La Jeune fille de l'eau : pourquoi vous avez tort de détester ce Shyamalan

Geoffrey Fouillet | 12 juillet 2022 - MAJ : 13/07/2022 14:52
Geoffrey Fouillet | 12 juillet 2022 - MAJ : 13/07/2022 14:52

Marquant un avant et un après dans l'oeuvre de M. Night ShyamalanLa Jeune fille de l'eau porte tous les stigmates du film malade. Et c'est sublime.

Sixième Sens, Incassable, Signes, Le Village. En tout juste cinq ans, M. Night Shyamalan enchaîne les films comme un joueur de basket-ball enchaînerait les tirs à trois points depuis le milieu de terrain. La comparaison plairait sans doute au réalisateur, lui qui reste un grand fan des Sixers, l'équipe de Philadelphie, sa ville de cœur. Mais revenons plutôt à son goût du cinéma. Avec La Jeune fille de l'eau, Shyamalan adapte en réalité un conte qu'il a lui-même imaginé pour ses filles. Une histoire qu'il transpose aussi en livre à l'époque, avec l'aide de l'illustrateur Crash McCreery, responsable de la conception des créatures du film.

Un projet très personnel donc que le cinéaste propose spontanément aux producteurs exécutifs de Disney, et notamment à Nina Jacobson, qui l'accompagne depuis Sixième Sens. Mais ses espoirs sont vite douchés lorsque ses interlocuteurs rejettent le scénario en bloc, prétextant "ne rien y comprendre". Bien sûr, pas question d'en rester là pour le réalisateur. Non seulement, Warner Bros accepte de produire son film et le journaliste, Michael Bamberger, le consulte afin de relater son divorce houleux avec la firme aux grandes oreilles dans l'ouvrage The Man Who Heard Voices : Or, How M. Night Shyamalan Risked His Career for a Fairy Tale and Lost.

À sa sortie, La Jeune fille de l'eau fait plouf au box-office mondial, remboursant à peine son budget de 70 millions de dollars, sans compter le flot de critiques désastreuses qu'il reçoit et ses trois Razzie Awards (les anti-Oscars célébrant le pire du cinéma). Face à cette injustice, une seule option : continuez de défendre ce magnifique conte signé Shyamalan.

 

La Jeune fille de l'eau : photo, Bryce Dallas Howard, Paul GiamattiConfidence pour confidence

 

L'ENFANT QUI SOMMEILLE

Comme un hommage à la tradition orale des histoires et au rôle de conteur qu'il endossait lui-même avec ses filles, le cinéaste confie la présentation de la mythologie de son film à un narrateur omniscient. Au cours d'un bref prologue, une voix solennelle pose les bases de l'univers inventé par Shyamalan. Il y est alors question de créatures aquatiques, cherchant désespérément à entrer en contact avec les êtres humains. Un contexte introduit en parallèle via une suite d'illustrations animées, qui tiennent autant des peintures préhistoriques que des croquis d'enfants.

De l'héritage ancestral à l'imaginaire enfantin, il n'y a souvent qu'un pas et c'est tout le propos de La Jeune fille de l'eau. Le héros, Cleveland (Paul Giamatti, exceptionnel), concierge d'un immeuble résidentiel, est justement tiraillé entre ces deux pôles. Plus il tente de comprendre les raisons de la présence de Story (Bryce Dallas Howard), la nymphe surgie dans la piscine de la résidence, plus il doit se montrer à la fois responsable et innocent face aux évènements. C'est bien sûr le sens de la scène où il s'allonge sur un divan, singeant le petit garçon espiègle, afin qu'une vieille dame d'origine coréenne, dépositaire du savoir, accepte de lui conter la suite de l'histoire.

 

La Jeune fille de l'eau : photo, Bryce Dallas HowardAprès Alice, voici Story de l'autre côté du miroir

 

Respecter les codes mythologiques demande de garder l'esprit ouvert pour les personnages, et leur régression quasi-infantile peut les y aider. Shyamalan met ainsi en place divers rituels dont la configuration ludique évoque certains jeux de cours d'école. C'est notamment cette scène où Cleveland tend un miroir au-dessus de son épaule pour surprendre, dans son dos, le redoutable Scrunt, un loup végétal (c'est tout nouveau, ça vient de sortir) lancé à la poursuite de Story. Ou cette roche capable de soigner la nymphe, qu'il faut aller récupérer dans un lieu secret, à l'instar d'une chasse au trésor.

C'est dans ces moments-là que Shyamalan renoue avec sa veine la plus candide, déjà à l'oeuvre dans Signes, avec ses chapeaux d'aluminium par exemple. Candeur qui suppose - et c'est donc tout le paradoxe - une certaine sagesse. D'où ces mouvements de caméra ascendants, intervenant régulièrement dans le film, symbolisant en quelque sorte l'éveil spirituel des personnages et leur accession à une dimension supérieure, celle en l'occurrence des mythes et légendes.

 

La Jeune fille de l'eau : photoComment se jeter dans la gueule du loup en dix leçons ?

 

OSMOSE ET MICROCOSME

À la différence de son précédent film, Le Village, le réalisateur opte, avec La Jeune fille de l'eau, pour une vision solidaire du collectif, et s'il s'intéresse là encore à un groupe vivant en autarcie, le dehors n'existe pas ici. Cette résidence est l'unique horizon offert aux personnages et aucun d'eux n'éprouve le besoin ni l'envie de s'en échapper. De fait, cette restriction géographique donne à ce décor une portée particulière, l'immeuble devenant une société-monde, multi-culturelle, où les identités les plus singulières cohabitent en parfaite harmonie.

À ce titre, la galerie de personnages hétéroclite vient parfois pousser le curseur de la farce dans ses derniers retranchements. Et cela commence dès la fin du prologue, lors d'une scène improbable où Cleveland se débat contre une bestiole, gardée hors champ, sous les cris terrifiés d'une famille latino-américaine. Une exubérance à laquelle Shyamalan ne nous avait pas vraiment habitués jusque-là, et qui participe au charme pittoresque du film. Le cinéaste s'amuse alors des stéréotypes ethniques ou simplement narratifs pour mieux prôner la diversité des personnalités, toutes essentielles à l'accomplissement de l'histoire.

 

La Jeune fille de l'eau : photoThe place to be

 

C'est là que le dispositif méta-fictionnel de La Jeune fille de l'eau fait sens. Alors que le conte auquel appartient Story prend vie dans la réalité, Cleveland et les autres résidents se retrouvent à incarner différentes figures issues elles aussi du récit mythologique, parmi lesquelles le guérisseur, le gardien, la guilde ou encore le symboliste. Encore faut-il savoir attribuer tel ou tel rôle à son juste destinataire. Le spectateur se lance alors, comme les personnages, dans cette partie de "Qui est-ce ?" grandeur nature, avec le sentiment d'assister à l'élaboration de l'intrigue en temps réel.

Au fond, Shyamalan conduit toujours ses héros à l'épiphanie, ce moment de révélation au monde et à soi-même, et à ce compte-là, l'exemple de David Dunn dans Incassable est tout trouvé. Ici, en revanche, la quête identitaire n'est pas un enjeu souterrain ou inconscient, mais bel et bien la motivation première des résidents. Et à nouveau, il ne s'agit pas d'égo, chacun agit d'abord dans l'intérêt de la nymphe, afin de l'aider à retourner chez elle, une fois sa mission accomplie. Un idéalisme que beaucoup ont moqué, quand d'autres, en minorité hélas, y ont vu la plus belle profession de foi de son auteur.

 

La Jeune fille de l'eau : photo, Noah Gray-Cabey, Paul GiamattiLes céréales, y a que ça de vrai !

 

RIEN QUE LA CATHARSIS

En découvrant qui ils sont, les personnages chez Shyamalan trouvent également le chemin de la guérison. Depuis la disparition tragique de ses proches, Cleveland est devenu un homme à tout faire anonyme et bègue. Quant à Story, elle n'est pas prête à assumer son statut d'élue, comme le veut pourtant la légende. C'est via la croyance en un avenir plus radieux et apaisé que tous les deux vont réussir à surmonter leurs insuffisances et ainsi se sauver mutuellement.

Mais si crise il y a, elle est plutôt à chercher du côté d'un autre résident, un écrivain interprété par le cinéaste lui-même et dont les textes sont supposés inspirer un futur grand dirigeant. En jouant ce rôle, Shyamalan effectue son propre examen de conscience avec une lucidité qui confine presque à l'auto-sabotage. "Il y a quantité de choses dans ce que j'ai écrit qui ne plairont pas aux gens. Je n'ai aucune prétention, je ne crois pas avoir quelque chose de spécial", confesse-t-il face caméra. Mégalo, vous avez dit ? Rien n'est moins sûr.

 

La Jeune fille de l'eau : photo, M. Night Shyamalan"Je n'ai pas de sixième sens et je ne suis pas incassable"

 

Alors oui, il y a le personnage du critique, désabusé, cynique, dont le nom, Harry Farber, évoque un autre critique américain à la rhétorique incisive, Manny Farber, décédé en 2008. La controverse qui s'en est suivie a fait couler beaucoup d'encre, notamment au sujet de la mort du personnage, que Shyamalan aurait sacrifié afin de régler ses comptes avec la profession. Mais la scène en question permet avant tout au cinéaste d'entériner le triomphe de la fiction sur la réalité ordinaire. C'est précisément à l'instant où Harry Farber tourne le dos au Scrunt, donc à l'imaginaire, qu'il se condamne et permet simultanément au fantastique de se propager.

Débute alors le dernier acte. L'orage éclate et de nouvelles créatures apparaissent, d'abord les Tartutics, des singes couverts de branches, puis le Grand Eatlon, un aigle géant, tandis que s'envole la musique de James Newton Howard, sans doute sa plus belle partition pour Shyamalan (allez, à égalité avec Le Village). Plus tôt dans le film, Harry Farber se demandait : "Qu'est-ce qu'ils ont tous à perdre leur temps à parler sous la pluie au cinéma ?". Et Cleveland lui répondait : "C'est peut-être une métaphore de la purification". Un échange auquel on repense forcément lors du dénouement, qui valide l'hypothèse du héros avec une tendresse et une grâce infinies.

 

La Jeune fille de l'eau : photo, Paul Giamatti, Bryce Dallas HowardPlace aux adieux

 

N'en déplaise à ses détracteurs, La Jeune fille de l'eau est le sommet expérimental et miraculeux de la filmographie de Shyamalan. Un film dévoué au pouvoir du storytelling, à travers lequel le réalisateur choisit de croire, envers et contre tout, au potentiel qui réside en chacun de nous. Un projet comme il n'en arrive que trop rarement dans une vie de cinéaste. Alors, ne vous privez pas de le reconsidérer à la hausse, ce film le mérite !

Tout savoir sur La Jeune fille de l'eau

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commentaires
Hanza314
13/07/2022 à 18:02

Quelle critique magnifique.... Je ressens mot pour mot ce que vous écrivez pour ce film.

waterproof
13/07/2022 à 09:48

le sentiment n'est pas Vrai ou Faux,
il Est tout simplement
vous n'avez pas tord ou raison d'apprecier ou pas le film,
ce qui est marrant avec les films quand vous les revoyer 10, 20, 30 plus tard, c'est que l'appreciation peut se retourner à 180 degrés, pourtant c'est le même film, lui ne bougera jamais, mais Vous ,si

Pat Rick
13/07/2022 à 09:34

Vu que je ne l'ai jamais vu, je ne peux pas me prononcer dessus.
Mais la raison pour laquelle je ne l'ai pas regardé c'est que je n'apprécie pas le cinéma de Shyamalan .

Pseudonaze
13/07/2022 à 00:22

Merci d'avoir réhabilité ce très beau film incompris

TOCAP
12/07/2022 à 20:22

Quand l'aigle apparait dans le reflet, accompagné de cette B.O: très belle scène!

Sanchez
12/07/2022 à 19:36

J’ai adoré ce film dès le premier visionnage , il faut dire que la musique belle à chialer de James Newton Howard y fait bcp

Damian
12/07/2022 à 19:13

Probablement le meilleur "dernier plan d'un film" du cinéma.

Hasgarn
12/07/2022 à 17:54

J'ai vraiment aimé ce film. Naif, touchant, bien mieux fait que le Village.

À réhabiliter

Brie de Dallas
12/07/2022 à 17:23

Oui peut-être, mais en attendant j'avais complètement oublié que je l'avais vu contrairement à ses autres films, j'ai dû voir signe à 11 ans, dans la salle tout le monde était terrorisé c'était un souvenir indélébile.

J'ai vu le sixième sens à la télé et c'était génial. Après quand j'étais ado on allait voir ses film super excitée, il y avait tout le collège dans la salle, franchement tout le monde adorait ses films, genre le village !! Et on en discutait pendant des jours après.

Celui-là il a un aspect pétard mouillé sans mauvais de jeux de mots, et après on dirait bien que c'est le déclin de chamahalan de toute façon.

Mais bon thé Visite est trop bien et glass aussi et surtout le dernier sur la plage là il est vraiment trop bien.

Donc la fille de l'eau si vous voulez, c'est clairement le bas du panier avec le dernier maître de l'air.

Mais bon chacun ses goûts.