Il fait nuit en Amérique : critique belle de nuit

Mathieu Jaborska | 23 février 2024 - MAJ : 23/02/2024 11:56
Mathieu Jaborska | 23 février 2024 - MAJ : 23/02/2024 11:56

La réalisatrice Ana Vaz filme une Brasilia grouillante d'animaux plus ou moins sauvages dans Il fait nuit en Amérique. Un documentaire expérimental précieux et rare donc, mais assez hypnotisant, voire profondément poétique.

Animal Kingdom

À la fois adaptation libre de l'essai La Cosmopolitique des animaux et requiem pour un bébé fourmilier trouvé par la réalisatrice, Il fait nuit en Amérique a été tourné à Brasilia en pleine crise du COVID. Les humains ayant déserté les rues, la faune locale s'y balade tranquillement. Quant aux habitants du zoo, ils profitent du calme. C'est cette ambiance étrange qu'essaie de – et parvient à – capter Ana Vaz, en compagnie de son chef opérateur très expérimenté Jacques Cheuiche.

 

Il fait nuit en Amérique : photoUn renard errant

 

Bien que le générique crédite les personnages en fonction de leur espèce, mettant sur un pied d'égalité Homo sapiens et Hydrochoerus hydrochaeris (les capyraba, dont la seule présence garantit au long-métrage une critique positive dans nos colonnes), la démarche n'est pas du tout naturaliste. Quand Vaz filme des bêtes tournant en rond dans leur enclos ou vagabondant sur des routes vides, c'est pour représenter à sa manière ce moment éphémère et vaporeux où le règne animal a pu se réinviter là où il avait été repoussé. Une reconquête, une vraie, explicitée dans une sorte de flash-back sous forme de diaporama de photos représentant la construction du zoo.

L'humain est confiné au hors champ dans une ville qu'elle commence par longuement ausculter à coup de panoramique. Et si elle ne s'efface pas derrière la caméra, assumant une présence orale, les locuteurs s'expriment dans un verlan étrange qu'on peine à décrypter, comme si le langage humain était un langage animalier parmi d'autres. Dans cette nuit américaine entre chien et loup, arpentée pendant de longues minutes à pied ou en voiture, tous et toutes ne sont que de passage.

 

Il fait nuit en Amérique : photoUn oeil malade

 

Night Moves

Il fait nuit en Amérique fige moins des silhouettes que des instants, forcément crépusculaires. En effet, l'esthétique si singulière du film est la conséquence d'un pari technique audacieux. D'une part, il a été filmé sur pellicule 16mm, sur des fins de bobines abîmées trouvées dans une société de production de publicités. D'autre part, il bénéficie de la technique de la nuit américaine, qui nécessite notamment un éclairage spécifique. Deux contraintes difficilement conciliables, mais qui confient à l'ensemble une ambiance éthérée très particulière.

 

Il fait nuit en Amérique : photoUn ciel violet

 

Les images comme leur mise en scène dévoilent un espace transitoire et presque une revanche politique de la faune locale sur des humains qui n'ont cessé de grignoter leur espace de vie. Une approche revendiquée par la cinéaste, qui évoque la dimension "cosmopolitique" de son projet, c'est-à-dire une politique qui dépasse le monde des hommes. Ce doux rêve anti-spéciste prend toutefois régulièrement fin, les documentaristes suivant aussi des policiers environnementaux qui brisent souvent l'harmonie générale.

Encore une fois, l'idée ne serait rien sans ce superbe écrin qui fait quasiment glisser les abords de Brasilia dans un monde fantastique, où les animaux filmés parfois en gros plans réinvestissent jusqu'aux derniers rouleaux de pellicule de leurs colonisateurs. L'histoire de la ville semble résonner particulièrement avec ces thématiques pour qui la connait bien. Sans être expert, on se laisse facilement emporter par ce court instant de grâce, cette beauté transitoire. Cette période étrange aura malgré tout produit de jolies choses.

 

 

Il fait nuit en Amérique : Affiche française

Résumé

Une balade dans un entre-deux aussi poétique qu'éphémère, où le règne animal reprend timidement ses droits. 

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commentaires
François Truffade
23/02/2024 à 20:02

J'ai travaillé quelques années dans la distribution de documentaires de création au cinéma donc je sais que ça relève souvent de l'exploit de réussir à faire connaître son film et à transformer l'essai avec les exploitant(e)s, la presse et le public. Bien sûr, j'écris cela sans blâmer qui que ce soit car le niveau de l'offre - et si seulement c'était la seule variable ... - impose à chaque partie prenante de faire des choix mais s'il y a bien un milieu dans lequel les réussites sont aussi exceptionnelles que savoureuses, c'est bien le documentaire de création.

Ça fait donc toujours plaisir de lire sur un site avec une telle audience un texte sur un documentaire programmé dans un seul cinéma même quand ce n'est pas l'un de nos protégés (mais qu'il y ressemble.) Le Grand Action est difficilement accessible par mes transports en commun - quand je vous écrivais qu'il y avait plus d'une variable ... - en ce moment donc je ne sais pas si je vais réussir à le voir mais il semble pile-poil dans mon école documentaire. J'imagine une extension radicale de la scène du coyote dans Collatéral.

Scarface666
23/02/2024 à 13:51

'tain, je veux le voir :'(

Fox
23/02/2024 à 11:54

@Mathieu Jaborska

C'est très très compliqué de le voir celui-là, la distribution est plus que restreinte.
Vu au Grand Action, je suppose ?

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