Jeanne du Barry : critique du scandale cannois avec Maïwenn et Johnny Depp

Antoine Desrues | 17 mai 2023 - MAJ : 18/05/2023 01:10
Antoine Desrues | 17 mai 2023 - MAJ : 18/05/2023 01:10

Avant même sa sortie et sa présentation en ouverture au Festival de Cannes 2023, Jeanne du Barry a fait polémique par la démarche de la réalisatrice Maïwenn (Polisse, Mon roi), qui a choisi de caster Johnny Depp en roi Louis XV. Alors que le film se présente comme le sauveteur un peu puant d’une carrière sacrifiée, c’est peut-être qu’il n’a pas grand-chose d’autre à offrir...

Depp-endant du système

Les casseroles ne sont pas que dans la rue, mais se traînent aussi sur le tapis rouge du Festival de Cannes. Si Thierry Frémaux ne manque pas une occasion de rappeler la valeur politique de la grand-messe du septième art, on peut s’interroger sur le message envoyé par la présence en ouverture de Jeanne du Barry, le nouveau film de Maïwenn.

Il faut dire que dès son annonce, le projet s'est accompagné d’un doux parfum de scandale par la présence de Johnny Depp en Louis XV, malgré les accusations de violences conjugales à son égard (il a perdu un procès en Angleterre, et en a gagné un autre aux Etats-Unis). Depuis, Maïwenn est également dans le viseur de la justice depuis une plainte d’Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart, qui explique avoir été agressé par l’actrice-réalisatrice dans un restaurant (ce qu'elle a elle-même reconnu).

Bien sûr, tout cela pourrait rester relégué aux colonnes de tabloïds (d’autant que le tournage visiblement compliqué du film vaudrait à lui seul son pesant de cacahuètes), mais ce biopic sur la fille du peuple devenue favorite du roi est, qu’il le veuille ou non, loin d’être innocent dans sa note d’intention. Au-delà de prouver que la cancel culture n'a pas le pouvoir de condamner des carrières, il faudrait applaudir et saluer dans les strass et les paillettes des personnalités problématiques dans un post-#MeToo bien fragile, au moment même où Adèle Haenel exprime son ras-le-bol d’une industrie entretenant sa toxicité.

 

Jeanne du Barry : Photo Maïwenn, Melvil Poupaud, Johnny DeppMontée des marches

 

Alors que les cris d’alerte ne peuvent plus être ignorés, Cannes joue la sourde oreille, ou du moins valide-t-il un silence des plus dérangeants. Dès lors, les apôtres d’une scission entre les hommes/femmes et les artistes pourraient justifier la présence de Jeanne du Barry au festival pour les seules qualités de l'œuvre. Sauf que le résultat est aussi poussif que médiocre. Maïwenn a beau essayer de faire un effort en fuyant son habituel découpage erratique et analphabète (pardon, pseudo-documentaire), son grand film en costumes se contente de filmer des robes et des chapeaux dans de beaux décors, le tout avec une photographie carrée... mais sans panache.

Jamais vénéneux, jamais charnel, jamais satirique, le film se cherche une identité sans jamais pleinement choisir une direction. On sauvera peut-être de l’ensemble le jeu outré et ouvertement burlesque d’India Hair et Suzanne de Baecque, qui incarnent les filles du roi de façon insupportable, bien que ces rares touches d’humour s’étiolent dans le fatras tonal de l’ensemble.

 

Jeanne du Barry : photoDes problèmes d'alchimie sur le tournage ? Ça se voit pas...

 

Un sous Barry LYndon

Malgré quelques moments de scénographie malins trop fugaces (dont une séquence de réveil du roi observée dans toute son absurdité derrière le confort d’une vitre), le reste se perd dans ses longues focales, essayant tant bien que mal de se raccrocher aux corps et aux performances de ses comédiens. Sauf que par la même occasion, le long-métrage en oublie sa sève : ses jeux de pouvoir, ses rapports de force et l’improbable ascension de son héroïne dans l’échelle sociale.

Jeanne du Barry aurait dû être stratégique dans sa mise en scène, se penser comme une partie d’échecs au sein d’un décorum baroque, où les gestes et la position de chacun au sein de l’espace ont leur importance. Soit exactement ce qui a fait le génie de Barry Lyndon, inspiration évidente dont la réalisatrice ne puise ici qu’un vernis sans âme.

Ce qui intéresse réellement la cinéaste, c’est le parallèle qu’elle se permet de tisser entre la Comtesse et son propre parcours, appuyé par le fait qu’elle s’octroie le rôle principal. Pour elle, le mépris de classe subi par le personnage historique est comparable à celui d’un milieu du cinéma qui n’aurait jamais accepté son parcours atypique (elle a arrêté l’école tôt) et ses relations scandaleuses (Luc Besson).

 

Jeanne du Barry : photoEnvie de roupiller

 

Or, c’est là que Jeanne du Barry devient d’autant plus problématique. L'ego-trip de Maïwenn pollue à chaque seconde un récit au demeurant efficace (elle a co-écrit le scénario avec Teddy Lussi-Modeste et Nicolas Livecchi), au point où la complaisance de la démarche prend le pas sur l’émotion franche qu’elle voudrait parfois instiguer. L’actrice s’en retrouve à en faire des caisses dans le cabotinage, tandis que Johnny Depp signe son fameux “grand retour” sur les écrans en offrant la performance la plus éteinte possible.

Mais surtout, le film assume de relier ses coulisses polémiques avec le propos de l’œuvre. De la même manière que Polanski se projetait de façon abjecte dans la persécution d’Alfred Dreyfus (J’accuse), Maïwenn se met en scène comme une rebelle contradictoire, qui aurait manipulé les hommes non pas pour défaire le patriarcat, mais pour être validée par le système dont on se satisferait presque de la permanence. C’est dire à quel point Jeanne du Barry est à des années-lumière des problématiques actuelles qui ébranlent l’industrie, alors même que le féminisme prétend être le cœur de son sujet.

 

Jeanne du Barry : Affiche française Maïwenn

Résumé

Jeanne du Barry est à la fois un biopic ronflant et un ego-trip embarrassant de son actrice et réalisatrice Maïwenn. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose, si ce n’est de la médiocrité cinématographique et intellectuelle.

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commentaires
Super padawan
07/09/2023 à 13:43

Franchement c'est pas si mal et les acteurs sont bons.
Julie Gayet aurait fait ce film, Ecran Large lui donnait la Palme d'or. Mais c'est Maiwen alors et casse.

Ak
28/05/2023 à 09:40

J ai vu le film vendredi. J'ai été transportée. Même si Maiwenn a pris des libertés avec l histoire peu importe c est du cinéma et non une biographie de chez Fayard. Deep Est craquant et on se fiche de son accent. C'est bizarre ce parti pris. Qd nos acteurs jouent aux Us avec leur cute french accent on est tous très fiers. Vive le cinéma

Aurélie
28/05/2023 à 07:51

J'ai enfin pu voir ce film hier soir dans mon bled. Il y a vraiment 2 niveaux de jeu différents : les vrais acteurs (Benjamin Lavernhe, Melville Poupaud, India Hair) et les autres... Depp a l'air d'être en train de digérer un cassoulet. J'aurais aimé une vraie scène de chasse, les scènes d'intérieur sont répétitives

MacReady
22/05/2023 à 22:33

@GTB

"Petite" nuance sur ce que la justice a dit à propos de Johnny Depp. La justice britannique a reconnu comme "substantially true" 12 des 14 agressions mentionnées par The Sun, sur Amber Heard. "I have found that the great majority of alleged assaults of Ms Heard by Mr Depp have been proved to the civil standard", a notamment dit le juge.

Quand Johnny Depp est décrit comme un "agresseur reconnu", ça ne sort pas de nulle part. C'est littéralement fondé sur des paroles de la justice britannique.

Aux Etats-Unis, c'est différent, mais si on parle bien de la valeur de décisions de justice, il faut regarder les deux côtés, et pas seulement le procès américain. J'ai l'impression que beaucoup de gens (on en lit déjà ici, plus bas dans les commentaires) sortent la carte de la justice uniquement d'un côté, quand ça arrange leur positionnement (ce qui rentre alors parfaitement dans l'idée que tout un chacun se croit "aussi apte que les professionnels de justice", effectivement).

steve
22/05/2023 à 22:07

@Boze et @GTB, merci pour votre bon sens, ça fait du bien de lire ça.
" cette manie de considérer qu'on est aussi apte que les professionnels de justice est franchement flippante " pas mieux. Cela s'appelle la justice populaire, vieux serpent de mer devant l'éternel (avant c'était la peine de mort, maintenant c'est la peine médiatique qui équivaut à la mort sociale )

Fsauvage
22/05/2023 à 19:08

Maïween doit choisir :réalisatrice ou actrice....je reviens de la séance et suis tellement déçue. La réalisation est bancale... Le jeu de Maïween m'a vraiment pris la tête tant tt était vide. Je regardais mais ne ressentais rien. Deep est bien, il fait ce qu'il peut pour donner le change. Il y a des plans séquences qui ne servent à rien... une voix off qui dérange, elle prend dernier l'histoire de France le spectateur pour un idiot.
Les plans sur Versailles n'ont aucune subtilité...ils sont juste vides, mal travaillés. Mince c'est Versaille qd mm ! On est sensé en prendre plein les yeux! Maïween a voulu modernisé l'histoire de France avec une certaine recherche ds les costumes et coiffures mais n'est pas allée plus loin dans la subtilité. Bref, en résumé, film assez décevant !

Doudoune
22/05/2023 à 17:44

Pas d'accord du tout !!! Quand on a des aprioris ça fausse tout. Excellent film !!!! Un cours d'histoire de la vie à la cour.....

GTB
22/05/2023 à 13:51

@Boze> "malgré les accusations de violences conjugales" => ceci ne veut pas forcément dire devant une cour. Il y a bien des accusations de la part d'A Heard. Même si elles ne sont déposé au pénal, elles sont bien formulées. Donc cette phrase est purement descriptive des faits.

Par contre présenter Depp comme un agresseur reconnu, ça en revanche c'est de l'opinion pure et simple présenté malhonnêtement comme un fait avéré...alors qu'il ne l'est absolument pas. Aucune cour, en aucune circonstance n'a reconnu Depp coupable de ces faits. Chacun est libre de penser ce qu'il veut de lui, du moment qu'on a l'honnêteté de l'assumer comme simple opinion. Or beaucoup le présente comme une certitude...ce qui revient à dire que notre système judiciaire n'est pas nécessaire puisqu'on peut juger une affaire à la volée de quelques bribes d'informations. Et cette manie de considérer qu'on est aussi apte que les professionnels de justice est franchement flippante.

Boze
22/05/2023 à 13:27

Je n'ai pas vu le film de Maiwen mais dans toute cette polémiques une question me taraude. on dit partout que Johnny Depp a été condamné poir agression sexuelle de son ex femme. Or à ma connaissance, dites-moi si je me trompe, il y a eu deux procès : le 1er contre Sun intenté par Depp pour calomnie où il a perdu. Il n'a donc pas été condamné pour agression sexuelle. ce sont juste les accusations publiques de sa femme qui ont été jugée en Angleterre suffisamment crédibles pour être publiées. Au passage je ne vois nulle part que cette même femme ait directement porte plainte contre son ex mari pour ces faits. Le 2e procès à opposé les deux ex époux aux USA toujours pour calomnie et non directement pour agression sexuelle. Et là Amber Heard à été condamnée nettement plus lourdement que son ex mari. Donc quand je lis dans votre article : " malgré les accusations de violences conjugales" cela me semble inexacte. Les condamnations le sont pour des faits de calomnies et non d'agressions. Et rappelons-le sa femme n'a a pas porté plainte directement sur ces faits d'agressions. On pourrait se demander pourquoi. Donc au nom de quoi ou de qui la presse et l'opinion publique qe permettent de caricaturer des décisions de justices pour prolonger indéfiniment la sanction qui a été prononcée et jugée ? Et au passage pourquoi tourner dans cette affaire sa vindicte que du seul côté du mari alors que selon la justice sa femme est autant sinon plus coupable (15× plus si l'on se rapporte au montant des amendes prononcées ). pourquoi le verdict serait retenu et même amplifié et caricaturé pour Depp et ignoré pour Heard, qui elle aussi à été condamnée mais ce qui curieisement n'est jamais rappelé?
Alors contentez-vous de faire votre travail de critique de film et laissez la chronique judiciaire à ceux dont c'est le métier.

Pascal_de_pal
21/05/2023 à 20:35

Erreur de casting, réalisation curieuse avec un accent mis sur des détails, quasiment rien n'est dit sur la relation de la du Barry avec la cour, avec les arts, les artistes... Rien n'est dit sur son ascension. Une voix off destructrice qui essaye de rattrapper les non-dits mais qui prend le spectateur pour un idiot, des attitudes rendues grimacières, un roi de France à qui on ne donne aucune répartie quitte à le faire passer pour un ours, une actrice presque quinqua qui doit rendre la fraîcheur d'une jeune femme de 25 ans. Un ratage.

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