Élémentaire : critique tout feu tout flaque chez Pixar

Déborah Lechner | 20 juin 2023 - MAJ : 21/06/2023 15:54
Déborah Lechner | 20 juin 2023 - MAJ : 21/06/2023 15:54

Après avoir donné vie à des nuages dans l'adorable court-métrage Passages nuageux, le réalisateur Peter Sohn (Le Voyage d'Arlo) est allé encore plus loin dans la personnification des éléments avec le bien nommé Élémentaire. Le dernier long-métrage de Pixar, qui a d'abord été présenté en clôture du Festival de Cannes, arrive désormais dans les salles françaises pour tenter de raviver la flamme après l'échec de Buzz l'Éclair.

FLAMME AND CO

Dès la présentation de son synopsis et de ses premiers visuels, Élémentaire semblait n'être qu'une déclinaison d'autres productions Disney et Pixar, de Zootopie à Vice-Versa en passant par Monstres et Compagnie. Il était facile d'imaginer qu'après le crash de Buzz l'Éclair (un projet plus atypique qu'à l'ordinaire), le studio à la lampe ait voulu se montrer plus prudent en reprenant des codes qui ont déjà fait leurs preuves auprès de la critique et du box-office.

Et effectivement, Élémentaire présente bien une autre ville allégorique qui renvoie à nos réalités sociales, ainsi qu'un autre duo de personnages littéralement opposés qui s'allient, acceptent leur différence et prouvent symboliquement qu'il faut de tout pour faire un monde.

 


 

Après l'âme et les émotions, Pixar a donc opté pour la personnification des éléments primaires, donc de l’eau (les Aquatiques), de l’air (les Aériens), du feu (les Flamboyants) et de la terre (les Terriens), dans un univers qui manque peut-être d'originalité du fait de son concept dérivé, mais pas d'inventivité. Ce genre d'exercice fait appel à beaucoup d'imagination pour adapter notre quotidien à d'autres contraintes physiques, et ce dernier long-métrage ne fait pas exception.

Comme Zootopie ou Monstres et Compagnie, Élémentaire compte son lot de détournements ludiques, comme un bébé flamboyant qui tète de l'essence à briquet dans un barbecue faisant office de poussette. Cependant, l'exploration et l'immersion dans ce microcosme restent partielles. Le public passe beaucoup de temps avec les Flamboyants et les Aquatiques, et finalement peu avec les Terriens et les Aériens, qui complètent la toile de fond, mais ne font pas vraiment partie de l'histoire.

 

Élémentaire : PhotoFlam, l'héroïne la plus enflammée de Pixar

 

L'autre défi se jouait davantage sur le plan technique pour la matérialisation d'éléments naturels insaisissables (à l'exception de la terre), qui sont anthropomorphisés, mais, en fonction de leur nature, peuvent se déformer, s'évaporer ou s'écouler. Le film s'amuse d'ailleurs de toutes ses possibilités physiques dans la mise en scène d'une course-poursuite entre les deux protagonistes qui constitue un des passages les plus dynamiques. Pour parfaire le mimétisme des éléments, le film a également opté pour une animation permanente des textures des personnages, que ce soit pour illustrer l'ondulation des flammes, l'écoulement de l'eau ou l'aspect vaporeux et éphémère des nuages.

En plus d'être une petite prouesse technique qui ramène le studio à ses ambitions technologiques de départ, le résultat est assez hypnotique à l'écran, loin des graphismes lisses et nets des autres productions de la firme. C'est tout particulièrement le cas pour Flam, la flamboyante, qui a une apparence plus abstraite et des traits plus imprévisibles, ce qui colle parfaitement à sa caractérisation. Plusieurs séquences, comme celle où Flam danse sur des cristaux, marient admirablement ces visuels plus expérimentaux à une charte graphique plus académique. 

 

Élémentaire : photoUne flamboyance visuelle certaine

IMMIGRASohn 

S'il ne laissait rien présager d'original, Élémentaire est malgré tout le premier film de Pixar à aller pleinement sur le registre de la comédie romantique. Plus habituel chez Disney, le genre avait jusqu'ici été effleuré dans WALL-E (qui développe en parallèle tout un imaginaire de science-fiction), et dans certaines intrigues secondaires, comme dans Ratatouille ou les Toy Story. Même si l'histoire d'amour impossible entre une madame flamme et un monsieur goutte a quelque chose d'assez schématique et caricatural, le simple fait de voir Pixar changer de registre rend le projet plutôt curieux. 

Toutefois, la relation amoureuse entre les deux personnages s'avère au mieux banale, au pire inconsistante. Le développement de leur complicité et de leurs sentiments reste dans le carcan de n'importe quelle comédie romantique, sans s'éloigner des attendus du genre, tandis que les séquences consacrées à leur histoire sont plus belles d'un point de vue technique qu'émotionnel. Mais s'il est au centre du récit, ce couple tout feu tout flaque ne constitue paradoxalement pas l'essentiel du récit. Il s'agirait presque d'une situation prétexte, d'un point de départ bien pratique pour développer une métaphore sociale plus inattendue.

 

Élémentaire : photoBouillonnement intérieur 

 

Le cinéaste Peter Sohn s'est en effet inspiré de son enfance et de l'histoire de ses parents (originaire de Corée du Sud et immigrés aux États-Unis) pour développer son scénario. Avec sa ville calquée sur New York, et le quartier défavorisé des Flamboyants qui représente le Bronx, Élémentaire parle en toute transparence d'immigration, de communautarisme et de ségrégation pour prôner le multiculturalisme. Le film met également à hauteur d'enfant certains enjeux et composantes de cette diversité culturelle, comme les croyances religieuses, le langage ou même l'alimentation. 

Toutefois, étant donné le sujet et le public cible auquel il est présenté, le message du film autant que la résolution des différends est assez simpliste et candide, même si le film offre quelques moments d'écriture plus affûtés et subtile. C'est notamment le cas lors du diner chez la famille de Flack où un Aquatique, très avenant envers Flam et sans aucune animosité, lui glisse au milieu d'une conversation qu'il est bien pratique qu'elle parle aussi bien leur langue, alors que les deux sont nés dans la même ville. Cet exemple très concret, sans habillage fantasque, de racisme ordinaire fait partie des détails les plus surprenants que le film a en réserve. 

 

Élémentaire : photoUn quartier à feu et à cendres

 

l'aventure intérieure

La thématique de l'immigration n'est cependant pas la seule que veut aborder le film. De façon tout aussi louable, mais plus faiblarde, Élémentaire veut aborder plus globalement la difficulté pour les enfants d'immigrés de trouver leur place, de rester enracinés à une culture sans s'y enchaîner, tout en célébrant l'émancipation. Malheureusement, c'est aussi la partie du scénario qui est la moins approfondie et la plus expédiée. La révélation de Flam quant à sa véritable passion et les raisons de ses sauts d'humeur est catapultée dans le récit et manque de progression pour être suffisamment crédible. 

Cependant, après avoir certainement vu trop grand avec Buzz l'Eclair, le studio est revenu à un scénario plus épuré et des enjeux beaucoup plus resserrés. Il ne faut pas s'attendre à une autre grande aventure, à des péripéties, à un affrontement contre un grand méchant ou un complot pour détruire toute la ville.

 

Élémentaire : photoEnfin, si on considère que rencontrer sa belle-famille n'est pas une péripétie

Le scénario parlant de fracture sociale et intime, celui-ci se contente métaphoriquement de trouver et réparer une fuite d'eau, tout simplement. Et même si ce parti-pris est aussi ce qui donne au film son caractère plus anecdotique, voire ennuyant par rapport aux autres films du catalogue, proposer de l'anti-spectaculaire et cette forme de minimalisme narratif pour rester au plus proche des problématiques des personnages n'a rien d'évident, et s'avère ainsi plutôt courageux. 

Le film, à défaut de tenir la promesse du divertissement, n'est donc pas si vide ou superficiel qu'en apparence, et a plus à offrir qu'une banale histoire d'opposés qui s'attirent tels de énièmes Roméo et Juliette. Même s'il n'est pas le nouveau chef-d'oeuvre du studio, Élémentaire porte en lui une sincérité et une tendresse auxquelles il est finalement difficile de rester insensible

Élémentaire sera dans les salles françaises à partir du 21 juin 2023. 

 

Élémentaire : affiche

Résumé

En dépit d'un parti-pris audacieux, Elementaire ne ravivera certainement pas la flamme de Pixar, même s'il ne manque ni de chaleur ni de candeur. 

Autre avis Alexandre Janowiak
Même si Elementaire raconte une romance impossible assez classique et repose sur une animation parfois curieuse, il fourmille d'idées visuelles au coeur d'un univers fascinant, aussi séduisant que touchant.
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commentaires
DjFab
21/08/2023 à 00:00

Une très bonne surprise pour ma part, je l'ai trouvé excellent ! Ca fait plaisir de revoir du Pixar de ce niveau !

Tranchedecake
16/08/2023 à 15:33

Un film attendrissant. Impossible de dire qu'il est parfait. En revanche son univers et les thématiques qu'il cherche à traiter sont vraiment très intéressantes. Ce qui est de très loin le plus remarquable, c'est d'être arrivé à imager le ''coup de foudre'', d'une manière si simple mais si juste ! Même si on attend plus une suite de vice versa que d'elemental, il sera interessant de voir si, après Vice Versa 2, Pixar osera aussi remettre le couvert avec un Elemental 2. En tout cas, il y aurait encore beaucoup à dire et à montrer, les bases sont bien posées !

potato
26/07/2023 à 08:17

Il y a un point de l'histoire qui n'a pas été beaucoup vu/souligné dans cette critique, c'est la thématique de l'héritage familial, son poids dans la construction et la projection de soi dans l'environnement immédiat et qui, appliqué aux familles issues de l'immigration, a des mécanismes émotionnels qui lui sont propres. Et ça, j'ai trouvé que c'était assez inédit dans le cinéma d'animation grand public, et particulièrement bien traité, au point que c'est finalement la thématique, la musique centrale du film qui lui confère une qualité supérieure au léger "mouaif" que vous mettez en demi-teinte.

Flo
29/06/2023 à 14:14

« Elle ne ment pas, et ne va pas se taire… »

Comment mieux résumer ici, l’alliance difficile de deux types de périodes particulières de Pixar ?
Au début, des recherches pour anthropomorphiser des concepts dans la droite ligne de Disney, faire des contes modernes, rassurants et poétiques, apprendre à maîtriser les éléments naturels, en images de synthèse proches du réalisme…
Plus tard, conceptualiser et expérimenter encore plus (marque de Pete Docter, directeur actuel), assumer de raconter des histoires plus personnelles pour leurs cinéastes (globalement américains, mais avec un rapport ambivalent avec leur pays)… Et qui osent jouer sur la stratégie de l’échec dans leur narration, ainsi que l’égoïsme revendiqué de ses protagonistes. L’angoissante scène de l’incinérateur dans « Toy Story 3 » étant le premier gros point de rupture au sein du studio, commençant à cesser de tout le temps caresser le public dans le sens du poil.
Point commun entre l’avant Pixar (un film par an, maxi) et l’après (plus de rendement, et de complications contextuelles)… Le sceau du Deuil et/ou du Lâcher prise.

Objectif fût pris de raconter une vraie histoire d’amour, sur des opposés qui s’attirent, une des rares fois avec « WALL-E » (ça a failli encore arriver pour « Toy Story 4 »)… Bref, quelque chose de simple et classique, comme le Pixar d’avant.
Et le faire à la façon de « Vice-versa », en humanisant des forces primaires, qui deviennent les métaphores des divisions sociétales… Sauf que Disney Animation a déjà une sacrée avance avec son « Zootopie », nous montrant une métropole adaptée aux diverses morphologies, mais pas à certaines.
Idem leur « Vayana », pour ce qui est de la personnification d’éléments Eau, Feu et Terre… sans avoir à les faire parler, rien qu’en utilisant une gestuelle (splendide).
Il y a aussi une obligation de rythme comique, avec gags souvent éculés (le gamin dragueur, on l’a vu plein de fois ailleurs) et des répétitions de situations qui sont inutiles à la compréhension (combien de fois le père va tousser et la fille exploser ?!).
Et des images de synthèse pseudo réalistes. là où le trait élégant de la 2D aurait pu suffire pour l’ensemble du film – là, c’est souvent bizarre, des fois moche.
Avec un titre de film simple (la « simplexité » chère à Pixar), une V.O. avec des quasi inconnus et une V.F. bien adaptée aux tempéraments des personnages, Thomas Newman à la musique, ou un générique de fin en 2D continuant le film et agrémenté de détails esthétiques… On est en terrain conquis, le savoir-faire est toujours là, mais il n’y a aucune grande surprise.

Surtout le film a quelques problèmes de structure narrative, contenant un faux enjeu à suspense, histoire d’avoir une grosse scène d’action finale (le barrage, si étonnamment fragile qu’on dirait là aussi une métaphore).
Ou bien des révélations non préparées, qui tombent comme un cheveu sur la soupe pour bien compliquer l’évolution de l’héroïne forte et impétueuse, avant la fin…
D’ailleurs ça a beau être une romance à deux, le réalisateur Peter Sohn s’identifie clairement à Ember/Flam, et lui donne donc toute son attention dès le début. Tandis que son Wave/Flack (et sa famille) est trop propre sur lui – encore cet archétype moderne de jeune homme sensible et inoffensif, bien que Sohn se revendique lui-même comme tel.
En même temps, dans « West Side Story » Maria est plus intéressante que Tony… Et dans « Monstres et cie », on suit plus Sully que Mike/Bob (et inversement dans le prequel). Ça n’a rien d’inhabituel qu’un duo cinématographique ait un personnage dominant. C’est aussi le signe d’un réalisateur ayant un point de vue précis.
Et pas complétement universel.

Si on prend son premier film, le sous-estimé « Voyage d’Arlo », déjà il y a des choix qui challengent la patience du public… Et une fabrication douloureuse qui s’infuse dans le scénario, aussi bien en allant dans son sens que… en allant à contre-courant.
Il y avait alors la perte d’un réalisateur Et d’un père dinosaure, avec un jeunot devant faire très vite ses preuves. Mais aussi un tournage relativement rapide (2 ans !), alors que la mise en scène y multiplie les instants contemplatifs.
Pour « Élémentaire », c’est un film qui s’adresse toujours en priorité aux enfants en apprentissage, mais sa conception s’est par contre faite sur une longue période de 8 ans, charriant dans son évolution la perte des parents de Sohn, l’éternelle immigration en quête d’une meilleure vie et les hausses de la xénophobie ordinaire, la tension et le repli sur soi accentués par la pandémie… alors que son récit, lui, va très vite, court le plus possible en quête de l’alchimie évidente (donc élémentaire) entre ses deux protagonistes.
Lorsque celle-ci se manifeste enfin, de façon carrément concrète… il est possible qu’il soit trop tard, qu’on s’en soit désintéressé. C’est un risque.

De toute façon, ce qui résume bien le propos du film, c’est le Tiraillement :
Entre raconter une histoire entièrement communautaire, seule contre toute (d’où le long prologue), aux sonorités visiblement orientales et moyen-orientales… et montrer au contraire des liens se créant avec d’autres communautés.
Entre présenter des êtres ordinaires et faillibles, dans leur quotidien… et montrer qu’ils ont des capacités protéiformes qui les rendraient aussi invincibles que des cartoons, dans un univers dont on peine à comprendre tout le fonctionnement (qu’est-ce qui fait qu’un élément peut être humanisé ou non ?).
Entre le soucis de Sohn de toucher à l’émotion la plus juste… et sa drôle d’obsession pour les personnages réagissant de manière hystérique et ridicule à la moindre petite contrariété (le garçon et sa famille sont aussi facilement pleurnicheurs que Arlo – comme Sohn ?), même en y trouvant une étonnante utilité au récit.
Entre le respect des traditions, des sacrifices faits par ses aînés… et l’envie de s’en émanciper sans être irrespectueux.
Entre les spectateurs qui ne vont pas aimer un Pixar si modeste et calibré, qui en plus les renvoie à toutes ces interrogations politiques pas très rassurantes, malgré quelques jolies scènes… et ceux qui vont aimer être un peu bousculé (y compris dans leurs certitudes), malgré quelques fausses notes et beaucoup de bons sentiments.

Mais il existe une façon plus optimiste pour exprimer qu’on est tiraillé entre des sentiments contradictoires. C’est « être partagé ».
En tout cas, c’est tout sauf de l’eau tiède.
Donc précieux.

Ozymandias
27/06/2023 à 09:39

Vu hier soir avec ma fille, très sympa je lui accorde une note similaire à la vôtre. On a passé un bon moment !

1
26/06/2023 à 10:40

Sérieux je vais vous le dire sans avoir vu le film, on est passé de bon doublage avec Donald Reignoux en tant que Flack et une magnifique voix de Flam, à celle qui fait la fille au cœur de singe dans la flamme ( pour ceux qui ont mycanal) qui ne vas pas du tout et Vincent Lacoste ( Sérieux sans déconner TnT ) en tant que Flack, donc je vais le dire franchement :
Les voix sont nulles

Le film à l'air incroyable MAIS il est HORS DE QUESTION que je le regarde en vf ( donc je regarderais la version canadienne ou québécoise)

kast_or
21/06/2023 à 21:27

Perso, je commence un peu a me lasser de la Direction Artiste des films d'animation. Celui là n'y déroge pas.
Visuellement c'est devenu très "banal"
(Je me le ferai quand même sûrement un soir en famille)

Ellundri
21/06/2023 à 18:12

@Turon
Vu en VF a l'avant première
Le doublage est pas mal, hormis Adèle qui double le personnage principal, qui correspond je trouve pas très bien aux réactions animées, avec un mixage parfois mal calibré et des émotions qui passent mal (ce qui est plutôt mauvais pour une comédie romantique)

Jdbravo
21/06/2023 à 14:46

Vu en avant première ce dimanche.
Plutôt une bonne surprise.
Suffisamment simple et abordable pour mes filles, mais en même temps pas trop vide et suffisamment intelligent pour intéresser les parents.

Déborah Lechner - Rédaction
21/06/2023 à 12:01

@oss-sans-disquette Effectivement, cette faute est passée entre les mailles, mais c'est corrigé.

@Turon, Pour ma part, j'ai vu le film en VOST, donc je ne peux pas donner d'avis sur le doublage français !

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