D'après une histoire vraie : critique fatale

Geoffrey Crété | 31 octobre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 31 octobre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

A priori, c'est une équation solide : Roman Polanski qui adapte le roman de Delphine de Vigan D'après une histoire vraie, avec Emmanuelle Seigner en écrivain tourmentée par une mystérieuse femme incarnée par Eva Green. Sauf que le thriller, présenté hors compétition au Festival de Cannes dernier, est un étrange ratage, d'une puissance inouïe.

WTF

Y aurait-il une certaine logique entre D'après une histoire vraie et les derniers films de Roman Polanski ? Comme dans La Vénus à la fourrureEmmanuelle Seigner est au centre du dispositif. Le personnage d'Eva Green est une écrivain de l'ombre, chargée d'écrire pour les autres, comme le héros de The Ghost Writer. Et le film adapté du roman à succès de Delphine de Vigan est à peu près un Carnage tant il est maladroit et grotesque, très loin de mériter sa place dans la filmographie du réalisateur de RépulsionLe Locataire et Rosemary's Baby, des œuvres riches où il a su traiter le suspense, le trouble et le féminin avec intelligence.

Ici, la formule ne dépasse pas le cadre très téléfilm d'origine : angoissée par la page blanche, une fragile écrivain à succès laisse entrer dans sa vie une admiratrice, qui va peu à peu s'installer dans son quotidien et la vampiriser. Ce sera donc 1h40 de plates scènes dans des appartements parisiens et une maison de campagne, d'Emmanuelle Seigner mal coiffée, de gros yeux menaçants d'Eva Green, et de suspense de bas étage, avec la très désagréable impression d'un encéphalogramme plat.

 

Photo Emmanuelle SeignerEmmanuelle Seigner chez Roman Polanski : cinquième

 

FILM FATAL

Difficile de ne pas passer cette centaine de minutes à écarquiller les yeux face à un film signé Roman Polanski, aux rouages si grossiers et à la mise en scène si peu inspirée. D'après une histoire vraie a des problèmes à tous les niveaux : le suspense est éventé puisque cousu de fil blanc, la mise en scène est si scolaire qu'elle tue quasiment tout ce qui se trouve dans le cadre, les personnages sont vides puisque réduits à des stéréotypes dénués de nuances. En conséquence, le cinéaste n'a peu ou prou rien à filmer, et les actrices, presque rien à incarner.

C'est particulièrement effroyable pour Eva Green, actrice très talentueuse revenue jouer en français 17 ans après Arsène Lupin. Difficile de ne pas imaginer qu'elle a plus été séduite par le nom de Roman Polanski que par le scénario, qui lui offre l'un des pires rôles de sa carrière : en exploitant une énième fois son charme vénéneux et sa beauté presque surréaliste, mais au service d'un mauvais rôle de prédatrice fantasmagorique et frappadingue, le réalisateur réussit l'exploit de l'abîmer.

 

Photo Eva Green

 

Qu'il ait repérée l'actrice dans Sin City : J'ai tué pour elle, où elle incarne l'archétype pop de la femme fatale, n'explique même pas comment il a pu, avec son co-scénariste Olivier Assayas, écrire un personnage si grossier qui semble sorti d'une série B des années 90, type pâle copie de JF partagerait appartement de Barbet Schroeder. En face, Emmanuelle Seigner n'a pas beaucoup à défendre. Et contrairement à Eva Green, qui parvient à voler quelques courts instants de grâce notamment dans les silences, elle ne donne jamais de vie à son personnage d'artiste torturée.

 Photo Eva Green Emmanuelle SeignerCliché numéro 12 

 

THE GHOST DIRECTOR

Ce qui frappe aussi, c'est la mécanique rouillée du film. Du montage plat à la photographie fade de Pawel Edelman (qui a pourtant signé Le PianisteOliver Twist ou encore The Ghost Writer), des affreuses scènes de cauchemar démonstratives au pauvre trouble sensuel invoqué entre les deux femmes, de l'utilisation de la musique au rythme du suspense : D'après une histoire vraie n'arrive à aucun moment à assembler ces éléments pour créer du suspense, du sens, de l'émotion - du cinéma en somme.

La réflexion sur la création et la quête vertigineuse de sens de l'artiste est digne d'un fier étudiant en cinéma qui a terminé sa première année, et utilise les codes du genre avec la subtilité d'un marteau-piqueur. C'est d'autant plus tragique que Mother ! a marché sur les mêmes territoires il y a peu, avec infiniment plus d'audace et d'imagination.

La manière ridicule de mettre en scène les personnages et les actions pour entretenir un suspense d'une maigreur effarante offre des sommets de kitsch, comme lorsqu'Eva Green observe d'un regard de méchante l'écrivain depuis une porte vitrée, ou quand le film déroule ses prétendues surprises dans son épilogue abrupt. 

 

Photo Eva GreenEva Green, méchante, fronce les yeux derrière une vitre

 

Parce qu'il force le trait de cette mystérieuse Elle pour souffler le chaud et le froid, entre une facette naturelle et un visage d'ogresse à voix grave, Polanski avance par à-coups brutaux, provoquant tour à tour gêne, incompréhension et même rire gêné lorsqu'un bol de soupe explose contre une vieille armoire, ou qu'un rouleau à patisserie devient l'instrument un brin grotesque d'une scène d'angoisse. Un choc d'autant plus violent que le réalisateur a rappelé en 2010 son talent encore intact pour filmer le suspense et créer une vraie ambiance dans le très bon The Ghost Writer.

Suite à sa présentation peu glorieuse à Cannes, le film a été remodelé : une dizaine de minutes en moins, et un montage quelque peu modifié. A l'époque, Ecran Large n'avait pas été séduit par le film. Quelques mois plus tard, même sentiment : D'après une histoire vraie est un machin informe qui, sans le nom de Roman Polanski qui a su attirer ces deux actrices, aurait terminé sur une étagère poussiéreuse au rayon des irrésistibles navets cosmiques.

 

Affiche

 

Résumé

D'après une histoire vraie est un film qui fait mal tant il est raté, ridicule et même risible. La douleur est d'autant plus grande que Roman Polanski semble parfaitement absent derrière la caméra, et qu'il offre à l'excellente Eva Green l'un de ses pires rôles. C'en serait presque fascinant si ça n'était pas si désolant.

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Lecteurs

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commentaires
JKD
18/05/2022 à 18:14

"C'est particulièrement effroyable pour Eva Green, actrice très talentueuse" : oui ! Elle est si formidable dans Penny Dredful, Proxima, et même Sin City, entre autres...
... Puis-je faire un hors-sujet ? Car je n'ai rien à ajouter à votre excellente critique. Oui ? Merci.
Venez, suivez-moi, allons au fin fond de Tristan da Cunha, petit archipel presqu'invisible entre l'Afrique du Sud et l'Argentine, suivez-moi, suivez-moi, cherchons dans la nuit orageuse et sous la pluie qui nous bat, la ruelle la plus reculée, la plus ténébreuse, et baisssons-nous un peu pour interroger l'enfant qui joue avec le ruissellement. Petit, tu connais Roman Polanski ? L'enfant me fixe quelques secondes, ne dit pas un mot et retourne à son jeu. Petit, connais-tu Bruce Lee ? L'enfant, alors, se dresse devant moi en criant d'une voix haut perché, féline et tranchante : "WHAYAAAHHH !!!". Oui, Bruce Lee, que Roman Polanski, en mal de virilité guerrière, avait pris à la fin des années 60 comme coach personnel, qu'il avait traîné aux Sports d'hiver en laissant le "petit boy chinois" inoccupé dans sa chambre d'hôtel pendant qu'il draguait ses groupies, qu'il avait refusé d'aider quand l'acteur martial tentait de percer dans un hollywood au racisme anti-chinois omniprésent, Bruce Lee mort à 32 ans avant la sortie de Enter The Dragon, Bruce Lee qui n'a jamais tourné un seul "grand film d'auteur", n'aura jamais su qu'il a pris sa revanche sur ses faux amis de l'époque en devenant une icône absolue et ignorée de personne...
... Même dans la ruelle la plus perdue du pays le plus reculé du monde.
Pas bien, Roman, paaas bien.
B.D.

Andarioch
31/08/2019 à 12:21

Euhhh, on en parle du lamentable jeu des acteur(ice)s? J'en arrivais à croire que c'était fait exprès. Et d'expliquer à ma femme qu'Eva Green est d'habitude une très grande actrice. Ce qu'elle a fini par croire quand son personnage imite celui de Seigner, seul et court moment de grâce de tout le métrage.

Dirty Harry
31/10/2017 à 20:39

Même un Polanski secondaire est habituellement toujours très regardable (Frantic, What ?, 9e Porte, Cul-de-Sac, Venus à la Fourrure, ça se déguste et il y a toujours une sacrée bonne scène à en retirer) mais bon c'est vrai que la bande annonce, la photo (mais qu'est ce qu'à le Cinema Français a produire des images aussi laides ?) et malgré Eva Green (je lui pardonne tout et pour les prochains) les retours sur ce dernier sentent le vrai premier échec du réalisateur.

Geoffrey Crété - Rédaction
31/10/2017 à 13:59

@Ded

Oui.

Ded
31/10/2017 à 13:43

Le pire malgré "Oliver Twist ?!...

Gg
31/10/2017 à 09:15

Votre critique me rappelle les impressions que j ai ressenti en lisant le livre... Il est peut être juste très bien adapté

Euh!
31/10/2017 à 09:14

@F4RR4LL
"Michael Bay est un artiste du 7e art, éminent admirable pour sa personne et son oeuvre"
Euh attend juste que les dossiers sortent sur lui, c'est qu'une question de temps.

Ssird
23/10/2017 à 15:30

"Un thriller psychologique magistral" d'après The Hollywood Reporter, vous n'avez pas du voir le même film ou ils sont producteur également :-)

Finnigan
23/10/2017 à 10:50

@Jearus8

C'est bien d'ouvrir un débat et d'être cohérent avec ses mots brutaux. Donc ouvre ce débat si tu veux, mais soutiens aussi les autres cinémas, les autres films et artistes. Sinon, mon avis c'est que c'est un peu facile et gratuit de balancer ça

Jearus8
23/10/2017 à 10:13

@Finnigan

Où, on peut venir sur cet article et ouvrir un débat sur la question...

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