Le Poltergeist d'Enfield : critique de l'histoire vraie de Conjuring 2 sur Apple TV+

Judith Beauvallet | 29 octobre 2023
Judith Beauvallet | 29 octobre 2023

Quelques jours à peine après la sortie de Le Diable pour alibi sur Netflix, pseudo-documentaire racoleur sur l’histoire vraie ayant inspirée le film Conjuring : Sous l'emprise du DiableApple TV+ surenchérit avec The Enfield Poltergeist. Cette fois-ci, le documentaire en question traite de l’affaire qui a inspiré, elle, Conjuring 2 : Le cas Enfield (avec toutes les libertés d’écriture imaginables, bien sûr). Dans un style radicalement différent, l’histoire de la famille Hodgson est racontée en quatre épisodes qui proposent une forme particulièrement originale.

Quand Apple fait (beaucoup) mieux que Netflix

Beaucoup de documentaires rivalisent d’ingéniosité pour dynamiser leur format et le rendre aussi attractif et divertissant que de la fiction, comme avec les reconstitutions mal jouées plaquées entre les interviews (Le Diable pour Alibi), ou une narration poétique accompagnant des images à la mise en scène saisissante (comme dans Le Peuple Migrateur ou Les Gardiennes de la Planète). Le Poltergeist d’Enfield propose une forme encore différente, qui tente certes de jouer du côté impressionnant de son sujet, mais sans jamais verser dans la vulgarité sensationnaliste.

Tout en utilisant beaucoup les enregistrements audios existants (les interviews aussi bien que les manifestations dites surnaturelles), le documentaire fait aussi de la reconstitution, mais en mêlant habilement les deux : des comédiens jouent le rôle des personnes de l’histoire, mais pas en action, seulement comme ces personnes ont été interviewées à l’époque, assises dans leur salon ou leur cuisine. Au détail près que leur voix est remplacée par les véritables enregistrements audio des voix originales, créant un décalage étonnant entre l’image de reconstitution à la fois sobre, mais léchée, et le son grésillant enregistré à la fin des années 70.

 

Le Poltergeist d'Enfield : photoLa vraie fausse famille Hodgson

 

La reproduction du décor est fidèle, et l’idée est d’imaginer que la famille Hodgson témoigne réellement devant la caméra depuis son salon d’il y a 45 ans. Mi-reconstitution et mi-archives, le résultat est aussi étonnant qu’efficace. Le montage et la mise en scène relèvent du travail d’orfèvre, tant chaque cadre ou chaque transition entre les plans est travaillé de manière stylistique, mais toujours pleine de sens pour mieux raconter l’histoire.

La richesse des idées amenées pour dynamiser la forme de manière à la fois pertinente et jolie est impressionnante, surtout que le documentaire n’essaye jamais de faire disparaître la matière première sous ses effets de style. En effet, de nombreuses images d’archives et interviews exclusives réalisées pour le documentaire montrent les véritables membres de la famille Hodgson, permettant ainsi de ne jamais perdre de vue les personnes concernées derrière la reconstitution.

 

Le Poltergeist d'Enfield : photoMargaret, l'une des deux jeunes filles tourmentées par le poltergeist

 

 

Plus c'est long moins c'est bon

En somme, la forme du Poltergeist d’Enfield est relativement parfaite pour ce que le documentaire prétend faire. Notons aussi qu’il est louable que le récit mentionne à peine le nauséabond couple Warren, dont l’intervention dans cette histoire ne fut qu’anecdotique, quoiqu’ils aient essayé de faire croire par la suite. Contrairement à d’autres productions du genre, celle-ci n’essaye pas de faire abusivement son beurre sur le nom des deux célèbres escrocs.

Néanmoins, au-delà de cette qualité et de sa perfection technique, le documentaire pêche beaucoup plus par le fond. Tout d’abord, il est composé de quatre épisodes durant presque une heure chacun, ce qui est infiniment trop pour ce qu’il a à raconter. Les effets de montage et l’élégance de la mise en scène font illusion le temps du premier épisode, mais l’ennui devant la vacuité et la longueur du récit survient dès le deuxième. C’est à se demander pourquoi ce format a été validé, tant il est évident que le quart aurait été largement suffisant (et préférable) pour aller au fond des choses.

 

Le Poltergeist d'Enfield : photoUn documentaire parfait pour s'endormir

 

Pour combler le vide, la mise en scène étire les effets, prolonge les moments de suspension (si jolis soient-ils, encore une fois), mais tout ce déballage d’ingéniosité pour masquer le vide finit par devenir un peu ridicule. Car le documentaire tente vainement, après tout, de donner de l’épaisseur et de l’intérêt à une piètre histoire de mensonge. Un mensonge qui a fait beaucoup parler de lui, certes, mais autour duquel il y a finalement peu de choses à dire.

Au bout du troisième et quatrième épisode, les auteurs raclent les fonds de tiroirs pour meubler. Ils vont chercher des événements dans la vie des gens concernés de près ou de (très) loin par cette histoire. La raison ? Créer des liens avec l’affaire du poltergeist et sous-entendre que ces événements, parfois tragiques, pourraient être d’une origine surnaturelle liée au cas Enfield. Le passage autour de la mort de la fille de Maurice Grosse, l’homme ayant le plus “enquêté” sur l’affaire (et qui l'a surtout alimentée), est risible d’indécence et de maladresse tend il tisse des liens qui n’ont pas lieu d’être.

 

Le Poltergeist d'Enfield : photoLe vrai faux Maurice Grosse, le Warren de cette histoire 

 

Menteur, menteur

Le fait est que la narration, bien qu’élégante dans son écriture, est en fait volontairement floue. Avec son ton presque “auteur”, elle trompe la vigilance en ne fonctionnant justement que par sous-entendus, sans pleinement assumer les parallèles qu’elle fait pourtant bien. Le manque de diversité des intervenants interroge également, puisque seulement des personnes partiales dans l’histoire sont entendues (notamment les deux jeunes filles Janet et Margaret, encore vivantes aujourd’hui). Alors que la thèse de la vaste blague saute bien souvent aux yeux, jamais une voix réellement contestataire quant à la version des filles n’est proposée, et le documentaire entretient le mystère jusqu’au bout.

Ce ne serait évidemment pas un souci dans le cas d’une affaire réellement irrésolue ou plus compliquée, seulement, aujourd’hui, il est très difficile d’adopter sérieusement une position pro-poltergeist vis-à-vis du cas Enfield. À plusieurs reprises, des interviews de la jeune Janet à l’époque de l’affaire la montrent à peine capable de dissimuler son mensonge, tant elle se retient de rire devant la caméra. Lorsque la voix des “fantômes” parle soi-disant à travers elle sans qu’elle ouvre la bouche, les pauses dans les phrases, son attitude générale et la teneur des réponses spectrales dévoilent à tout moment que la jeune fille s’amuse simplement à marmonner d’une voix rauque pour faire croire à une manifestation surnaturelle.

 

The Enfield Poltergeist : photoLa célèbre photo d'une manifestation soi-disant paranormale

 

Au bout d’un moment, le fait qu’un mensonge aussi évident et ridicule, largement encouragé par un auditoire d’adultes trop contents d’avoir l’occasion de se faire mousser, ne soit jamais relevé par la narration du documentaire devient pénible. D’ailleurs, un peu de recherche sur le cas Enfield permet aussi de se rendre compte que les passages vidéo les plus révélateurs de la farce montée par les adolescentes ne sont pas présents au montage. Dès lors, il devient impossible de prendre le documentaire au sérieux, malgré sa qualité formelle et le talent de ses comédiens.

Si Le Poltergeist d’Enfield fait donc, en apparence, bien mieux que le honteux Le Diable pour Alibi, ses tours de passe-passe ne trompent qu’un temps, et force est de constater que son étude de l’affaire est très partielle et partiale, malgré son étonnante longueur. Et c’est bien dommage.

Le Poltergeist d’Enfield est disponible en intégralité sur Apple TV+ depuis le 27 octobre 2023

 

Saison 1 : Affiche officielle

Résumé

Si le documentaire éblouit par sa forme aussi belle qu'intelligente et inventive, sa démarche est difficilement défendable tant il prend des partis douteux tout en se donnant l'air de ne pas y toucher. Par ailleurs, sa longueur absurde et injustifiée engendre inévitablement un ennui certain.

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commentaires
Tom’s
30/10/2023 à 20:41

@Judith Beauvallet merci pour la précision, j’avoue je suis rentré dedans facilement mon côté irrationnel est demandeur et puis j’étais mort de rire quand le frère éclaire la lanterne sur l’histoire, je trouve il y’a quelque chose dans le doc qui parle sur les USA

Judith Beauvallet - Rédaction
30/10/2023 à 16:01

@Tom's Effectivement, et j'en parle dans ma critique du Diable pour Alibi ! Car ce sursaut d'honnêteté est bien sa seule maigre qualité

Tom’s
30/10/2023 à 14:45

@ la redac j’ai vu Le Diable pour Alibi et la fin remet le Couple Warren à sa place les présentants comme de gros opportunistes et arnaqueur au travers du témoignage du frère témoin du ridicule de l’entreprise déjà que mais la donne à la Saga Conjuring un côté malaisant.

Dany1555
30/10/2023 à 08:10

Un documentaire sur un gros fake , quel blague

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