Missing, Huesera, Swallowed... : 10 pépites de 2023 à rattraper absolument

La Rédaction | 13 janvier 2024 - MAJ : 13/01/2024 19:10
La Rédaction | 13 janvier 2024 - MAJ : 13/01/2024 19:10

Retour sur plusieurs pépites sorties en 2023, passées sous les radars et pourtant dignes d'attention.

La fin d'année 2023 est derrière nous et avec elle les habituelles listes de recommandations. Des listes qui comportent parfois les mêmes titres d'un média à l'autre, a plus forte raison quand les sélections finales sont les fruits de la fusion de plusieurs listes individuelles. Les films plus confidentiels ont tendance à être ignorés, alors que leurs auteurs ont justement besoin de reconnaissance.

C'est pourquoi la rédaction d'Ecran Large tâche chaque début d'année de sélectionner 10 films de l'année précédente auxquels elle n'a pas eu l'occasion de déclarer sa flamme. Les longs-métrages ci-dessous ont tous été privé des honneurs d'une critique sur le site, faute de temps, de place ou de bonnes relations avec Google, et ils sont tous sortis plus ou moins discrètement, que ce soit dans un petit parc de salles ou en SVoD. Ils méritent pourtant d'être rattrapés au cours de 2024.

 

  

De Humani Corporis Fabrica

  • Sortie : 11 janvier 2023 en salles
  • Durée : 1h58

 

 

Il n'a pas fallu attendre longtemps avant de se faire traumatiser en 2023, car le duo de cinéastes et anthropologues formé par Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, déjà derrière Leviathan et le fascinant Caniba, a sorti un nouveau documentaire. Quiconque est familier de leur travail se doutait bien qu'ils n'allaient pas se contenter d'aligner les prises de vue dans les hôpitaux sur une voix off explicative.

Rien toutefois ne pouvait préparer à la radicalité de leur parti pris, qui consiste à filmer majoritairement des corps ouverts sur une table d'opération, non seulement en très très gros plan, mais parfois carrément de l'intérieur. Avec à la clé des images absolument jamais vues pour qui n'est pas familier de cet univers si particulier (autant vous dire que c'est notre cas), une aventure intérieure loin d'être aussi familiale que celle de Joe Dante, puisqu'on y assiste à une césarienne effectuée sans ménagement, une sonde d'urètre ou même une sortie d'oeil en travelling arrière.

On dit souvent du cinéma d'horreur qu'il peut être viscéral, mais De humani corporis fabrica est probablement le film le plus viscéral jamais réalisé, au sens propre... et figuré. L'hypnotisant tunnel de chair renvoie le spectateur à sa propre nature, celle d'un tas de viande mû par une machinerie interne hyper-complexe dont les chirurgiens ont percé le mystère. L'expérience prend des proportions quasi mystiques dans une dernière séquence confirmant le caractère définitif de ce grand film de cinéma.

 

MISSING : DISPARITION INQUIÉTANTE

  • Sortie : 22 février 2023 en salles
  • Durée : 1h51

 

 

 

S’il sort quelque peu des règles établies par cette sélection (il a eu droit à une exploitation raisonnable en France), Missing - Disparition inquiétante est pourtant sorti en catimini, en plus de ne pas avoir été présenté à la presse. Une stratégie étonnante, puisque le film marche pourtant dans les pas de son prédécesseur, Searching, qui avait connu une réception plutôt enthousiaste.

Jouant toujours avec le dispositif du Screenlife (un film entièrement présenté avec les outils informatiques de notre quotidien), Missing confirme à quel point les systèmes d’exploitation ont une grammaire ancrée dans nos vies modernes. Une conversation Facetime devient un nouveau champ-contre-champ, un trajet sur une carte virtuelle devient une chasse au trésor ou une filature. C’est non seulement vertigineux, mais Missing renouvelle son concept par le fait que son héroïne cherche sa mère disparue à l’étranger.

Avec une facilité presque déconcertante, l’état de nos sociétés ultra-surveillées rend sa tâche plus aisée qu’il n’y paraît. Le récit y trouve l’opportunité de se barder de twists en pagaille aussi réjouissants qu’improbables, mais il en profite surtout pour interroger le lâcher-prise inquiétant de nos vies privées au profit de la sécurité.

 

Dalva

  • Sortie : 22 mars 2023 en salles
  • Durée : 1h20

 

 

 

Si Dalva n'a malheureusement pas eu les honneurs d'une critique sur Ecran Large, il a largement su convaincre la presse cinéma plus respectable. Il n'a toutefois eu droit qu'à une centaine de salles. Dommage, car le film d'Emmanuelle Nicot s'empare d'un sujet hyper complexe et sensible, à savoir la réinsertion d'une enfant victime d'inceste et de pédophilie via une structure spécialisée. Et surtout, il le fait bien.

Outre son duo de comédiens parfaits (Zelda Samson en Dalva et Alexis Manenti dans le rôle très difficile d'un éducateur désemparé) le long-métrage parvient à respecter la subjectivité d'une jeune fille à qui on a imposé la sexualité bien trop tôt sans pour autant virer à l'exercice de style désincarné. Un véritable numéro d'équilibriste d'autant plus délicat que la metteuse en scène et scénariste n'élude pas certaines problématiques très dérangeantes. Elle n'essaie pas pour autant de susciter le malaise, racontant donc moins l'abjection que la guérison, lente et éprouvante. Un premier long-métrage maîtrisé de bout en bout.

 

Stéphane

  • Sortie : 30 mars 2023 sur Canal+
  • Durée : 1h18

 

 

Celui-ci est vraiment passé inaperçu malgré un passage remarqué au PIFFF (où nous l'avions découvert), d'autant plus qu'il a eu le droit à une diffusion sur Canal+. Il a probablement été victime de sa nature hybride très déconcertante. À première vue, avec ses caméos télévisuels et son pitch (un cinéaste amateur un peu nul se prend de passion pour un personnage haut en couleur), Stéphane a tout de la comédie gentiment absurde.

Sauf qu'il s'agit d'un found footage et que passé la moitié du film, le Stéphane du titre, jusqu'alors bouffon grotesque, devient plutôt inquiétant. Avec une audace qui force le respect, le long-métrage déborde de la case dans laquelle on aurait tendance à le contenir. L'humour, par ailleurs assez efficace, vire subtilement au malaise avec une énergie qui n'est pas sans rappeler les grands moments de C'est arrivé près de chez vous. Difficile d'en dire plus sans déflorer une tentative parmi les plus originales vues dans le cinéma français cette année.

 

War pony

  • Sortie : 10 mai 2023 en salles
  • Durée : 1h54

 


À l'origine, War Pony ne devait pas exister. Riley Keough et Gina Gammell voulait simplement filmer la vie des habitants de la réserve de Blue Ridge dans le Dakota du Sud, dont certains amis que Riley Keough s'était fait durant le tournage de l'immense American Honey. Et puis finalement, les rencontres ont donné des envies aux deux réalisatrices qui ont fini par mettre en route un film. Une riche idée puisque War Pony a finalement reçu la Caméra d'or à Cannes 2022 amplement mérité.

War Pony raconte simplement les joies, difficultés, complexités de la vie de la réserve à travers une double histoire de passage à l'âge adulte. Grâce à son scénario assez souple et sa confection surtout sur le tas (personne n'ayant vraiment d'expérience à son poste), le film dévoile une sincérité et une authenticité touchante. Dans une sorte de prolongation contemporaine de Killers of the Flower Moon, la caméra y capte sans esbroufe une frange de l'Amérique et ses Amérindiens trop méconnus ou délaissés avec une délicate énergie. Un petit miracle de poésie.

 

How to save a dead friend

  • Sortie : 28 juin 2023 en salles
  • Durée : 1h43

 

 

Marusya Syroechkovskaya filme son quotidien, sa rencontre avec Kimi, jeune casse-cou dont elle va très vite partager la vie, leurs problèmes, leur famille, leurs dépendances... Avec un fil rouge morbide : les pulsions suicidaires de leurs amis, qui partent les uns après les autres, et les leurs, qui encadrent, enserrent ce récit amer. Toutes ces images – bien réelles – forment le documentaire How to Save a Dead Friend, dont le titre résonne comme un triste aveu d'échec.

Sur le papier, ça ressemble à une triste chronique de l'addiction aux opiacés, la réalisatrice ayant commencé à travailler sur son film deux ans après la mort de son ex-compagnon. Mais comme le souligne son montage, il ne s'agit que de l'une des composantes d'un marasme général touchant les classes populaires russes. Allant jusqu'à effectuer des parallèles directs avec la montée au pouvoir de Poutine, Syroechkovskaya croque à travers sa propre expérience le portrait d'une jeunesse n'ayant d'autre choix que de se réfugier dans une contre-culture qui lui ressemble, elle aussi grignotée par une ambiance politique et sociale bien pourrie.

Mais promis, le film comporte quelques magnifiques instants de grâce, perdus entre les épisodes dépressifs complètement ignorés par les pouvoirs publics locaux. Il fallait une artiste de cette trempe pour documenter ces deux facettes d'une certaine génération russe.

 

swallowed

  • Sortie : 30 juin 2023 sur Shadowz
  • Durée : 1h35

 

 

Mieux vaut ne rien savoir de Swallowed, arrivé en France grâce à la plate-forme Shadowz en 2023. L'idéal est de simplement regarder l'affiche (géniale), et avoir en tête le point de départ : avant de partir tenter sa chance à Los Angeles dans le milieu du cinéma porno, Dom se retrouve embarqué malgré lui dans une histoire de trafic de drogue cauchemardesque, qui ressemble plus à du David Cronenberg qu'à une saison de Narcos.

Derrière Swallowed, il y a le réalisateur et scénariste Carter Smith. Après un premier film de studio à 25 millions (le malin Les Ruines, où une bande de touristes américains était piégée sur des ruines mayas maudites) et le drame teinté de fantastique Jamie Marks Is Dead, il est revenu au pur cinéma indépendant avec un film fauché, avec moins d'argent et plus de liberté – avec Jena Malone, déjà dans Les Ruines.

Le résultat est magnifiquement dérangeant et déstabilisant. Avec malice et cruauté, Carter Smith joue de l'excitation et de l'horreur que peuvent susciter la chair et la nudité, qu'elle soit jeune, ridée ou rongée. Une petite pépite inclassable.

 

AMA GLORIA

  • Sortie : 30 août 2023 en salles
  • Durée : 1h24

 

 

 

Cléo, 6 ans, passe la plupart de son temps avec sa nounou adorée, Gloria, qui l’élève depuis la naissance. Quand celle-ci doit retourner d’urgence au Cap-Vert, elle accepte d’emmener Cléo avec elle, pour passer un dernier été ensemble. A la découverte de sa “véritable” famille, l’enfant peine à se sentir acceptée, et doit apprendre à faire son deuil d’une époque révolue.

Après avoir coréalisé Party Girl, Marie Amachoukeli signe avec Àma Gloria une œuvre bouleversante sans tomber dans les travers du mélo tire-larmes. Son cadre resserré, à fleur de peau, capte une tendre mélancolie avec pudeur. Dans tous les cas, la réussite du long-métrage ne serait rien sans son duo d’actrices, Ilça Moreno et la jeune Louise Mauroy-Panzani, dont l’alchimie parfaite aide la réalisatrice à trouver le ton et la distance nécessaires pour nous toucher en plein cœur.

 

HUESERA

  • Sortie : 26 septembre 2023 sur Shadowz
  • Durée : 1h37

 

 

Premier long-métrage de la réalisatrice mexicaine Michelle Garza Cervera, Huesera emboîte le pas à des réalisatrices de genre comme Jennifer Kent, Alice Lowe ou Julia Ducournau pour raconter l'histoire d'une grossesse monstrueuse. Sauf que dans le cas de ce film d'épouvante pas si classique, ce n'est pas le fœtus qui est monstrueux, et l'horreur ne se calme pas après la naissance. En effet, la jeune Valeria, interprétée par Natalia Solián, fait face à un mal beaucoup plus profond.

Un premier long qui coche toutes les cases du film d'horreur vraiment terrifiant et efficace (le design à la fois simple mais intelligent des créatures est à glacer le sang), mais qui tient aussi un véritable propos sur la société dans laquelle évolue Valeria. Ecrasée par des injonctions familiales et une pression religieuse omniprésente, la jeune femme devient symbole de la douleur que peut représenter une grossesse au sein d'une culture qui instrumentalise le corps des femmes.

Loin du body horror qu'inspire souvent la thématique de l'accouchement, Huesera est plutôt un savant mélange de thriller psychologique et de folk horror qui porte un message féministe sans compromis, et qui fait de Michelle Garza Cervera l'un des nouveaux talents du cinéma de genre à suivre absolument.

 

Kokomo City

  • Sortie : 6 décembre 2023 en salles
  • Durée : 1h16

 

 

Kokomo City, l'un des derniers documentaires à arriver en France en salles, avait déjà fait un peu parler de lui, notamment à Sundance, où il a fait sa première, et aux États-Unis, où il a été repéré par plusieurs critiques. Et pour cause : en se concentrant sur l'expérience de quatre travailleuses du sexe transgenres noires américaines et grâce à plusieurs effets de style qui appuient leur propos au lieu de détourner l'attention, la cinéaste D. Smith fait preuve d'un sens de la mesure remarquable.

Bien entendu, le quotidien de ces quatre femmes, pour certaines hautes en couleur, est tout sauf facile. Hors de question néanmoins de sombrer dans le misérabilisme. Le choix du noir et blanc, superbe, rehaussé à de rares instants par des couches de couleur, reflète l'une des questions qui traverse les entretiens : celle de la binarité et des personnes qui s'en extraient.

Pèle-mèle, ces dernières évoquent la pauvreté, leur expérience professionnelle, leurs clients, leur rapport au sexe, à l'amour, aux standards qui pèse paradoxalement sur leur métier. Elles parlent aussi du danger. L'une d'entre elles, Rasheeda Williams, alias Koko Da Doll, est décédée peu après Sundance, victime d'un crime à l'arme à feu, corroborant malheureusement leurs dires et prouvant que l'empathie du cinéma documentaire est toujours aussi nécessaire.

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commentaires
Cidjay
15/01/2024 à 12:46

Merci !
Swalowed a l'air cool ! (pour qui aime bien le body horror)
AMA GLORIA : Je le regarde un soir de déprime, pour pleurer sur mon canapé !