Spider-Man : Across the Spider-Verse - révélations sur l'enfer en coulisses, et une industrie en souffrance

Owen Carrel | 26 juin 2023 - MAJ : 27/06/2023 00:00
Owen Carrel | 26 juin 2023 - MAJ : 27/06/2023 00:00

Spider-Man : Across the Spider-Verse s'ajoute à la longue liste des blockbusters aux coulisses difficiles, et symbolise à merveille la crise qui couve à Hollywood.  

À première vue, Spider-Man : Across the Spider-Verse a tout d'un doux rêve. Pour les fans du tisseur, c'est une merveille d'adaptation, pour les fans du premier film, c'est une suite dantesque, pour les fans d'animation, c'est une prouesse visuelle, et pour les fans de bons films, c'est un petit miracle de cinéma. Le tout en confirmant avec brio les promesses du génial Into the Spider-Verse sorti en 2018. Pour Sony, c'est également une poule aux oeufs d'or. 

Le long-métrage a explosé le box-office américain pour son premier week-end, et continue de performer semaine après semaine. Avec 560 millions de dollars récoltés en quatre semaines dans le monde, il a déjà largement dépassé son prédécesseur (384 millions en fin d'exploitation). Pourtant, le rêve aurait plutôt tout d'un cauchemar selon le journal Vulture, qui a dévoilé les coulisses mouvementées du film via quatre témoignages, alors que la direction de Phil Lord, coproducteur et coscénariste, aurait été très difficile.

 

 

Across the development hell

Cent personnes (sur environ 1000) auraient ainsi quitté le projet depuis le début de la production, assommées par des horaires infernaux et des changements incessants. Spider-Verse a connu plusieurs reports (sortie en avril puis en octobre 2022, avant d'être fixée au 31 mai 2023), et n'était pas pensé à la base comme un diptyque (la seconde partie doit sortir en 2024, en théorie).

Plus préoccupant encore, il aurait été revu et corrigé 5 fois durant son sprint final, alors que les réalisateurs avaient révélé avoir fini son montage seulement dix jours avant sa sortie. Le résultat d'un rythme de travail difficilement soutenable : 11h/jour, 7 jours/7 pendant un an.

Les témoignages interrogent sur la méthodologie de Phil Lord. Selon un dénommé Stephen (anonymisé par Vulture), le producteur avait le dernier mot sur le film et disposait d'un pouvoir exécutif sur les réalisateurs (Joaquim Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson). Rien de surprenant jusque-là. Ce qui cloche, c'est qu'il aurait passé son temps à demander des changements sur des scènes finies ; une folie coûteuse, en temps et en argent, au vu du nombre impressionnant de départements à la manoeuvre sur le film.

 

Spider-Man : New Generation 2 : photoCette scène n'est pas dans le film

 

Selon Charlie, un vétéran du milieu qui a travaillé sur Spider-Verse, Lord aurait été incapable de se projeter sur les prévisualisations 3D des plans, étape essentielle pour tout film d'animation, obligeant les artistes à finir leur travail avant de le changer au dernier moment. Des séquences du film auraient ainsi été débutées en 2021, pour être terminées en mai 2023. Selon lui, alors que le montage final était assemblé, Phil Lord aurait continué à vouloir y apporter des modifications, quelques jours avant la sortie du film, ce qui l'aurait mis en conflit avec Sony (une version évidemment démentie par le studio).

Eliott, un autre artiste attaché au projet, révèle que 90% des plans créés pour le premier teaser, sorti en décembre 2021, ne sont pas dans le film. Tous affirment que la production a mystérieusement été mise en pause durant trois mois, durant lesquels Lord et Miller n'ont soumis aucun nouveau plan aux équipes d'animation, au chômage technique. Quand le processus a repris, plusieurs animateurs avaient quitté la production pour se consacrer à d'autres projets.

Cerise sur le gâteau : le studio a sous-payé ses artistes, prétextant que les heures supplémentaires leur permettraient de compenser.

 

 

Praise the (Phil) Lord

Ces révélations interrogent. Sont-elles seulement le résultat d'une méthodologie problématique de Lord et Miller, ou le symbole d'une industrie défaillante ? En réalité, un peu des deux. Car le cas des producteurs emblématiques pose clairement question. Contrairement aux habituels anonymes au CV bien peu garni appelés à la barre des projets du MCU (Peyton Reed ou Jon Watts pour ne citer qu'eux), les deux partenaires sont plutôt expérimentés, notamment dans l'animation. Tempête de boulettes géantes, La Grande Aventure LEGO, ou bien évidemment Into the Spider-Verse sont autant d'exemples marquants d'une carrière réussie dans le domaine.

Cependant, il convient de rappeler que leur expérience sur le tournage de Solo : a Star Wars Story avait déjà mis en avant quelques tendances à l'improvisation qui avaient finalement provoqué leur renvoi par Lucasfilm et une brouille avec sa boss Kathleen Kennedy. Dans le cas de Spider-Verse, cette volonté d'improviser aurait tourné au tâtonnement permanent. Évidemment, sur un film d'animation aussi complexe, difficile de faire des reshoots ou de changer des plans du tout au tout. Mais, au lieu de simplement accabler les créateurs, il faut regarder ces révélations comme le symptôme d'un Hollywood toujours plus cruel pour ses petites mains.

 

Solo : A Star Wars Story : photo, Alden EhrenreichSouvenirs...

 

L'animation est un milieu précaire, dont les tares ont été mises en exergue par l'article de Vulture. Mais si la production d'Across the Spider-Verse a été aussi compliquée, pourquoi donc si peu ont quitté le projet en cours de route ? Stephen affirme que plusieurs de ses amis ont souhaité rester pour garder un de leurs plans dans le film. Un élément capital pour les animateurs, qui doivent constamment nourrir leurs CV de grosses productions pour continuer à travailler. Avec Spider-Verse, on parle d'une franchise techniquement révolutionnaire et oscarisée. Difficile de trouver mieux.

Et c'est là tout le paradoxe de ces révélations troublantes sur le film. En effet, point de blockbuster insipide et boudé par à peu près tout le monde ici, mais un succès populaire, critique et commercial qui se révèle (encore) avoir été un sacré bordel en coulisses. Quand on découvre qu'Ant-Man 3 a été un enfer pour les spécialistes en effets spéciaux, c'est d'autant plus révoltant que le long-métrage est atroce visuellement. Dans le cas de Spider-Man : Across the Spider-Verse, il serait presque dur d'accabler la méthode de Lord et Miller tant le résultat final est une brillante réussite.

 

Spider-Man: Across the Spider-Verse : photoOn t'aime quand même

 

Une chose est sûre : il y a très peu de chances de voir Beyond the Spider-Verse, dernier élément de la trilogie, débarquer dès mars 2024 comme prévu. Si on pouvait croire que les deux films avaient été préparés en même temps, il n'en serait rien à en croire un des artistes interrogés par Vulture. Selon lui, tout le travail fait sur Beyond correspond aux tests réalisés quand le film n'était pas encore scindé en deux parties. Mais à ce stade, ce n'est certainement pas le plus grave.

Après les artistes VFX et les scénaristes, c'est un nouveau secteur majeur d'Hollywood qui se révolte. Et ça commence à devenir légèrement inquiétant pour la suite.

Tout savoir sur Spider-Man : Across the Spider-Verse

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Shurnot
16/08/2023 à 22:31

C'est vraiment dure pour moi de savoir la souffrance des animateurs dérrières ce film , car j'aime vraiment généralement beaucoup le travail de Phil Lord et Chris Miller, c'est vraiment des gens qui arrivent à écrire et réaliser d'excellents films. Mais savoir que Phil lord gère si mal la production je trouve ça vraiment terrible . Il faut que ça se fasse savoir au maximum , car je préfererais vraiment qu'il finisse par apprendre de ses erreurs. Across the Spider-Verse c'est un chef-d'oeuvre ,mais aucun film , aussi bon soit-il , ne mérite que les gens qui travaillent dessus souffrent . Je préferais milles fois que Beyond the Spider-Verse soit répoussé à 2025 ou 2026 plutôt que ça arrive à nouveu.

Badaboum
01/07/2023 à 10:21

Franchement je peux pas dire que je suis étonné, le résultat final est plutôt fouillis, avec beaucoup d'idées qui n'ont pas le temps d'être développées correctement. Le premier film était bien plus ciblé sur ce qu'il voulait faire, ils n'avaient pas les moyens de mettre toutes les idées qui leur passaient par la tête dans le film pour finalement décider de le faire en 2 parties parce que ça tenait pas en une. Comme souvent pour le cinéma un budget faramineux retire certaines contraintes d'efficacité qui sont pourtant bien utiles.
J'ai franchement du mal à comprendre la réception ultra-positive du film. Il est bien, oui, mais à part un flair visuel désormais attendu, il est en dessous du premier. Il n'invente ou ne révolutionne rien, il ose même nous refaire des bouts d'histoire du premier, le son est parfois aux fraises, l'humour mal dosé, et le fameux flair visuel semble parfois franchement gratuit. Je ne comprends pas qu'on puisse qualifier ce film de chef d'œuvre, contrairement au premier, il est bien trop dissipé et inégal.

stratageme
29/06/2023 à 12:26

@pseudo2: le truc c'est qu'on a tous vu le produit final, c'est un chef d'oeuvre. tout sauf du vent. c'est l'opposé d'un produit formaté remplit de contenues qui n'as aucun sens que de faire facade. ca déborde d'attentions et de volonté. c'est une réalisation de vision pure. quasiment tout est parfait et ca veux dire que les producteurs-réals ont bien fait leurs taffs.

c'est triste pour les conditions de travail qui semblent elle ont été déplorable, pour les payes qui ne sont pas a la hauteur, mais bon, on peux aussi voir le meilleur versant de la chose et se dire que comme le film est un succès, ca permettras surement a plus d'artistes de trouver des jobs sur des projets qui leurs plaisent et de mener leurs expérimentations a bien. c'est quand même déjà palpable que ca donne de la cred et un nouveau souffle au milieu.

après je pense aussi qu'il y a une forme de douleur qui peux venir avec l'acte de création, et que j'en ai vu qui avait besoin de personnes d'autres pour se surmener, tout comme c'est évident que plus un projet et gros, plus c'est difficile a tenir sur certain de ces aspects. mais bon, je regarde le produits final et je pense pas qu'il y ait une personne sur ce projet qui ait chômé en fait. c'est peux être terrible mais on se fait du mal pour nos exigences. après rien ne nous obligent a vivre d'une manière ou d'une autres. ceux qui sont partis du projet ont très bien fait, ceux qui sont restés aussi.

Pseudo2
28/06/2023 à 12:55

@Kiwi Absolument tout ce que tu dis est stupide au dernier degrès, c'est incroyable.

Aucun de ces animateurs est un feignant qui désire bosser 5h par jour. Ils demandent juste à leur producteur de savoir où il va et de ne pas changer d'avis toutes les 30 minutes à des étapes tardives du processus de fabrication.

Travailler dur, oui, travailler dur pour du vent, c'est plus compliqué à accepter. Du haut de tes 12 ans, ça doit être compliqué à comprendre, mais personne n'aime avoir un boss qui ne sait pas ce qu'il veut et qui arrive après la guerre pour tout changer.

Sinon, la réflexion sur l'IA me fait marrer : tu n'y connais absolument rien à rien et tu ferais mieux de laisser les adultes entre eux. Va t'acheter un NFT plutôt qu'essayer de parler animation à des animateurs.

Kiwi
28/06/2023 à 10:12

L’ambition va au delà d’un film. L’ambition est de créer une œuvre d’art contemporaine, une œuvre majeur de ce siècle, Spiderverse on en reparlera encore dans 60 ans pour tout ce que ça incarne et symbolise.
Le meilleur naît d’un haut niveau d’exigence, ça a toujours été comme ça et ça le sera toujours. Y a rien qui se fait facilement, en travaillant 5h par jour faut arrêter de pleurnicher. Il faut être fier d’avoir bosser là dessus, ou laisser la place à d’autres qui comprennent le réel enjeu artistique et philosophique derrière ce projet. En réalité c’est que des techniciens qui sont là pour pointer, faire leur tâches, et rentrer chez eux, bien sûr il faut être payé décemment. D’accord, mais c’est pas ça être vraiment dans l’effervescence créative, dans la tête des réals pour devoir pondre un truc pareil et le mener jusqu’au bout. J’aimerais bien voir la réaction de ces pleurnichards au moment où l’IA mettra son grain de sel dans le monde de l’anim.

Pseudo2
27/06/2023 à 21:24

@zetagundam Le plus etonnant est que Miller ET Lord viennent de l'animation, sont passé par de la série petit budget et ont donc tout à fait conscience de ce qu'ils demandent. Ce qui les rend encore moins sympathiques à mes yeux : à ce niveau, ils sont censés savoir que tout changements post-animatique est lourd de conséquence et qu'il ne faut pas en abuser.

Kraft
27/06/2023 à 15:51

Il y avait ce pb sur les prods VFX de Marvel, l'animation maintenant
En France ça craint aussi, je suis animateur depuis 10 ans, je travaille sur un projet franco-américain bien connu, et c'est une calamité... les conditions de travail sont très moyennes, les salaires ridicules, et on nous donne des dates tout bonnement pas tenables, j'espère que des gens sur le projet se manifesteront à la sortie

MonsieurPomme
27/06/2023 à 12:17

C'est vraiment regrettable d'aller pardonner ou excuser Lord & Miller pour les problèmes en coulisses, ou d'accuser le système. Ça serait comme pardonner John Lasseter pour ces agressions ou harcèlements malgré qu'il était à la tête des plus grosses productions Disney/Pixar.

Rastan999
27/06/2023 à 09:22

Malheureusement c’est parfois d’un très haut niveau d’exigence et de pression que jaillit le meilleur. Les exemples sont légions et pas seulement dans le cinéma (Coucou Steve Jobs). Évidemment que le producteur ne se rend pas forcément compte de ce qu’il demande, il a avant tout en tête le résultat. C’est aussi à ses relais de s’organiser et de faire remonter les problèmes. Quand on sollicite beaucoup une équipe, la clé c’est de les associer à la réussite, de ne pas les oublier et les faire grandir pour que tout le monde soit récompensé du travail acharné. Mais cette dernière partie pêche souvent. Et quand on a 1000 personnes a gérer (!) ça devient très compliqué.

zetagundam
26/06/2023 à 22:41

D'expérience, je suis sûr que ces gars là pensent qu'il suffit juste d'un clic de souris pour que le travail se fasse tout seul sans se rendre compte, ou en faisant semblant de ne pas le voir, que la moindre modification même minime peut avoir des conséquences énormes pour les petites mains

Plus