Marvel : Black Widow a t-il vraiment été le grand désastre de l'année ?

Raphaël Iggui | 11 décembre 2021 - MAJ : 11/12/2021 22:04
Raphaël Iggui | 11 décembre 2021 - MAJ : 11/12/2021 22:04

Repoussée maintes et maintes fois, Black Widow est le premier Marvel à connaître une sortie en simultanée sur petit et grand écran. Un pari gagnant ? 

Premier film de la Phase 4 et première aventure solo d'un personnage longtemps relégué au second plan chez Marvel : Black Widow débarquait en terrain connu, mais pas forcément en terrain conquis. Contrairement à Thor - plus connu comme un dieu nordique qu'un super-héros -, ou Captain America : First Avenger jugé désuet, la veuve noire - déjà bien identifiée - paraissait pourtant être un pari moins risqué. Un double atout comme un double handicap. 

Apparue sous les traits de Scarlett Johansson dès Iron Man 2 (2010), Natasha Romanoff est ensuite revenue dans Avengers (2012), Avengers : L'Ère d'Ultron (2015), Captain America : Civil War (2016), Avengers : Infinity  War (2018), faisant même une incursion dans Captain America : Le Soldat de l'hiver (2014), avant de finalement tirer sa révérence dans Avengers : Endgame (2019). 

Le film réalisé par Cate Shortland se retrouve donc d'emblée confronté à un problème de continuité, qu'il résout en se situant après Civil War et avant Endgame. Il faut ajouter à ce premier frein l'image ambiguë de Black Widow, présentée tour à tour comme un faire-valoir ou une poupée-espionne sexy. Le tout dans un long-métrage retardé de plus d'un an à cause de la pandémie de Covid-19, motivant Disney à le sortir en simultanée dans les salles et sur sa plateforme Disney+.

Alors, stratégie gagnante ou balle dans le pied ? Sortez vos sourcils froncés et vos mines interrogatives, on va décortiquer tout ça. 

 

 

année blanche pour Veuve Noire

En termes de coûts de production, Black Widow aurait mis approximativement 200 millions de dollars sur la table. Une somme qui continue de déclencher des décrochages de mâchoires massifs, mais qui s'inscrit dans la fourchette budgétaire moyenne des Marvel (Captain Marvel et ses 175 millions, Black Panther et ses 200 millions...). Si on y ajoute les coûts marketing, gonflés par les multiples faux départs, le budget total de Black Widow avoisinerait les 350 millions de dollars. 

Une somme conséquente, mais qui s'élève presque à hauteur du box-office de Black Widow. Au total, le film aurait rapporté près de 379 millions de dollars depuis le 9 juillet 2021, dont 183 millions en territoire américain et près de 196 millions dans le reste du monde. À l'internationale, le film s'est donc pris une veste impressionnante qui ne saurait se justifier uniquement par les conditions sanitaires, puisque Fast & Furious 9 a récolté 548 millions à l'internationale sur la même période. 

 

photoLes vacances à Courchevel, ce gouffre financier

 

Au niveau national, Black Widow est cependant le plus gros succès de l'été devant Fast & Furious 9 et ses 173 millions, et le troisième plus gros succès de l'année derrière Venom : Let There Be Carnage (202 millions de dollars) et Shang-Chi et la légende des Dix Anneaux, sorti le 3 septembre sur le territoire américain, qui y culmine à 224 millions de dollars (206 à l'international pour un total de 430 millions de dollars).

Cependant, une position avantageuse dans un classement de fin d'année ne signifie rien en soi, un thon dans un étang représente l'équivalent d'une baleine pour un têtard (dicton austronésien). Avec ses 379 millions de dollars, le film dépasse son budget de quelques têtes réduites seulement et aurait dû atteindre au minimum 700 millions de dollars pour espérer se rembourser. Un manque à gagner qu'on peut en partie attribuer à la stratégie simultanée de Disney

 

photo"La fumée derrière ? C'est rienc'est les locaux Disney+"

 

 

Disney moins

Pour se prémunir de la crise du Covid-19 et des restrictions sanitaires, la firme a privilégié une stratégie de sortie simultanée sur Disney+, rendant cependant certaines nouveautés accessibles uniquement au moyen d'un abonnement premium (pour un coût supplémentaire de 29,99 dollars). Ainsi, si un film comme Free Guy a connu une exploitation exclusive en salles, ses camarades de Disney comme Cruella, Jungle Cruise et Raya et le dernier dragon ont tous connu les affres d'une sortie hybride.

Tous les deux budgétés à environ 200 millions de dollars hors coûts marketing, Cruella (sorti le 28 mai 2021 aux États-Unis) et Jungle Cruise (30 juillet 2021) ont tous les deux réalisé des scores aux alentours des 200 millions de dollars (233 millions au box-office mondial pour Cruella et 214 pour Jungle Cruise). Il n'y a guère que Free Guy qui tire son épingle du jeu, récoltant 330 millions pour un budget estimé entre 100 et 125 millions hors coûts marketing.

 

photo, Florence Pugh, David Harbour, Rachel WeiszAu casse-pipe en famille

 

La chute de fréquentation de 70% pour le deuxième week-end de Black Widow est sans doute attribuable à une multitude de facteurs (mauvais bouche-à-oreille, fans massivement réunis le premier week-end, etc.), mais la sortie du film sur la plateforme de streaming a certainement contribué à tenir les spectateurs hors des salles. Spectateurs qui pouvaient d'ailleurs le regarder autre part que sur Disney+. S'il faut déjà prendre en compte les pertes en salles, la sortie simultanée provoque souvent l'arrivée anticipée du film sur les plateformes de téléchargement illégal.

D'après le site Torrent FreakBlack Widow était le film le plus piraté lors de sa semaine de sortie. Un succès malheureux, en partie responsable de sa dégringolade lors de son deuxième week-end. Un manque à gagner que Scarlett Johansson a apparemment gardé en travers de la gorge, si l'on en croit le feuilleton avec Disney qui a suivi.

 

Florence Pugh"J'espère que souris savoir courir (à lire avec un accent russe qui tâche)"

 

Scarlett Johansseum

Le 29 juillet dernier, Scarlett Johansson déclenchait un coup de théâtre bien plus intéressant que les deux heures de Black Widow en déposant une plainte contre Disney pour rupture illégale de contrat. L'actrice estimait avoir subi un préjudice financier de près de 50 millions de dollars à cause de la décision unilatérale de Disney de rendre le long-métrage disponible sur Disney+, le jour de sa sortie au cinéma. Selon Cinema Blend, et d'après les chiffres présentés lors du procès, l'audience de Black Widow en streaming représenterait une manne de près de 125 millions de dollars (selon des méthodes de calcul tenues secrètes par la firme). 

Une stratégie simultanée qui a donc permis à Mickey de s'empiffrer de billets verts en attirant de nouveaux abonnés sur sa plateforme, mais représente une perte considérable pour les recettes du film, comme pour son actrice principale. Comme on l'évoquait plus haut, sa chute de fréquentation vertigineuse a sans doute amoindri les profits du film au box-office. Une perte qui se répercute directement sur le salaire de Johansson, qui comprenait un bonus inclus dans son contrat et calculé en fonction des recettes réalisées en salles. Pour Endgame, Robert Downey Jr. avait, par exemple, empoché plus de 55 millions de dollars rien qu'avec ce pourcentage, en plus de son salaire. Un pourcentage qui s'est retrouvé amputé par Disney pour Black Widow

 

Black Widow : photo"Bouge pas Scarlett, on va faire un prélèvement à la source"

 

Ce qui ne devait être qu'une petite guéguerre entre un studio et une vedette pour une histoire de pépettes s'est vite transformé en combat hautement symbolique pour l'avenir de l'industrie du divertissement. La généralisation d'une telle stratégie pourrait bouleverser les rapports de force entre studio et équipe créative au détriment de ces dernières. Johansson a ainsi reçu le soutien de nombreux acteurs essentiels de l'industrie comme Denis Villeneuve, engagé dans le même combat pour Dune et HBO Max, ou Gabrielle Carteris, présidente de la SAG-AFTRA, une puissante guilde soutenant les acteurs du petit écran. 

Si ce duel juridique aura au moins eu le mérite de pimenter l'été, il n'aura sans doute pas contribué à faire une bonne publicité au long-métrage, et surtout Disney, dont le communiqué cinglant à l'égard de l'actrice a été critiqué. Le succès bien plus important de Shang-Chi et la légende des Dix Anneaux en salles, avec son super-héros pourtant moins populaire que Black Widow, a achevé de convaincre la firme de faire machine arrière. Fin septembre, son PDG Bob Chapek annonçait que les contrats des acteurs seraient adaptés aux circonstances et début octobre, Johansson revenait chez Disney après qu'un accord sonnant et trébuchant ait été conclu. Le feu d'artifice qui nous était promis ne s'est avéré être qu'un petit pétard mouillé, à l'image de Black Widow finalement. 

 

Black Widow : photo, Florence PughL'important, c'est pas la chute....

 

La Veuve Foire 

On l'évoquait déjà dans l'introduction, mais Black Widow a sans doute pâti du timing de sa sortie. Déjà, parce que sortir un blockbuster en pleine pandémie, c'est tiré des conditions sanitaires drastiques dans le pied de son exploitation. Mais surtout parce que le film semble sorti de nulle part, tel un OAV (Original Animation Video), ces épisodes indépendants des animes japonais qui apportent une sorte de bonus sans perturber ou renouveler la trame principale. 

Black Widow se place donc dans une période post-Civil War (2016) mais chronologiquement antérieure à Avengers : Endgame (2019). Deuxième film Marvel après la grande conclusion de la Phase 3, succédant à Spider-Man : Far from Home (2019). Le film se présente ainsi comme l'aventure solo d'un personnage qui ne jouissait pas d'une aura particulière et qui se trouve être complètement décédé depuis deux ans. Ainsi, le film n'a aucun impact sur le MCU, passé ou présent. 

 

Black Widow : photo, Scarlett JohanssonWalking Dead

 

Et ce n'est pas l'introduction du personnage de Yelena Belova (Florence Pugh) comme successeure de Natasha Romanoff en tant que Veuve Noire qui pouvait relever l'intérêt du film, la première version du personnage n'ayant jamais vraiment été installée durablement dans l'esprit du public. À la manière de son collègue Hawkeye, la tueuse à la froideur sibérienne aurait peut-être connu des aventures plus intéressantes sur le petit écran, à l'image des séries Marvel ouvrant la Phase 4 du MCU :  Wandavision (janvier 2021), Falcon et le Soldat de l'Hiver (mars 2021), et Loki (juin 2021).

Des shows plus ou moins qualitatifs, mais déjà plus raccord avec la chronologie Marvel que les trois films sortis sur grand écran : Black Widow donc, mais aussi Shang-Chi et la légende des Dix Anneaux en septembre et Les Éternels en novembre. Les deux derniers ont introduit de tout nouveaux personnages, pratiquement inconnus du grand public, mais qui - eux - s'avéreront cruciaux pour le reste de la Phase 4.  Deux cas de figure complètement différents de celui de Black Widow, qui n'a décidément pas choisi son année (il avait choisi 2020 à la base, mais vous connaissez la suite). 

 

photo, Florence Pugh, Scarlett Johansson"Va falloir bastonner Angelina Jolie aussi ?!"

 

Covid partout, pépettes nulke part

Finalement, si les performances de Black Widow au box-office mondial sont clairement insuffisantes pour parvenir à rembourser son budget, difficile de qualifier son score d'échec. La pandémie de Covid-19 et les restrictions sanitaires strictes qui en ont découlé ont considérablement handicapé l'exploitation des films à travers le globe. Pour rappel, le plus gros succès de l'été 2020 était Tenet avec 363 millions de dollars dans le monde (dont 58 aux États-Unis).

Un score à quelques encablures de Black Widow, qui reste le troisième plus gros succès du box-office US cru 2021 (à l'heure de la publication de cet article), et bon dixième dans le monde. Les numéro 1 et numéro 2 mondiaux sont d'ailleurs The Battle at Lake Changjin (895 millions) et Hi Mom (841 millions), deux productions chinoises qui y ont réalisé près de 99% de leur box-office. Être rentable sur son propre territoire, un horizon que beaucoup de blockbusters US ont arrêté de viser depuis longtemps. 

 

Black Widow : photo, Florence Pugh, Scarlett JohanssonDroit dans le mur, plein gaz

 

Surtout, à l'image de plusieurs compagnons d'infortune estampillés Disney ou Warner Bros. (The Suicide Squad, Mortal Kombat, etc.), Black Widow a fait les frais du crash-test de la stratégie simultanée envisagée par plusieurs grands studios américains. Une stratégie destinée à parer les difficultés posées par la pandémie de Covid-19, mais qui permet également aux mastodontes du divertissement de se placer dans la course au streaming légal face aux géants comme Netflix, Amazon Prime Video... Depuis, la stratégie du studio a d'ailleurs changé de modèle avec une exploitation en salles désormais réduite à 45 jours, suivie du passage du film sur Disney+.

À ce titre, le feuilleton juridique entre Scarlett Johansson et Disney ne doit pas être considéré comme un cas isolé, mais bien comme un symptôme de la reconfiguration des rapports de force liée au déploiement de cette stratégie. Toutes les équipes créatives ne peuvent pas la jouer à la Christopher Nolan, pouvant claquer la porte d'un studio comme bon leur semble.

Tout savoir sur Black Widow

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commentaires
rafe547
12/12/2021 à 09:31

ça faisait film pour netflix, même si je n'ai pas trouvé le film mauvais, mais bon j'ai été un peu déçu, j'en attends plus.

fr
12/12/2021 à 00:49

film inutile....

Mika
11/12/2021 à 21:46

J'ai commencé par lire tous vos titres d'affilée ... et bravo ! xD

Toto fx
11/12/2021 à 18:56

Le film est sortie trop tard de deux deux ans est black w

Tom’s
11/12/2021 à 15:59

Film à peine regardable, additionner les talents et leur faire jouer n’importe quoi et débiter des dialogues inepte( scene du repas) l’humour si on peu dire, l’impression d’un laxisme total, il ne faut pas oublier une chose le Studio s’est lancé dans le Ciné mais n’y connais rien, pas de culture, de bonnes ref’, de construction souvent.

Arnaud (Le vrai)
11/12/2021 à 15:39

Apres ce film a eu le malheur de sortir en pleine pandemie, ca complique pas mal l'analyse

Personnellement je dirais pas que c'est nul, pas du tout meme. Juste c'est oubliable. Et surtout, c'est sorti bien trop tard. Plus d'enjeu connaissant le futur du personnage, l'envie de passer a l'apres Thanos apres Endgame, et un sentiment de surfer sur la tendance woke pro-feministe alors que si ce film etait sorti 3 ou 4 ans plus tot ca aurait eu beaucoup plus de sens.
On sent l'effet succes de Wonder Woman et forcement ca baisse l'interet du film

En gros un film qui aurait gagné a sortir quelques années avant, mais qui n'aurait jamais trusté les places des meilleurs films du MCU

T.
11/12/2021 à 15:23

@Victeam

Relis l'article correctement et tu découvrira qu'un film est marketé et que ça coûte très cher.

Kyle Reese
11/12/2021 à 15:15

En fait j'en avais rien à faire de Black Widow dans les Avengers, vu la place qu'elle avait, mais j'ai pourtant été voir le film alors que je ne suis pas fan des Marvel pour son actrice avant tout, et je n'avais pas été déçu. C'était une chouette aventure solo avec un coté très humain. Pas de Thanos, pas de super pouvoir ou si peu. Un bon duo d'actrices, une bonne histoire centré sur une famille "fake", défaillante avec une belle mise en abime de certaines idéologie plutôt masculine, le pouvoir, le contrôle etc. Oui le film aurait dû se faire avant les derniers Avengers mais bon, maintenant on peut le voir avant et la mort de BW prend plus de signification.
Sans la diffusion simultané, et le piratage qui en a découlé je pense qu'il aurait pu récolter bien plus. 100 millions sur le sol US et au moins 100 autres millions à l'étranger.

Mick
11/12/2021 à 15:14

"Finalement, si les performances de Black Widow au box-office mondial sont clairement insuffisantes pour parvenir à rembourser son budget"

Ben je pousse un gros ouf de soulagement, on va sans doute s'éviter de subir une suite à ce téléfilm. Il a bon dos le contexte sanitaire pour expliquer l'échec d'un film. Dans ce cas, il faut arrêter de se moquer du monde, ce truc ne méritait certainement de sortir au cinéma,

Flo
11/12/2021 à 13:00

… alors que c’est dans son film qu’elle y est enfin un leader (bien grave), n’ayant pas l’autorité d’un Rogers ou d’un Fury pour lui voler la vedette, pour une fois ?
C’est un peu maigre, ce rabaissage continu et automatique de ce film, mais il faudra faire avec… c’est son « identité officielle », si on veut.
Ça ne veut pas dire que ça soit juste, à la mesure de ses ambitions (plus sombres et intimistes).

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