HIPPOCRASSE
Si vous faîtes partie des gens de bon goût qui attendent la saison 2 de The Pitt (l’une des meilleures nouvelles séries du moment), En première ligne tombe à pic. Le principe est simple puisque c’est le même : suivre en (faux) temps réel le tour de garde d’une personne travaillant dans l’extraordinaire enfer d’un hôpital. Ici c’est Floria, une infirmière qui débarque avec ses baskets toutes neuves et son sourire expérimenté, prête à affronter une journée qui n’a de normal que le nom.
La suite est simple à prévoir pour toute personne qui a vu un épisode ou une saison d’Urgences et Hippocrate : beaucoup de patients et pas assez de personnel, beaucoup de crises à gérer et pas assez de moyens, beaucoup d’envie et encore plus de fatigue et frustration. Et dans ce tourbillon de plus en plus intense et insensé, il y a Floria, qui s’accroche à ses convictions et son humanité. Jusqu’à ce qu’elle n’y arrive plus.
LEONI FAIT NI À FAIRE
Première évidence : Leonie Benesch fait le film, puisque le film tient sur elle. Sur un tempo de l’angoisse comparable, elle était déjà fantastique dans La salle des profs, où elle carburait à la nervosité et l’impatience. C’est le contraire dans En première ligne où elle impressionne par sa fausse tranquillité, sa voix posée, et sa capacité à encaisser en silence tout ce qui donne envie de hurler. La mécanique de l’effet cocotte-minute est évidemment centrale dans le crescendo ici, mais Leonie Benesch reste d’une justesse formidable, ne se perdant jamais dans les éclats ou les excès.
La caméra est l’autre actrice du film et, hasard ou destin : c’est Judith Kaufmann, la directrice de la photographie de La salle des profs, qui est à l’œuvre. Collée aux basques du personnage, elle est là pour scruter son visage qui se transforme en muraille face aux coups, ou pour laisser le silence l’envelopper dans les rares pauses de ce marathon. Et c’est parce qu’elle ne lâche jamais son héroïne, dans l’action ou l’inaction, que la réalisatrice arrive à faire passer les moments les plus démonstratifs, qui sinon auraient sonné trop artificiels. Autrement dit : Leonie Benesch arrondit tous les angles.

PATHOS LOGIQUE
Et c’est justement ces ficelles un peu grosses qui finissent par alourdir En première ligne. À mesure que les heures passent et que certains trépassent, Petra Volpe la réalisatrice garde le cap mais Petra Volpe la scénariste s’emmêle les pinceaux. La mise en scène reste solide et cohérente, mais le film accumule les situations et les solutions trop faciles.
Du côté des patients, c’est donc la farandole des archétypes, avec l’insupportable antipathique qui a ses propres démons, la désagréable fumeuse qui finit par être sympathique, la mamie qui fend le cœur, ou encore la famille presque parfaite face à la maladie. Les quelques collègues passent à vitesse éclair sans avoir le temps de réellement exister, si bien que l’héroïne porte toute seule le fardeau émotionnel du film. Et elle finit elle aussi par passer à la caisse, avec notamment une scène de larmes bien trop facile et programmatique pour ne pas dénoter du reste.

La simplicité du dispositif (un tour de garde et un grand huit de problèmes) ne fonctionne jamais aussi bien qu’avec la belle sobriété scénaristique de la première partie. Mais au moment de boucler son film, Petra Volpe semble perdre confiance et revient dans les sentiers battus, comme pour valider les ultimes étapes.
En rajoutant quelques grosses couches dramatico-dramatiques, avec notamment plusieurs symboliques lourdingues jusqu’à cette scène finale dans le bus, elle laisse un petit arrière-goût mi-figue mi-raisin. C’est bien dommage puisque jusque là, En première ligne était bien plus fort que ça, et méritait une conclusion moins artificielle.
