Justice League : pourquoi la musique de Junkie XL est le plus beau changement du Snyder Cut

Antoine Desrues | 4 avril 2021
Antoine Desrues | 4 avril 2021

Parmi les nombreux changements du Snyder Cut de Justice League, la bande-originale de Tom Holkenborg a joué un rôle central dans la démarche artistique du film.

Avec la sortie du nouveau montage inespéré de Justice LeagueZack Snyder n’est pas le seul à avoir eu l’opportunité de donner corps à sa vision. C’est aussi le cas du compositeur Tom Holkenborg, aussi connu sous son nom de scène Junkie XL. À l’origine choisi par le cinéaste pour délivrer la partition de son film de super-héros, l’artiste a été remercié lorsque Snyder a décidé de quitter la production du long-métrage de 2017, charcuté par Warner.

Comme chacun le sait, Justice League a par la suite été repris par Joss Whedon, pour le résultat assez médiocre qu’on connaît. Et à l’occasion, le réalisateur a tenu à avoir une bande-originale un peu plus orchestrale (et moins sombre) que les précédentes partitions d’Hans Zimmer sur Man of Steel et Batman v Superman. Le bonhomme a donc fait appel à non moins que Danny Elfman, avec qui il avait déjà collaboré sur Avengers : L'Ère d'Ultron.

 

photoQuand le ciel est rouge et que tu n'as pas le bon thème...

 

Problème, si le compositeur attitré de Tim Burton est loin d’être un piètre faiseur, son travail sur Justice League n’a fait que mettre en avant l’hétérogénéité d’un film malade. Perdu face à cette nouvelle mouture des icônes DC, Elfman a préféré déclarer forfait, et a alterné entre les leitmotivs de Man of Steel et le thème de Superman par John Williams, avant même de calquer sa propre partition du Batman de 1989 sur le Chevalier Noir de Ben Affleck.

En bref, cette démarche musicale sans queue ni tête a bien mérité d’être remplacée à l’arrivée du Snyder Cut. Et non seulement Junkie XL a livré un album titanesque au vu des quatre heures de métrage (on est d’ailleurs revenus en détail sur sa méthodologie, qui a dû prendre en compte le confinement), mais il a sans nul doute conclu de la plus belle des manières les mésaventures du DCEU. Il fallait donc bien qu’on s‘y attarde.

 

photoAh là, c'est mieux !

 

Qui a fait ça ?

Né aux Pays-Bas, Antonius Holkenborg (son nom complet) a débuté sa carrière dans les années 80, en passant du groupe de new wave Weekend at Waikiki à celui de metal industriel Nerve. Cette variété d’approches lui a permis par la suite d’approcher l’électronique sous le nom de scène Junkie XL. En 2002, son remix de la chanson d’Elvis Presley A Little Less Conversation lui a valu un succès mondial.

Mais très vite, JXL s’est également tourné vers la composition pour le cinéma, faisant ses armes aux côtés d’Harry Gregson-Williams sur Domino de Tony Scott. Sa rencontre avec Hans Zimmer lui a permis par la suite de devenir l’un des collaborateurs privilégiés de la star germanique au sein des studios Remote Control Productions. il a ainsi signé la musique additionnelle d'InceptionThe Dark Knight Rises ou encore Man of Steel. Petit à petit, l’artiste s'est émancipé de son mentor sur des films comme 300 : La naissance d'un Empire, avant d’exploser grâce à sa BO inventive, viscérale et brutale sur le chef-d'œuvre de George Miller : Mad Max : Fury Road.

En tant que pur apprenti de l’école zimmerienne, mêlant musique orchestrale et électronique avec une approche des thèmes souvent épurée, Tom Holkenborg a malgré tout su se faire un nom en marge de son modèle. En 2016, il a été logiquement invité à co-composer avec le maître la bande-originale de Batman v Superman, puisque Zimmer a eu peur de traiter le Chevalier Noir de Snyder d’une manière trop similaire à celui de Christopher Nolan. Voir ainsi l'élève prendre la relève sur Justice League n’a été qu’un passage de flambeau évident.

 

photoTom Holkenborg à l'oeuvre

 

Homme-orchestre

Si l’on doit être totalement honnête, Tom Holkenborg n’a jamais été le roi de la subtilité. Entre ses plages d’ambiance électro, ses percussions martiales et ses gros aplats de cuivres qui tâchent, le compositeur a développé un style souvent efficace et immédiatement reconnaissable, quitte à parfois frôler l’auto-caricature (il suffit de constater l’impact évident de Fury Road sur les bandes-originales d’Alita : Battle Angel ou de Mortal Engines).

Mais avec Justice League, qu’il a lui-même comparé à son “Mont Everest”, Junkie XL a eu le mérite de se dépasser, voire de se déchaîner, pour pleinement s’accorder au nouveau montage de Zack Snyder. Mêlant toutes ses inspirations musicales et son passif dans différents styles, il a su délivrer un fourre-tout d’envies particulièrement généreux, forcément en symbiose avec le gargantuesque festin (ou indigestion, c’est selon) du cinéaste.

 

photo, Gal Gadot, Ben AffleckPetite session en studio

 

Piochant autant dans la guitare électrique de heavy metal (We Do This Together) que dans des sonorités hip-hop (The Path Chooses You), JXL a clairement affiché une jubilation de chaque instant. S'il s’est tout permis, c’est surtout parce qu’il a su perfectionner son approche de l’électronique, lui servant la plupart du temps de socle ultra-solide pour sa base rythmique. À partir de là, il lui a été tout autant possible d’y affilier le lyrisme d’un orchestre que de pures expérimentations de sound-design.

C’est d’ailleurs dans le thème grandiose de la Justice League (The Crew at Warpower) que le compositeur a conjugué toutes ses forces. À partir d’un riff de basse imparable et de distorsions électro, Holkenborg a capté la dimension sombre et désespérée du film. Pour autant, il n’a pas non plus délaissé une certaine forme d’épique ampoulée, sublimée par la pulsation de ses percussions, et sa montée d’octave aussi simple que badass.

 

 

Justice rendue

Dès lors, la constance de cette démarche a permis à l’artiste d’avoir pour mot d’ordre la cohérence d’une œuvre thématiquement riche. En premier lieu, il a corrigé l’erreur de la BO de 2017, et n'a pas fait n’importe quoi avec les leitmotivs de sa troupe de dieux. Tout en reprenant les thèmes de Man of Steel (Superman Rising, Pt. 2 / Immovable) et de Batman v Superman (Wonder Woman, a Call to Stand / A World Awakened) dans des versions plus féroces, JXL a tenu à marquer ses personnages et leur évolution au sein des quatre heures de film par des variations musicales.

L‘exercice est particulièrement visible dans les deux nouveaux thèmes dédiés à Batman (Batman, a Duty to Fight / To See et Batman, an Invocation to Heal / To Be Seen), illustrant d’abord la culpabilité du Chevalier Noir avant sa renaissance plus optimiste en tant que leader de la Justice League, marquée par des changements d'instrumentation.

La notion de transition s’est d’ailleurs révélée primordiale dans l’approche du Snyder Cut. À l’annonce de la mise en chantier du projet, Holkenborg a décidé d’abandonner ses démos pour la version de 2017, car il a bien compris que ce remontage n’allait pas seulement être le film attendu à l’époque, mais bien une nouvelle bête, tourmentée par son passé foutraque et sa manière de symboliser a posteriori le chant du cygne du DCEU. Si le cinéma de Snyder a toujours été marqué par la mort, son Justice League a pris un sens particulier au niveau de sa dimension funèbre, surtout lorsque l’auteur a mis en perspective le long-métrage avec le décès de sa fille Autumn.

 

photo, Gal GadotVous pouvez désormais entendre cette image !

 

Et c’est là que Junkie XL s’est imposé comme un choix parfait pour cette bande-originale. Dès Mad Max : Fury Road, le compositeur a embrassé les codes d’une musique macabre, notamment en remixant le Dies Irae de Verdi. Le Snyder Cut a donc été l’occasion pour lui de pousser ces expérimentations dans ses retranchements, jusqu’à faire du thème de la Justice League un leitmotiv parfait de requiem, lorsque l’équipe est défaite par Steppenwolf (And the Lion-Earth Did Roar, Pt. 2).

Autre grande réussite sur ce point, le thème de Cyborg (Cyborg Becoming / Human All Too Human) a pris la forme d’un adagio tragique, confrontant le lyrisme des violons à la rythmique imperturbable de percussions discrètes, afin de souligner la malédiction d’un personnage coincé entre la chair et le métal, entre la vie et la mort.

 

 

Mais surtout, JXL s’est parfaitement approprié l’un des motifs purement snyderiens de Justice League, à savoir la mise en scène de la voix et du chant, qui servent à louer les déités modernes issues des comics. Au-delà de la jolie scène en hommage à Aquaman, le concept de la lamentation a parcouru l’ensemble de l'oeuvre. C’est notamment de cette manière que le compositeur a développé l’une de ses idées les plus reconnaissables : l’augmentation du thème de Wonder Woman au travers d’une voix plaintive, pensée pour évoquer le passé et le sacrifice des Amazones.

D'aucuns ont critiqué la répétitivité de cette proposition, et il est vrai que la partition de Junkie XL souffre parfois d’un excès de zèle, voire d'un trop grand didactisme. Mais au final, la BO de Justice League a su se montrer aussi ambitieuse qu’inventive, tout en parvenant à rendre hommage à l’héritage musical du DCEU. Et rien que pour ça, on dit chapeau, l’artiste !

 

photoJunkie XL, le vrai sauveur du Snyder Cut

 

S’il ne fallait en garder qu’une...

L'un des moments forts du Snyder Cut n’est autre que la scène où Flash se voit obligé de courir plus vite que la vitesse de la lumière, afin de revenir dans le passé et d’éviter l’annihilation de toute vie sur Terre. Aussi épique qu’introspectif, cet instant privilégié a pleinement été transcendé par Tom Holkenborg avec At The Speed of Force, qui a abordé cette manipulation de l’espace-temps avec une guitare électrique à la fois entêtante et minimaliste.

Accompagné d’effets de réverbération, ce riff à l’écho lointain a accentué la dimension presque hallucinogène de la séquence, mais aussi la mélancolie de Barry Allen, qui trouve enfin l'occasion de se définir pleinement en tant que héros.

Holkenborg a dès lors superposé cette base sublime avec une version ralentie du thème de la Justice League, comme si la musique se reconstituait en même temps que le corps des personnages explosés par l’Unité. Cet ostinato aussi maîtrisé qu’épique ne pouvait être que le chef-d'œuvre de l’album, une montée en puissance dévastatrice, et parfaitement en accord avec la mise en scène de Zack Snyder.

 

 

Et en bonus...

Tom Holkenborg n’est pas seulement la nouvelle star de la musique de film. Il est aussi un passionné sacrément pédagogue, comme il a pu l’attester avec la création de sa chaîne YouTube, où il s’est amusé à analyser des méthodes de composition, ou encore ses propres techniques de sound-design. Du coup, si vous êtes à la fois anglophone et mélomane, on ne peut que vous conseiller les vidéos où le bonhomme a décomposé la fabrique de ses propres morceaux, à l’instar du thème principal de la Justice League. Allez, c’est cadeau !

 

Tout savoir sur Zack Snyder's Justice League

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commentaires
Stavos
05/04/2021 à 21:13

J'adore Junkie XL le DJ, mais en tant que compositeur de musique de film je ne suis vraiment pas client de son travail. C'est tellement bruyant et omniprésent que ca en devient étouffant, a plus forte raison sur un film de 2h ou plus.
À mon sens c'est d'ailleurs le seul défaut de FURY ROAD.

xav
04/04/2021 à 22:32

Pour une franchise avec un changement de compositeur en cours de route, il y a un sacré effort pour maintenir une continuité avec les films précédents. La mode aujourd'hui est de reboot la musique à chaque nouvel épisode, de créer de nouveaux thèmes from scratch, sans aucune cohérence d'un film à l'autre. Les exceptions sont rares.

Moi je regrette juste l'absence du thème de Batman de BvS. Les chœurs gothiques de Batman, au côté des chœurs antiques de Wonder Woman, ça aurait eu de la gueule. Son tout nouveau thème est approprié, il colle bien à sa rédemption, mais l'un n'empêche pas l'autre: garder des traces de son ancien thème plus bourrin et horrifique pendant les affrontements avec les paradémons, ça aurait assuré plus de continuité, le changement de thème aurait été beaucoup plus ressenti comme un nouveau développement musical pour coller à l'histoire et au développement de personnage, et non pas comme un reboot de l'identité musicale du personnage.

RobinDesBois
04/04/2021 à 16:45

J'ai aimé sa BO de MoS et de BvS (surtout les thèmes christiques de Superman et le thème de Luthor le thème de WW je le trouve ridicule) mais dans ce JL je trouve ça un peu fade et forcé. Si j'ai bien compris il a recommencé ce qu'il avait déjà fait en 2017 et c'est une erreur. Il aurait du livrer son travail initial plus spontané.

Black Mind
04/04/2021 à 14:46

Merci pour cet article. Je me ressasse nuit et jour cette BO et je suis heureux de lire un article qui exprime entièrement mon ressenti. At the Speed of force... La meilleure piste sur la plus belle scène du film !

Storm
04/04/2021 à 14:43

J'étais obliger de revoir justice league 2017 que jai détester et après avoir vu la snyder cut 2 fois je ne comprenait pas pk je détestait tant la version de 2017... si le scénario est le mm, à savoir la conquête de ces.boite mère, cest bien 2 films à la mise en scène diamétralement différente même si certaine scène sont les mêmes... et jai noter que Danny elfman a contribuer au désastre de 2017... le mec ne se sent pas impliquer aucune tension dans c mélodie, les remix pourave sur wonder woman et flight de man of steel sont ridicule, a croire quil c cru en 89 sur la bo Batman de Rio burton. Je signe est persiste la version. De 2017 est très mauvaise . Sil ya bien une scene que jaime.bien de Wedon c au début avec batman et.le.parademon et la.scene avec aquaman ou il enchaîne tout le monde toi t dangereux, toi ta pas de pouvoir ,toi t sexy mais un peu lourd vers la fin.... mais.le film reste très mauvais et les scènes s'enchaînent mécaniquement sans rythme et c chiant.... alors que snyder cut avec c 4 heure de métrage à beaucoup plus de rythme de tension et une bo de dingue . Junkie xl contribue beaucoup au caractère spectaculaire du climax et la apparition de superman avec flight pt2 était juste jouissif . Il faut que la.warner réalise qu'ils.ont.une poule aux oeufs dor la. A en croire que le scénario des suites a été volontairement rendu public pour voir si le public était prêt à voir superman en méchant, tuer les héros etc mais franchement cela aurait pu devenir une trilogie dantesque !

zetagundam
04/04/2021 à 14:43

J'avoue ne pas avoir aimé les travaux précédents de Junkie XL mais pour le coup ça B.O. s'intègre de façon cohérente avec celle de Batman v Superman.
Après, le l'ayant pas écouté de façon indépendante des images je ne saurai la juger pour elle même mais en tout cas je l'ai trouvé en parfaite adéquation avec les images

Gdy
04/04/2021 à 12:50

At the speed of force...bonjour les frissons

LDR
04/04/2021 à 12:23

@ Kyle Reese

D’accord avec toi. J’ai beaucoup apprecié le film mais j’ai été un peu déçu de cette bande-originale. J’avais adoré celle de Man of Steel et encore plus celle de Batman vs Superman.

Après le travail de Junkie XL constitue une véritable valeur ajoutée par rapport à la composition de Elfman sur Justice League qui était très mauvaise.

Tim Lepus
04/04/2021 à 12:19

Je n'ai pas encore vu le film, j'ai écouté la BO indépendamment, le jour de sa sortie, et je l'ai trouvé beaucoup trop longue - j'ai une sainte horreur de cette mode des BO de plusieurs dizaines de pistes, je trouve que ça prend l'auditeur en otage. Musicalement, je veux bien reconnaître quelques morceaux de bravoure, mais noyés dans ce qui me semble être un maelstrom de décoration pas toujours courageuse. Et écouter de l'ensemble, pour moi, relève d'une épreuve de l'indigeste. Et je redoute que, si l'album dure les mêmes 4h que le film, je vais avoir beaucoup de mal à supporter un film-pavé noyé de musique.

DjFab
04/04/2021 à 12:10

Ohh oui que cette nouvelle BO est un des plus beaux changement du film ! Franchement, j'étais vraiment mal à l'aise au cinéma en entendant les anciens thèmes de Batman et de Superman. Là on a une BO parfaitement adaptée au film, en totale cohérence avec les deux films précédents, que ça fait du bien !! Heureusement que cette Snyder's Cut a vu le jour, on peut oublier la version ciné et sa musique inadaptée !

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