Interview Sébastien de Sainte Croix, monteur de La Marque des anges

Matthieu Leniau | 26 juin 2013
Matthieu Leniau | 26 juin 2013

Alors qu'est sorti ce mercredi La Marque des anges, Ecran Large a rencontré son monteur, Sébastien de Sainte Croix. L’occasion de revenir avec lui sur son parcours, ainsi que le travail réalisé autour de ce long-métrage de poids, auréolé d’un duo d’acteurs (Depardieu - Joey Starr) qui a de la gueule. Et d’explorer un métier peu médiatisé, qui a pourtant un rôle prépondérant dans la conception d’un film.


Peux tu te présenter à nos lecteurs et nous raconter dans les grandes lignes ton parcours qui t'a mené à monter (seul) ce premier long-métrage d'envergure ?

Alors, je m’appelle Sébastien de Sainte Croix, j’ai 39 ans. je suis passé par des années de documentaires, d'assistanat et de rencontres en tout genre avant de pouvoir approcher le montage de long-métrage cinéma, qui est mon objectif de base. Pour ce qui est du parcours, j’ai fréquenté la fac de Droit puis d’Histoire, ainsi que La Fémis.

 

As tu toujours voulu être monteur ?

Oui. J'ai réalisé 2 courts-métrages et un documentaire, et à chaque fois, c'est l'étape du montage qui m'a toujours le plus intéressé. Cela m’a conforté dans l'idée que je serais mieux derrière mes écrans que sur un plateau. Même si on est aujourd'hui évidemment amené à se rapprocher du tournage, et que ça continue à ressembler à un immense parc d'attraction...


As tu des modèles dans le métier ? Des films référence dans le domaine ?

Je ne vais pas être très original : Eisenstein a été une révélation, Peckinpah également. La horde sauvage a été un choc durable. Je peux aussi citer Resnais, Argento, De Palma, qui ont la particularité d’être des metteurs en scène où le montage "se voit". Et puis d'autres où il se fait plus discret : Carpenter, Powell, Mankiewicz, Polanski. Ils sont légions. Après il est difficile d'être littéralement "fan" d'un monteur, comme on peut l’être d’un acteur ou d’un cinéaste. Les signatures sont souvent des effets de style propre au réalisateur. Mais en ce qui concerne mes expériences, certains monteurs que j'ai assisté (même très peu de temps) m'ont beaucoup appris, sur leur capacité à gérer des univers, des personnes, des situations de crise. Je parles de Emmanuelle Castro (Un balcon sur la mer), Bill Pankow (Mesrine : L'Ennemi public numéro 1), Sébastien Prangère (The Secret).

 


Le métier de monteur est encore bien mal perçu du grand public et même des journalistes ciné. Quel en serait la meilleure définition ?

On est un peu aux confluents de toutes les techniques cinématographiques. Il faut avoir des rudiments de son, d'image, de technique purement informatique (pour "maquetter" les trucages et "repenser" les plans déjà tournés). Et surtout, garder l'esprit ouvert ! Le travail consiste à gérer tous ces éléments et à se mettre au service d'un film (de fiction ou documentaire), d'un metteur en scène et d'un producteur (dans cet ordre bien précis !). Le but ultime étant que tout le monde y trouve son compte. Après, que le film trouve ou non son public, c'est une autre affaire. C'est un peu comme une donne au poker : on a des cartes en main. On peut bluffer, tricher un peu, l'essentiel, c'est de gagner la partie et d'optimiser la "donne" de départ.


Comment considères tu ton rôle par rapport aux réalisateurs ?

Variable. Tout va dépendre de la confiance que va t'accorder un metteur en scène, qui n’est jamais la même d’un projet sur l’autre. Certains savent exactement ce qu'ils veulent, tout est tracé. D'autres ont besoin d'être bousculé, conforté, il faut donc savoir écouter. Il est primordial de s'adapter à l'univers de chacun et essayer de trouver sa place. Sans pour autant donner le sentiment qu'on "s'accapare" leur film.

 

Y-a-t-il une relation par réalisateur ? Le monteur a t-il besoin constamment de s'adapter à chaque projet dans sa manière de travailler ?

Chaque metteur en scène travaille différemment. On doit donc composer avec leurs besoins, ceux de la production, les exigences du diffuseur. Il est vrai qu'il est plus facile de travailler régulièrement avec la même personne, on sait ce que l'autre veut, ça permet d'interpréter plus facilement les rushes.. Mais il faut aussi se méfier du syndrome du "vieux couple" et ne pas s'endormir sur sa table et ses acquis. Ce qui ne varie pas ou peu d’un projet sur l’autre, la seule constante, c'est le manque de temps et d'argent, quelque soit le budget de départ.

 

Quels ont été les plus grands challenges sur La Marque des anges ?

Déjà que la relation entre les personnages de Salek et Kasdan soit crédible et qu'elle évolue naturellement tout au long du film. C’était primordial. On était sur un schéma de film à "l'ancienne" où les personnages devaient primer sur le reste. C'était une volonté de Sylvain White et de Stéphane Sperry, le producteur. Concernant mon travail, il fallait éviter le clip et la saturation de plans. Enfin, réussir à transposer l'univers de Grangé vers le grand public. Il fallait également que l'on comprenne quelque chose à l'histoire, ne pas retomber dans les travers de la fin des Rivières pourpres...


Connaissais tu le travail de Sylvain White avant de travailler avec lui ?

J'avais vu The Losers et Stomp the yards, mais je ne savais absolument pas qu'il était français. Après l'avoir rencontré j'ai fait du zèle et regardé Souviens-toi... l'été dernier 3, même s’il m’a dit qu’il n'était pas nécessaire de le voir. On a le même âge, des goûts musicaux en commun.. On avait d’ailleurs dû se croiser dans le passé à des concerts de "Fishbone" ou de "FFF" (présents sur la B.O du film).


Comment avez vous fonctionné sur ce film ?

Sylvain n'avait qu'une seule exigence : Que je lui envoie des "rough cuts" quotidiens de mon travail. Il me faisait des commentaires, ré-ajustait des détails, et moi je collais à la roue du tournage. Le montage a commencé dès le troisième jour de tournage, il était encore possible de retourner des plans supplémentaires, selon la disponibilité des comédiens et des décors, afin de pallier certains manques. Il n'y en a pas eu beaucoup.


Y a t-il un univers Grangé à respecter ?

C’est difficile à dire. Le scénario a connu beaucoup de remaniements avant d'arriver à sa version actuelle, et l’histoire a également évolué au montage. Il faut essayer de réussir la fin, qui pêche parfois dans les romans. L' univers de Grangé est assez dense, il y a des passages indispensables (complots, groupuscules nazis...) mais un film ne dure que 2 heures. On a donc fait des choix, on est forcément obligé de sacrifier certains éléments. L’autre solution est de l'adapter en série télé...


Il y a de nombreuses similitudes narratives voire visuelles avec les précédents films adaptés ou écrits par Grangé. Comment vous en êtes-vous démarquer ?

Sylvain avait quelques références en tête. Je peux citer Drive ou Seven pour l'atmosphère. J'avais vu les différentes adaptations de Grangé, et on a essayé de rendre ça clair et lisible (un peu trop au goût du producteur). L'idée était aussi et surtout de faire un Grangé "grand public", sans s'aliéner pour autant la base des fans de Miserere, le roman d'origine.


Est-ce une chance de monter Depardieu et Joey Starr ? Ils sont réputés difficile. Y a t -il des astuces au montage pour faire passer la pilule ?

C'est une chance effectivement de travailler sur la matière Depardieu. On a l'impression de côtoyer un pan entier du cinéma. Il n'est peut-être plus aussi rutilant que du temps de Blier ou de Bertolucci (qu'il cite régulièrement). Mais il n'empêche que ça fait quelque chose de l'entendre parler de Dewaere entre les prises. Depardieu charrie avec lui une mémoire cinéphilique monumentale, dont il est difficile de rester indifférent. Quant à l'autre lascar....il a une présence, il faut le canaliser. On a passé énormément de temps à travailler sur leurs scènes pour les rendre les plus justes possible, aller chercher le regard, la ponctuation, le silence qu'il faut, sans que le travail effectué ne se voit. C'est un peu de la dentelle ! Le tout en étant attentif au reste du casting, pour que les deux ne bouffent pas tout le film. Il y a des plans qui me font penser au Choix des armes d'Alain Corneau.



Le film est relativement avare en scène d'action. La séquence de baston dans l’hôpital est-elle le moment le plus jouissif pour toi ? celui où tu t'es fait plaisir ? Comment innover dans ce genre de scène que l'on a vu tant de fois ?

Le film n' est pas un film d'action, mais à plus à voir avec le registre du polar. A part la scène d'ouverture et la séquence de l'hôpital, le reste est assez "classique". Le script était comme ça. Mon seul regret, c'est que la fin n'ait pas pu se tourner à Berlin au Mémorial de l'Holocauste comme il en était question avant le tournage. Je pense que graphiquement et symboliquement, la course-poursuite finale aurait gagné en intensité. Mais ce sont les aléas d'un tournage. Pour en revenir aux scènes d'action, c'était intéressant de travailler avec une telle matière, un savoir-faire à "l'américaine". J'étais bien servi, il y avait tous les axes et toutes les valeurs nécessaires pour faire fonctionner la séquence. Dans ce cas, je prends ça un peu comme une récréation, un plaisir ludique d'enfant. C'est aussi l'occasion de coller quelques ralentis à la "Peckinpah". J’avoue qu’il a d'ailleurs fallu que je me freine, pour ne pas que ça commence à ressembler à Croix de Fer.


As-tu d’autres regrets sur le film ? Ta plus grande satisfaction ?

Des regrets, je pense qu’on en a toujours. Des plans VFX que l'on aurait souhaité, un peu plus dynamique, la musique de la dernière partie... J'aurais pu encore y passer des semaines, mais il y a un moment où il faut rendre sa copie et accepter de lâcher prise.


Quels sont tes projets à venir ?

Je viens de commencer le prochain film de Bustillo et Maury Aux yeux des vivants, qui me permet de revenir à mes premières amours, le film de genre ! Il y en a tellement peu en France de "regardable" que c'est une opportunité extraordinaire. J'ai l'impression d'être à Noël... en juin.


Quelles sont tes ambitions ?

Mes ambitions, je dirais que c’est dans un premier temps de continuer à me faire plaisir (et à gagner ma vie), en collaborant à des projets "différents". Peu importe le genre. Même si j'ai une prédilection pour le fantastique et le film de genre.

 
 
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