Saint-Jean-De-Luz 2021 : un choc viscéral dont vous allez entendre parler longtemps pour le premier jour

Christophe Foltzer | 6 octobre 2021 - MAJ : 06/10/2021 17:17
Christophe Foltzer | 6 octobre 2021 - MAJ : 06/10/2021 17:17

Ce qui est bien avec les festivals, et particulièrement avec celui de Saint-Jean-De-Luz, c'est qu'on ne sait jamais quelles émotions seront convoquées le lendemain. Et celles de cette première journée officielle étaient particulièrement intenses.

 

Festival Saint Jean De Luz Affiche 2021

 

LUZZU

On commence cette première journée officielle de la compétition avec Luzzu, premier film du réalisateur maltais-américain Alex Camilleri. Un long-métrage qu'il est allé chercher dans ses racines, puisque l'intrigue se déroule exclusivement à Malte. Mais, oubliez les décors de rêve, le soleil aveuglant et les belles architectures, Camilleri s'intéresse ici davantage aux recoins sombres de l'île.

En suivant les pérégrinations de Jesmark (excellent Jesmark Scicluna) pour nourrir sa nouvelle famille, le réalisateur nous délivre un pamphlet incisif et extrêmement bien vu contre le libéralisme dévorant en montrant une profession (les pêcheurs en l'occurrence) sacrifiée sur l'autel du bien commun qui ne s'avère qu'être un passe-droit pervers pour les trafics les plus obscurs.

 

photo Luzzu

Un bateau qui prend l'eau...

 

Si le postulat semble simple et limpide, voire un peu schématique dans ce qu'il raconte, le film trouve toute sa force dans son atmosphère et, surtout, ses personnages, entiers, taillés sur mesure pour ses comédiens, toujours justes et profondément humains. Mais le réalisateur sait aussi déjouer nos attentes de spectateur averti. Là où l'on pouvait supposer une mécanique implacable dans le piège qu'il referme sur son protagoniste principal, Luzzu choisit, au contraire, de coller au plus près au Réel.

Point d'esclandre, ni de retournement de situation extravagant, ou de moralisation excessive, le film reste ancré dans son époque avec talent et intelligence. En nous dévoilant un cauchemar sous le cagnard, Alex Camilleri dit en réalité beaucoup de choses sur nous-mêmes, sur notre époque et sur la violence systémique qui pousse parfois à emprunter des chemins de traverse pour survivre. Ce n'est, certes, pas beau à voir, mais c'est à ne surtout pas manquer le 8 décembre prochain dans les salles de cinéma.

 

Photo Anamaria VartolomeiAnamaria Vartolomei crée l'événement.

 

L'ÉVÈNEMENT

Et puis, sans crier gare, ce fut le premier vrai choc de cette édition 2021 du Festival International du Film de Saint-Jean-De-Luz. Fraichement auréolée de son Lion d'Or à la dernière Mostra de Venise, Audrey Diwan est venue nous présenter son fracassant L'évènement. Un film qui fera beaucoup parler de lui à sa sortie avancée au 24 novembre prochain, tant il joue la frontalité sans timidité aucune.

Adapté du livre éponyme d'Annie Ernaux, le film tente le pari (très largement réussi) de l'expérience sensorielle totale. Avec son format 1.33 suffocant jouant très intelligemment sur la profondeur de champ, constamment agressé par des intrusions de toutes parts, L'évènement nous met vraiment à la place de son héroïne, Anne (extraordinaire Anamaria Vartolomei), dans son combat contre son propre corps, l'enfant qu'il héberge et pour l'avortement que la société lui interdit.

Un récit charnel et incarné (brillante étude sur le corps), très habile dans sa transformation d'une pulsion de vie en pulsion de mort, éprouvant (certaines séquences frisent le David Cronenberg des premiers jours) pour un film, au final, en forme d'uppercut dont on ne sort pas vraiment indemne. On vous recommande d'ailleurs vivement l'avis plus étendu de l'ami Janowiak, profondément bouleversé après la projection à la Mostra. Oui, au risque d'un très mauvais jeu de mots, on peut sans hésiter affirmer que L'évènement en est bien un.

 

photo Anamaria VartolomeiUn film puissant, dur et envoûtant



SENTINELLE SUD

Dernier film de cette journée, Sentinelle Sud, premier long-métrage de Mathieu Gerault, fut lui aussi un moment particulièrement intense. Doté d'une ambition folle pour un premier film, cette histoire de militaires rescapés d'Afghanistan qui connaissent un retour difficile à la vie civile marque avant tout par la très grande qualité de ses interprètes.

On y retrouve en effet un Niels Schneider totalement habité par son personnage, formant un duo parfait avec le décidément incroyable Sofian Khammes, tout en nuances, en violence et en douleur contenue. Un grand numéro de comédiens qui fait oublier les quelques fragilités du métrage. En effet, le film se perd parfois dans le trop-plein qu'il souhaite nous raconter, noyant son propos, s'éparpillant par endroits, mais revenant toujours plus ou moins sur ses rails.

 

photo Sentinelle Sud

Un duo parfait pour un film très ambitieux.

 

Un excès de générosité qui s'avère particulièrement touchant lorsqu'on le replace dans le contexte de sa création : tourné entre deux confinements, il puise dans cette situation une force humaine qui sert totalement le propos du métrage, y trouvant une intensité étonnante et marquante qui fait qu'on se laisse immédiatement embarquer dans cette histoire sombre et violente où la Grande Muette et les institutions n'en sortent pas grandies.

Un pari courageux, encore une fois, pour un premier film et qui mérite à cet égard tout notre soutien. Il faudra cependant attendre l'année prochaine pour le découvrir en salles.

Tout savoir sur Thierry Klifa

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