, derrière son scénario peu mémorable reprenant déjà certaines de ses thématiques phares (la croyance, le mysticisme, les présences surnaturelles, la différence), Shyamalan révèle d’ores et déjà un vrai talent de mise en scène (et ce, malgré un budget aussi faiblard). L’élégance (déjà des plans-séquences réguliers) et la pertinence de certains plans impressionnent, les simples mouvements de sa caméra permettant d’amener une tension à des séquences naturellement. Dommage que l’inexpérience du cinéaste l’ait empêchée de se faire confiance, Shyamalan s’obligeant à surexpliciter tout avec des dialogues.

 

Praying with Anger : Photo M. Night ShyamalanL'eau déjà très présente

 

Pourquoi il a été oublié ? C’est un peu le grand mystère de la filmographie de Shyamalan puisque Praying with anger avait pourtant été accueilli chaudement lors de son passage au Festival de Toronto en 1992. Il avait même remporté le prix du « meilleur premier film » dans la section cinéaste américain indépendant lors de l’American Film Institute Festival. Puis, après sa sortie en septembre 1993 et une réception correcte, le film a tout bonnement disparu des écrans radars.

Trente ans plus tard, le film est même carrément introuvable en qualité convenable (d’où la médiocrité des photos illustrant cette partie du dossier, navré). Et même si Shyamalan en parle peu, il raconte que c’est sur ce plateau qu’il a pris confiance en lui lorsqu’un des ingénieurs son lui a dit : « Tu me rappelles Steven Spielberg quand il est venu en Inde tourner Rencontres du troisième type ». Ce n’est donc pas rien dans sa carrière.

 

WIDE AWAKE

Sortie : 1998 (États-Unis) - Durée : 1h28

 

Wide Awake : Photo Joseph CrossOn est bien dans un film de Shyamalan, surprenamment

 

Étonnant deuxième film que Wide Awake. Après s’être mis en scène littéralement dans son premier long-métrage, M. Night Shyamalan continue à explorer son parcours avec ce premier film de studio (Miramax carrément mené à l’époque par un certain Harvey Weinstein). Il suit ainsi l’histoire d’un jeune garçon, Joshua, dont la mort traumatisante de son grand-père va l’amener à se poser des questions sur la mort, la religion et globalement l’injustice de la vie, au point de chercher carrément à parler à Dieu en personne.

Sur le papier, c’est un film très éloigné de tout ce que Shyamalan réalisera à l’avenir. Wide Awake est véritablement une petite comédie dramatique, suivant l’éveil de son jeune héros (largement autobiographique) à travers des échanges avec sa famille, les souvenirs de son grand-père (des visions qui présagent déjà de Sixième Sens) et sa rencontre avec Dave, son meilleur ami dans une école catholique avec qui il va faire les 400 coups. Bref, avec Rosie O’Donnell en nonne prof de sport sympathique, Wide Awake a des airs de film familial Disney.

Toutefois, il repose évidemment sur des thématiques qui jalonnent toute la filmographie du cinéaste, notamment son obsession pour la foi et la famille, et quelques clins d’œil au futur (les visions fantômes donc, mais aussi les super-héros). Alors oui, Wide Awake n’a rien d’exceptionnel et reste assez banal, mais en racontant l’intégralité de son récit à travers le regard de son jeune protagoniste, Shyamalan parvient à livrer une œuvre plutôt humble, sincère et émouvante. Et même si la leçon de morale globale ennui, Wide Awake surprend par sa capacité à raconter la douleur d’un enfant sans détour, et présage une chose : Shyamalan sait filmer les gosses comme personne.

 

Wide Awake : Photo Timothy Reifsnyder, Joseph CrossFilmer les gosses, première

 

Pourquoi tout le monde l'a oublié ? Tout simplement parce qu’il a été tué par le fameux producteur du film : Harvey Weinstein. Le tournage s’est déroulé en 1995 et a, apparemment, été extrêmement compliqué, non pas à cause de l’ambition du film (il n’y en a pas beaucoup), mais de la malveillance de Weinstein lui-même. Plus tard dans sa carrière, Shyamalan avouera d’ailleurs avoir pleuré sur le plateau après des remontrances du producteur.

Suite à ce tournage difficile, le film a mis des années à sortir au cinéma. La post-production s’est terminée en 1997 et le film est finalement sorti aux États-Unis en 1998 dans moins de 45 salles. Wide Awake a donc fait un flop monumental au box-office en amassant 282 000 dollars pour un budget de six millions. Probable raison pour laquelle tout le monde l’a oublié et que même Shyamalan préfère ne pas trop revenir dessus. Il faut dire que laisser penser les spectateurs que son premier film est Sixième Sens est autrement plus glorieux.

 

SIXIÈME SENS

Sortie : 1999 - Durée : 1h47

 

Sixième sens : Photo Haley Joel OsmentPrête-moi ta main 

 

Pourquoi Sixième Sens est vraisemblablement le meilleur Shyamalan : Difficile de savoir par où commencer pour chanter les louanges de ce bijou de cinéma fantastique. Peut-être par sa caractéristique la plus évidente : son incroyable capacité à filer les jetons. On y suit un psy incarné par Bruce Willis qui tente d’aider Cole, un adorable petit garçon brillamment interprété par Haley Joel Osment. Le problème de Cole ? Il voit des gens qui sont morts (oui, le fameux meme), et ces pauvres refroidis lui cherchent des noises. Pour ne citer qu’une séquence parmi les nombreuses du film capables de faire claquer des dents une poule, le moment où Cole aperçoit une famille pendue en haut de l’escalier de son école reste aujourd’hui un sommet d’épouvante.

Le deuxième effet physiologique que le film est dangereusement capable de produire sur le corps de son spectateur, c’est l’ouverture des vannes lacrymales. L’une des dernières séquences du film montre Cole en voiture avec sa mère (formidable Toni Collette) lors d’un dialogue où il essaye de lui faire comprendre qu’il a un petit problème de fantômes. En lui expliquant ce qu’il peut y avoir de beau dans sa communication avec les morts, notamment ceux qu’on a aimés, il arrive à la convaincre qu'il dit la vérité. C’est bien simple, cette séquence a le pouvoir de détruire l’âme de toute personne en possédant une.

Il en irait presque de même pour le fameux twist, daron de tous les twists, qui est directement entré au panthéon des twists tant il a marqué les spectateurs à la sortie du film et est aujourd’hui plus connu que Jésus. Sa mise en scène et les dialogues qui le révèlent sont toujours aussi puissants, et lui confèrent toujours une émotion vertigineuse qui terminent en beauté ce grand film.

 

Sixième Sens : photo, Bruce Willis, Haley Joel OsmentSéance de psynéma

 

Pourquoi Sixième Sens n’est peut-être pas le meilleur Shyamalan, finalement : Sixième Sens fait partie du très haut du panier de la carrière de Shyamalan, certes. Mais le réalisateur a aussi su frapper fort (plus fort ?) avec d’autres films, et cette histoire de fantômes a peut-être trop de faiblesses (en vrai non, mais c’est le jeu) pour occuper une place sur le podium.

À bien regarder son célèbre twist, il faut se demander si son effet spectaculaire n’est pas dû à trop d’artificialité. Attention, les prochaines phrases spoilent ledit twist : est-ce qu’il est vraiment crédible qu’un psy ait pu penser que la mère de son jeune patient ne lui adresse pas la moindre parole, pas même pour lui exposer la situation ou le faire rentrer chez elle ? Comment Malcolm a-t-il pu passer autant de temps sans échanger un mot avec sa femme et ne jamais se douter qu’elle ne le voyait tout simplement pas ?

Certes, il est bien dit que “les fantômes ne voient que ce qu’ils veulent voir”. Mais par moments, c’est audacieux de faire reposer le scénario sur des approximations aussi épaisses, qui ne sont justifiées que par une phrase de Cole qui, du bas de son petit âge, serait censé avoir compris toute la psychologie des défunts qui s’ignorent. De manière générale, Sixième Sens demande de fermer les yeux sur pas mal de grosses ficelles et de facilités, émaillées de quelques nunucheries, qui auraient presque de quoi le faire tomber de son piédestal.

 

INCASSABLE

Sortie : 2000 - Durée : 1h46

 

Incassable : Photo Bruce WillisIncassable ET imperméable

 

Pourquoi Incassable est forcément le meilleur Shyamalan : C’est peut-être le film du réalisateur sur lequel s’accorde le plus de monde. Film de super-héros intello (dans le sens où personne n’y porte de slip par-dessus son pantalon), Incassable voit s’affronter un magistral duel d’acteurs : Bruce Willis en agent de sécurité maussade qui peine à admettre sa destinée héroïque, et Samuel L. Jackson en collectionneur d’art malade qui cherche sa perle rare (et qui n’a jamais aussi peu dit “motherfucker” de sa vie).

Dans ce scénario archétypal du style de Shyamalan, chaque élément répond à un autre et chaque image joue le rôle d’une pièce précise dans le puzzle de l’histoire. Le personnage de Bruce Willis y est écrit en creux, à contre-courant des autres super-héros du cinéma, en se définissant en fonction de tout ce qu’il n’est pas pour mieux comprendre ce qu’il est.

Dans cette quête de soi, le personnage de Samuel L. Jackson fait office d’un guide ambigu qui questionne les notions de bien et de mal, et explore surtout l’un des thèmes récurrents de la mythologie des super-héros : et si chaque justicier était la raison de vivre d’un grand méchant, et vice-versa ? Sous son apparence de thriller mêlé de drame familial, Incassable livre une réflexion passionnante, complète et émouvante sur la pop culture et ses résonnances philosophiques.

 

Incassable : photo elijah priceC'est la Snyder cut ?

 

Pourquoi Incassable n’est pas forcément le meilleur Shyamalan : Si, à l’époque de sa sortie, Incassable a pu sembler novateur, force est de constater qu’il a vieilli. Pas tant dans son scénario qui reste fort, même si le style Shyamalan a tant inspiré qu’il a pris quelques rides, mais plutôt en termes d’images.

Par exemple, dans la séquence où Bruce Willis se rend compte que, au contact des gens, il est capable d’avoir des visions de leurs crimes. Lesdites visions représentent un concentré de ringardise en termes de représentation d’images mentales : elles s’ouvrent et se terminent dans un flash, elles comportent chacune un élément de couleur vive pour identifier le criminel au milieu d’une image désaturée (comme les photos de New York en noir et blanc avec un taxi jaune vif au milieu qu’on trouvait chez Gifi au début des années 2000), et ressemblent grosso modo à des flashbacks paresseux. C’est le moment de rappeler que les flashbacks sont un fléau cinématographique, et qu’il y en a d’ailleurs plusieurs au cours du film qui trahissent plus une faiblesse de narration qu’un parti pris esthétique.

Au-delà du look bleuté-grisonnant vu et revu dans 99% des films flirtant de près ou de loin avec le genre du thriller, Incassable pèche aussi par une écriture faiblarde des personnages secondaires, notamment celui de Robin Wright Penn qui, à part par le charisme éternel de l’actrice, est tristement transparent. Le personnage du fils du couple, lui, subit le traitement spécial américain des personnages de gamins en manque de lien papa-fiston et qui en deviennent extrêmement tête-à-claques.

 

SIGNES

Sortie : 2002 - Durée : 1h45

 

Signes : SignesLes vrais enfants du maïs

 

Pourquoi Signes est sûrement le meilleur Shyamalan : Tout le cinéma de Shyamalan est là, réuni en un film qui illustre ses qualités de réalisateur, scénariste et directeur d'acteurs. Dans ce Rencontres du troisième type intimiste, il s'accroche à une famille pour raconter une invasion alien, qui est d'autant plus effrayante qu'elle reste largement hors-champ (la télévision, la radio, et donc : tout est possible et imaginable).

Dans la lignée d'Incassable, Signes est une fabuleuse démonstration de son sens de la mise en scène. Chaque cadre, chaque mouvement de caméra et chaque effet de montage est savamment orchestré et millimétré. Il n'y a pas une miette de trop dans ce travail d'orfèvre, qui culmine avec les géniales apparitions des aliens. Shyamalan n'a besoin que d'une silhouette, d'une jambe ou d'une main (et d'un excellent travail sur le son, et de la musique fantastique de James Newton Howard) pour installer une profonde angoisse, qui culmine avec la scène terrifiante du JT, où l'extraterrestre se dévoile enfin.

Et derrière la force de ce pur film d'horreur et d'invasion, Shyamalan sort son ultime carte : l'émotion, qui dicte ce récit de deuil et réconciliation jusqu'à la toute fin. À ce titre, Signes est probablement son film le plus beau et pur, notamment grâce au quatuor d'acteurs. C'est aussi celui où il aborde la foi (au sens large, et pas seulement religieux) avec le plus d'intelligence, grâce à un récit où tout a un sens. Et c'est parfait, puisque c'est exactement ce qui dirige son scénario : chaque personnage, chaque problème, chaque détail a un rôle à jouer dans ce puzzle. De quoi y voir une sorte de note d'intention de tout son cinéma, qui repose sur l'importance (et l'envie) de croire.

Pourquoi Signes est le chef-d'œuvre de Shyamalan

 

Signes : photoSouriez, vous êtes filmé

 

Pourquoi Signes a aussi ses défauts : Précisément parce qu'il énonce et hurle que tout a un sens, Signes peut sembler un peu artificiel et grossier dans ses effets (ce n'est plus un fusil, mais un tank de Tchekhov à ce niveau). En réalité, le vrai problème du film arrive surtout dans sa dernière partie, lorsque Shyamalan déshabille le mystère en montrant longuement et frontalement l'alien.

Sur le petit écran de TV, l'alien était vu à travers plusieurs filtres (filmé par un caméscope, diffusé par le JT, et vu sur l'écran de cinéma à travers le regard du personnage de Joaquin Phoenix). Dans le grand final, il est là, quasiment à poil et offert aux regards acérés, qui pourront scruter les détails et défauts. Après avoir si bien joué avec les ombres, les silhouettes et le hors-champ, Signes s'achève sur une image d'une maladresse inattendue. Le charme est rompu. Et c'est d'autant plus triste que Signes a tout de même coûté la bagatelle de 70 millions de dollars.

 

LE VILLAGE

Sortie : 2004 - Durée : 1h48

 

Le Village : Photo Bryce Dallas HowardLe village des damnés

 

Pourquoi Le Village est sans doute le meilleur Shyamalan : Dans la plupart de ses films, Shyamalan témoigne de son obsession pour la croyance, et Le Village est celui qui traite de la question de la manière la plus intelligente et nuancée. En inventant une légende autour de créatures qui hanteraient un bois près d’un innocent hameau, il joue avec les peurs d’enfant du spectateur : qui, dans cette situation, ne recommencerait pas à croire aux monstres et aux fantômes ? Qu’est-ce qui motive réellement cette peur, et qu’est-ce qui peut la dépasser ? Véritable film d’Halloween qui s’ignore, Le Village plonge dans une atmosphère étrange et automnale joliment propice à un jeu de masques et de faux-semblants.

On doit à James Newton Howard la sublime bande-originale tout en violons, tendre et mélancolique, qui donne au film une identité particulière et le démarque des autres films du genre. Un genre finalement assez indéfinissable, tant Shyamalan achève de créer, avec Le Village, un modèle qui lui est propre. C'est peut-être tout de même vers l'épouvante qu'il tend le plus, avec ses scènes dont le suspense et les apparitions prennent aux tripes autant qu’elles émerveillent.

Mention spéciale à la scène d'attaque dans la forêt, où la mise en scène fait des prouesses pour épouser subtilement le "regard" d'Ivy qui est pourtant aveugle. Le coup de génie de cette séquence est de donner toute sa réalité à la légende des créatures dans les bois, après avoir laissé penser que cette peur n'avait pas lieu d'être. Un quasi-twist peut-être encore plus puissant que LE twist, qui envoie pourtant déjà du lourd.

Ajoutez par-dessus ça un casting 45 étoiles composé d'un Joaquin Phoenix taiseux, mais touchant et une Bryce Dallas Howard qui mime la cécité à la perfection (accompagnés par pas moins que William Hurt, Sigourney Weaver, Adrian Brody et bien d’autres), et voilà ce qui semble bien être le film le plus abouti, le plus incarné et le plus signé de son réalisateur.

 

Le Village : Photo Joaquin Phoenix, Bryce Dallas Howard L'amour est dans le pré

 

Pourquoi Le Village n'est pas du tout le meilleur Shyamalan : Ce n'est pas pour rien si Le Village a été un point de bascule dans la carrière du réalisateur. C'est certainement le moment où il a tellement eu foi en lui-même, qu'il a oublié d'aider le public à y croire aussi.

Quand Ivy sort finalement des bois pour découvrir le pot-aux-roses, et que le public a droit en parallèle à une explication ultra-démonstrative, c'est comme si toute la magie du cinéma de Shyamalan s'envolait, et qu'il brisait lui-même le sortilège dans un énorme coup de poker. En déballant un twist ultime qui renverse absolument tout son film (son décor, son époque, sa menace : à côté, celui de Sixième sens n'est rien), il force à en regarder toute l'artificialité. Quitte à rendre la chose légèrement comique, puisque la dernière partie du Village est un festival de fausses notes.

Oui, l'idée du Village est belle, riche et malicieuse. En théorie. Parce que l'exécution est une suite de choix étranges et douteux. Une demi-heure avant la fin, le film révèle que les monstres ne sont que des vieux en costume. À partir de là, comment avoir le moindre frisson quand Ivy en croise un dans la forêt, surtout en plein jour, où il ressemble au mieux à un cosplay de Skeksès ? Comment croire un seul instant à la menace de ce gros machin qui se met à courir pour bousculer l'héroïne, avec un ralenti dégueulasse au passage ? Après les coups d'éclat horrifiques de Signes, Le Village fait tache, avec un mystère qui ne tient jamais la route, et une ribambelle de seconds rôles complètement vides (une honte vu le casting de luxe). Un peu comme si Shyamalan s'était noyé dans sa note d'intention, et avait oublié tout le reste (le film).

 

LA JEUNE FILLE DE L'EAU

Sortie : 2006 - Durée : 1h49

 

La Jeune fille de l'eau : photo, Paul Giamatti, Bryce Dallas HowardBadons sous la pluie

 

Pourquoi La Jeune fille de l'eau est peut-être un Shyamalan avec lequel on a été trop sévères : Pour une partie des spectateurs et pour la presse de l'époque, La Jeune fille de l'eau est le film qui a précipité la chute du cinéaste dans la deuxième partie des années 2000. Pourtant, il s'agit peut-être d'un de ses films les plus sincères et qui le démarquent le plus franchement de ses contemporains. Avec une radicalité que peu de mid-budgets à 70 millions de dollars ont financé jusqu'ici, il assume de construire son récit entier autour d'une mythologie merveilleuse traitée au premier degré absolu, ouverture à l'appui.

Ici, la question de la foi dépasse le cadre du religieux ou du surnaturel. La crédulité de cette petite communauté forcée à cohabiter est rarement mise en doute. Très vite, ils acceptent la nature du personnage joué par Bryce Dallas Howard. Ne reste plus alors qu'à croire... en eux, idée d'une naïveté rafraîchissante, voire bienveillante et symbolisée par le personnage de Paul Giamatti (excellent, comme à son habitude). Le poids de son passé a beau être un tantinet caricatural, sa trajectoire reste extrêmement touchante.

La mauvaise réception du film est d'autant plus cruelle que La Jeune fille de l'eau est, de toute évidence, l'une des oeuvres les plus personnelles de l'auteur. Celui-ci se met en scène plus encore que dans ses autres longs-métrages américains, moins pour apporter les clefs du récit en grand manitou de la narration qu'en prenant timidement part à cette expérience collective du conte. Pour peu qu'on fasse fi de ses évidents défauts, sa sincérité n'en ressort que plus belle encore.

 

La Jeune fille de l'eau : photoLa créature du fond des poubelles

 

Pourquoi La Jeune Fille de l'eau est l'un des pires Shyamalan : Parce que c'est là qu'il a craqué, à tous les niveaux. En coulisses, il a claqué la porte de Touchstone Pictures (filiale de Disney qui était derrière Sixième sens, Incassable, Signes et Le Village), parce que les producteurs avaient de sérieux doutes sur la qualité de son scénario. La discussion a tourné au désaccord puis au divorce public, Shyamalan ayant par la suite ouvertement taclé les boss du studio.

Il est allé directement chez les concurrents, Warner Bros., qui ont lâché plus de 70 millions pour La Jeune Fille de l'eau. Ce sera leur seule collaboration, chose compréhensible vu le bide du film (environ 72 millions au box-office, et un accueil désastreux). Il faudra attendre le succès de The Visit pour que Shyamalan retrouve une vraie maison stable, chez Universal, puisqu'entre les deux il a écumé tous les studios (Phénomènes chez la Fox, Le Dernier Maître de l'air chez Paramount, After Earth chez Sony).

 

La Jeune fille de l'eau : photo, Paul Giamatti"Promis, ce sera pas une piège comme La Planète des singes ?"

 

À l'écran, c'est également une fascinante catastrophe et une démonstration d'hubris, puisque Shyamalan croit tellement qu'on va y croire qu'il n'a même pas envisagé une autre option. À ce degré, ce n'est plus une profession de foi, mais une crise aiguë d'ego. Même s'il insiste lourdement dès le début sur la notion de fable, le réalisateur et scénariste est incapable de rendre cette histoire de nymphe un minimum touchante et magique. L'idée de personnages-fonctions est poussée jusqu'à la caricature, la mise en scène perd en éclat, et Shyamalan confirme après l'alien de Signes qu'il a bien du mal à intégrer les effets visuels dans son univers.

Sans oublier le personnage du critique, qui est moins une attaque contre la profession (rassurez-vous, aucun critique de plus de 16 ans n'a été vexé) qu'un témoignage de la bêtise de Shyamalan, capable de polluer son récit pour s'essuyer les pieds sur ceux qui ne l'adorent pas (que ce soit les producteurs de Disney, ou les critiques qui n'ont pas aimé ses films).

 

PHÉNOMÈNES

Sortie : 2008 - Durée : 1h26

 

Phénomènes : photo, Mark Wahlberg, Zooey Deschanel"Maintenant, jouez la peur et l'étonnement"

 

Pourquoi Phénomènes est presque un bon Shyamalan : Il faut reconnaître à ce film mal-aimé (à juste titre) ses quelques qualités. La scène d’introduction, par exemple. Ce moment où, dans la rue, des ouvriers commencent à tomber un à un d’un échafaudage pour s’écraser au sol sous les yeux horrifiés des passants, et sans explication apparente. Avant que la scène ne commence à friser un peu le ridicule (ça reste Phénomènes), l’effet réussit son coup et accroche le spectateur à son fauteuil.

En termes de message, il faut aussi saluer le fait que le film dit tout haut ce que tout le monde pense tout haut aussi, mais ne dit pas assez : l’espèce humaine est le cancer de cette planète et si ça se trouve, un jour, la nature développera un système de défense pour nous éliminer. Et franchement, ce serait mérité. Alors même si ce qui est raconté dans le film peut horrifier (cette légère tendance de l’humanité à se suicider), Phénomènes a le mérite d’interroger sur qui représente la véritable menace et sur la légitimité du châtiment qui peut nous tomber dessus. Un bon point pour la conscience écologique et son exploitation sous forme de film mi-horrifique mi-catastrophe.

Autre aspect plaisant : le casting. Mark Wahlberg fait gentiment le job, Zooey Deschanel profite de l’un de ses rares rôles principaux au cinéma, et au milieu, le trop rare John Leguizamo offre quelques belles scènes. Notamment la séquence de la fuite en voiture : après avoir traversé une forêt de pendus, son personnage comprend que son sort et celui des autres passagers sont probablement scellés. La tristesse et la résignation qui transparaissent sur son visage alors qu’il se veut rassurant constituent sûrement la plus belle performance d’acteur du film et mérite qu'on reconnaisse à Phénomènes un statut presque meilleur que celui de navet.

 

Phénomènes : photo, John LeguizamoDon't look up

 

Pourquoi Phénomènes a confirmé l'ère du pire de Shyamalan : Bon, déjà, Mark Wahlberg lui-même a carrément décrit Phénomènes comme un "mauvais film" seulement deux ans après sa sortie en précisant : « Phénomènes. Bordel. Le film est ce qu’il est. Putain, mec, non, mais franchement, des arbres. Des plantes, quoi. Bordel. Au moins, on ne pourra pas me reprocher d’avoir essayé de jouer un prof de sciences. Au moins je n’étais pas un flic ou un gangster ».

Cela dit, vu que l’acteur pense que son pire film est Boogie Nights, ce n’est pas forcément le plus crédible. Toutefois, le huitième long-métrage de Shyamalan représente assez parfaitement la débandade de son cinéma : quand le dramatique est devenu un objet comique. Car finalement, en étant tout à fait honnête, le début de Phénomènes est en effet très réussi, ou pour le moins très intrigant, avec cette succession d’étranges suicides humains. Puis, sans doute par ambition – et contrairement à sa filmographie d'alors qui s'accrochait à une sphère plus intime –, Shyamalan a décidé de se lancer dans une menace à plus grande échelle.

Une grossière erreur tant son film R-Rated, le premier de sa carrière (appelant donc à une plus grande violence et noirceur) se plante dans les grandes largeurs. Au lieu d'être inquiétant ou alarmant vu son sujet fort, Phénomènes fait plus souvent rire à cause de ses situations ridicules (ce moment incroyable où les personnages doivent courir plus vite que le vent ou celui où Mark Wahlberg parle... à une plante). Et ainsi, le grand thriller apocalyptique s'est transformé en immense bizarrerie voire en tragique acte manqué.

 

LE DERNIER MAÎTRE DE L'AIR

Sortie : 2010 - Durée : 1h43

 

Le Dernier Maître de l'air : photoUn film qui ne vole pas plus haut que Appa


Pourquoi ce n'est peut-être pas le pire, mais juste un des pires : Sur le papier, adapter Avatar : le Dernier Maître de l'air en live action était une bonne idée, sinon une évidence tant le matériau d'origine est riche et se prête à du grand spectacle hollywoodien, encore plus avec des plans de trilogie dans les tiroirs. Et avec les moyens adéquats - soit 150 millions de dollars de budget hors inflation-, le public a en effet eu droit à de chouettes effets spéciaux, qui ont un peu vieilli aujourd'hui, mais restent largement plus acceptables que tout le reste le concernant. 

En plus d'être logique d'un point de vue narratif et marketing, l'histoire du petit Aang se prête parfaitement aux obsessions de réalisateur sur la foi (au sens large, encore une fois), l'Avatar devant gagner la confiance et les coeurs du peuple pour que celui-ci croie de nouveau en lui et au monde des esprits. Bon, tout ça a été torché dans un final aussi expéditif que ronflant, mais ça reste un début de bonne idée. 

 

Le Dernier Maître de l'air : photo, Noah RingerÀ mi-chemin entre Jésus et l'abattoir

 

Pourquoi Le Dernier Maître de l'air est sans aucun doute le pire Shyamalan : Même s'il n'adapte que le premier livre de la série animée, le fait que Le Dernier Maître de l'air ait condensé son récit en 1h44 seulement était clairement un signe annonciateur du naufrage. Avec aussi peu de temps au compteur et autant d'éléments (sans mauvais jeux de mots) à présenter, le film a fini par saccager son histoire et tout son potentiel dramatique, alors même que le scénario n'a laissé aucune place à l'humour et aux moments de légèreté de l'oeuvre originale. Tout est désespérément premier degré et faussement lyrique avec des personnages sous-caractérisés. 

Les scènes se succèdent à une vitesse frénétique, sans jamais offrir la moindre respiration qui permettrait aux personnages de créer un début de complicité (Katara demande son prénom à Aang après vingt minutes de film, et après avoir décidé de le suivre dans son périple !). Que ce soit Aang, Zuko ou Sokka, tous les personnages sont antipathiques et inintéressants au possible. De fait, l'univers fantastique ne parvient jamais à s'animer, chaque spécificité de la mythologie étant expédiée en trois lignes de dialogues pour vite passer à la suite. 

Les combats sont ultra-chorégraphiés, les acteurs tellement monolithiques et détachés de ce qui se passe devant eux qu'on les croirait forcés de se prêter à cette mascarade, tandis que la caméra et le montage n'arrivent jamais à installer la moindre énergie et à réveiller l'action surchorégraphiée, toujours plate et au bord de l'hypoglycémie. Les dialogues sont, quant à eux, soporifiques, quand ils ne sont pas d'un ridicule affligeant. Au final, le film a été nommé dans 8 catégories aux Razzie Awards (et en a décroché cinq à lui seul), tuant dans l'oeuf les deux autres volets prévus. C'est d'ailleurs bien ce qu'on retient de plus positif. 

 

AFTER EARTH

Sortie : 2013 - Durée : 1h40

 

After Earth : photo, Jaden SmithRevoyez Volcano plutôt

 

Pourquoi After Earth est peut-être le plus drôle des mauvais Shyamalan : Difficile Impossible de sincèrement défendre After Earth, dirigé par un premier degré ahurissant qui transforme l'expérience en hallucination. Mais ce n'est pas qu'une grossière histoire de relation père-fils parfaitement toxique (ravale tes émotions et ta peur, et sois un homme) : c'est aussi et surtout un navet hors de prix (130 millions) où le fiston Smith affronte des singes et des fauves en CGI, avec l'aide d'un oiseau géant. Quand le clou du spectacle reste un gel express de pelouse qui rappelle les bonnes heures de Roland Emmerich, c'est qu'on est très bas sur le baromètre du nul.

Le ratage d'After Earth a donc quelque chose de savoureux, particulièrement parce que tout était en place pour offrir un amusant survival à la sauce SF. Sauf que tout ça est tellement mou et pauvre (la mythologie bêtasse expédiée dans le prologue) que Hunger Games 2 ressemble à Mad Max : Fury Road à côté.

Autre ligne de défense : After Earth n'est pas un film de Shyamalan. C'est un Will Smith Movie. C'est lui qui a eu l'idée, l'a développée avec sa boîte Overbrook, a trouvé le scénariste, recruté le réalisateur, et casté son fils Jaden Smith. Shyamalan, lui, n'était au fond qu'un technicien au service de l'ego de Will Smith... qui n'a jamais digéré le désastre du film, et considère ça comme le pire échec de sa carrière.

 

After Earth : photoInoubliable Ursa (rires)

 

Pourquoi After Earth est un immense loupé même pas drôle : On peut trouver tous les défauts d'After Earth plus risibles que tristes, et donc plus drôles que décevants, mais aussi l'inverse. Outre le premier degré plombant du film, les dialogues d'un vide abyssal, l'intrigue balisée, l'accumulation de clichés, les CGI tout pourris et le carcan SF beaucoup trop propre et lisse, le plus regrettable est qu'il ne s'agit tout simplement pas d'un film de M. Night Shyamalan, dont il ne subsiste que quelques tics de réalisation.

C'est plutôt un immense pamphlet à la gloire du clan Smith, commandé par papa Smith pour mettre en orbite bébé Smith après ses tentatives de décollage ratées dans À la recherche du bonheur et Kung-fu Karaté Kid. Sans surprise, on retrouve d'ailleurs à la production Overbrook Entertainment, co-fondé par Will Smith. 

On passe rapidement sur la non-subtilité du passage de flambeau entre le père et son fils (même s'il a ironiquement mis cinq ans à réapparaître à l'affiche avant de pratiquement disparaître du paysage cinématographique), pour s'attarder un peu plus sur les relents dévots du scénario très probablement hérités de la scientologie en vogue à Hollywood.

Avec un regard plus actuel, il est assez consternant de voir un père enseigner à son fils la technique de "l'effacement" (celle qu'a parfaitement appliquée le réalisateur), prolongeant la glorification des relations parents-enfants bien toxiques et la vision très masculiniste de l'homme, le vrai, celui qui n'a pas d'émotions trop intenses, n'a pas peur et ne chouine pas à la moindre menace de mort... C'est plus rétrograde et périmé que simplement ringard.

 

THE VISIT

Sortie : 2015 - Durée : 1h34

 

The Visit : photo, Kathryn HahnUnfriended

 

Pourquoi The Visit est peut-être le come-back de Shyamalan : Parce qu'en allant du côté de Blumhouse, Shyamalan s'est refait une santé au travers des exigences économiques de l'intraitable Jason Blum. En gros, maxi concept pour mini budget, ce qui oblige à une certaine créativité. Forcément, on aurait pu craindre que le réalisateur n'aille se perdre dans l'opportunisme du found-footage, mais The Visit est justement l'une des propositions du genre les plus rafraîchissantes.

Au-delà de son retour à une écriture à twist plutôt maline, M. Night Shyamalan parvient à insuffler dans son film une peur aussi simple que terrifiante sur la vieillesse et la crainte de la dégénérescence. Le postulat de mise en scène lui offre d'ailleurs par sa caméra portée et ses plans fixes quelques jolis moments de suspense (cette séquence dans le four, mon dieu !), qui permettent au cinéaste de retrouver sa minutie d'antan.

Mais surtout, The Visit a pour lui son rapport au found-footage qui bouleverse les clichés du dispositif en montrant les deux héros monter le film qu'on est en train de regarder. De cette manière, Shyamalan joue sur le point de vue biaisé et le concept même de mise en scène, en incluant de la musique extradiégétique et une certaine ironie dans le traitement que ses héros ont de la situation. Le résultat n'en est que plus savoureux.

 

The Visit : photoPapi et mamie, à moins que ?

 

Pourquoi The Visit est l'un des films les plus cons de Shyamalan : Imaginez une mère de famille divorcée qui ne parle plus à ses parents depuis plus de quinze ans. Soudainement, elle reçoit un de leur appel où ils lui demandent de rencontrer ses deux enfants d'une dizaine d'années pendant les vacances. Sur le papier, rien de spécialement bizarre et, dans la lignée des films de Shyamalan, c'est le moyen de parler de familles et de liens... Sauf qu'il y a un hic : la mère envoie ses enfants une semaine chez leurs grands-parents alors qu'ils n'ont jamais vu leur visage ni même une de leurs photos et forcément, cette débilité facilité d'écriture va ouvrir la porte des possibles dans le grand final.

Et oui, Shyamalan se permet ainsi un grand twist dans le dernier tiers : les grands-parents chelous depuis une semaine ne sont pas les vrais grands-parents des ados. Un retournement de situation WTF qui surprend sur le coup, mais qui, quand on y repense, n'a absolument aucun sens et nous prend complètement pour des cons. Passé cette ineptie, difficile de ne pas relever la bêtise des ados en question : Mamie gratte à la porte toute nue la nuit mais pas de quoi s'affoler, Papi a des diarrhées de l'espace mais pas de quoi s'inquiéter, Mamie tente de nous tuer dans la nuit mais ce n'est pas si bizarre... puisqu'après tout, ce sont de vieilles personnes.

Bien sûr, avec son ton léger, The Visit ne se prend pas trop au sérieux ce qui sauve plus ou moins toutes ses incohérences et pourtant il y en a plein d'autres comme le budget caméra dément de l'adolescente incarnée par Olivia DeJonge pour un film-docu amateur (ou même la vitesse à laquelle les ados se remettent de leur kidnapping, apparemment pas si traumatisant). Malgré tout, il n'en reste pas moins un film qui avance tête baissée dans sa connerie, ce qui en fait un objet aussi débile que fascinant. C'est presque déjà ça.

 

SPLIT

Sortie : 2017 - Durée : 1h57

 

Split : Photo James McAvoyUn James McAvoy, au singulier

 

Pourquoi Split est peut-être le dernier meilleur Shyamalan : Après sa descente aux enfers et sa longue traversée du désert, Shyamalan a connu une sorte de retour en grâce avec Split. Loin des superproductions aliénantes qui ont précédé, Split est un thriller à petit budget (9 millions) qui a permis au cinéaste de traiter (encore et encore) ses thématiques favorites, à savoir la marginalité, le doute et la croyance.

Le film s'inspire de la vie de Billy Milligan (qui a aussi été adaptée en roman), un homme souffrant de troubles dissociatifs de l'identité qui abrite en lui 23 personnalités connues, et une autre plus mythique et inhumaine surnommée La Bête. Le scénario s'articule donc autour d'un homme, ou plutôt de quelques-unes de ses personnalités, convaincu(es) qu'il peut se transformer en surhomme et veut convaincre le monde de son existence.

Le cinéaste s'amuse une fois de plus à entretenir une frontière aussi mince qu'ambiguë entre le rationnel (l'explication scientifique et l'esprit cartésien incarnés par la psy) et le surnaturel, teasé tout au long du récit via la fameuse Bête. Au-delà de la confirmation des talents d'Anya Taylor-Joy, Split est également un rappel des talents de metteur en scène de Shyamalan qui s'étaient un peu perdus en chemin.

Entre les mouvements de caméra millimétrés, les angles de vue, les cadrages, les jeux de hors-champ, le cinéaste s'amuse et consolide ses acquis, la scène de l'enlèvement étant un parfait condensé de toute cette maîtrise technique. Il est également intéressant que le film s'insère dans l'univers d'Incassable, étant donné qu'il se présente d'emblée comme un miroir de celui-ci : un être extraordinaire qui se révèle à lui-même et au monde. Après la naissance du super-héros de Bruce Willis, c'est donc la naissance du super-vilain de James McAvoy.

 

Split : photo"I'am a survivor, I'm not gon' give up"

 

Pourquoi Split n'est pas tout à fait le meilleur Shyamalan : Les atouts indéniables de la réalisation ne peuvent pas complètement détourner l'attention du scénario, à la fois surchargé et finalement superficiel. Si l'enlèvement des trois adolescentes offre des enjeux forts dès le départ, l'aspect survival empiète sur le personnage de Kevin et de ses personnalités, dont seul un petit échantillon est présenté faute de temps (si ce n'est dans une scène complètement artificielle qui laisse entrevoir les autres et suscite plus de frustration qu'autre chose).

Le twist, ou plutôt la révélation sur la fameuse Bête, est – comme dans tout "bon" film de Shyamalan – ce qui est le plus suceptible de diviser (en plus du surjeu de James McAvoy, qui oscille entre l'inquiétant et le grotesque). À rebours du Village, l'aspect clinique est complètement évacué pour se réfugier dans un cadre fantastique plus permissif et accommodant.

D'autant que les scènes abusent des fusils de Tchekhov, qui a de quoi remplir une armurerie, en particulier avec les plans très insistants sur les dessins du monstre, dont on ne doute plus vraiment de l'existence passée la première demi-heure. Les nombreux flashbacks qui interrompent la narration sont d'autres enclumes qui tirent le film vers le bas, ceux-ci étirant inutilement le mystère autour du mal-être de Casey et son caractère "extraordinaire". Tout ça pour finir sur quelque chose d'aussi niais et absurde que "ce qui ne te tue pas te rend plus forte et vivante" et "les âmes brisées sont finalement les plus fortes et pures". Mais ce n'était rien à côté de la suite.

 

GLASS

Sortie : 2019 - Durée : 2h10

 

Glass : photoLe verre brisé comme tes espoirs

 

Pourquoi est l'un des meilleurs Shyamalan récents : La fin de Split avait irrité les uns, impressionné les autres. En le reliant à Incassable, elle étendait considérablement le maillage thématique des deux films. Restait à conclure leur union avec Glass, pourtant plus dans le sillage de Split que celui d'Incassable. En s'intéressant particulièrement à la figure du méchant, à travers le personnage de Samuel L. Jackson, Shyamalan affirme une dernière fois sa vision du super-héros américain : des parias dont les capacités surhumaines sont liées aux fêlures de l'esprit.

En faisant de son film une séance de psychanalyse (même s'il ne s'est pas arrogé le rôle du psy, merci à lui), filmée avec un style quasi documentaire aux antipodes des tics visuels des blockbusters récents, il explicite son propos et surtout ce qui différencie fondamentalement nos trois protagonistes. L'un est instable, car il est fort, l'autre est fort, car il est instable. Et Shyamalan de révéler dans un twist dont il a le secret la vraie nature de l'antagonisme super-héroïque : le cynisme, qui fabrique des idoles pour mieux imposer sa vision du monde.

Elijah Price est un méta-méchant et le représentant des exécutifs minant le Hollywood qui a lui-même brisé le cinéaste. Une belle revanche vu le carton au box-office, doublée de l'une des réflexions les plus poussées sur l'arrivée des surhumains au cinéma. Ils sont beaucoup à avoir tenté de se réapproprier le genre pour en ausculter les codes. Peu l'ont aussi bien fait que M. Night Shyamalan.

 

Glass : photo GlassVol au dessus d'un nid de foufous

 

Pourquoi Glass est l'un des pires Shyamalan récents : Glass est ambitieux oui, mais de toute évidence trop. En réunissant ses trois héros/anti-héros, mais aussi des seconds rôles (la copine de Kevin, le fils de David, la mère d'Elijah) et un personnage de psy créé pour l'occasion, Shyamalan a les yeux plus gros que le ventre. Tout le film semble bloqué dans la salle d'attente (immense sensation de surplace durant une bonne heure) et les personnages cohabitent sans vraiment coexister (Bruce Willis, Smauel L. Jackson et James McAvoy semblent parfois ne pas jouer dans le même film). Ce qui devait être une grande conclusion de trilogie-surprise a finalement été un pétard mouillé.

C'est d'autant plus triste que Shyamalan avait un boulevard pour creuser le sillon des comics dans un univers aux frontières du réel. Mais il n'y touche que du bout des doigts, ou y va avec ses très gros sabots avec un discours meta sur les super-héros. Le climax est un vertigineux échec, entre les petits twists au mieux faciles et aux pires ridicules, les effets de montage et mise en scène grossiers, et une montée en puissance qui tombe à l'eau. C'est non seulement un grand rendez-vous manqué, mais c'est également une anti-démonstration du talent de Shyamalan réalisateur, pourtant capable de briller avec sa caméra même dans les pires moments narratifs. Et ce n'est pas la toute fin, sponsorisée par Mr. Glass mastermind, qui sauve la mise de ce grossier Glass.

 

OLD

Sortie : 2021 - Durée : 1h48

 

Old : photo, Alex WolffOld Man Alex

 

Pourquoi Old est un Shyamalan fascinant : Comme Phénomènes, Old est à la fois une pierre essentielle de l'édifice Shyamalan et un film raté. Le cinéaste adore la bande dessinée Château de sable... et choisit de rationaliser son postulat au sous-texte philosophique vertigineux. Une trahison ridicule... qui s'inscrit bel et bien (grossièrement, entendons-nous) dans son rapport à la fiction. Ce qui est intéresse le réalisateur, c'est moins le vieillissement accéléré de ses protagonistes que leur mise en scène, au sens littéral du terme.

Et la mise en scène, justement, va donc complètement partir en vrille. En perdant ses spectateurs dans l'espace, il voudrait jongler avec les points de vue pour finalement prendre du recul sur la scène. Le résultat est improbable, donne parfois mal à la tête et enchaine les incohérences, mais atteste de la logique de son approche. Et c'est d'autant plus fascinant que cela occasionne quelques rares scènes très réussies, comme celle où Abbey Lee se décompose dans une vision d'horreur que ne renierait pas Junji Ito.

 

Old : photo"Regardez là bas, notre bonne idée qui se barre"

 

Pourquoi Old est la preuve que Shyamalan est le pro des "bonnes idées, film raté" : La plus grande force de ce Old, c'est que ses 1h48 sont aussi interminables qu'une vie d'ennui. Et pour un film qui se veut une allégorie du vieillissement et de la mortalité, c'est un quasi-exploit immersif, jamais un spectateur n'ayant pu ressentir avec autant d'exactitude l'horreur d'une existence fade et morne en si peu de temps.

Trêve de plaisanterie, car il y a quelque chose de véritablement tragique à voir Shyamalan foirer un projet aussi alléchant et précieux que Old. En adaptant la bande-dessinée Château de sable et son concept malin, le cinéaste avait toutes les cartes en main pour raconter avec intelligence et puissance l'étrangeté de l'existence tout en continuant à explorer ses thématiques fétiches (la foi, l'amour, la transmission...). Malheureusement, Shyamalan ne parvient jamais à raconter ses personnages à travers sa mise en scène (un personnage existe presque uniquement pour que les autres se présentent un à un) ni même à transcender l'infime écrin où ils se retrouvent bloqués (une simple plage donc) pour créer de la tension, de l'empathie ou simplement une émotion.

 

Old : photoLes griffes de l'ennui

Au lieu de ça, Shyamalan s'évertue à jouer de petits effets horrifiques fantaisistes (notamment des jumpscares) pour nous plonger dans une sorte de train fantôme aussi assommant que celui de la fête foraine du coin. Et le pire se trouve évidemment dans la résolution du métrage, Shyamalan n'osant pas terminer sa mouture par une conclusion tragique, voire nihiliste, pour donner une quelconque substance à son propos. À la place, il a préféré modifier la BD pour conclure son film avec un énième twist venant rationaliser tout son récit. De quoi annihiler une bonne fois pour toutes le peu d'intérêt du film. Bien joué Manoj.

 

KNOCK AT THE CABIN

Sortie : 2023 - Durée : 1h45

 

 

 

Et si c'était ça, le VRAI retour de Shyamalan ? Le très réussi Knock at the Cabin est un écho direct à Signes, aussi bien dans le principe (une maison isolée, une famille attaquée, un groupe d'étrangers, la télévision comme fenêtre sur l'extérieur) que les réflexions (croire ou ne pas croire aux coïncidences). La mise en scène de Shyamalan n'a pas le panache et la beauté de ses meilleurs moments, mais il retrouve indéniablement une simplicité, une efficacité et une intelligence qui manquaient cruellement à ses récents films.

 

Tout savoir sur M. Night Shyamalan

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commentaires
Oldskool
10/04/2024 à 14:29

Toujours été embete avec 6eme sens, jamais compris comment tant de monde s'est laissé avoir avec le twist final et n'a pas compris depuis le début la supercherie ??? Il se fait tirer dessus Cut... il revient, l'enfant dis qu'il a froid quand il voit des morts et quand Bruce lui parle il a froid ??? Allo c'est quand même évident non ? Non ? Ah bon...

granmechanlou
31/01/2023 à 08:38

super article qui m'a replongé (pour le pire et le meilleur) dans chacun des films de Shyamalan (à part "Avatar" que j'ai jamais voulu voir)
Merci!

Steevo Steen
30/01/2023 à 19:19

Jordan Peele, the next Shyamalan

Andolini
30/01/2023 à 08:26

Sixième Sens, Incassable et Signes sont des chefs-d'œuvre. Le reste n'est sans doute pas à jeter en totalité. Cela dit, je me demande quand même comment un réalisateur capable de produire des films si grands dans l'humanité qu'ils dégagent (Sixième Sens, Incassable, Signes) a pu en arriver à faire After Earth ou Le Dernier maître de l'air. C'est comme Ridley Scott qui, après Blade Runner c'est complètement perdu, à part Thelma et Louise et Gladiator, le mec n'a plus réalisé grand chose de potable ensuite (il est même arrivé à se planter sur Le Dernier Duel). Et bien sûr Tim Burton c'est pareil.

Moij3dis
30/01/2023 à 04:42

Le village les surclassé tous .
C'est du génie en tout Point

Dr.Zaius
29/01/2023 à 18:48

Le problème c'est qu'il a basé la majorité de son cinéma sur une révélation et qu'au fil de sa filmographie elles sont de moins en moins bonnes.

cooper
29/01/2023 à 17:35

Il y a énormément d'émotion dans sixième sens, incassable et signes, je trouve que c'est ce qu il me manque le plus, même si j'aime beaucoup ce réal malgré ses moins bons, j'attends toujours ses films avec impatience.

Je me demande aussi pourquoi il ne travail plus avec James Newton Howard ? Ces musiques étaient magiques et collaient parfaitement l'ambiance des films de Shyamalan.

La Classe Américaine
29/06/2022 à 13:39

Avec Shyamalan, le classement est tres simple : Incassable en n1 et pour tout le reste, on peut tirer la chasse.

Baretta
27/06/2022 à 05:47

@Eddie Felson
Le film n'était pas sorti quand ils ont fait ce top qu'ils ressortent chaque année regarde la date du premier commentaire : 2019. Or Old est sortie en 2021.

Eddie Felson
26/06/2022 à 20:56

Je trouve incroyable - vu la purge intersidérale que peut être ce film - qu’aucun ne mentionne « Old » qui est, et de très loin, le fleuron du pire de sa filmo!

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