Les 101 Dalmatiens : avant Cruella, le film Disney qui a lancé la sale mode des remakes

Déborah Lechner | 20 juin 2021
Déborah Lechner | 20 juin 2021

Retour sur Les 101 Dalmatiens, le premier vrai remake live de Disney avec Glenn Close, Jeff Daniels, Joely Richardson, Hugh Laurie, Mark Williams et surtout beaucoup, beaucoup de chiens.

Même si Le Livre de la Jungle de 1994 peut être considéré comme le premier remake en live action d'un long-métrage animé chez Disney, le film réalisé par Stephen Sommers s'éloigne énormément du classique d'animation éponyme, contrairement aux 101 Dalmatiens de 1996, à qui revient de ce fait "l'honneur" d'être le premier vrai décalque du studio.

Avant que la cadence s'emballe à partir du Cendrillon de 2015, c'est donc le long-métrage en prises de vues réelles réalisé par Stephen Herek et écrit par John Hughes qui a dégagé la voie. Et il a surtout posé les bases d'une nouvelle stratégie commerciale et d'un nouveau plan créatif, qui après La Belle et la Bête, Le Roi LionDumbo ou La Belle et le Clochard sera responsable du prochain Cruella

 

photoStress post-traumatique

 

LES ORIGINES DU MAL

Avec la multiplication de ses rachats (Marvel, Lucasfilm, Fox, Pixar) et son entrée dans la guerre du streaming et du contenu en masse, l'opportunisme commercial de Disney peut paraître de plus en plus omniprésent, mais la société a toujours su exploiter ses propriétés sur le long terme, en particulier ses classiques d'animation, pour réactualiser continuellement son répertoire et en tirer de nouveaux bénéfices. Un système de recyclage bien rodé et une machinerie marketing parfaitement huilée, qui ont permis à la compagnie de bâtir son empire économique et d'entretenir sa légende. 

Sans jamais se défaire de la vision entrepreneuriale héritée de son fondateur, Disney est d'abord passé par les suites de courts-métrages puis par les ressorties au cinéma (Les 101 Dalmatiens est repassé quatre fois en salles). Il y a ensuite eu les copies physiques pour remettre périodiquement les films sur le marché (avec un record pour la VHS du Roi Lion en 95) et plus récemment les remakes en live action, dont certains dépassent le milliard de dollars au box-office mondial. 

 

photoPas de repos pour Pongo

 

En parallèle de la production frénétique de suites DTV au rabais à partir de 1994 (on en parle en détail ici), c'est notamment Joe Roth, ancien président du Walt Disney Motion Pictures Group et PDG de Walt Disney Studios, qui a senti ce nouveau filon reposant lui aussi sur la nostalgie du public et leur assimilation des oeuvres. 

Grâce à ses films d'animation qui ont façonné son imagerie et lui servent de sceau, Mickey n'a pas fini de se manger la queue et de s'auto-féconder. On aura bientôt droit à une série spin-off sur Gaston et LeFou avec les acteurs de La Belle et la Bête, une suite pour Aladdin et Le Roi Lion et tout un tas de remakes plus ou moins engageants : La Petite SirènePinocchioPeter Pan & WendyLilo & Stitch, Bambi...

Il n'est donc pas si étonnant qu'après deux films d'animation, deux longs-métrages en live action et deux séries animées, la franchise des 101 Dalmatiens ait trouvé un nouveau moyen d'attirer l'attention, avec cette fois un prequel sur son personnage le plus emblématique. En remâchant ses plats signatures, Disney ne vend pas plus un nouveau film qu'une marque et une identité, lui permettant d'ancrer son univers dans la culture populaire et l'imaginaire collectif.
 
 

Joely Richardson, Jeff DanielsJoely Richardson et Jeff Daniels

 
 
Même si Mulan, Maléfique ou même le prochain Cruella s'éloignent du dessin animé dont ils sont tirés, les films gardent des marqueurs très forts comme l'apparence des personnages, la musique, les répliques ou la composition de certains plans iconiques, dans une pure tradition d'auto-citation. Cette habitude sert aussi à annihiler les contes et oeuvres littéraires dont beaucoup de Disney sont librement adaptés, pour en devenir les propriétaires et créateurs officieux.
 
Tout comme La Belle et la Bête a ramené aux mémoires le conte tel que Disney l'a raconté et illustré en 1991, Les 101 Dalmatiens de 1996 a suivi cette logique patrimoniale en renforçant l'imaginaire autour de la franchise, qui a un peu plus éclipsé le roman de l'écrivaine Dodie Smith en imposant ses totems.
 

 

Photo Cruella"Et toi Mickey, tu as plutôt le poil dur ou souple ?" 

 

300 MILLIONS D'AMIS

Du côté des films en live action, Walt Disney Pictures a pondu autant, voire plus, de productions oubliées et oubliables que de pépites compétitrices en salles. Loin d'être un chef-d'oeuvre, Les 101 Dalmatiens a toutefois été une belle opération financière avec 320 millions de dollars au box-office mondial (hors inflation), devenant le sixième plus gros succès de l'année, derrière Le Bossu de Notre-Dame.

Malgré tout, le studio n'était pas encore une fabrique à blockbusters milliardaires et lui a donc alloué un budget estimé à 67 millions de dollars, bien supérieur aux autres films live, mais inférieur à ceux du Bossu de Notre-Dame (100 millions) et d'Hercule (85 millions) sorti sept mois après. 

 

photoJour de paye chez Disney

 

En plus de son ouverture le week-end de Thanksgiving qui a battu des records, le film a bénéficié de la puissance marketing du studio, avec une campagne promotionnelle largement plus appuyée qu'à l'ordinaire et près de 17 000 articles mis en vente pour faire raquer les parents, lui réservant ainsi un traitement plus proche des classiques. Et comme le succès du Roi Lion en 2019, celui des 101 Dalmatiens repose en partie sur la popularité de son prédécesseur.

À sa sortie en 1961, le film réalisé par Clyde GeronimiHamilton Luske et le Sage Wolfgang Reitherman a enregistré le plus gros box-office de l'année et reçu des critiques élogieuses. L'ancien président du groupe Walt Disney Motion Pictures, Dick Cook, a même déclaré des années plus tard que le long-métrage avait toujours été un des films les plus populaires du studio, ce qui faisait de lui le candidat idéal pour une remise en circulation.

 

photoLes 101 Dalmatiens de 1961 

 

Encore plus avec tout plein d'adorables vrais toutous dedans, parce que ça attendrit le public sans faire grand-chose et que ça fait de chouettes peluches et impressions sur pyjamas et housses de couette. Comme Universal Pictures avec Beethoven au début des années 90, Disney avait aussi tenté de monter des franchises canines avec Fidèle Vagabond dès 1957 et sa suite sortie en 1963, la même année que L'Incroyable Randonnée, avant son remake L'Incroyable Voyage en 1993 et sa suite en 1996, la même année que Les 101 Dalmatiens. Sans oublier un an plus tard le lancement de la franchise Air Buddies avec le premier Air Bud ou même Le Chihuahua de Beverly Hills et ses deux suites dans les années 2000 et 2010. 

Le réalisateur Stephen Herek (Les Petits championsLes Trois Mousquetaires) a ainsi choisi de faire appel à de vrais chiens sur le plateau de tournage près de Londres. Les caméras ont donc vu défiler près de 300 chiots dalmatiens selon le producteur Edward S. Feldman qui a expliqué qu'ils ne pouvaient être filmés que lorsqu'ils avaient cinq ou six semaines, "au moment où ils étaient le plus mignons". Et s'il y a effectivement une chose à retenir du film, c'est bien qu'il est mignon tout plein. 

 

photoSi les chats règnent sur Internet, les chiens dominent Hollywood 

 

RAYON SURGELÉs

À l'instar du plus modeste La Belle et le Clochard de 2019, Les 101 Dalmatiens n'a pas été un chantier colossal ou un enjeu majeur pour Disney (contrairement à Aladdin ou au Roi Lion). Le film reste pourtant en parfaite adéquation avec le reste du catalogue Disney et respecte le tacite contrat de confiance qui lie la firme à son public en lui livrant une énième gentille et consensuelle comédie familiale, plutôt bien emballée.

Si la caméra ne capture rien de bouleversant, la volonté du John Hughes de ne pas faire parler les animaux oblige plus souvent la mise en scène à faire preuve d'inventivité pour s'adapter à la "gestuelle" et au point de vue des chiens et autres bêtes. En plus de pouvoir s'appuyer sur quelques animatroniques de Jim Henson et effets numériques, mais surtout le fait qu'une large partie du public connaît déjà l'histoire et n'a donc pas besoin de la décrypter.

Comme dans Maman j'ai raté l'avion avec le duo de Joe Pesci et Daniel Stern, le film dégage une énergie cartoonesque grâce à ses gags potaches autour de Jasper et Horace, incarnés par Hugh Laurie et Mark Williams. Jeff Daniels et Joelly Richardson, quant à eux, insufflent une certaine fraîcheur à l'ensemble, leur couple ayant eu droit à quelques scènes supplémentaires pour installer davantage leur complicité.

 

photoLove stories

 

De manière globale, les acteurs cabotinent pour faire rire les petits à grands coups de grimaces, mais jamais aussi efficacement que Glenn Close, magistrale dans les tenues outrancières de Cruella. Le personnage étant par essence caricatural et excessif, le cabotinage était nécessaire pour respecter son identité et ne pas en faire une personnalité lisse, rarement compatible avec les standards des méchantes Disney. Sa performance lui a d'ailleurs valu d'être nommée pour le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie.

L'affiche le suggérait déjà fortement, mais Cruella est la véritable vedette du film, celle qui dispose du plus de charisme et donne du relief à l'histoire, reléguant Pongo et Perdita aux rôles secondaires. Après le succès de Maléfique et l'engouement du public pour les histoires de méchants, l'arrivée de Cruella en salles et l'abandon des 101 dalmatiens dans la distribution paraît donc être une évolution logique, l'identité de la franchise reposant presque entièrement sur sa figure antagoniste.

 

photoHugh Laurie et Mark Williams

 

Pour son remake, le scénariste a cependant choisi d'adapter le récit à son époque en le transposant dans les années 90, avec comme principal changement la profession de Roger, qui passe de musicien à concepteur de jeux vidéo. De son côté, Anita gagne en profondeur en travaillant pour la maison de couture de Cruella. Établir ce rapport hiérarchique permet ainsi de mieux accepter la passivité du personnage face aux insultes de sa supérieure, qui n'est plus une simple amie d'enfance despotique.

Pourtant, le film oscille entre modernisation et traditionalisme en étalant ses sacro-saintes valeurs familiales catholiques, dont les chiens sont les parfaits vecteurs. En porte-étendard de l'idéal social made in USA et du bonheur formaté, Les 101 Dalmatiens fait un changement de taille en dévoilant la grossesse d'Anita, pour vite la rattacher à son foyer, sans que la narration permette d'évaluer le temps écoulé entre la rencontre, le mariage et le bébé en route.

 

photo, Clint GlennUne première version de Miranda Priestly (Le Diable s'habille en Prada) sortie des enfers

 

Cette vision conservatrice est en totale opposition avec Cruella, qui n'est qu'une autre relecture du mythe de la sorcière, autrement dit une femme indépendante, carriériste, célibataire et sans enfant, dont le profil marginal ne peut cacher qu'une vieille fille hystérique, superficielle et satanique. Les deux films ont ainsi fait le choix d'effacer de l'histoire le mari de Cruella tandis que la version live consacre son dernier acte à l'expédition punitive des animaux, qui humilient la styliste en la roulant dans la boue et les déjections jusqu'à son arrestation et l'ultime gag reposant sur un trou de balle de putois.

S'il se démarque des précédents films live de Walt Disney Pictures, Les 101 Dalmatiens n'a donc rien de bien extraordinaire, mais correspond à l'esprit familial et pudibond de la firme et a surtout lancé une nouvelle forme d'autophagie chez Disney, qui ne semble pas prêt de lâcher son bout de gras.

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commentaires
Ethan
21/06/2021 à 21:26

Ces remakes sont pas toujours intéressants. Il y en a de trop aussi. C'est la logique business. Sur Cruella quel intérêt à refaire un film qui existe déjà. Ça ne s'arrête plus