Le fiasco Avatar : avant la série Netflix, le film indéfendable Le Dernier Maître de l'air

Déborah Lechner | 3 mars 2024
Déborah Lechner | 3 mars 2024

On profite de la sortie d'Avatar : Le dernier maître de l'air sur Netflix pour (re)tirer sur l'ambulance en rappelant à quel point le film de M. Night Shyamalan a été une déception cuisante. 

La nouvelle adaptation de la série animée de Nickelodeon Avatar, le dernier maître de l'air a rappelé deux choses. La première est que le travail d'adaptation d'une oeuvre aussi foisonnante et populaire est forcément casse-gueule. La seconde est le désastre du Dernier Maître de l'air, le film de M. Night Shyamalan sorti en 2010, qu'on met sans hésiter dans le même panier que Dragonball Evolution, Death Note (la version Netflix) ou le dernier Les Chevaliers du Zodiaque

Écran Large a beau avoir poussé l'audace assez loin pour défendre La Jeune fille de l'eau, Le Dernier Maître de l'air fait partie des indéfendables de la carrière du cinéaste, s'il n'est pas carrément son pire long-métrage (alors qu'il a aussi Phénomènes et After Earth sur son CV).

 

Le Dernier Maître de l'air : photo, Noah RingerLe dernier maître de l'air

 

LE CROCHE-PATTE DE SHYAMALAN 

Dire que M. Night Shyamalan est clivant serait presque un euphémisme tant celui-ci est capable de soulever les coeurs, créer le débat ou dépasser les attentes d'un film à l'autre, entretenant une relation amour-haine de longue date avec la critique et le public. Toutefois, Le Dernier Maître de l'air est arrivé à une période presque unanimement reconnue comme la pire du réalisateur, entre le ridicule Phénomènes et le ronflant After Earth. S'il s'était déjà frotté à l'échec (critique et commerciale) avec La Jeune Fille de l'eau, son film de 2010 a marqué un autre tournant épineux dans sa carrière.

Après avoir été inspiré par un épisode de Fais-moi Peur ! pour Sixième Sens, avoir repris la structure des comics de super-héros pour Incassable et pioché quelques idées dans Les Hauts de Hurlevent pour Le Village, Shyamalan a pour la première fois été tributaire d'une oeuvre originale, dépendant ainsi de sa mythologie et de sa direction artistique qui faisaient déjà autorité auprès du public. 

À cette première entrave de l'adaptation s'en est ajouté une autre : la taille conséquente du projet.

 

Le Dernier Maître de l'air : photo, Noah RingerShyamalan VS Hollywood
 

Le Dernier maître de l'air est le premier blockbuster du réalisateur, qui écumait toujours les studios depuis son divorce de Touchtone Pictures. À la suite de son court séjour chez la Fox pour Phénomènes (et avant celui, tout aussi court, chez Sony pour After Earth), Shyamalan a fait un détour par la Paramount pour mettre en scène son premier gros film de studio, avec une trilogie déjà en discussion. Mis à part le Village (qu'on peut considérer comme un blockbuster d'auteur), il n'avait réalisé jusqu'ici que des longs-métrages à petit ou moyen budget, passant même par l'indé pour son premier film, Praying with Anger

Le Dernier Maître de l'air a coûté 150 millions de dollars (hors marketing). C'est, aujourd'hui encore, le plus gros budget de sa carrière, qui n'a trouvé d'équivalent qu'avec After Earth (130 millions). Les 320 millions de dollars récoltés au box-office mondial n'ont donc pas suffi à rentabiliser le film, encore moins avec seulement 131 millions à domicile.

 

Le Dernier Maître de l'air : photoÇa jette un froid 

 

Mais après un lancement national à 40 millions de dollars et un bouche-à-oreille globalement négatif, il y avait peu d'espoir de remonter la pente ou d'être réhabilité avec le temps. Pour prendre la température, le score du film est toujours à 30% sur le site de notation américain Rotten Tomatoes. Fatalement, les deux suites qui étaient prévues et auraient pu rattraper une partie du massacre ont vite été annulées.

Le réalisateur a depuis admis sa défaite, et lors d'une interview du Hollywood Reporter en 2023, l'a en partie imputée au système hollywoodien (englobant aussi de l'échec d'After Earth)  :

« On a tous à un moment dans notre vie envie d'être acceptés. On est fatigués de se battre et de devoir défendre ce qu'on est. Et implicitement, ou parfois ouvertement, ils nous disent : "Tu as tort de faire les choses de cette façon. Tu es arrogant, mais si tu fais ça, ça et ça, tout ira bien pour toi". Et je me suis dit qu'ils avaient peut-être raison. J'ai donc fait un véritable effort pour rejoindre le système, mais j'ai compris que ce truc spécial qui me rend heureux, c'était difficile de le garder au sein de ce système. C'était merveilleux d'avoir cette opportunité, mais il y a tellement de gens qui sont bien meilleurs que moi pour raconter ce genre d'histoires. »

 

Le Dernier Maître de l'air : photo, Noah RingerLe Yin et le Yaang 

 

LA BULLE D'AIR ASPHYXIÉE

Sur le papier, adapter Avatar, le dernier maître de l'air en prises de vues réelles n'avait pourtant rien d'aberrent. Dès le premier Livre de 2005 (équivalent à une première saison), l'univers créé par Michael Dante DiMartino et Bryan Konietzko s'est révélé particulièrement soigné, tant sur le fond que la forme. Ce monde en guerre qui mêle fantasy, spiritualité et orientalisme, avait tout pour proposer du beau et grand spectacle hollywoodien, avec un potentiel cinégénique indéniable et un budget à la hauteur de l'ambition. 

De plus, la série animée gravitant énormément autour de la foi (celle que les peuples ont pour l'Avatar), une adaptation aurait naturellement trouvé sa place dans la filmographie de Shyamalan, qui en a fait une de ses thématiques de prédilection. Mais Le Dernier Maître de l'air a pillé toute la richesse de son matériau d'origine en compactant le premier Livre (soit 20 épisodes d'une vingtaine de minutes) en seulement 1h43, générique inclus.

En réalité, Shyamalan a expliqué qu'il ne s'était concentré que sur six épisodes pour ne retenir que les grandes lignes narratives. De fait, le film compte presque entièrement sur son carton d'exposition, la voix-off de Katara et des dialogues essentiellement utilitaires pour poser les bases de ce monde fictif et expliquer son fonctionnement.

 

Le Dernier Maître de l'air : photo, Nicola Peltz, Jackson RathboneJackson Rathbone (Sokka) et Nicola Peltz (Katara)

Le scénario sprinte donc à toute vitesse, sans temps morts ni respiration pour nous laisser apprécier l'imaginaire retranscrit (surtout que les costumes et décors sont loin d'être honteux et auraient mérité d'être davantage mis en avant). Mais rien ne permet l'immersion ou l'émerveillement, étant donné que ce récit elliptique ne fait que superposer de courtes scènes programmatiques, ne laissant aucune émotion ou magie prendre forme, ni aucune ambiance ou pesanteur s'installer.

D'un autre côté, cette course contre la montre ne se retrouve pas non plus dans le récit, qui ne fait jamais ressentir l'urgence de la situation ou le bouillonnement de la révolte, comme s'il était constamment au bord de l'hypothermie. En ce qui concerne les combats, une des plus-values les plus intéressantes du live action, ils sont aussi raides et lents que le jeu des acteurs, tandis que la réalisation et le montage échouent à leur faire gagner la moindre intensité ou crédibilité. 

 

Le Dernier Maître de l'air : photo, Noah RingerAlors que Noah Ringer se donne à fond pour chaque chorégraphie

 

Le Dernier maître de l'air est donc un film paradoxal qui annihile toute la complexité et le tragique de l'histoire (notamment politique et philosophique), mais se donne un air grave et solennel de façade. Tout est désespérément premier degré et exagérément lyrique, mais aussi incroyablement niais et caricatural, ce que même le classement PG (accompagnement parental recommandé aux États-Unis) ne justifie pas. Aang, le personnage principal censé redonner espoir au monde, est devenu un personnage unicellulaire et monolithique, tout comme Katara et Sokka qui traversent les scènes sans vraiment y prendre part. Quant à Ozai ou Azula de la Nation de feu, ils faisaient partie des personnages introduits vite fait pour préparer la suite, mais ne sont finalement que les parasites de leur propre histoire. 

Même s'il a prouvé l'étendu de son talent dès 2008 dans Skins et Slumdog Millionaire – et l'a confirmé depuis dans Lion ou The Green Knight – Dev Patel n'a pas échappé à une nomination aux Razzie Awards de 2011 pour le pire second rôle. Il faut dire que son Prince Zuko fait partie des personnages les plus maltraités, moins par son père que le scénariste. Nicolas Peltz a connu le même sort avec une nomination pour la pire actrice dans un second rôle de plante verte noyée. 

  

Le Dernier Maître de l'air : photo, Dev PatelDev Patel, entre deux coups de fil à son agent

  

Pour faire plus honteux encore, il faut ajouter la polémique sur le manque de diversité du casting (notamment pour Katara et Sokka), le violent rejet des créateurs de la série, et la petite humiliation de devoir enlever le mot "Avatar" du titre pour éviter les confusions avec le film de James Cameron, qui de toute façon détenait les droits du mot. Sans oublier l'annonce tardive d'une sortie 3D après conversion en postproduction, pour surfer sur la vague d'Avatar qui avait redonné de l'élan au procédé. À titre indicatif, c'est également ce qu'a fait la Warner pour la sortie désastreuse du Choc des Titans, mais qu'importe puisque le film de Louis Leterrier n'a pas fait un bide commercial... 

Contrairement à d'autres films mal-aimés ou polarisants de M. Night Shyamalan (de Signes à Knock at the Cabin, en passant par Le Village ou Split), Le Dernier Maître de l'air suscite généralement moins de débats ou profonds désaccords. Au mieux, c'est un gâchis oublié, au pire le plus grand et triste échec de son réalisateur qui a malheureusement fait de l'air avec de l'or. 

Tout savoir sur Le Dernier Maître de l'air

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commentaires
Euh
05/03/2024 à 14:29

Pas revu depuis sa sortie, mais après avoir vu la série récente, nul doute que je reverrai à la hausse le film

Maxime06
04/03/2024 à 18:35

Je trouve ça dommage que vous ne parliez pas de la musique de James Newton Howard, qui est véritablement la seule chose à "sauver" de ce film.
Les thèmes sont tout simplement magnifiques et font partis selon moi des meilleurs du compositeur <3

ropib
04/03/2024 à 18:01

Au vu de la série Netflix, j'pense qu'il faut prendre en compte la difficulté supplémentaire de faire jouer des gamins.

Geoffrey Crété - Rédaction
04/03/2024 à 14:17

@Cidjay

Répondre et expliquer quand on nous parle, ce n'est pas "se justifier", comme si on était coupable de quelque chose ;) On répond régulièrement quand on nous interpelle (et qu'on a le temps bien sûr) parce qu'on trouve ça important et intéressant !

Cidjay
04/03/2024 à 13:42

@Geoffrey Crété - Rédaction :
T'inquiètes, ne te sens pas obligé de te justifier ! c'était une simple pique humoristique ! ^^
La crédibilité n'existe pas quand on parle de cinéma (à part pour l'aspect technique ou les chiffres).
Perso, il n'y a pas beaucoup de Shyamalan que j'apprécie : 6ème sens, The visit, Split, Old, Knock at the cabin. (et quand je dis "apprécier", je pense que chacun de ses films ont de gros défauts, mais se laissent regarder d'une traite sans avoir besoin de se face-palmer toutes les 5 minutes)

Marvelleux
04/03/2024 à 12:33

Indéfendable, vraiment ?!

DjFab
04/03/2024 à 11:40

J'ai aimé ce film ! Et ne pas oublier la musique de James Newton Howard avec notamment le mythique "Flow Like the Water" !

Valbut
04/03/2024 à 11:40

C'est bon de rappeler que ce film est un énorme caca, en France les gens ont tendance à l'aimer, mais ces gens ne connaissent pas la série animée originale

Geoffrey Crété - Rédaction
04/03/2024 à 10:01

@Cidjay

Phénomènes a eu son article d'indéfendable il y a des années, et After Earth a plusieurs fois été atomisé sur le site.

La seule "crédibilité" qui compte pour nous, c'est celle de la diversité des opinions et des débats, sans personne qui a raison ou tort. Un rédacteur freelance aime suffisamment La Jeune fille de l'eau pour le défendre, alors que l'équipe ne l'aime pas : c'est intéressant comme point de vue, surtout sur un auteur aussi intéressant que Shyamalan. Et contrairement à ce Avatar qui est un pur film de studio, La Jeune fille de l'eau était son projet, son bébé, sa création, arrivée à un moment où il avait beaucoup de pouvoir (il a claqué la porte de Disney pour faire ce film chez Warner).

Mais c'est sûr que si la crédibilité c'est le fait que quelqu'un soit toujours d'accord avec nous... je vois pas comment rester "crédible". Donc ça me va qu'Ecran Large ait zéro crédibilité à ce niveau, c'est même notre ligne edito du coup

Cidjay
04/03/2024 à 09:40

Bah, vous avez essayé de défendre la jeune fille de l'eau... ça va être difficile de retrouver un semblant de crédibilité à mes yeux, surtout que, Phénomènes, After Earth, et même le village sont bien pires que cet Avatar rushé.

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