The Flash : le cinéma va mal, et c'est la preuve ultime

Antoine Desrues | 19 juin 2023 - MAJ : 20/06/2023 09:40
Antoine Desrues | 19 juin 2023 - MAJ : 20/06/2023 09:40

The Flash est un tel bordel d’intertextualité qu’on peut se demander à quel point on peut encore parler de cinéma. Décryptage.

Notre critique du désastre The Flash

“The Flash nous rappelle pourquoi on va au cinéma”, peut-on voir sur les affiches françaises de l’arlésienne de DC. Une assertion quelque peu étonnante, car au-delà de la laideur technique du film, indigne du grand écran, The Flash peut être perçu comme une négation de cinéma. Pas tellement pour sa dimension de roller-coaster gériatrique qui donnerait de l’urticaire à Martin Scorsese, mais pour sa vision de ce qu'est un “objet film”.

On oublie souvent que le fameux “Ceci n’est pas une pipe” de René Magritte porte en réalité pour titre La Trahison des images. Difficile de trouver plus approprié pour qualifier la promesse d’Andy Muschietti et de Warner. En voyant The Flash, on en vient à la conclusion que “ceci n’est pas un film”, mais un amalgame d’images ranimées et mélangées, qui ne tentent jamais d’exister par et pour elles-mêmes.

A priori, rien de nouveau sous le soleil, surtout à l’heure où la plupart des blockbusters s’inscrivent dans des franchises interconnectées qui se répondent d’épisode en épisode. Mais The Flash a quelque chose de définitif en la matière, planqué derrière l’excuse déjà lassante du Multivers pour diagnostiquer un serpent super-héroïque qui se mord la queue.

 

 

Les dérives de l'intertextualité

En une bonne décennie de suites, remakes, reboots et univers étendus, Hollywood a habitué le public à une forme accrue d’intertextualité, cette relation qu’une œuvre entretient à d’autres œuvres. Bien évidemment, la notion en elle-même a toujours été présente au cinéma. Il est inévitable qu’un film se nourrisse de références via une inspiration picturale, un raccord identifiable, ou un hommage à un autre plan.

Pour autant, le recyclage et autres résurrections intempestives de sagas (Star Trek, Star Wars, Jurassic Park...) a engendré désormais une autre forme d’intertextualité, surnommée par le vidéaste Evan Puschak (The Nerdwriter) “intertextualité instrumentalisée”. Il n’est plus seulement question de relier des idées, des notions ou des codes, mais d’amener une réaction émotionnelle par la simple réutilisation de référents. Du retour d'Han Solo dans Le Réveil de la Force à celui de l'Ecto-1 dans SOS Fantômes : L’Héritage, le passé devient une suite de pièces de musée à exhiber sous le vernis rassurant de la nostalgie.

Le véritable problème de cette démarche, malgré le cocon rassurant qu’elle promulgue (et qui fonctionne régulièrement, ne nous mentons pas), c’est que l’intertextualité devient une fin en soi. L’émotion que devrait offrir un film au travers de sa structure narrative, de son propre développement d’un univers et de sa mise en scène se contente bien souvent de ce substitut. Or, celui-ci ne peut atteindre son but qu’en s’adressant à un public averti, qui réagit tel un chien de Pavlov aux stimuli qui lui sont donnés d’autres œuvres.

 

The Flash : photo, Ezra Miller, Sasha CalleÇa pique les yeux comme un oignon

 

Le long-métrage perd toute autonomie, et se révèle bien pauvre pour les spectateurs qui “n’auraient pas la réf”. On en veut pour preuve le ridicule de l’apparition d’Andrew Garfield dans Spider-Man : No Way Home, qui met en pause le montage et la conversation en cours dans le but de laisser de l’espace aux applaudissements attendus. Mais passée la surprise et le visionnage en salle, l’effervescence est troquée pour un étrange silence, qui semble d’ores et déjà obsolète.

Là où The Flash se montre encore plus extrême, c’est que le film met en abyme cette intertextualité, en faisant de Barry Allen un spectateur qui voyage de dimension en dimension (ou plutôt de film en film), comme les ados de Ready Player One qui revisitaient Shining. Néanmoins, Spielberg tirait de cet exercice de réécriture un véritable plaisir ludique permis par les outils numériques, au point d’offrir une certaine poésie à cette nécromancie cinématographique. A l’inverse, The Flash est mort-vivant, et essaie de tirer au spectateur un souvenir proustien malhonnête par la simple exhibition du Batman de Michael Keaton, de sa Bat-cave, de ses Bat-gadgets et de ses Bat-répliques (“You wanna get nuts ? Let’s get nuts”), transformés en simples reliques sorties de leur contexte.

 

Photo Michael KeatonC'est l'heure d'applaudir

 

Batman Forever and ever

A la réflexion, on en viendrait presque à réhabiliter la maladresse de No Way Home, qui peinait à dissimuler son clin d’œil géant aux précédentes itérations de Spider-Man. Mais au moins, le Peter Parker de Tom Holland apprenait quelque chose de cette rencontre avec ses homologues, et permettait même au passé d’être réécrit en soignant des méchants jusque-là contraints à une mort inévitable.

Spider-Man faisait face à la fatalité de son existence, et évoluait dans l’immensité du Multivers. Paradoxalement, un personnage aussi mouvant que Flash est contraint à la stagnation, et se contente d’être un passager trimballé d’un bout à l’autre de son film par des pancartes venues faire coucou pour donner au public connaisseur sa dose de dopamine.

 

The Flash : Batman aide les FlashEn route dans le Batwing de la nostalgie

 

Mais surtout, cette intertextualité semble privée de la stratégie hollywoodienne qui a fait jusque-là son succès. Warner a déjà désacralisé tellement d’éléments de la mythologie DC qu’il ne lui reste plus grand-chose, et Andy Muschietti se contente de fonds de tiroir qui ne parlent plus qu’à une poignée d’irréductibles (George Clooney, sérieusement ?).

Le principe même du twist ou du caméo surprise sorti d'un Kinder l'emporte sur son contenu. La référence en est d’autant plus absconse et désespérée qu’elle ne procure plus aucune réaction émotionnelle. Chaque plan sur Batman a beau marteler le thème mythique de Danny Elfman, il est impossible de voir autre chose qu’un pauvre Michael Keaton vieillissant, engoncé dans un costume ringard avant d’être transformé en doublure numérique.

A partir de là, il est presque fascinant de voir le film lâcher la bride, jusqu’à proposer une intertextualité qui ne se réfère plus à des œuvres préexistantes, mais à des fantasmes jamais assouvis (le Superman avorté de Tim Burton, avec Nicolas Cage). A qui ce passage est-il censé s’adresser, à part aux cinéphiles qui ne manqueront pas d’y trouver une forme de validation de leur savoir ? La vacuité de ces scènes n’en est plus que flagrante, tant elles brassent du vent qui laisse sur la sellette une bonne partie des spectateurs. C’est dire à quel point, face à l’inventivité d'une certaine concurrence (Across the Spider-Verse), The Flash pointe du doigt la fin du genre super-héroïque dans sa forme actuelle, tellement préoccupée à se forcer une place dans le canon de sa marque qu’il en oublie de raconter une histoire.

 

The Flash : Photo Michael Shannon"Eh mais je le connais lui"

 

Photo sans Flash

Et en même temps, on peut le comprendre au vu de la production chaotique de The Flash, pensé à l’origine pour rebooter l’univers de DC inauguré par Zack Snyder au travers d’une relecture du comics Flashpoint. Sauf qu’entretemps, le SnyderVerse a été enterré par Warner, la Covid-19 a retardé les festivités, et Ezra Miller a connu ses fameux déboires avec la justice. The Flash est un embryon foutraque qui se cherche une identité, tentant de réécrire Man of Steel (mais sans Henry Cavill) avant d’admettre qu’il plante l’ultime clou dans le cercueil du DCEU.

Au cas où le récit ne piétinait pas assez, les acteurs de la Justice League se permettent un caméo pour faire leurs adieux dans un dernier tour de piste tristoune (sauf Cyborg, suite à l'expérience désastreuse que l’acteur Ray Fisher n’a cessée de dénoncer sur les réseaux sociaux).

 

The Flash : photo, Ezra MillerC'est toujours mon film ?

 

Il y a donc deux pôles dans The Flash : celui de l’intertextualité, et celui du paratexte, c’est-à-dire tout ce qui entoure l’œuvre en elle-même (de ses coulisses à sa promotion en passant par son contexte de sortie). Or, le film et son appréciation ne peuvent qu’être conditionnés par la connaissance que chaque spectateur a de cette arrière-boutique infernale. Il faut bien cela pour expliquer les facilités d’écriture, les trous béants du scénario et la sensation désagréable de surplace d’un final incapable de prendre une décision franche quant à l’état de son univers étendu.

Contrairement à la satisfaction que pouvait procurer Avengers : Endgame, qui se donnait pour mission principale de conclure des arcs narratifs étirés sur une décennie, The Flash ne va nulle part, perdu qu’il est à se demander s’il est une suite, un reboot, ou une impasse dans les grands plans de Warner.

Voilà pourquoi il n’est plus possible de parler de film.

Ce qu’est parvenu à réaliser Andy Muschietti, c’est une périphérie de film, un machin tellement post-moderne et méta que l’émotion qu’il suscite ne peut exister qu’en dehors du cadre. The Flash est du pur hors-champ, dont les images trahissent – pour reprendre les termes de Magritte – ce qu’elles y mettent en scène. Du signe sans signifiant. Ceci n’est pas Batman. Ceci n’est pas Supergirl. Ceci n’est pas Zod. Et ceci n’est plus un film de super-héros.

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commentaires
007boy
20/06/2023 à 11:23

Flash est un bon film.... En tout cas supérieur aux navets français que 90% de la presse soutient.

Malavita
19/06/2023 à 15:59

Après Flash je suis allée au Flunch en bagnole et je me suis fait flashé les gendarmes m'on dît vous roulez comme une flèche j'ai répondu non comme flash 18 mois de prison avec sursis et retrait du permis j'ai mis zéro étoiles film nul

Flo
19/06/2023 à 14:38

Non : "The Flash" ne représente pas Tout le Cinéma. Juste une petite partie, un peu plus exposée, foraine et Tout Public.
Mais il reste des centaines d'autres films, moins budgétés mais plus équilibrés (ceci explique cela) qui sont de fiers représentants, intellectuellement glorifiés etc...
Et on en parle, de ces films. Ce qui fait que le Cinéma va encore très bien - la lourdeur des protocoles de tournage, les intermédiaires, la difficulté de représenter des concepts venus de bouquins, la précipitation qui amène à des changements de dernière minute... ça ne concerne pas tout le monde. Juste les stars, auteurs ou pas.

Prometheus
19/06/2023 à 14:29

Quand un film a un budget de dizaines ou centaines de millions, il est rarissime qu'il échappe à son statut de produit financier avec tous les compromis et les mauvais choix qui vont avec.

Moi ce qui me désole c'est de voir que c'est un modèle économique qui a décidé de la gestion du DCU. Les films auraient très bien pu être conçus indépendamment et fonctionner pour ce qu'ils étaient, comme Superman 1 ou le Batman de Burton. Au lieu de ça, ils ont été dès le départ décidés et fabriqués pour coller au projet d'univers étendu. Un projet artificiellement construit, en réaction à la réussite économique de Marvel. C'est affligeant de fainéantise. Dans ce modèle, rien n'est véritablement incarné, rien n'a d'enjeu, c'est du marketing à 100% avec tout le cynisme et la malhonnêteté intellectuelle qui vont avec. C'est triste car ces films aspirent des budgets colossaux qui pourraient être affectés à des œuvres plus différenciées, plus originales et à l'intérêt plus durable dans le temps.

Le dernier bluray que j'ai acheté, c'est Dune. Avant, c'était Tenet. Et avant, Avengers Endgame. On est loin de l'époque où j'achetais 2 ou 3 Dvds par mois avec des films comme Contact, Bienvenue à Gattaca, Moulin Rouge,, Gladiateur, Zodiac ou V pour Vendetta...
La période 90/2000 est autrement plus variée et qualitative qu'aujourd'hui.

Kyle Reese
18/06/2023 à 23:43

@ Altaïr Demantia

Très intéressant point de vue. Je n’ai pas vu le film, enfin l’oeuvre, ah non, le produit. Je voulais croire à un bon film malgré cette gestation infernale. A priori il n’en est rien. Je vais au cinoche pour voir des films et où des experienced incroyables, cinématiques, signifiantes, inspirantes etc et de ce que je lis un peu partout The Flash ce n’est rien de tout ça. C’est juste un produit mal bricolé, mal né depuis le début pour un résultat à priori totalement vain. Ok c’est « autre » mais si c’est sans intérêt aucun a quoi bon aller le voir. Je précise que je voulais y croire car j’ai bcq aimé les films de Snyders du DCEU . Mais là on ne parle plus de film donc … à quoi bon.

IronLord
18/06/2023 à 23:40

Perso, pour moi, le naufrage a commencé avec Endgame . C’est depuis ce film que je me déplace rarement au cinéma. Un comble pour un cinéphile. Quand je vois les films d’aujourd’hui, j’ai l’impression de revenir aux années 90 avec les World Appart tentant de nous faire croire qu’ils ont réinventé Goldman. Je me lasse des suites, reboot et autres machines à frics. Même Avatar 2 est bof, tout juste regardable.
Messieurs du cinéma, ont veut du neuf, du renouveau. Arrêtez de nous dicter notre imagination et créez! Créez à nous en faire rêver

PatrickJammet
18/06/2023 à 22:51

Pour moi la question est est-ce que la poupée célébrissime de chez Mattel (Scrabble), Barbie va rapporter le 1Md qu'Hollywood espère tant pour 2023 ? Parce qu'apparemment, Flash ne le fera pas. "Tout en sachant que la côte à Margot Robbie est pas superstar". N.B: Ma Barbie (de ma sœur) était stylée à la Small Soldiers; un film -relativement bon, d'ailleurs, à l'occase ?

Time
18/06/2023 à 20:53

Le scandale de ce film c'est d'utiliser la musique de pink Floyd

Coin coin beurk
18/06/2023 à 18:16

Très bien se film

Altaïr Demantia
18/06/2023 à 16:21

Je me permets de citer la fin de cet article pour le commenter.

"Voilà pourquoi il n’est plus possible de parler de film.

Ce qu’est parvenu à réaliser Andy Muschietti, c’est une périphérie de film, un machin tellement post-moderne et méta que l’émotion qu’il suscite ne peut exister qu’en dehors du cadre. The Flash est du pur hors-champ, dont les images trahissent – pour reprendre les termes de Magritte – ce qu’elles y mettent en scène. Du signe sans signifiant. Ceci n’est pas Batman. Ceci n’est pas Supergirl. Ceci n’est pas Zod. Et ceci n’est plus un film de super-héros."

Je suis 100% d'accord avec l'article et même avec la conclusion. Juste j'ai envie de rétorquer à Antoine Desrues: Où est le problème ?

Les blockbusters et notamment ceux mettant en scène des super-héros ne sont pas des objets filmiques à part entière. Ils font partie d'un tout plus vaste. Le film c'est ce qu'on voit à l'écran mais aussi tout le reste et notamment ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Le cadre du film est désormais débordé et l'essentiel ne se trouve plus dans l'image rectangulaire qui bouge.

Un film de ce genre aujourd'hui c'est des terra octets de thérories, de discussions, de références cachées, de liens avec d'autres oeuvres sur tous les supports, etc, etc.

Comme Avenger Civil war n'a pas grand chose à voir avec le comic book éponyme, The Flash qui fait référence à Flashpoint n'a pas non plus grand chose à voir avec le comic book dont il est librement tiré.

Je pense vraiment que les studios qui fabriquent ces blockbusters ne connaissent plus rien au cinéma parce que les dirigeants ne sont plus des producteurs à "l'ancienne" mais des financiers. Je pense aussi que nous n'avons plus à faire avec des artistes mais à des équipes de créatifs, que le marketing est l'alpha et l'omega du processus créatif et qu'on a évacué l'artistique parce qu'il est incompatible avec la logique financière derrière les studios de productions actuels. Comme la robotique remplace de plus en plus de métiers dans tous les secteurs du monde du travail, dans le blockbuster on automatise tout au travers d'une atomisation des équipes de tournage et des techniciens des effets spéciaux sur lesquels ces films reposent essentiellement. Ces techniciens sont éparpillés partout dans le monde et leur travail est taylorisé et algorithmisé.

Ce système de production au mains de gens qui ne connaissent rien au cinéma ne se préoccupe pas de la qualité filmique de l'objet fini, ce n'est pas son sujet. Pour ce système l'objet film est une des composantes du blockbuster. Les réseaux sociaux et la théorisation sans fin des "geeks" cinéphiles en sont une autre. La presse spécialisée qui fait 10 articles sur ces non-films en est une autre, les vidéos "behind the scènes", les teasers, les trailers, les scènes diffusées en exclusivités sur Youtube, en sont une autre. Tout le matériel marketing massif distribué autour de la sortie d'un film qui va de la rumeur d'un film, en passant par sa mise en production, en passant par les nouvelles du tournage jusqu'à la critique finale des sites spés et autres vlogs sur Youtube en sont encore une autre.

Un film blockbuster n'est plus un film, c'est autre chose. C'est un film qui vit plus dans la tête des gens que quelque chose qui existe concrètement. ne voit-on pas de plus en plus de films qui auraient pu être mais qui n'ont pas été et qui pourtant développent tout un imaginaire souvent plus riche que ce qu'aurait donné un film tourné ?

Si l'article est pertinent, il se crashe sur le fait que l'auteur ne semble pas prendre en compte que les blockbusters ne sont plus des films, certe, mais que ce n'est pas un problème en soi.

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