Madame Hofmann : critique qui veut prévenir plutôt que guérir

Antoine Desrues | 13 avril 2024
Antoine Desrues | 13 avril 2024

Après les merveilleux Adolescentes et Petite filleSébastien Lifshitz continue de composer avec Madame Hofmann un documentaire d’une grande finesse. Le naturel désarmant de son approche capture des instants de vie toujours aussi précieux, alors que le cinéaste suit les dernières années de travail d’une infirmière acharnée. L'occasion d’offrir un portrait bouleversant, et une réflexion fascinante sur notre système de santé. En salles depuis le 10 avril.

C’est grave docteur ?

Le symbole est si fort qu'on pourrait avoir du mal à l'accepter en dehors d'un documentaire. Quand on découvre Sylvie Hofmann, infirmière en cheffe de l’hôpital Nord de Marseille, c’est elle qui a droit à un rendez-vous médical. Suite à un surmenage intense, elle a perdu une partie de son audition. Une réaction du corps à un stress insoutenable ? Aux complaintes constantes d'un hôpital public sur les rotules ? Ou une réponse au déni d'une personne engloutie depuis plus de quarante ans par sa vocation ?

Sans doute un peu de tout ça à la fois. Il faut dire que, hasard malheureux (mais heureux d’un point de vue cinématographique), Sébastien Lifshitz s’est mis à suivre Sylvie en 2020, alors que l’épidémie de Covid-19 battait son plein. Masque sur le nez et appareil auditif sur l’oreille, elle repart armée dans son service d’oncologie, plus résiliente que jamais.

 

Madame Hofmann : photoL'amour à la plage

 

Déjà avec le brillant Adolescentes et sa narration au long cours, Lifshitz captait une forme de concentré des années 2010 tandis que la vie des jeunes femmes qu’il suivait croisait les images d’Épinal de l’époque (les attentats de 2015, entre autres). En démarrant son nouveau documentaire sur les rues désertes de Marseille vidées par la pandémie, le cinéaste ancre son film dans une immédiateté, tout en percevant qu’il raconte bien plus qu’une crise soudaine et passagère.

Ce dont parle Madame Hofmann, c’est d’un tournant, d’une transformation profonde de l’hôpital public, où les questions de rendement et de rentabilité s'opposent à un corps médical épuisé, sous-payé et en sous-effectif. La question de la privatisation du secteur est régulièrement mise sur la table, alors que les structures essentielles du public semblent vouées aux mêmes soins palliatifs que ceux administrés par Sylvie à certains de ses patients.

 

Madame Hofmann : photoUne salle (pas) de (tout) repos

 

L’hôpital et ses fantômes

Face à cette sensation angoissante d’un monde en bout de course, le départ à la retraite de cette héroïne du quotidien interroge sur la relève. Dans la salle de repos, Sylvie joue les "secondes mamans" avec les nouvelles aides-soignantes, à la manière d'une mentor bienveillante que Lifshitz filme avec beaucoup de tendresse. Néanmoins, lorsqu’elle partage les récits de ses nombreuses expériences, le réalisateur aime s’attarder sur les visages interloqués de la nouvelle génération, qui ne s’imagine pas du tout avoir la même carrière aux allures sacrificielles (à raison).

À l’heure de l’entrepreneuriat roi et de la précarisation de secteurs primordiaux, quel sens peut-on encore injecter dans le travail, alpha et oméga de nos sociétés libérales qui absorbe les individus ? L’ironie est d’autant mordante et tragique ici que ce sont des soignants qui y laissent leur santé.

Face à cette fatalité, Sylvie ne se rend même plus compte que toute son existence est régie par le monde médical. Elle dit avoir "vécu mille vies" dans cet hôpital, et pourtant, c’est la mort et son appréhension qui planent dans son quotidien. Entre la tumeur que sa fille a eue enfant, les problèmes cardiaques de son compagnon et le retour du cancer de sa mère, tout est épée de Damoclès. Au même titre que sa retraite, elle rejette l’idée de la fin, au point d’être prête à se faire retirer les seins et les ovaires pour éviter à son tour le risque héréditaire de la maladie.

 

Madame Hofmann : photoDiscussion mère-fille magistrale

 

C’est dans ces scènes bouleversantes que Sébastien Lifshitz prouve qu’il est l’un des documentaristes les plus passionnants en activité. Son talent pour le portrait a une nouvelle fois la force d’un entonnoir inversé, comme c’était le cas avec Les Invisibles, Les Vies de Thérèse ou encore Petite fille. Sa caméra, intime et précise sans jamais sembler intrusive, ne quitte pas le corps fatigué de son personnage, que ce soit dans sa jovialité communicative, son sérieux au travail ou dans ses moments de doute. C’est parce qu’il n’a jamais la prétention d’étendre ce point de vue qu’il réussit justement à faire de Sylvie le symptôme de tout un système en crise.

Cette tension, qu’on devine éreintante, est ainsi contrebalancée par l’humanité du cinéaste, et sa faculté à immortaliser des séquences charnières de documentaire, à commencer par un relâchement cathartique le jour du départ de Sylvie. En se balançant du gel hydroalcoolique et de la bétadine dans les couloirs, les aides-soignantes se réapproprient l’espace de l’hôpital, et le transforment en cour de récréation éphémère. La scène est sublime, mais marque surtout une pause ludique et innocente trop rare entre des murs hantés par la mort et les burn-out.

 

Madame Hofmann : Affiche officielle

Résumé

Tout ce que Sébastien Lifshitz filme se transforme en or. L’acuité de son regard de documentariste fait de Madame Hofmann un portrait de femme passionnant, ainsi qu’une étude essentielle sur l’état de l’hôpital public et de ses soignants. Magnifique.

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commentaires
O_o
19/04/2024 à 11:41

Ah ben dès que ça parle de choses importantes, les trouduc sont absents.

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