Poker Face : critique de la série du réalisateur de À couteaux tirés

Adrien Roche | 21 janvier 2024
Adrien Roche | 21 janvier 2024

Sortie en janvier 2023 aux États-Unis sur Peacock, Poker Face est enfin disponible en France gratuitement sur TF1+, la plateforme de la chaîne. Cette série avec Natasha Lyonne est la première de Rian Johnson. Après À couteaux tirés et Glass Onion, il s'attaque à une formule qu'il connaît bien : le whodunit. Mais cette fois-ci, il mêle enquête et road-trip pour créer une histoire singulière avec son héroïne au don étrange : savoir si une personne ment ou non.

Hommage aux classiques du genre

Il nous manque un peu, le temps où l'on se réservait un soir bien précis de la semaine pour regarder une série d'enquêtes et résoudre l'affaire hebdomadaire. Certes, il n'y a jamais eu autant de séries qu'aujourd'hui et il est toujours plaisant d'en dévorer une en un week-end. Mais rien ne rivalise avec la saveur particulière de regarder, semaine après semaine, un personnage attachant démasquer le meurtrier d'une pauvre personne innocente. Heureusement, Rian Johnson a répondu à notre appel et nous propose, avec Poker Face, un retour aux sources façon Columbo, série maîtresse en la matière.

Mais le cinéaste ne nous présente pas de détective à l'intelligence hors pair ou au sens de la déduction particulièrement affinée. À la place, c'est Charlie, une madame Tout-le-Monde formidablement jouée par Natasha Lyonne, qui devra résoudre des enquêtes malicieusement pensées à travers les États-Unis. Car Poker Face est une série d'enquêtes, mais c'est aussi un gigantesque road-trip. Charlie, en cavale, doit toujours être en mouvement. Et la pauvre tombe systématiquement sur des meurtres qu'elle ne peut s'empêcher d'élucider grâce à son don hors du commun.

 

Poker Face : Photo Natasha LyonneT'es tendue Natasha

 

L'héroïne sait constamment quand quelqu'un ment. Un don pratique qui a des airs de malédiction. Rian Johnson l'a habilement confié à son héroïne candide, dont il se moque régulièrement. Son code de carte bleue et de casier est 1234, son premier réflexe lorsqu'elle apprend l'existence d'un meurtre est d'envoyer un mail à Oprah, la réponse est parfois sous ses yeux mais elle ne la voit pas parce qu'elle ne pose pas les bonnes questions à son interlocuteur pour le forcer à mentir...

Charlie n'est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, mais sa naïveté désarmante devient touchante. Sa particularité fait forcément penser à celle de Marta (Ana de Armas) dans À couteaux tirés, qui vomissait chaque fois qu'elle mentait. Un malheur pas très pratique, mais très efficace s'il était utilisé à bon escient. C'est donc aux côtés de Charlie, de son flegme permanent et de cette particularité difficile à utiliser que le spectateur parcourt l'Amérique. Un road-trip qui permet à Rian Johnson de justifier son envie de créer des enquêtes dans des recoins inattendus.

 

Poker Face : photo Adrien Brody"T'inquiète pas ça va bien se passer"

 

A not so straight story

La principale force de la série est de ne pas s'embourber dans son format d'une enquête par épisode. Rian Johnson ne se perd pas dans un dédale d'intrigues artificielles et use du road-trip de son personnage pour proposer des histoires indépendantes réfléchies. Maison de retraite, station-service peu reluisante, ancien artiste de stop-motion, montagne enneigée... chaque décor devient le théâtre d'une enquête à la résolution inventive.

Avec une investigation différente pour chaque épisode et une multitude de situations, la série réussit ainsi à se renouveler constamment, ce qui est franchement un petit coup de maître pour un genre aussi éculé. Alors bien sûr, tous les épisodes ne se valent pas et certains relèvent le niveau après d'autres, nettement plus fades. Pour être honnête, il est d'ailleurs sans doute préférable de déguster Poker Face "à l'ancienne", un épisode par semaine, pour l'apprécier au maximum

 

Poker Face : photo, Joseph Gordon-Levitt, David CastañedaLe meilleur épisode de la série

 

C'est d'autant plus important que la formule peut sembler légèrement répétitive au bout des trois-quatre premiers épisodes avalés d'un seul coup. Cela dit, c'est justement au moment où la série semble commencer à s'user (vers la moitié de la saison) qu'un épisode vient tout bousculer, rebattant les cartes. Rian Johnson n'est pas un manche et sa capacité à varier suffisamment son style et miser sur la modernité lui permet d'éviter de tomber dans une redondance exaspérante.

Dans son road-trip, Charlie rencontre un Tiktokeur en passe de devenir célèbre (simple vendeur de sandwichs, il a réussi à mettre sa bonne humeur à profit sur les réseaux sociaux), une horrible femme qui cherche à recréer le visage de son mari pour utiliser Face ID et un condamné en liberté conditionnelle au rythme de vie similaire à n'importe quel influenceur fitness d'Instagram. La modernité (et parfois même l'absurdité) de la société contemporaine est mise en avant dans chaque histoire pour réinventer un concept qu'on pensait épuisé.

 

Poker Face : photo, Charles MeltonImpeccable Charles Melton, comme toujours

 

Une critique acerbe des États-Unis

Après ses deux À couteaux tirés, c'est surtout une manière pour Rian Johnson de proposer une nouvelle critique de la société moderne. Mais cette fois-ci, il ne se contente pas de s'en prendre à la bourgeoisie : tout le monde en prend pour son grade, et les classes populaires et moyennes sont ouvertement moquées par le cinéaste. Grâce à sa distribution d'ensemble géniale, il ridiculise des stars hollywoodiennes comme il en a l'habitude, nous prouvant au passage que sa recette fonctionne à merveille.

Chaque histoire a son personnage sortant du lot et surtout sa vedette surprise. Nick Nolte est génial dans son épisode très psychédélique et lynchéen réalisé par Natasha Lyonne elle-même. Il est parfait en Arthur, qui confectionne des créatures utilisées dans des films en stop-motion (créatures conçues pour la série par Phil Tippett, réalisateur de Mad God). Joseph Gordon-Levitt surprend dans un rôle inattendu, Chloë Sevigny encore plus dans la peau d'une métalleuse has been. Adrien Brody est parfait dans son rôle de mafieux raté, Benjamin Bratt encore plus dans celui d'un garde du corps ambitieux.

 

Poker Face : photo, Natasha LyonneLendemain de cuite

 

Grâce à des références cinéphiles modernes (dont une utilisation parfaite d'Okja qu'on ne spoilera pas) et l'humour décapant de Natasha Lyonne, Rian Johnson jongle habilement entre froideur et comédie. La multiplication de personnages pertinents, tous attirés par l'appât du gain et de la réussite, évite au récit de tomber dans une boucle infernale : on se serait rapidement lassé de ne pouvoir s'accrocher qu'à Natasha Lyonne. 

Le fait de redécouvrir des visages connus à chaque épisode apporte un vent de fraîcheur à chaque histoire saugrenue, rendant la recette efficace tout au long des dix épisodes (et la résolution de certaines enquêtes, comme celle de l'épisode 7 avec Charles Melton, contribue à rendre la série particulièrement haletante). Le récit ne parvient pas complètement à éviter les lourdeurs, mais le portrait réussi de cette Amérique profonde nous fait bouillir d'impatience de découvrir la saison 2 (déjà officialisée).

Un nouvel épisode de Poker Face sort chaque semaine sur TF1+ jusqu'au 1er mars 2024.

 

Poker Face : affiche officielle

Résumé

Avec Poker Face, Rian Johnson revient aux origines de la série policière des années 1980 tout en lui apportant une modernité et un humour bienvenus. Une road-series modeste à consommer avec modération pour éviter l’indigestion.

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commentaires
Flo1
11/04/2024 à 19:40

Rian Johnson, Maya Rudolph et l'actrice Natacha Lyonne (entre autres) associent leurs talents pour une série policière, "à l'ancienne" mais contemporaine. Avec une protagoniste principale, Charlie Cale, détecteur de mensonge humain.
Lyonne au corps abîmé, démarche de cowboy, tête de Muppet (l'équivalent en France, ça serait la comique Doully)... Lyonne à la crinière (d'où le nom) en forme de berger des Pyrénées beige, tombant toujours comme un cheveu sur la soupe.
Creusant dans le sillon d'un Columbo, avec les criminels d'emblée identifiés, la même morale sur l'avidité (capitaliste), mais sans se limiter à des bourgeois. Dos voûté, cigare, voix éraillée mais ce n'est pas tant une posture... ici l'héroïne fouineuse n'est pas dupe, mais reste une innocente de caractère, pas du tout la garante d'un ordre officiel, et de toute façon allergique à la Police.
Et c'est donc aussi vers "Le Fugitif", et surtout "L'Incroyable Hulk" (pour le "super pouvoir qui résout tout à l'instant T") que lorgne la série, avec un personnage en cavale permanente, faux-coupable qui va aider clandestinement à résoudre des crimes, aider des personnes dans le besoin, la série parlant évidemment d'une Amérique à la marge - celle des casinos, des Diners et stations services, des barbec', des pseudo complotistes, des artistes itinérants, des ex-hippies activistes, du Stock-Car...

La mécanique de la série repose sur le hors-champ (on suit l'histoire jusqu'à ce que se révèlent le ou les coupables, puis on rembobine dans les coulisses), mais varie d'un épisode à l'autre : l'héroïne, tout le temps "à la bourre", ne va pas nécessairement apporter la Justice du premier coup. Ne va pas nécessairement sympathiser avec la personne accusée ou victime. Se retrouvera plus au centre de l'attention à un moment crucial.
Acteurs invités ultra cools (trop pour tous les citer), films cools et prestigieux en référence 70's/80's, typographie jaune pour les crédits, BO folk, travellings avant sur les visages...
On voit tout de même bien les grosses ficelles du Rian Johnson d'après "À Couteaux tirés", jusqu'à citer des films post-modernes pour justifier la démarche ("Pulp Fiction" dès le pilote), ou même pour des rebondissements scénaristiques ("Okja").
Certains idées sont bizarres (les caids mafieux sont des voix aux téléphone, joués par des acteurs au nom de Perlman !?), il y des facilités (les doigts d'honneur récurrents, l'épisode sans meurtre donc sans condamnation), des incohérences (l'œil qui clignote dans un épisode, puis plus du tout), des coups de théâtre alambiqués, des doublons entre deux épisodes avec une vilaine aux cheveux et habits blancs dans le milieu du spectacle, des erreurs de raccord (le chapeau de Sterling Frost Sr. à Atlantic City)... Niveau conception, ça n'est pas toujours maîtrisé. Limite un bordel superficiel.

Le même bordel qui caractérise Charlie, mais qui, comme la série, se rattrape toujours au vol. Grâce au charme du tout, ou à l'émotion chez des protagonistes brisés, qui se répercute sur elle. Notamment parce-que ce sont souvent des êtres qui vivent en dehors des normes, en quête de liberté y compris pour ne pas être écrasés par le poids des regrets - ça peut aussi bien prendre la forme du cartoon que d'une histoire à la Edgar Allan Poe (l'épisode Méta façon Phil Tippett).
Charlie Cale est personnage poissard avec une vie merdique, et qui n'en changera pour rien au monde. Un sacrifice qui se justifie par l'aide qu'elle apprécie apporter à autrui, mais aussi au fait que plus personne ne l'attend chez elle.
Et lorsque des reproches lui seront explicitement faits à la fin, en même temps on y découvre plus sur sa vie personnelle, et on comprend que son histoire suit le "Parcours typique du Héros".
Lequel passe par un retour au source, et la révélation de l'existence d'une ligne d'arrivée à atteindre... un jour, peut-être.

saiyuk
23/01/2024 à 10:46

Vous avez vu la série sur Peacock ? Car la critique ou le forum a l'air de juger toute la saison alors qu'il n'y a que 4 épisodes sur TF1+
énervant de devoir attendre pour avoir la suite.... ;-)

fbuffart
22/01/2024 à 10:37

l’épisode 8 avec Nick Nolte est juste incroyable, ....

w1ld
22/01/2024 à 10:15

Si vous êtes à l'aise à l'anglais, regarder Poker Face offre en bonus :
→ la voix sublime de Natasha Lyonne
→ comme toute adaptation, on manque de pas mal de références si on switche à la VO. Par exemple, tout premier épisode ; le gars qui vend ses playboys : pour lui, il les considère comme "Mint" comme qualité :P Si vous avez déjà acheté un truc d'occase sur discogs, vous avez la ref., Bref la V.O. regorge de ce genre d'expressions.
→ Pas mal de références pèchent à l'adaptation VF, comme sur beaucoup de séries, donc si vous comprenez bien l'anglais, n'hésitez pas.

Très bonne série.

Adrien Roche - Rédaction
22/01/2024 à 09:30

@Cristal Meth exactement ! Chaque début d'épisode nous montre le meurtrier, mais certains modifient un peu la recette (j'ai essayé d'en dire le moins possible pour ne pas gâcher la surprise).

All inclusive
22/01/2024 à 01:23

Bonne critique, c'est une présentation fidèle des atouts de la série.

Sur le coté de la mécanique, j'ajouterais que, effectivement, la grande diversité des situations et des milieux permet de ne pas tourner en rond d'épisodes en épisodes. Cela dit, quand on enchaîne les épisodes, le procédé semble malgré tout un peu répétitif. Les scénaristes ont donc choisis d'ajouter des contraintes pour contrebalancer le don de Charlie.

Au début c'est surtout le fait qu'elle est en cavale et qu'elle doit se dépêcher de résoudre l'enquête pour déguerpir au plus vite. On la voit aussi balancer entre son instinct de survie conditionné par une obligation de fuir qui la fait hésiter à s'impliquer et sa curiosité maladive titillée par son don d'observation des trucs qui clochent, auquel s'ajoute son incapacité à fermer sa grande bouche, qui la forcent à s'impliquer. On guette avec gourmandise les moments où elle va faire une réflexion ou une action improbable.

Avec le temps, ce n'est plus suffisant pour surprendre et les scénarios vont commencer à jouer avec la présence invisible de Charlie quand elle était déjà sur les lieux au moment où le meurtre a été commis (grande différence avec Columbo). On revoit les mêmes scènes une seconde fois et on découvre "où est Charlie", hors champ lors de la première vision des évènements.

Malgré tout, j'ai trouvé beaucoup de résolutions de cas un peu trop aidés par des hasards bienvenus. Cela dit, Il y a tellement d'éléments positifs que s'en est presque secondaire, mais c'est ce qui nous empêche pour le moment de ressentir le même sentiment jouissif à la fois de surprise et de mécanique imparable que Columbo nous offrait. Charlie semble plus virevolter au hasard de bumpers en bumpers et, à la fin, déclenche l'extra-balle un peu par un coup bol.

Je dis cela mais en même temps, ce côté Charlie Chaplin, en déséquilibre permanent qui entre en télescopage avec les protagonistes et dont les carambolages finissent toujours par faire avancer l'intrigue vers sa résolution exploite un côté burlesque dont je n'ai pas envie de me priver.

J'ai hâte de voir si une deuxième saison aura ajoutée de nouvelles contraintes ou une façon de rendre la résolution de certains cas un peu moins aidés par de heureux hasards. Gros potentiel en tout cas.

Birdy l'inquisiteur
21/01/2024 à 20:02

OUI cristal c'est ca. 1/3 environ se l'épisode est consacré au crime.
On decouvre ensuite comment Charlie vient se greffer au joyeux bordel.
C'est sympa mais j'ai pas atteint le point decri dans la critique donc j'ai fini par oublier de regarder la suite lol.
Je vais m'y remettre. Cette actrice propose clairement quelque chose à elle, et quand c'est bien ecrit ça peuy etre savoureux.
Mais helas, 2 points faibles : comme elle est cheatée avec son don, c'est souvent expeditif et tiré par les cheveux (et elle en a de sacrés des cheveux).
Et ça manque d'adversaires à la hauteur de ceux de Columbo. Adrien Brody était bien. Après c'est pas des genies quand même.

Cristal Meth
21/01/2024 à 18:36

Vous comparez la série à Columbo. Cela signifie-t-il que l'on connaît le meurtrier dès le début de l'épisode ou non ?

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