Saint-Jean-De-Luz 2021 : la vengeance de Karin Viard et le choc de Sandrine Kiberlain

Christophe Foltzer | 10 octobre 2021 - MAJ : 11/10/2021 11:41
Christophe Foltzer | 10 octobre 2021 - MAJ : 11/10/2021 11:41

Alors qu'on se perdait volontiers dans nos différentes projections des films en sélection, nous avons franchi la barre symbolique de la moitié de la compétition. Une nouvelle qu'on accueille avec regret et appréhension, parce qu'elle signifie que nous sommes de plus en plus proches de la fin du Festival. Heureusement, il nous reste encore de beaux films à découvrir.

 

Festival Saint Jean De Luz Affiche 2021

 

APPLES

Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, Christos Nikou a décidé de nous jouer un sacré tour : alors que l'on s'attendait à ce que Apples soit une petite bizarrerie un peu perchée, la réalité est en fait toute autre. Avec cette histoire de pandémie d'amnésie et de cet homme, atteint du mal, qui suit un programme pour se forger une nouvelle identité, le metteur en scène grec nous assène, au contraire, un film fort, profond, intelligent, délicat et extrêmement sensible.

L'économie de moyens est utilisée à son plus bel avantage et Apples rappelle qu'il ne faut pas beaucoup pour tenir un propos en phase avec son époque et avec un grand talent. Dans une filiation évidente avec le cinéma de Yorgos Lanthimos et Richard Linklater (le réalisateur a travaillé avec les deux), Christos Nikou nous livre une oeuvre saisissante et envoûtante qui multiplie les thématiques sans jamais empiéter sur l'une ou l'autre, tout en conservant un discours limpide du début à la fin, ce qui est quand même un sacré exploit pour un premier film.

Parlant à la fois de notre rapport mortifère à notre époque, de notre besoin de réinvention, tout autant que de l'impossibilité supposée d'un deuil traumatisant, Nikou en profite également pour se moquer avec beaucoup de tendresse du non-sens institutionnel tout en y ajoutant un zeste d'amour bien particulier. Certes, cela fait beaucoup pour un seul film, mais le réalisateur parvient à l'équilibre avec une facilité déconcertante. Il faut dire aussi qu'il peut compter sur une très belle brochette de comédiens, tous parfaitement justes dans leurs interprétations. Bref, Apples est une petite bizarrerie de très grande qualité qu'il faudra absolument découvrir en salles le 26 janvier 2022.

 

photo ApplesUn film délicat et puissant

 

UNE MERE

Quand on pense à Karin Viard, on ne l'associe pas forcément au revenge-movie. Et pourtant, c'est ce cocktail surprenant que nous offre la comédienne Sylvie Audcoeur pour son premier film en tant que réalisatrice, Une mère. Cinq ans après la mort injuste de son fils, Alice découvre par hasard que le coupable est de nouveau en liberté. Sa vie détruite, son chagrin énorme, tout remonte à la surface avec un fort désir de vengeance. Alice met alors sur pied un plan redoutable pour, enfin, se faire justice elle-même.

Nous n'en dirons pas plus sur l'intrigue, tant la confrontation entre les deux personnages principaux est au coeur du film. Malheureusement, le film ne tient pas jusqu'au bout sa belle promesse d'un revenge-movie français porté par une grande actrice. La faute probablement à une petite frilosité, à l'égard du système peut-être, ce qui s'avère compréhensible dans une industrie fonctionnant majoritairement à l'étiquette et qui n'apprécie que moyenne que l'on sorte des cases qu'elle impose.

Et c'est fort dommage puisque Karin Viard est assez grandiose (surtout dans la première partie du métrage) dans ce rôle de mère brisée obligée de se déshumaniser pour enfin retrouver la paix. Face à elle, le jeune Darren Muselet compose un personnage fort, constamment sur le fil, bien plus profond qu'il n'y parait avec une très belle intensité qui lui réserve quelques beaux moments de tension.

Il est donc d'autant plus dommage qu'Une mère abandonne progressivement ce face-à-face pour s'empêtrer dans une évolution dramaturgique constellée de bons sentiments qui désamorcent la force de son propos initial. Néanmoins, le film est à découvrir, ne serait-ce que pour la performance intense de ses deux acteurs principaux et cette volonté de faire bouger les cases avec un talent indéniable. Sortie prévue en 2022.

 

photo Une mèreUn face-à-face plus que tendu

 

UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN

Deuxième entorse à la sélection officielle, mais on avait une bonne excuse, le premier film de Sandrine Kiberlain en tant que réalisatrice était projeté hors-compétition. Une jeune fille qui va bien est l'un des chocs du festival, voire l'un des chocs de cette année. Pas besoin de faire durer le suspense plus longtemps.

Avec cette histoire de comédienne qui tente d'entrer au conservatoire alors qu'un climat de plus en plus anxiogène s'installe autour d'elle, Sandrine Kiberlain nous livre une histoire terriblement personnelle sans pour autant tomber dans le piège narcissique et autoréférentiel de beaucoup de premières oeuvres. Bien au contraire même, elle s'efface totalement pour raconter le destin d'Irène, magnifiquement interprétée par l'incroyable Rebecca Marder, elle-même entourée d'une brochette de comédiens dans ce qui constitue probablement leur meilleur rôle récent (India Hair, Anthony Bajon...).

Tout ceci serait déjà bien joli si Une jeune fille qui va bien ne faisait pas preuve d'une très grande intelligence, tellement rare dans le cinéma français actuel. Qu'il s'agisse de sa mise en scène, très moderne, qui utilise la notion de hors-champs avec une efficacité redoutable, de sa ligne dramaturgique claire, propice à toutes les profondeurs nécessaires, de ses choix musicaux, surprenants, envoûtants, mais pourtant toujours en phase avec le propos, le métrage fait preuve d'une maitrise telle qu'on en vient à douter qu'il s'agisse réellement d'un premier film.

 

photo, Rebecca MarderVous n'êtes pas prêts !

 

Mais, comme si ça ne suffisait pas, Sandrine Kiberlain rajoute en plus une notion essentielle, terriblement difficile à maîtriser, un pari un peu fou et radical, qu'elle enveloppe de beaucoup de douceur et de délicatesse : le suspense. Dans sa forme hitchcockienne la plus pure d'ailleurs. Une fois que le spectateur aura compris où il se trouve (d'où notre résumé très superficiel, ne vous renseignez pas sur le film avant de le voir, vraiment), plus rien ne sera comme avant. Son rapport entier aux personnages sera modifié, dévoilant enfin la véritable intention du métrage : le spectateur, passif, est avant tout un acteur silencieux de ce qui se déroule devant ses yeux. Quelle formidable idée. À partir de cet instant, le film atteint une dimension inespérée.

Bref, vous l'aurez compris, Une jeune fille qui va bien a été un choc, un coup de et au coeur, un rendez-vous qu'il ne faut surtout pas rater le 26 janvier prochain. C'est important, c'est même essentiel par les temps qui courent. On savait déjà que Sandrine Kiberlain était une excellente comédienne. On sait à présent qu'elle est aussi une très grande réalisatrice.

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