Cannes 2023 : on a vu The Zone of Interest, et c’est notre Palme d’Or

Antoine Desrues | 20 mai 2023 - MAJ : 05/03/2024 11:25
Antoine Desrues | 20 mai 2023 - MAJ : 05/03/2024 11:25

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour l’édition 2023 du Festival de Cannes. Entre cinéastes confirmés et jeunes talents prometteurs, la centaine de films sélectionnés a de quoi donner le tournis. Après l’ouverture de Maïwenn, Jeanne du Barry, c’est l’heure de revenir sur The Zone of Interest. Présenté en compétition, le nouveau film de Jonathan Glazer (Under the Skin) s’attaque au nazisme et à la Shoah avec un regard hallucinant. Un choc, et notre Palme d’Or de cette édition 2023.

 

 

De quoi ça parle ? Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz, essaie de construire avec sa femme Hedwig une vie de rêve pour leur famille dans une maison aux abords du camp.

C’était comment ? Dire que l’on attendait – voire appréhendait – The Zone of Interest relève de l’euphémisme. Depuis l’incroyable Under the Skin en 2014, Jonathan Glazer s’est montré absent des grands écrans, mettant en exergue une filmographie courte mais ô combien admirable (Sexy Beast et Birth). En adaptant le livre polémique de Martin Amis, le cinéaste n’a clairement pas choisi la facilité, mais affirme bien vite la cohérence de son cinéma avec un sujet aussi sensible que la vie concentrationnaire.

L’extraterrestre d’Under the Skin était lui-même une caméra sans affects, un regard cherchant à comprendre “objectivement” l’humanité, avant de concevoir l’impossibilité de cette démarche. The Zone of Interest prolonge cette envie, et fait du cinéaste un alien qui observerait de manière quasi-scientifique les heures les plus sombres de notre histoire. Avec une multitude d'angles qui décomposent l’espace et les mouvements comme autant de caméras de surveillance, Glazer ausculte le quotidien nazi dans sa banalité la plus totale.

 

The Zone of Interest : PhotoEnfer et paradis

 

On pense bien sûr à Hannah Arendt, et l'auteur s’y accorde par l’apparente simplicité de ses plans fixes, qui encapsulent dans toute leur absurdité des êtres misérables, qui vagabondent de pièce en pièce comme des insectes. Mais il transcende cette froideur de circonstance par son premier travelling, porté sur un prisonnier juif qui pousse une brouette. Si le cinéma est incapable de représenter l’irreprésentable, le mouvement au cœur de sa grammaire peut le suggérer par métonymie. Face à la rigidité de ses protagonistes et à leur apathie, The Zone of Interest arbore un hors-champ des plus glaçants, où il suffit de regarder le flux d’un cours d’eau et la fumée d’une cheminée pour comprendre la mécanique d’un génocide.

Tout est dans le geste, dans l’implacable répétition symétrique d’une vie, où l’on passe son temps à allumer ou éteindre des interrupteurs, à ouvrir ou fermer des portes. Glazer contraste néanmoins cette approche industrielle, voire robotique, avec le cœur verdoyant de son récit : ce jardin autour du camp d’Auschwitz que fait fructifier la famille Höss.

 

Under the skin : photo, Scarlett JohanssonLe génial Under the Skin, la clé du cinéma de Glazer

 

Là réside la maestria du film. Pour dépeindre toute l’horreur de la Shoah, il faut une autre forme de monstration et d’exhibition, celle d’un jardin d’Eden indécent, qui nous renvoie en pleine face la simplicité avec laquelle l’humain peut s’adapter et accepter le pire, même au pallier de sa porte.

Glazer compense ainsi cette béance de l’image par un travail du son absolument tétanisant. La rythmique des machines et les cris qui émanent d'Auschwitz envahissent l’espace, s’imposent à nos oreilles comme à celles des personnages. D’abord assourdissant, puis agaçant, ce bruit de fond finit par s’effacer, par être oublié dans le flux de la narration, jusqu’à ce qu’il s’arrête.

Le cinéaste ose nous mettre dans cette position d’inconfort, d’immersion, voire d’identification avec ce quotidien aberrant. Il n’est évidemment pas question de créer une quelconque forme de sympathie pour les personnages, mais de refléter à quel point il peut être facile de s’accommoder à ce qui semble inimaginable.

 

Toni Erdmann : Photo Sandra HüllerSandra Hüller reine de Cannes, présente dans la Palme d'or Anatomie d'une chute et le choc The Zone of Interest

 

Un postulat atmosphérique qui permet à Jonathan Glazer de rendre l’inhumanité de l’Holocauste aussi prégnante et tangible que dans le cinéma de Claude Lanzmann. Il est d’ailleurs frustrant de se contenter de quelques lignes pour défricher un tel choc qui, s'il aurait dû obtenir la Palme d’Or selon nous, a finalement été récompensé du Grand Prix.

Et ça sort quand ? Aucune date de sortie n’a été confirmée pour le moment, mais The Zone of Interest sera distribué en France par BAC Films.

Tout savoir sur La Zone d'intérêt

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commentaires
Willou
21/05/2023 à 12:23

Il faut peut-etre avoir vu tous les films pour se faire une idée de la palme d'or.

Auguste Mars
20/05/2023 à 19:28

Au vu des premiers retours, une immense envie de voir de film, qui ne sera sans doute pas une séance facile, mais mémorable sans doute.

C.Kalanda
20/05/2023 à 18:42

Je suis ps étonné, vu le sujet et le réal (et j’espère la même équipe qu’indexe the skin, qui était la meilleure chose qui soit arrivée aux années 2010). Sur une échelle « les damnes » ou « les bienveillantes », ça donne quoi ?

steve
20/05/2023 à 17:10

Bon dieu, si il a vraiment la Palme d'Or, ca va être le kiff total tellement ce gars est passionnant (mais j'ai un doute, rentre t'il vraiment dans les clous pour le Jury? Au pire je vois bien le Prix du meilleur scénario)
Impatient de voir celui-là

Luis_Gaspardo
20/05/2023 à 16:31

Tellement hâte! J'ai adoré tous les films de Jonathan Glazer, aucun ne se ressemble et tous sont mémorables. Il sait créer l'attente comme la surprise.
Après le voyou à la retraite forcé à reprendre du service (et la tirade inoubliable de Ben Kingsley), le trouble de la veuve Kidman face à ce petit garçon qui assure être son défunt mari et le film d'extra-terrestre le plus stylisé depuis "The man who fell to Earth" (avec lequel il partage plusieurs thématiques) le réalisateur britannique aborde le nazisme et fait pousser un jardin d'Eden en face de l'enfer...? tellement hâte!

Kyle Reese
20/05/2023 à 16:17

Le genre de film qui demande une sacré volonté pour aller le voir vu le sujet. J’avais adoré Under the Skin, mais c’était un sujet bien plus fantaisiste, de la sf, à aborder et à apprécier. Film de genre fascinant à la limite de abstraction. Donc top si le film est une sacré réussite mais cette réalité historique auquel il est rattaché me rebute assez. L’horreur totale.