Indiana Jones 5 : comment le film a rajeuni Harrison Ford... et pourquoi ça pose problème

Antoine Desrues | 30 juin 2023
Antoine Desrues | 30 juin 2023

Indiana Jones 5 a fait appel au de-aging et aux IA pour rajeunir Harrison Ford. Mais derrière la prouesse technologique, n'y a-t-il pas un problème éthique ?

C’est l’un des arguments marketing principaux d’Indiana Jones et le Cadran de la Destinée : son introduction, où un Indiana Jones d'environ 40 ans combat des nazis à la fin de la guerre. Alors que le film se présente en baroud d’honneur de l’aventurier et de son interprète Harrison Ford (qui a désormais 80 ans), la mélancolie de James Mangold permet au personnage de revisiter une ultime fois le bon vieux temps. Notre critique enthousiaste a d’ailleurs trouvé cette vision intéressante, malgré l’aspect perfectible d’une prouesse uniquement possible via des outils numériques encore nouveaux.

Derrière la performance, des questions éthiques méritent d’être soulevées quant à cette facette récente de l’industrie. Bien que Lucasfilm et la société d’effets spéciaux ILM ne tiennent pas à révéler dans le détail le secret de leur potion magique, on sait comment Harrison Ford a pu être rajeuni dans Le Cadran de la destinée. Explications.

 

Indiana Jones et le Cadran de la Destinée : photo, Harrison FordLes aventuriers de l'âge perdu

 

IA, De-aging, deepfake... on fait le point

Depuis les années 2000 et les travaux pionniers de Digital Domain et Lola VFX, la technique du de-aging se démocratise à Hollywood. Le principe ? Rajeunir ou vieillir numériquement un acteur ou une actrice, le plus souvent grâce aux repères permis par les capteurs utilisés en performance capture. De Benjamin Button à The Irishman en passant par Captain Marvel, beaucoup de films ont essuyé les plâtres avec plus ou moins de succès.

Néanmoins, le de-aging a connu une progression fulgurante ses dernières années, et c’est grâce à (ou à cause de ?) l’intelligence artificielle. Désormais, il est possible pour une IA de reproduire numériquement le visage d’un comédien à un certain âge, pour peu qu’elle soit abreuvée d’une banque de données riche. Il s’agit alors de créer une synthèse adaptée à diverses expressions faciales, et surtout à divers éclairages.

 

Indiana Jones et le Cadran de la Destinée : photo, Mads MikkelsenOuvrir la boîte de Pandore du de-aging

 

En bref, le de-aging se réapproprie le processus du deepfake, cette technique qui fait les beaux jours d’Internet et des réseaux sociaux depuis quelque temps. Par du deep-learning ("l'apprentissage profond" en français), l’IA assimile une certaine quantité de données, et permet à un visage connu de se calquer sur la performance de n’importe qui. Il est ainsi possible de faire manger une sucette à Tom Cruise sur Tiktok, ou de faire chanter Arnold Schwarzenegger sur la scène de X-Factor.

À partir de ce procédé, ILM a poussé la technologie dans ses retranchements, et a ouvert une nouvelle fenêtre des possibles lors du final de la saison 2 de The Mandalorian. L’arrivée de Luke Skywalker comme à l’époque du Retour du Jedi a été rendue possible grâce à un deepfake plaqué sur le corps d’un jeune comédien. Mark Hamill a néanmoins réalisé de la performance capture pour la scène, et l’IA a simplifié cette transition en ingurgitant quantités de plans de sa tête, de sorte à créer numériquement le visage rajeuni de l’acteur.

 

The Mandalorian : Photo Mark HamillLe Retour de l'uncanny valley

 

Indiana Jones et la fontaine de Jouvence numérique

Sur Indiana Jones et le Cadran de la destinée, le parti-pris est sensiblement le même. À partir des archives de Lucasfilm (notamment des scènes coupées), Harrison Ford a pu retrouver ses 40 ans, et son visage a été là encore mis sur le corps de quelqu’un d’autre. Ford a assuré des sessions de performance capture pour donner vie à l’ensemble, et même si l’uncanny valley n’est jamais bien loin, James Mangold a l’intelligence de présenter cette séquence de nuit, avec moult effets de contraste et de contre-jour pour ne pas révéler en pleine lumière l’artifice.

Si d’aucuns se sont demandé pourquoi le film n’a pas opté pour un jeune acteur (comme à l’époque d’Indiana Jones et la dernière croisade), d’autres s’inquiètent de l’évolution très rapide de l’intelligence artificielle, et de son utilisation accrue par Hollywood. Lors de la conférence de presse d’Indiana Jones 5 au Festival de Cannes, Harrison Ford a pourtant tenu à défendre cette méthodologie :

 

Indiana Jones et le Cadran de la Destinée : photo, Harrison FordSeconde jeunesse

 

“Je sais que c’est mon visage. Ce n’est pas de la magie à la Photoshop. Je ressemblais vraiment à ça il y a 35 ans, parce que Lucasfilm a chaque photogramme de film qu’on a fait ensemble depuis toutes ces années. Ce processus, ce minage scientifique d’une bibliothèque de données, a été bien utilisé. Ce n’est qu’un gadget si ce n’est pas soutenu par l’histoire, et ça fait tache si ce n’est pas honnête, ou vrai... je veux dire émotionnellement vrai. Je pense que ça a été utilisé avec beaucoup de maîtrise.”

Pour sûr, le point de vue d’Harrison Ford est pertinent dans ce cas précis, d’autant que son consentement et sa motivation ont servi la démarche créative de la séquence. Cependant, à l’instar de l’IA, l’usage du de-aging et du deepfake évolue à une telle vitesse qu’il semble déjà hors de contrôle.

 

Indiana Jones et le Cadran de la Destinée : photo news extraitVieille branche pour vieux fouet

 

À corps perdu

Alors que les expérimentations se font de plus en plus régulières, il manque à l’heure actuelle une réglementation affirmée sur l’emploi de l’image d’un acteur. Le concept avait déjà fait jaser à l’époque de Rogue One, où Peter Cushing revenait numériquement d’entre les morts dans la peau du Grand Moff Tarkin. Le comédien a toujours dit qu’il avait adoré le rôle, et qu’il aurait aimé l’incarner de nouveau, mais il n’empêche que son absence de consentement est une réelle problématique.

Pareil pour Will Smith, qui s’est vanté durant la promotion de Gemini Man du fait que Paramount possède dans ses serveurs une version numérique de son corps. Il s’agit donc techniquement d’une propriété du studio, et donc d’une réification terminale de l’individu, qui peut être maintenu dans une stase temporelle. Sans renouvellement des contrats et des clauses concernant l’exploitation ultérieure des données d’un acteur, Hollywood pourrait tout se permettre. La nécromancie assez puante de la démarche se fait déjà ressentir dans certaines productions récentes, à l’instar de The Flash.

 

Gemini Man : photo"Comment ça, je suis possédé par une grande corporation capitaliste ?"

 

Quoi qu’on pense de la réussite artistique de son prologue, l’innocence avec laquelle Indiana Jones 5 joue aux petits chimistes cinématographiques pose problème. La prouesse du de-aging et du deepfake peut avoir sa place au cinéma, mais il faut pouvoir la contenir juridiquement, soit exactement ce qui n’a pas été fait avec l’IA au moment de son explosion.

D’après Chris Ume, le fondateur de la société Metaphysic.ai (spécialisée dans le deepfake), et le créateur de @deeptomcruise (le compte Tiktok le plus fameux de détournements de Tom Cruise), les célébrités vont devoir prochainement songer à organiser des enregistrements de données, afin de pouvoir alimenter les IA d’images de leur visage à un âge précis. L’idée fait un peu froid dans le dos, et peut faire imaginer les pires dérives, notamment du côté de la publicité. Le corps de n’importe qui pourrait servir à vendre n’importe quoi. Qui sait, la version numérique d’Harrison Ford fera peut-être la promotion soudaine de fouets... mais pas pour les besoins de ses aventures.

Tout savoir sur Indiana Jones et le Cadran de la Destinée

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commentaires
Polo75
09/07/2023 à 19:25

La CGI de rajeunissement est à chié je préfère celle de Nick Fury dans secret invasion et capitaine Marvel est beaucoup plus travailler le 4 et 5 Indiana Jones sont pourris et copié collé au 3 film originaux je préfère les 3 premiers

Kakouf
09/07/2023 à 18:20

@Morcar
Entièrement d'accord avec vous. Ça rentre dans le cadre de l'histoire et le film est dans la suite des trois premiers je trouve. Pas vu le 4ème.

vVDB
04/07/2023 à 19:02

On veut des trucs plus que réel dans plein de domaines... Les décors sont totalement bidon par exemple.
Alita, l'actrice transformée en toon, juste normal ? On n'aura pas besoin d'elle pour le 2...
Ce qui n'était pas éthique dans le cinéma, c'était les doublures utilisés pour diverses cascades ou du X. Ces scènes, ces plans font croire que l'acteur est une personne surhumaine...

Morcar
03/07/2023 à 09:37

Je vois une grande différence entre le de-aging d'Indy 5 et les autres qui sont cités ici.
Qu'on rajeunisse Carrie Fisher pour une unique apparition dans "Rogue One", Mark Hamill de la même manière pour une série Disney+, ou carrément Peter Cushing dans "Rogue One", ça me gène pour diverses raisons. Là on parle d'une unique apparition d'un acteur, parfois décédé, pour éviter de le remplacer alors qu'il n'est pas en mesure de jouer le rôle.
Dans le cas d'Indy, il reste le personnage principal du film, toujours joué par Harrison Ford, et le passage en de-aging est juste un flashback nécessaire à l'histoire (comme celui d'Iron Man dans je ne sais plus quel film, et celui de Jack Sparrow dans le dernier PdC). Il y a, à mes yeux, une grande différence entre les deux.

Si demain ils faisaient une suite avec Helena comme personnage principal, sans Indy, mais avec un court passage avec un jeune Indy, là ça me dérangerait tout autant que pour les premiers cas cités. Car là on serait dans une simple exploitation sans que l'acteur ne soit réellement au casting.
S'ils avaient fait le film Solo entièrement en de-aging, ça m'aurait tout autant dérangé aussi. Mais pour le cas d'Indy 5, ça ne me dérange aucunement.

Marc
02/07/2023 à 07:59

Le flash back avec un INDY ma étonné on voit pas de défauts en tout cas moi je n'ai vu aucun défauts. Pour le geste du film l'idée du Cadran est intéressant mais voir nos Héros de CINÉMA Vieillir on pourrait s'en passer . Le film me semble trop long mais pour les fans ils veulent en voir toujours plus une dernière aventure.

Tchi tchaaa
01/07/2023 à 19:47

Vivement Don Camillo 6

Anderton
01/07/2023 à 19:11

Ces questionnements ne sont pas nouveaux même si les technologies employées sont nouvelles : la publicité avait déjà recours à l'utilisation d'images de stars récupérés; je pense notamment à Marylin Monroe pour une pub pour Chanel N°5 qui utilisait un morphing avec Carole Bouquet et ça remonte à la fin des années 90... Ou encore, Steve Macqueen pour des pubs de voitures... Même dans Last Action Héros, des images d'Humphrey Bogart étaient utilisées pour la scène du commissariat... La différence peut-être est que ses images étaient pour la plupart issues de films et donc appartenant pas aux célébrités mais aux studios détenant les droits des films utilisés...

Copeau
01/07/2023 à 13:25

malheureusement j’ai été assez déçu par le rendu final dans le film .,, on voit que ce sont des FX , c’est globalement raté je trouve. Le film reste sympa mais dans la lignée du 4eme …

Pulsion
01/07/2023 à 12:52

Il y aura toujours ou du moins pour longtemps ce côté artificiel qui sonne faux dans le de aging. Ça se voit et ça se ressent. Il est presque vain d'imiter à la perfection l'imperfection de l'être humain ou de son visage.
Par exemple, ça me fait penset à ça, dans les films Matrix, la Matrice à essayé de créer des humains à sa sauce en copiant "à la perfection l'être humain réel, résultat =échec.

Conakry
01/07/2023 à 11:02

Beaucoup d'éléments dans l'article me font penser au Congrès, de Ari Folman.

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