Et si les Tortues Ninja version Michael Bay n'était pas si nul ?

Antoine Desrues | 4 août 2023
Antoine Desrues | 4 août 2023

Et si Ninja Turtles, le reboot des Tortues Ninja chapeauté par Michael Bay, n’était pas si horrible que ça ?

Dans la foulée du succès grandissant de la saga Transformers, Paramount a opéré dans les années 2010 une double-opération : miser au maximum sur des relectures de franchises plus ou moins délaissées des années 80, et si possible en incluant Michael Bay dans ce processus opportuniste. En même temps, le réalisateur d’Armageddon et de Bad Boys est à ce moment-là le roi d’Hollywood, malgré les critiques toujours plus assassines de ses blockbusters explosifs. En 2011, Transformers 3 dépasse la barre symbolique du milliard de dollars de recettes, tandis que le style reconnaissable du cinéaste, souvent réduit à ses money-shots publicitaires et à son montage erratique et sensitif, est repris par tous.

Sauf que le flop d’un film comme Battleship (confié à Peter Berg) prouve bien qu’il n’est pas si aisé de reproduire la méthode Bay (ou Bayhem pour les intimes). Passés les travellings circulaires stylisés et les ralentis over the top, il y a bien une sauce secrète qui transcende la vulgarité revendiquée par le saint patron du kaboom. On ne reviendra pas ici sur son œil aiguisé pour les compositions de cadres démentes et dynamiques ni sur sa manière de concevoir des mondes à l’irréalisme et au bling-bling assumé, totalement ancrés dans une logique de cinéma.

Néanmoins, il est évident que ce look a infusé, pour le meilleur et pour le pire, l’esthétique du blockbuster américain comme une traînée de poudre, surtout lorsque celui-ci a pleinement embrassé les possibilités offertes par le numérique. Et dans le domaine, Ninja Turtles – que Bay a seulement produit – en est l’exemple parfait, autant pour ses ratés évidents... que pour ses quelques réussites.

 

Ninja Turtles : photoDes designs discutables...

 

(Bay)te et méchant ?

Attention, on ne va pas chercher soudainement à réhabiliter le film de Jonathan Liebesman, qui s’est fait à juste titre trucider par la critique lors de sa sortie en 2014. Il faut dire que le long-métrage n’a pas vraiment essayé de dissimuler le cynisme de l’entreprise, persuadée de pouvoir rassembler les nostalgiques biberonnés à la série animée d’antan et les pré-ados sous la bannière d’une régression totale de la narration.

Planqué derrière le vernis luisant de son New York contemporain et de sa facture numérique très lisse, Ninja Turtles veut à la fois crédibiliser son concept tout en le raillant par un second degré neu-neu, très en phase avec l’absence de sincérité de l’époque. Pourtant, c’est déjà oblitérer les origines des Tortues Ninja, et d’un comics pensé à la base comme la parodie violente et décalée des codes super-héroïques.

 

Ninja Turtles : photoMegan Porte-à-Fox

 

Cette absurdité revendiquée n’est plus qu’un objet de moquerie, alors même que le film se complaît dans une origin-story inutilement tarabiscotée pour justifier qu’un rat mutant ait appris à ses enfants adoptifs les arts martiaux dans des égouts. Ajoutez à cela la plantureuse plante verte qu’est la April O’Neil de Megan Fox, et vous avez là une énième source d’objectivisation féminine aussi grasse que l’humour bas du front de l’ensemble.

Au travers du choix de son actrice principale, Ninja Turtles assume de cocher les cases déjà pas bien finaudes de Transformers, avec la même ambition de rollercoaster débridé et débilitant. Néanmoins, cette démarche vouée au naufrage sans Michael Bay à la barre devient un concentré assez fascinant de cette méthodologie.

 

Ninja Turtles 3D : Photo Will Arnett, Megan FoxCool, un climax qui se passe dans les bureaux de The Office

 

Avec ses labos tout propres, ses CGI cliniques et ses « imperfections » optiques clinquantes (ses lens flares presque trop parfaits), le film court après l’artificialité de son imagerie. Même en jouant sur le contact direct entre le corps d’April O’Neil et celui des Tortues créées en performance capture, la mise en scène est déconnectée de toute réalité. Qu’importe les personnages et leur caractérisation sommaire. Tout dans Ninja Turtles est pensé sous le prisme de l’inconséquence. Une inconséquence des corps, qui n’ont pour objectif que d’être iconisés et réifiés.

Les fesses de Megan Fox (filmées avec insistance lors d’un panoramique d’un male gaze embarrassant) ont finalement autant de valeur que les carapaces numériques de ses nouveaux amis. La chair devient purement utilitaire, un puits à fantasmes au seul service du spectacle. À partir de là, il est forcément plus simple de traiter tout ce beau monde comme de simples jouets en plastique, qu’on entrechoquerait sans trop se soucier des répercussions.

 

Ninja Turtles : photoBarbie Girl in a Turtle World

 

Pizza time

A priori, cette donnée va à l’encontre de l’aspect craspec, poisseux et texturé de l’univers des Tortues Ninja, qui se transforme alors en jeu vidéo dont il ne manque que l’apparition des barres de vie. Mais c’est finalement là que le film se démarque, et peut-être en grande partie grâce à Jonathan Liebesman. Parce qu’il faut bien être honnête, depuis World Invasion : Battle Los Angeles (plaisir coupable de la rédaction), ce gros bourrin pubard peut être perçu comme le dérivé putassier mais efficace de Neill Blomkamp, et surtout comme l’un des meilleurs (ou le moins mauvais) des sous-Michael Bay.

En atteste notre retour tendre sur La Colère des titans, Liebesman privilégie toujours le cool de ses idées à leur logique émotionnelle, ce qui explique d’ailleurs sa propension à puiser dans des codes vidéoludiques. Il adapte des squelettes de progression, dans le simple but d’y laisser les coquilles vides qu’il met en scène s’ébattre en toute liberté.

 

Ninja Turtles : photoTrône de fer

 

Dès le début du film, et sa suite de travellings suivant les Tortues en train de retourner vers leur égout, la réalisation s’amuse avec ses héros numériques inarrêtables, glissant et rebondissant de surface en surface dans une course aux mouvements surhumains. Cette logique teste ses propres limites, tandis que les carapaces s’imposent en véhicules seulement régis par la gravité.

Ninja Turtles puise de cette énergie ses meilleures idées, du duel entre Shredder et Splinter à cette fuite enneigée le long d’une montagne. La froideur apparente des VFX est contrebalancée par la surenchère d’obstacles qui croisent la route des protagonistes. Quelque part entre les évitements d’un shoot’em up et la stratégie d’un jeu de course, la séquence se construit comme un tour de montagne russe immersif et franchement rigolo, qui n’attend que de mettre en valeur cette dynamique burlesque à chaque trouvaille et chaque ralenti (le camion qui dérape à plusieurs reprises au-dessus des héros, le bâton de Donatello qui renverse une voiture ennemie).

 

Ninja Turtles : photoUne idée sympa parmi d'autres

 

Cette mécanique bien huilée cherche pourtant l’à-coup, l'arrêt brutal de ce mouvement, souvent exprimé par l’humour et le pas de côté. Bien sûr, le film se montre assez gênant dans ses tentatives, mais parvient par instants à tirer une bizarrerie bienvenue et un sentiment de fraternité de ses héros asociaux (cette impro de beatbox juste avant le climax). Dommage que tout cela soit perdu dans la crétinerie du résultat final, qui précipite ses Tortues dans les scènes d’action en même temps que son récit, afin d’éviter à tout prix le surplace, à la manière d’un enfant hyperactif.

Cependant, au travers de quelques money-shots réussis, de quelques idées de scénographie amusantes et d’une énergie régressive parfois communicative (jusqu’au combat final avec Shredder, plutôt bien foutu), Ninja Turtles avait un léger potentiel. Et si l’héritage de Michael Bay n’est pas forcément des plus glorieux, on reste peut-être face au haut du panier... de la fosse septique.

Tout savoir sur Ninja Turtles

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Flo
05/08/2023 à 12:41

Le deuxième film est lui aussi plutôt bon, possédant moins de placements de produits et autres gags machistes digne de Bay...
Même si Krang y est ouvertement kitsch (comme MODOK, c'est assumé jusqu'au bout) et que Shredder soit complètement hors course, le deuxième va creuser un peu plus la personnalité des frères. Qui seront moins archétypaux - Michelangelo va être touché par le regard des humains sur leur apparence, Donatello va avoir de bons moments d'action qui feront oublier son allure d'intello plus frêle.
Il y aura le rapport des héros avec New York, Laura Linney qui viendra injecter du bon jeu d'actrice, et quelques supers Money Shots - la scène où Donnie sauve un de ses frères d'un coup de canon, avec Rocksteady brandissant le poing à l'arrière plan, et le boulet qui fonce droit sur nous.

DjFab
05/08/2023 à 11:13

Les deux films font le job et sont très divertissants je trouve !

Ethan
05/08/2023 à 10:02

Le problème de ces films c'est qu'ils apparaissent étrangement décalé par rapport au dessin animé des années 80

Neji
04/08/2023 à 21:30

No franchement pour les gamins ça envoie vraiment , le rythme est bon. Les tortues sous testostérone ok !
Les effets spéciaux sont bon, le tout ça fait le job.
Après des types en costume en caoutchouc ça fait plus le taff désormais même si pour l'époque c'était plutôt bien tourné avec la zik funky en mode très marquer New York.

Abibak
04/08/2023 à 21:14

Je trouve que le deuxième est vraiment pas mal pour le coup, au moins ils y sont aller à fond

Marvelleux
04/08/2023 à 20:58

Celui de 2007, à réhabiliter de toute urgence.

Arnaud (le vrai)
04/08/2023 à 19:51

Ok y avait beaucoup de défaut dans ce film et dans sa suite
Mais pour le coup au moins ils ont vraiment essayer de respecter le LORE des Tortues Ninja et depuis Tortues Ninja 2 des années 90 (qui prenait déjà des libertés remplaçant Beebop et Rocksteady par 2 animaux chelous et incapables de parler) on peut dire que les adaptations se sont largement torché le fion avec la licence

Donc pour le coup je ne descendrais jamais ces films, ils ont eu plus de respect que 90% de ce qui est sorti
(Pour se faire une idée je renvoie à une ancienne vidéo de Joueur Du Grenier hors série spécial Tortues Ninja, on peut dire qu’il y a eu de l’abus quand même)

Jeje138413
04/08/2023 à 18:39

En bref ça reste plaisant à voir même si ça ne vaut pas 4 étoiles et on ne s'ennuie jamais dans l'univers TMNT qui était plutôt bien retranscrit.
Du bon divertissement d'action peut être trop orienté pour les enfants c'est le seul bémol.

Jeje138413
04/08/2023 à 18:33

J'ai évidemment beaucoup aimé les films des années 90 qui sont de loin les meilleurs.
Mais je trouve que les deux reboots ne sont à la fois pas si moches car l'univers des tortues ninja ressemblent en tout point au dessin animé. (Pas comme un certain Tintin film qui a tué l'esprit de la B.D et des dessins animés en mélangeant tout à la fois par exemple)
Je ne vois pas ce qui choque au final les scénarios ont toujours mis en scène des tortues un peu bébêtes qui sont devenus ninja un peu contre leur gré.

Dr.Zaius
04/08/2023 à 18:16

J'oubliais de mentionner la VF de l'époque, plutôt gratiné pour un film familial. Quel plaisir.

Plus