Dracula chez Coppola et Netflix : pourquoi ça reste les meilleures adaptations du cauchemar Demeter

Judith Beauvallet | 27 août 2023
Judith Beauvallet | 27 août 2023

À l’heure où Le Dernier Voyage du Demeter s’échoue dans les salles, il est temps de se remémorer la manière dont Francis Ford Coppola avait lui-même adapté ce chapitre dans Dracula en 1992.

NOTRE CRITIQUE DU DERNIER VOYAGE DU DEMETER

Le comte aux dents les plus acérées de Transylvanie fait encore parler de lui, puisque sort sur les écrans Le Dernier Voyage du Demeter, dernière adaptation en date par André Øvredal de Dracula, l’incontournable roman de Bram Stoker. Seulement, ce nouveau film a la particularité de n’adapter qu’un seul chapitre du roman.

Peut-être celui qui laisse le plus part à l’imagination, et qui avait déjà été représenté, entre autres, par Francis Ford Coppola dans son Dracula de 1992. Une différence majeure néanmoins : le chef-d'œuvre de Coppola parvient, en une minute d’écran, à faire davantage honneur au fameux chapitre que tout le film d'Øvredal. Comment est-ce possible ? Analyse de ce tour de magie cinématographique.

 

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l'argent ne fait pas le bonheur

Le voyage à bord du Demeter, s’il est un passage relativement court du roman, est un moment crucial de l’histoire. En effet, c’est la traversée qui ramènera le redoutable vampire depuis ses contrées lointaines de Roumanie jusqu’en Angleterre, où il a bien l’intention de saigner tout le monde. Dracula étant un roman épistolaire, cette croisière clandestine n’est racontée qu’à travers les extraits du journal de bord du capitaine, qui voit son équipe décimée jour après jour sans rien y comprendre.

Là où Le Dernier Voyage du Demeter décide d’inventer tout un récit et de développer des personnages autour de ces extraits pour donner à voir ce que le roman gardait secret, la plupart des adaptations choisissent d’en dire beaucoup moins. Mais est-ce une mauvaise chose ? Le film d’André Øvredal, malgré sa belle promesse, trahit vite son sujet et se plante dans les grandes largeurs, à l’écran comme au box-office (à ce jour, le film cumule seulement 14,4 millions de dollars de recettes, pour un budget de 45 millions).

 

The Last Voyage of the Demeter : photoUn Dracula qui bat de l'aile

 

Dans la version de Coppola, le fameux voyage ne dure qu’une minute à l’écran, mais avec cette seule scène, le réalisateur parvient à faire beaucoup mieux que son successeur. Bien sûr, il est plus facile de ne pas se tromper sur 1 minute de film plutôt que sur 2h, mais la mise en scène y est pour beaucoup, car la séquence du Coppola est particulièrement stylisée (comme tout le film), avec des partis pris esthétiques qui la rendent particulièrement marquante.

Pour rappel : le budget du film était très mince pour son ambition (seulement 40 millions de dollars hors inflation, là où Terminator 2, sorti la même année, en avait coûté plus du double). Le réalisateur a donc misé sur énormément d’effets pratiques réalisés en plateau, et sur le pouvoir de la suggestion. D’ailleurs, une version plus longue de la scène (visible sur internet), que le réalisateur a eu la jugeote de couper au montage, laisse voir les limites des effets spéciaux. Pensée pour cette ombre de loup en carton qui passe derrière une voile éclairée en vert et qui n'apparaît pas dans la version finale du film.

 

Dracula : photo, Keanu Reeves, Gary OldmanKeanu cru ?

 

Le pouvoir de l'imagination

Le résultat est celui d’une séquence très découpée (aspect fidèle au chapitre haché du journal de bord, dont certains jours ne contiennent qu’une phrase ou deux), recouverte par la voix off grave et inquiète du capitaine. Deux gros plans montrent Dracula caché dans sa caisse de terre, d’abord enveloppé d’une sorte de poche amniotique, puis ouvrant les yeux sous son apparence de loup-garou. Ces plans à la fois rapprochés et très obscurs empêchent d’avoir une vue d’ensemble de la créature, et se concentrent sur l’horreur induite de son apparence pour laisser imaginer ce que le vampire va faire subir à l’équipage.

À ces images succèdent des plans presque illisibles du bateau, où l’on voit des voiles se tacher d’effusions de sang, tandis que retentissent des hurlements anonymes. La nuit et la pluie recouvrent tout, tandis que la caméra tangue avec le bateau. Dans la plus pure beauté gothique, ces images sont inconfortables pour l’esprit, car la caméra ne prend jamais de recul, empêchant toute spatialisation et tout repère dans l’action. Un parfait exemple de mise en scène limitée par le budget et l’impossibilité d’avoir un décor complet, mais qui transforme cette limite en atout pour désorienter et effrayer le spectateur.

 

Dracula : photoDracula bouge sa caisse

 

Notons également le travail du son, qui habille la scène autant que la photographie : la fantastique musique de Wojciech Kilar finit par remplacer la voix off de ses accents graves et de ses chœurs dramatiques, accompagnée par les cris de détresse des victimes et les grognements rauques du vampire. Si la scène dans son ensemble n’est pas sans rappeler, dans son style et sa mise en scène, celle du Dracula de 1979 réalisé par John Badham, ses partis pris esthétiques plus poussés et résolument baroques la rendent singulière et mémorable.

En somme, alors que les deux films ont bénéficié d'un budget plutôt modeste, celui de Coppola est une formidable démonstration de tout ce qu'il est possible de faire pour dépasser cette problématique, là où celui d'Øvredal choisit constamment la sagesse, la tiédeur et la facilité, ne prenant ainsi jamais son envol. Le Dernier Voyage du Demeter dilue dans ses quelques bonnes idées dans ses deux heures de platitude et de tension polie et convenue, qui n'arrivent pas à la cheville d'une minute du maître Coppola.

 

The Last Voyage of the Demeter : Photo Nikolai NikolaeffRéminiscence

 

Netflix à la rescousse

En revanche, au petit écran, il existe une autre proposition d’adaptation de ce chapitre. Et celle-ci n’est pas dénuée d’intérêt. En effet, dans la mini-série Netflix de trois épisodes sobrement appelée Dracula, créée par Steven Moffat et Mark Gatiss en 2020, un épisode entier d’environ 1h30 est consacré au voyage du Demeter.

 

Dracula : Photo Claes BangUn passager de 1re classe

 

En prenant le contrepied total de Stoker et de Coppola, l’épisode met en scène Dracula comme un gentleman un peu malsain qui évolue en tant que passager presque normal du Demeter. Grâce au ciel couvert, il évolue en plein jour sur le bateau parmi les autres, tuant discrètement et feignant d’enquêter sur les meurtres qu’il commet lui-même. Si la série est largement imparfaite, elle fait montre aussi de beaucoup de propositions intéressantes et originales, dont celle-ci.

Personnage dérangeant, tuerie cruelle, horreur filmée en plein jour, manipulation des esprits... Moffat est loin de l'ambiance du roman et des adaptations les plus connues, mais le ton et le rythme de cette proposition rafraîchissent une histoire dont on pensait avoir déjà tout dit. Un épisode qui est également, à lui tout seul, un meilleur Dernier Voyage du Demeter que le film qui porte ce nom.

Tout savoir sur Le Dernier Voyage du Demeter

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commentaires
Padackor
31/08/2023 à 15:37

Ha…

Adrualuc
29/08/2023 à 11:54

Le meilleur Dracula de tous les temps et le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher avec Christopher Lee de 1958

Schwarznigga
28/08/2023 à 09:49

Pourquoi ils ne font pas tout simplement un film qui reprend l'intégralité du livre, à l'instar d'Harry Potter et Lord of the Rings ?

Grey Gargoyle
27/08/2023 à 23:35

Hello,
André Øvredal est rhabillé pour l'hiver ! (^_^')
Pour ramener moi aussi ma fraise, il y a l'arrivée du navire infesté de rats dans le port de Wismar dans les deux versions de Nosferatu (1922 et 1979).
Bien cordialement

kauritree1986
27/08/2023 à 23:03

Mon pote et moi sommes allés voir le Coppola au cinéma récemment. N'avons rien compris à ce bazar, à cette histoire, à ce Dracula sénile. Que ce film soit considéré comme un chef-d'œuvre nous est passé au-dessus.

Beerus
27/08/2023 à 21:00

Dracula de Netflix ? Les deux premiers épisodes sont bien mais le 3eme c'est une catastophe et le personnage d Van Helsing qui est une femme dans cette version, c'est niet.

Kyle Reese
27/08/2023 à 18:30

Le Dracula de Coppola marque le sommet de sa fin de carrière Hollywoodienne. Je ne me lasse pas de ce film, de sa folie, de ses excès dans l’interprétation, sa photo à tomber, ses décors en dur ou en matte painting magnifique. Rien de numérique dans ce film. tout en praticable, tout en astuces et bien plus encore pour rendre hommage à tout un pan du cinéma du passé, Les frères lumières, Melies, dans cette relecture du mythe au travers des avancées technologiques de l'époque avec l'invention du cinéma. Ce film est magique, d'un romantisme exacerbé aujourd'hui surement désué mais tellement fort et intemporel pour moi. Je me demande ce que les nouvelles générations peuvent en penser. Ce film respire le vrai, le gothique, la pourriture du monstre, le doux parfum des demoiselles, le bruit des tissus raffinés des robes, l'odeur du sang et de la poudre. Et cette musique entêtante. Et puis la plus grande prestation de Gary Oldman. "I've crossed ocean of time to find you"
L'une des plus belle romance gothique de l'histoire du cinéma pour moi. Un chef d’œuvre intemporel.
Dommage pour Demeter, un occasion manqué.

Brosdabid
27/08/2023 à 17:49

Après c'est Coppola, des acteurs de premier plan, un BO Parmi les meilleures tout types de films confondus
C'est compliqué d être comparé à ce chef d'œuvre, mais vous m avez donné envie de voir le deuxième épisode de la série Natflix, merci

Marc ( '' )
27/08/2023 à 16:58

Le DRACULA de Coppola ( 1992) est toujours le meilleur film mais Le dernier Voyage du DEMETER m'a surpris SANGLANT le design de DRACULA horrible très réussi.