Test : Sifu - le cinéma d'arts martiaux vient-il d'être transcendé par le jeu vidéo ?

Antoine Desrues | 14 février 2022 - MAJ : 14/02/2022 16:46
Antoine Desrues | 14 février 2022 - MAJ : 14/02/2022 16:46

Malgré sa nature de projet indépendant, Sifu a gagné en quelques mois une attention particulière. Le studio français Sloclap a visiblement frappé juste avec son jeu d'action exigeant, piochant avec loisir dans les classiques du cinéma d'arts martiaux. Mais derrière ce postulat ambitieux, le titre parvient-il à donner l'uppercut tant espéré ?

La Fureur de vaincre

Parfois, une seule séquence peut définir la qualité d'un jeu. Dans le cas de Sifu, la claque vient indéniablement de son générique introductif, dont l'efficacité n'a d'égal que sa brillante manière de synthétiser sa profession de foi. Face au Club des cinq maléfique qui a assassiné le père de notre avatar lors de son enfance, une simple coupe métamorphose son corps en celui d'un jeune adulte en plein entraînement de kung-fu.

L'idée est simple, mais grisante. Le jeu du studio français Sloclap (Absolver) raconte la vengeance de toute une vie, dont la préparation annonce la coolitude d'un concept où l'on incarne un véritable artiste martial. Les pans de cinématiques s'enchaînent avec fluidité sur un tutoriel ultra-malin, où notre héros (ou héroïne) apprend les bases d'un gameplay exigeant en affrontant les fantômes des cinq boss qui vont ponctuer la progression du titre.

Derrière ce programme vengeur directement inspiré de Kill Bill, Sifu ne dévoile que l'essentiel de ses mécaniques, pour mieux offrir au joueur un terrain d'expérimentation malléable au fil de la partie. Mais ce qui pourrait n'être qu'un passage obligé est ici transcendé par l'amour évident des développeurs pour le genre qu'ils investissent.

 

Sifu : photoLe Jeu de la mort

 

Ce générique aux allures d'espace mental se déroule dans un décor rouge et abstrait, qui rend un hommage vibrant aux classiques de la Shaw Brothers (comme La 36ème Chambre de Shaolin). Eux aussi avaient tendance à débuter sur ce genre de séquences d’entraînement, à la gloire d'un médium capable de capturer les prouesses martiales de corps en pleine maîtrise de leurs mouvements.

Si les arts martiaux ont une longue histoire, Sloclap a bien conscience de l'importance du septième art dans leur succès, entre mise en valeur fantasmatique de techniques spectaculaires et entretien de légendes aux origines souvent ambiguës. Dès lors, la démarche du jeu vidéo assume cette même ambition via la relecture habile de tout un folklore jouissif. D'un combat de boss dans la neige à la Lady Snowblood en passant par une version féminine du Sabreur manchot de Chang Cheh, Sifu possède un appétit de cinoche évident.

 

Sifu : photoSi-Fu-Mi ?

 

De l'art de se faire baver sur les rouleaux

Pour autant, tout cela ne serait qu’afféterie grossière sans une jouabilité à l'avenant. Fort heureusement, Sloclap est tout entier dévoué à la force de proposition de son gameplay ravageur. Alors qu'on pourrait s'attendre à un beat'em up surpuissant dans la veine des Batman Arkham, il en reprend les bases pour mieux dérouter le joueur habitué à se sentir comme un super-héros invincible. Ici, pas de petit symbole pour indiquer l'attaque imminente des adversaires, qui vont forcément vous filer de sacrées roustes.

Die and retry assumé, Sifu se veut particulièrement ardu, et devrait donc passionner les fans de Souls-like et de pince-tétons. Cependant, l'aspect punitif ne semble jamais injuste, et amène à comprendre petit à petit les patterns des différents types d'ennemis. L'ensemble est assurément un jeu de bourre-pif réjouissant, mais sa gestion du kung-fu est très fidèle à ses préceptes fondateurs. La défense, à travers l'esquive et la parade, est bien plus essentielle que l'attaque, au point de faire de certains affrontements de purs décryptages stratégiques hautement satisfaisants.

 

Sifu : photo"Je passe le balai où je veux, et c'est souvent dans la gueule !"

 

Résultat, la grande réussite de Sifu réside dans la maestria de sa courbe de progression. Après s'être fait rouler dessus maintes et maintes fois par les premiers boss, impossible de ne pas jubiler une fois qu'on arrive à retourner la situation à notre avantage. Si la phrase clichée de la critique vidéoludique est de dire "qu'on a l'impression d'être dans la peau de... ", le jeu de Sloclap n'y parvient pas par les facilités habituelles d'un gameplay simplifié. Au contraire, le titre impose une concentration et un acharnement qui sont au cœur même de la spiritualité liée aux arts martiaux. On sent là le respect infini des développeurs pour la pratique en elle-même, puisqu'ils nous transcrivent moins le plaisir des gestes que de leur maîtrise totale.

Et mine de rien, c'est là que Sifu tire sa spécificité par rapport à ses modèles cinématographiques. Pour sûr, les séquences d'entraînement de ses référents restent de grands moments de cinéma euphorisants, mais rien ne peut égaler le plaisir d'atteindre soi-même cet instant de grâce.

Étant donné que le jeu vidéo d'action s'est depuis longtemps inspiré du cinéma d'arts martiaux, il y a comme une forme de boucle bouclée dans la démarche de Sloclap. D'autant plus lorsque le game design s'amuse à rendre interactives des séquences issues de films qui ont à leur tour pioché dans le dixième art. Dès le premier niveau, les poils ne peuvent que se dresser sur l'épiderme à la vue de ce couloir rempli d'ennemis, où la caméra passe soudainement en vue latérale, comme dans le plan-séquence mythique d'Old Boy.

 

Sifu : photoHommage parfait

 

Drunken Gamer

En bref, difficile de prendre en défaut l'inventivité de Sifu, malgré sa difficulté qui implique de revisiter les cinq mêmes niveaux. L'envie de perfectionner son approche est grisante, mais elle ne serait rien sans un level design somptueux et caractérisé, où l'on passe d'une boîte de nuit à un musée d'art moderne, le tout au travers de passages oniriques sublimes.

Au fur et à mesure, le joueur a d'ailleurs comme carotte maline la possibilité de débloquer des clés et autres cartes d'accès, qui permettent de trouver des raccourcis pour accéder plus rapidement aux boss. Ajoutez à cela du gain d'expérience pour se procurer de nouvelles facultés au combat, et vous avez là une dimension RPG savamment implémentée, sans qu'elle parasite le reste de la proposition.

 

Sifu : photoLe niveau dans le musée, magnifique !

 

Mais au-delà de tous ces éléments, Sifu a pour lui son dispositif singulier autour de son rapport à l'échec. Notre avatar possède un pendentif magique, qui lui permet de revivre à chaque mort au combat. La contrepartie, c'est qu'il vieillit après chaque décès, perdant en santé ce qu'il gagne en expérience. Et si en atteignant les 70 ans, c'est le game over, il faut que le joueur prenne toujours en compte cette donnée, pour espérer arriver jusqu'au boss final sans être grabataire.

De la sorte, l'ensemble gagne en stratégie, mais surtout en profondeur thématique. Loin de se reposer de manière appuyée sur les tenants et aboutissants de sa narration, le jeu fait confiance au pouvoir universel de la quête vengeresse du héros. Un peu à la façon de Shadow of the Colossus, il y a une sorte de tragédie larvée dans ce besoin de justice expéditive. Par ce rapport à la mort déréalisé, aujourd'hui commun dans le genre die and retry, on ressent une mise en abyme de ce perfectionnement de la réalité, de cette réécriture du temps qui impose de sacrifier littéralement sa jeunesse, voire la globalité de sa vie.

 

Sifu : photoÇa c'est du tuto makeup !

 

Est-ce que le jeu en valait vraiment la chandelle ? Voilà la question fascinante qui nous trotte dans la tête au fil des heures passées dans les méandres du titre de Sloclap. Car derrière le bonheur procuré par son gameplay millimétré, parfaitement en accord avec des références cinématographiques prestigieuses (de Jackie Chan à Bruce Lee en passant par les chefs-d’œuvre de Tsui Hark), Sifu interroge, l'air de rien, la manière dont le jeu vidéo peut imposer au joueur la détermination de son personnage, même s'il fonce droit dans le mur.

Briser le cercle de la violence ou l'entretenir, voilà le dilemme d'une œuvre brillante, à la fois déférente envers le plaisir des arts martiaux et la complexité de leur philosophie.

Sifu est disponible depuis le 8 février 2022 sur PS5, PS4 et PC. Ce test a été réalisé sur la version PC du jeu

 

Sifu : photo

Résumé

Sifu n'est pas seulement un hommage dense et savant au cinéma d'arts martiaux. Il s'en réapproprie les codes et les préceptes dans la furie d'un gameplay nerveux et exigeant. Au-delà de l'inventivité de ses décors et de ses boss hauts en couleur, on tient là une œuvre fascinante sur l'obstination, et la beauté de la maîtrise. Sans conteste l'un des grands jeux de cette année !

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commentaires
Zorgalouf
16/02/2022 à 09:50

Le jeu demande de l'investissement mais surtout, il manque un tout petit éclaircissement sur l'utilisation de L1. Une fois qu'on a compris que ça sert à la parade mais surtout à l'esquive, on avance bien plus facilement. Or, le tuto n'est pas clair à ce sujet !

Oméga
15/02/2022 à 12:10

Le jeu n'est pas si dur,il demande simplement de l'investissement et un minimum de skills pour être maîtrisé.
Les joueurs sont trop habitués à rouler sur les jeux en bourrinant les touches du coup ils sont perdus et découragés quand ils perdent et crient au scandale.
Pour moi:C'est un régal!et je suis déçu qu'ils veuillent ajouter un mode facile,il y a d'autres points à régler avant (caméra,principe de save,...)

Porter
15/02/2022 à 01:00

Une claque et une veritable lettre d'amour aux arts martiaux

F-Cheng
14/02/2022 à 23:26

Un jeu exceptionnel à plusieurs égards. La seule question résiderait sur la difficulté: au premier abord il parait incroyablement dur, et oui dés le boss du deuxieme niveau on se dit que ça va etre sacrément compliqué !
MAIS, la prouesse est aussi là: on découvre que cette difficulté est un faux semblant au fur et à mesure que l’on comprend l’esprit du jeu et comment il fonctionne. Chose qui ne se fait pas à coup de XP mais à coup d’apprentissages et pas forcément dans la longueur. Je dirai que c’est plus une question de déclic….que je pense à la portée de ceux qui osent, ceux bien sur qui persévérent, ceux qui observent, et/ou ceux qui changent un peu leur vision pour profiter du cadeau qu’est ce jeu. Car quand le déclic est là on peut l’ouvrir le cadeau et profiter à fond de ce qu’il y a dedans. Courage et confiance ! Ça vaut le coup ;-)

Antoine Desrues - Rédaction
14/02/2022 à 18:13

@Jay

Le jeu vidéo est officiellement considéré comme le dixième art (et ce depuis un moment).

Antoine Desrues - Rédaction
14/02/2022 à 18:10

Pour ne pas être moi-même un fan des Souls-like, que je trouve parfois assez injustes, je pense que Sifu parvient à trouver un équilibre qui rend la progression du joueur vraiment grisante. J'ai sacrément galéré sur le deuxième boss, mais 3 heures plus tard, je le passais sans perdre de vie, et en ayant déjà battu les deux suivants :)

Bien sûr, le jeu n'est pas à mettre entre toutes les mains, mais en étant quelqu'un qui s'acharne peu sur ce genre de jeu, je peux assurer qu'on finit par s'en sortir. Et c'est super kiffant !

Jay
14/02/2022 à 17:55

Le jeu vidéo n'est pas un Art mais de l'art, nuance

Berserkovore
14/02/2022 à 17:51

@ Kyle Reese
Perso je suis venu à bout de Dark Souls III, Sekiro et autres mais là moi aussi j'avoue que j'hésite...

Hank Hulé
14/02/2022 à 17:50

Parait qu'y vont intégrer des modes d'accessibilité...
Parait aussi que dès le niveau 2, c'est une torture.
En l'état, je passe : trop dur et y a Horizon qui arrive...

Kyle Reese
14/02/2022 à 17:35

Oui ce jeu a l'air vraiment top mais semble être vraiment très difficile d'après de nombreuses critiques. Or j'ai déjà laissé tombé Dark Soul 3 et Sekiro Shadows Die Twice à cause de ça. Car au bout d'un moment je perd de l'intérêt. Du coup je crois que je vais passer mon tour.

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