Cats : une catastrophe industrielle entrée dans l'histoire hollywoodienne

Geoffrey Crété | 2 avril 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 2 avril 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

La comédie musicale de Tom Hooper, adaptée de Broadway, a été un cataclysme à tous les niveaux.

De sa première bande-annonce à sa sortie, en passant par les modifications une fois le film en salles et la découverte du résultat par les spectateurs médusés depuis, Cats aura été une farce cosmique unique au point d'en devenir fascinante. D'où notre critique presque enchantée, tellement c'était indescriptible.

Alors que tout le monde va pouvoir écouter ses bas instincts et mettre discrètement dessus ses sales pattes curieuses en vidéo, retour sur ce désastre financier (et pas que).

 

 

LE BUDGET

Cats a officiellement coûté 80-90 millions de dollars selon Deadline, voire 100 millions selon The Hollywood Reporter. C'est un gros budget pour une comédie musicale : Into the Woods : Promenons-nous dans les bois (50 millions), Annie (moins de 80 millions), Rock Forever (75 millions), ou encore Nine (80 millions), ont tous coûté moins, sans inflation. Seuls de très gros films, type Le Retour de Mary Poppins (130 millions) et The Greatest Showman (85 millions), rivalisent.

A noter que le studio Universal avait acheté les droits d'adaptation de la comédie musicale d'Andrew Lloyd Webber, qui a cartonné à Broadway, il y a des années.

A ce budget officiel s'ajoute le budget marketing. Selon Deadline, Universal a dépensé dans les 115 millions en promo, un chiffre classique pour un blockbuster, mais énorme pour un tel film.

Enfin, impossible de ne pas considérer que le budget a grimpé puisqu'après la sortie, Cats a été repris par l'équipe des effets spéciaux, pour rectifier plusieurs scènes et détails.

Au minimum, Cats a donc coûté 200 millions, facile. Deadline parle de plus encore : dans les 226 millions.

 

photoLes chats se prennent une pâtée

 

LE BOX-OFFICE MONDIAL

73 millions. Autant dire que c'est un désastre absolu. Avec comparaison, c'est encore plus triste. The Greatest Showman : 435 millions en 2018.  Into the Woods : 213 millions en 2014. Annie : 134 millions en 2014. Chicago : plus de 306 millions en 2002. Moulin Rouge ! : près de 180 millions en 2001. Hairspray : plus de 200 millions en 2007.

Mais Cats n'est même pas le pire. Nine, le film de Rob Marshall blindé de stars n'a pas encaissé plus de... 54 millions. Rock Forever avec Tom Cruise, à peine 60 millions. Rent, passé inaperçu, dans les 31 millions.

Pour le réalisateur Tom Hooper, c'est une sacrée chute après Le Discours d'un roi (424 millions) et Les Misérables (441 millions). The Danish Girl avait encaissé moins, mais avait coûté bien moins (64 millions, pour un budget de 15).

 

photoDe Dreamgirls à Nightmarecats

 

LE BOX-OFFICE DOMESTIQUE

Environ 27 millions. Là encore, un carnage. Into the Woods avait amassé plus de 128 millions, et Rock Forever, presque 50. Mais heureusement, Nine est là pour être encore pire (même pas 20 millions).

Sachant que le box-office domestique reste central pour les studios, qui y récupèrent plus que partout ailleurs (surtout au début de l'exploitation), c'est un carnage. Censé démarrer aux alentours de 15-20 millions, Cats n'a même encaissé 7 millions lors de son premier week-end, finissant en quatrième place. Un beau désastre, annoncé dès les premiers jours, et enterré après seulement trois semaines d'exploitation, puisqu'il passait déjà sous la barre d'un maigre million de dollars hebdomadaire.

 

photoPleure, tu pisseras moins dans la litière

 

LE BOX-OFFICE INTERNATIONAL

Cats a pu un peu compter sur les marchés à l'international : environ 47 millions. Le film a surtout marché au Royaume Uni (plus de 14 millions), et en Asie, au Japon (12 millions) et en Corée du sud (5 millions).

C'est très maigre, le film étant passé inaperçu dans beaucoup de territoires, notamment en France : environ 52 000 entrées. C'est un flop entier, certes logique vu que la comédie musicale Cats est peu connue en France, mais tout de même. Le bide Nine avait attiré près de 360 000 spectateurs, quand des cartons tel que Chicago et Moulin Rouge ! ont largement passé le million d'entrées.

 

photoFuyez, pauvres fous !

 

LE BILAN

Impossible d'arriver à une autre conclusion que celle d'un désastre. Environ 200 millions dépensés au minimum, 27 millions au box-office domestique, même pas 50 dans le reste du monde : Cats est une catastrophe.

Deadline a parlé d'une perte de plus de 70 millions, dans le cas où le film atteignait les 100 millions au box-office mondial (dont 40 côté domestique). Vu le bilan, la note sera donc bien plus salée pour Universal, Amblin et Working Title : entre 100 et 130 millions ont sûrement été perdus sur cette sortie cinéma.

La carrière du film continuera bien sûr après les salles, avec la VOD, les ventes TV et autres. Deadline parlait d'au moins de 155 millions à ce niveau, avec un budget encore plus élevé que 200 millions.

Bref, tout ce petit monde derrière Cats peut au mieux espérer rentrer dans les frais, mais certainement pas avoir du vrai bénéfice sur ce cauchemar.

 

photoPoudre de salty

 

LES RAISONS

En théorie, adapter Cats est logique. Cette comédie musicale est l'un des plus gros succès du genre, qui a encaissé plus de 4 milliards à travers le monde, récolté beaucoup de prix prestigieux, et duré des décennies notamment à Broadway et Londres. Déjà derrière Mamma Mia et Les Misérables, Universal et Working Title avaient donc là de l'or entre les mains, et engager Tom Hooper était une manœuvre a priori intelligente. Que s'est-il donc passé pour arriver à un tel naufrage ?

Le projet était en réalité risqué dès le début. A moins de connaître la nature de cet univers, découvrir les héros félins version cinéma a été un choc pour de nombreux spectateurs néophytes. Ce ne sont pas simplement des gens qui chantent dans un cabaret, sur fond de guerre ou sous le soleil : Cats, c'est l'histoire de mi-chats mi-humains, ce qui est en soi une proposition bien spéciale. Le studio a donc certainement surestimé la popularité de la comédie musicale parmi le commun des mortels, et également la tolérance du grand public. Le choix de passer des costumes et maquillages sur scènes, aux purs CGI et autres coups de baguette numérique au cinéma, n'a pas aidé. Cats ne ressemble à rien d'autre, et ce qui aurait pu être un argument de vente, et attirer la curiosité, a au contraire été rejeté.

À qui s'adressait le film ? Si c'est uniquement aux fans de la comédie musicale, c'est doublement bête : rien n'indique qu'ils auront envie de voir la version hollywoodienne et pleine de stars, et difficile d'imaginer qu'une telle cible serait suffisante pour une superproduction. Si c'est au grand public, c'est alors un échec, vu comme les premières images ont été reçues avec rire et effroi. En castant à la fois Taylor Swift et des acteurs prestigieux comme Judi Dench et Ian McKellen, Cats voulait en tout cas manger à tous les râteliers.

 

photoCats, Artemis Fowl : Judi Dench et les oreilles pointues, l'apocalypse est bien là

 

Ce qui amène au deuxième point : la promo, qui a rencontré quelques gros coups de frein. De la première bande-annonce révélée en juillet 2019, à la grande première du film en décembre, la post-production a été menée en quatrième vitesse, au point d'avoir un film fini au dernier moment. Des problèmes ont même été corrigés APRÈS la sortie en salles. Tom Hooper ayant en plus indiqué en toute politesse que les réactions moqueuses sur les premières images avaient aidé l'équipe des effets spéciaux à peaufiner et avancer, nul doute que toute cette étape a été compliquée. Personne ne semblait très confiant, et la communication a été tout sauf solide.

Universal a par ailleurs beaucoup misé sur le côté mainstream et apparemment cool de son film, en mettant en avant la superstar Taylor Swift pour attirer le jeune public féminin. La chanteuse a beau n'avoir qu'un petit rôle et une chanson, elle a été l'un des arguments de vente. Le chanteur Jason Derulo aussi. Possible que ce mélange entre toutes les générations (mamie va voir Judi Dench, avec sa petite fille qui chante Shake it Off) ait juste été perçu comme une touche bordélique. S'adresser à tout le monde, c'est s'adresser à personne.

Il y a en plus eu une grosse gêne dans cette gestion du bad buzz. Le réalisateur s'est contenté de dire qu'il était aussi surpris qu'amusé par ce petit phénomène de moquerie, et contrairement à Sonic qui a finalement tout modifié pour répondre aux fans, Cats a tracé sa route en faisant l'autruche. Du moins jusqu'à ce que le désastre ne soit acté à la sortie. Depuis, les choses ont bien changé, et plusieurs acteurs ont discrètement rejoint la meute des moqueries, et tiré sur l'ambulance. Rebel Wilson a parlé de l'enterrement de Cats aux BAFTA, et juste après aux Oscars, elle est montée sur scène avec son camarade James Corden, pour directement blâmer l'équipe des effets spéciaux du film, avec de ridicules costumes de chats. Ce qui a naturellement énervé les gens concernés par de telles critiques, et achevé de faire de Cats un fier symbole d'un gros désastre hollywoodien, où même la langue de bois a été oubliée.

 

photoÊtre Rebel et tirer sur l'ambulance

 

Enfin, comme toujours : la date de sortie. Universal a visé gros en plaçant Cats en contre-programmation face à Star Wars : L'Ascension de Skywalker, là où tout le monde s'accorde à dire qu'une semaine plus tard, pour Noël, aurait été plus logique. Le studio visait sûrement un engouement à la Greatest Showman, sorti sur le même créneau en 2017, mais Les Derniers Jedi était déjà arrivé, ce qui n'est pas anodin.

Cats avait en plus à affronter Jumanji : Next level sorti lui aussi en contre-programmation à Star Wars juste avant, et La Reine des neiges 2, inévitablement lancé sur la route du gros succès. Cette date de sortie, avec une critique très négative et un public pas du tout charmé, a été le clou dans le cercueil des chats.

 

photoLe chant du cygne-chat

 

LES CONSÉQUENCES

Quelques cauchemars par ici, une tonne de matériel à meme et gif par là... Cats n'aura pas de grandes conséquences hormis sur la catégorie musicale de nanarland, et le bilan financier d'Universal. Le studio a toutefois pu compter sur quelques bons coups en 2019, notamment Fast & Furious : Hobbs & Shaw (près de 760 millions : les détails par ici), Dragons 3 : Le Monde caché (plus de 521 millions), ou encore le très rentable Us (budget officiel de 20 millions, et 255 millions au box-office).

Ce n'est pas le premier retour de flamme spectaculaire pour la comédie musicale hollywoodienne, Nine ayant été une autre catastrophe il y a 10 ans (plein de stars, 80 millions de budget et même pas 55 au box-office). West Side Story de Steven Spielberg (producteur exécutif de Cats tout de même) arrivera en décembre 2020, pour certainement balayer ce mauvais souvenir poilu. Sans oublier Disney, qui donnera une dose de chansons pendant encore des années, avec notamment La Petite Sirène à l'horizon.

Notons aussi que Glenn Close reprendra le rôle culte de Gloria Swanson dans Sunset Boulevard version comédie musicale, là encore tiré de l'œuvre à succès d'Andrew Lloyd Webber, passée par Broadway.

Reste à voir ce qu'Universal fera de Wicked, adaptation de la comédie musicale inspirée par Le Magicien d'Oz, réalisée par Stephen Daldry et prévue pour Noël 2021... jusqu'à être repoussée indéfiniment suite à la crise de coronavirus. Gageons que quelques leçons ont été retenues sur le kitsch et les limites de tels projets.

 

Photo CatsHaters gonna hate

Tout savoir sur Cats

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Chris11
04/04/2020 à 20:22

Le genre de film où je ne comprends pas comment des gens ont pu croire une seule seconde, du premier jour de prod à la sortie en salle, que ça pouvait marcher, hormis sur un malentendu. J'imagine les réus d'avant script : "on va faire un film avec des humains à moitié transformés en chats - brillante idée, ça va cartonner! - Aucun doute, on y va!".

sylvinception
04/04/2020 à 03:51

C'est l'histoire d'un réal qui s'est chopé le melon, lorsqu'en 2010 l'académie des Oscar a entubé Fincher pour la statuette du meilleur réalisateur.

Un joli - bien que beaucoup trop tardif à mon goût - retour de bâton.

beyond
03/04/2020 à 21:10

" Est-ce que je conseillerais ce film à un ami ?
- Oui, si Hitler était mon ami. "

CINETIM
03/04/2020 à 16:17

Pour le coup merci beaucoup j'ai trouvé cette article très interessant !!

Legion
03/04/2020 à 09:40

Le chat c'est mordu la queue ????

Gégéleroutier
02/04/2020 à 19:00

Nanarland avec un N majuscule !