Hellboy 3, Les Montagnes hallucinées, Le Hobbit, Halo... les fabuleux projets abandonnés de Guillermo del Toro

La Rédaction | 11 mai 2019 - MAJ : 01/12/2021 16:14
La Rédaction | 11 mai 2019 - MAJ : 01/12/2021 16:14

Le reboot de Hellboy sans Guillermo del Toro est l'occasion de se pencher sur son Hellboy 3 avorté, parmi d'autres projets excitants.

Guillermo del Toro a signé dix films, jusqu'à son Oscar du meilleur réalisateur pour La Forme de l'eau. Mais à l'ombre des HellboyLabyrinthe de Pan et Pacific Rim, il y a quantité de projets avortés, abandonnés, laissés sans nouvelles. 

Parmi eux : Hellboy 3. La sortie du reboot par Neil Marshall (notre critique par ici) est l'occasion de refaire un point sur la fin de la trilogie initialement prévue, et d'autres projets abandonnés du cinéaste.

 

 

LES MONTAGNES HALLUCINÉES

Peut-être le projet le plus douloureux pour les fans, et le cinéaste lui-même. L'adaptation de la nouvelle de Lovecraft est développée par Guillermo del Toro dès 2006 avec le scénariste Matthew Robbins, qui a écrit Mimic et écrira Crimson Peak. C'est un sujet en or pour le réalisateur : une histoire d'expédition en Antarctique, dans les années 30, avec la découverte d'une civilisation perdue, avec les restes de créatures incroyables.

Très vite, le projet effraie les producteurs. La Warner est intéressée, mais très frileuse à l'idée d'un film si noir, sans happy end ni histoire d'amour. Del Toro persiste, et les étoiles semblent s'aligner en 2010 : Tom Cruise a accepté le premier rôle, et James Cameron sera producteur du film, tourné en 3D. La production doit être lancée en mai 2011, avec un tournage pendant l'été.

Sauf qu'en mars 2011, tout s'écroule : Universal décide subitement de changer les règles, et refuse un si gros budget en Rated R (interdit aux mineurs de moins de 17 ans aux Etats-Unis). Guillermo Del Toro ne peut imaginer adoucir la violence du récit de Lovecraft et ne peut accepter un PG-13. Il racontera à Herocomplexe.com : "Ça ne m'était jamais arrivé, mais j'ai vraiment beaucoup pleuré ce week-end. J'étais dévasté." Des centaines d'éléments, storyboards et maquettes avaient déjà été créés.

Sitôt la tristesse ravalée, le réalisateur s'embarque dans Pacific Rim, qu'il devait simplement écrire et produire à l'origine. Un film-pansement qui le sauvera, en quelque sorte. En 2012, Del Toro déclare que la sortie de Prometheus, perçu comme similaire, achève d'enterrer son film pour encore quelque temps.

En 2017, il racontait à Collider : "On pensait avoir quelque chose de sûr. 150 millions, Tom Cruise et James Cameron à la production, ILM pour les effets, voici les concepts visuels, voici le concept, parce que je pense qu'un film d'horreur aussi grand serait super... mais il y avait une différence d'opinion : le studio n'était pas d'accord. Le R Rating a été la fin. Si le film avait été PG-13, ou si j'avais dit PG-13... J'aurais dû mentir, mais je ne l'ai pas fait".

Il ajoutait : "C'est très dur pour un studio de se lancer dans une superproduction R-rated, d'époque, avec une fin noire et pas de romance, adaptée d'un écrivain qui a un lectorat aussi grand que pour n'importe quel best-seller qui ne peut être quantifié parce que son travail est dans le domaine public". 

 

Photo La Forme de l'eau Guillermo Del Toro sur le tournage de La Forme de l'eau

 

LE HOBBIT

Peter Jackson ne devait pas revenir à ce point en Terre du Milieu. En 2008, Guillermo del Toro est annoncé à la réalisation du prequel du Seigneur des Anneaux. L'idée est d'en tirer deux films.

Guillermo Del Toro commence à assembler divers éléments pour créer l'univers du Hobbit et discute avec plusieurs artistes de la trilogie de Peter Jackson (le compositeur Howard Shore, les génies des effets spéciaux de Weta). Il envisage le monde du prequel comme plus lumineux, à la fois pour des questions de logique interne au récit mais également pour imprimer sa marque. Il annonce sans surprise un important bestiaire, avec des créatures en animatroniques en accord avec son amour de la matière, plutôt que des images de synthèse. Le fameux Smaug est l'un des éléments les plus importants, sur lesquels l'équipe travaille depuis le début, et Del Toro parlera d'un mix entre un oiseau marin et un serpent avec des pattes de T-Rex. Il envisage de caster ses fidèles Doug Jones et Ron Perlman.

 

PhotoSmaug version Peter Jackson

 

Mais en coulisses, c'est une autre histoire. La MGM, qui possède une partie des droits du Hobbit, affronte une grave crise financière. Leurs gros projets sont mis en pause, notamment Skyfall. Fin 2009, MGM est en vente. Censé sortir en décembre 2011, avec un budget de 150 millions, Le Hobbit est en suspens. La préparation est si avancée que Guillermo Del Toro et son équipe attendent dans les starting blocks. Le réalisateur a passé deux années à développer un projet qui est bloqué dans les limbes pour des raisons financières, sans aucune perspective claire de tournage.

En mai 2010, le projet s'effondre. Del Toro annonce qu'il quitte Le Hobbit dans un communiqué : "A la lumière des délais actuels sur la date de tournage, je fais face à la décision la plus difficile de ma vie. Après presque deux années à avoir vécu, respiré et conçu un monde aussi riche que celui de la Terre du Milieu de Tolkien, je dois, avec grand regret, quitter le projet." Engagé sur trois ans en Nouvelle-Zélande, Del Toro aurait dû finalement consacrer six années entières aux films.

Peter Jackson reprend donc la main fin 2010. Il expliquera à i09 avoir presque tout repris à zéro : "Guillermo avait conçu une grande partie du film... J'ai regardé son travail et beaucoup de ces éléments sont très Guillermo... des choses qu'on reconnaissait du Labyrinthe de Pan ou Hellboy. C'était sa vision artistique et je ne pouvais pas faire ce film. Lui seul le pouvait. Je ne peux pas mettre mon nez dans les idées d'un autre : je dois générer ça depus le début. Donc vraiment j'ai repensé le film. Il y a un peu de l'ADN de Guillermo, un peu modifié selon mon regard. Mais le film a été largement repensé." Del Toro sera crédité comme co-scénariste.

Philippa Boyens, co-scénariste des films, dira par la suite que la version de Del Toro ressemblait plus à un conte de fées, et que le personnage de Bilbo était sensiblement différent - plus jeune, innocent et attiré par l'aventure. 

 

Le Hobbit : La Désolation de Smaug : VL

 

 

HELLBOY 3

Malgré d’innombrables tentatives d’en appeler aux fans, quantité d’interviews dans lesquelles Guillermo del Toro fit son possible pour coaguler tout ce que les précédents films avaient généré d’amour, rien n’y fit. Évoquée depuis au moins 2010, remise sur le devant de la scène régulièrement, la suite a finalement été définitivement enterrée début 2017.

Après deux longs-métrages coûteux et aux scores décevants, personne n’avait l’intention de le laisser retrouver Ron Perlman et Selma Blair pour une conclusion épique des aventures du meilleur des démons. D'autant que del Toro avait besoin d'un budget plus important encore.

Le constat est d’autant plus terrible qu’une fois le film définitivement enterré, Guillermo Del Toro en a dit plus sur le synopsis de sa conclusion rêvée, et on se prend à rêver que dans une dimension parallèle, il ait pu en finir avec sa glorieuse adaptation de l’œuvre de Mike Mignola.

 

Hellboy II - Les légions d'or maudites : Photo Ron Perlman, Selma Blair, Doug Jones

 

Hellboy devait se confronter à sa véritable nature, et à la nécessité pour lui de devenir la Bête, le grand fléau annoncé de l’Apocalypse. En effet, pour triompher du plus formidable adversaire qu’il ait rencontré jusqu’alors, notre anti-héros se voyait obligé d’assumer sa nature profonde afin de convoquer sa pleine puissance. Ses deux enfants avec Liz auraient dû refléter sa lutte interne, avec deux petits Hellboy entre ombre et lumière. Le tout en vue d’un affrontement homérique, qui aurait fait de lui une entité bien plus noire que par le passé.

Mais le studio aura préféré s’orienter sur la voie d’un reboot total avec David Harbour (Stranger Things), dont les commandes ont été confiées à Neil Marshall (The Descent). Mike Mignola a beaucoup défendu ce retour censé être plus fidèle, tandis que le studio a réduit les risques, avec un budget moindre (50 millions, moins que les précédents), et un Rated R pour tenter de surfer sur cette étiquette populaire depuis Deadpool.

Ce Hellboy 2019 emprunte néanmoins un chemin similaire au Hellboy 3 teasé : le spectre de l'apocalypse et du rôle de roi des enfers de Hellboy plane sur le film, jusqu'à son climax. Si bien que le reboot oscille entre remake, reboot et suite masquée. Sauf que le résultat est passablement ridicule et laid. Et que le film est un bide absolu en salles (à peine 22 millions au box-office mondial jusque là).

 

photo, David HarbourVersion 2019

 

HARRY POTTER

Lorsque Chris Columbus décide de ne pas rempiler pour un troisième épisode après Harry Potter à l'école des sorciers et Harry Potter et la Chambre des Secrets, le studio part à la recherche d'un nouveau réalisateur. Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban est une aventure plus adulte, et un pas dans la franchise, et les producteurs ont des ambitions claires lorsqu'ils proposent la mission à Guillermo del Toro. Qui refuse.

Il expliquera à MTV en 2007 : "Ils sont venus me proposer une fois, le troisième. Je les ai tous lus, et quand j'ai lu les livres avant que les films ne soient faits, j'imaginais toujours Charles Dickens. La situation de Harry Potter me rappelait beaucoup Les Grandes espérances. Je les voyais plus profonds, plus grinçants, corrosifs. Et puis l'histoire a été faite de manière très différente quand les deux premiers films sont sortis. Ils étaient si lumineux et heureux, ça, ça ne m'intéressait pas". 

A l'époque, Harry Potter et la Coupe de Feu est déjà sorti, et Guillermo del Toro reconnaît que la saga a montré un visage bien plus mature et nuancé. Il affirme alors qu'il serait intéressé à l'idée de réaliser un épisode... ce qui n'arrivera donc jamais.

Son compatriote et ami Alfonso Cuarón mettra en scène Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, et sera grandement salué pour ce qui reste comme l'un des épisodes les plus appréciés de la franchise.

 

Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban : photo

 

HALO

Une adaptation du célèbre jeu vidéo est en travaux dès 2005. Microsoft engage Alex Garland (scénariste de Danny Boyle passé à la réalisation depuis avec Ex Machina et Annihilation) pour écrire un scénario, présenté à divers studios par la suite. Après quelques refus à cause des termes exigés par Microsoft (10 millions d'emblée, un droit de regard sur le casting et le réalisateur, intégralité des droits du merchandising, budget minimum de 75 millions, respect du jeu), 20th Century Fox et Universal négocient et acceptent de produire le film. Peter Jackson et Fran Walsh seront producteurs exécutifs.

D.B. Weiss, futur showrunner de Game of Thrones, est engagé pour réécrire le scénario. En août 2006, Neill Blomkamp est annoncé à la réalisation : il a été repéré par Peter Jackson avec son travail notamment sur des courts-métrages pour la promo du jeu Halo 3. Fin 2006, le projet est enterré, suite aux demandes d'Universal de réduire le salaire des producteurs.

Où est donc Guillermo del Toro dans cette histoire ? Avant l'arrivée du réalisateur de Chappie et Elysium, il était plus ou moins attaché au film. Sur les 12 millions dépensés sur des étapes de la pré-production, notamment pour développer et présenter l'univers, une partie a été utilisée par Del Toro, qui dira dans les commentaires audio de Hellboy II qu'il avait commencé à travailler sur le design du héros Master Chief.

En 2012, il confirmait à IGN avoir bel et bien sérieusement travaillé sur le projet : "L'une de mes belles expériences a été d'adapter Halo en 2006 avec D.B. Weiss". Il parlera à Collider d'un scénario "magnifique".

 

Image Le jeu vidéo Halo

 

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Après les deux films sur la guerre civile d’Espagne que furent L'Echine du diable et Le Labyrinthe de Pan, Guillermo Del Toro prévoyait une troisième histoire tournant autour de cet épisode historique tragique, à nouveau tournée en langue espagnole. Ce qui rendait le projet excitant, c’était sa résonnance particulière avec l’actualité en Espagne, puisqu’au milieu des années 2000 beaucoup de tombes ont été ouvertes, ce qui a permis de résoudre énormément de disparitions datant du conflit. Un point de départ parfait donc pour une histoire de fantômes et de généalogie compliquée pour un film censé se passer à la fois en 1939 et en 1993.

Cependant Guillermo Del Toro a dû faire un choix et il est parti faire Hellboy II - Les légions d'or maudites à la place. Et même si on a adoré ce dernier, on est quand même très frustrés de pas avoir eu un dernier film cathartique sur une période si traumatisante et taboue pour tout un pays. D’autant plus que cela lui a donné l’inspiration de faire le fabuleux Labyrinthe de Pan. Le pitch lui donnait de plus l’occasion d’adresser directement les conséquences de la guerre et du fascisme génération après génération. Dommage.

 

PhotoL'Echine du diable

 

MONSTER

Projet moins connu de Guillermo del Toro. Il semblerait bien qu’en 2013 HBO lui ait confié les clés d’une adaptation live du manga Monster de Naoki Urasawa. Si en soit l’idée n’a rien de farfelu, il semble étrange de confier une histoire de programmes gouvernementaux cachés et d’enquête policière à quelqu’un d’aussi attaché au surnaturel. Mais c’est négliger le sens profond de Monster, une œuvre fascinante et dérangeante, qui interroge les origines du Mal et la naissance de l’inhumanité et de la monstruosité chez l’Homme.

Un thème finalement typiquement del Tororien au regard de son œuvre. Le cinéaste n’a en effet eu de cesse de prendre la défense des freaks, des déformés et des ostracisés et de tourner les figures d’autorité froides en monstres à visages humains, à l’image de Jacinto, du capitaine Vidal ou du colonel Strickland.

Voir Guillermo Del Toro sortir des sentiers battus tout en restant dans un de ses thèmes de prédilection aurait donc été intéressant, même si on a d’emblée une réserve sur ce projet précis : Guillermo Del Toro n’a jamais particulièrement brillé dans l’écriture psychologique de ses personnages (d’aucuns diraient même que c’est là son moindre défaut), ce qui est une épine particulièrement problématique dans le cadre d’une intrigue qui joue à fond la carte de la psychologie cérébrale. Las, HBO a de toute façon rejeté le script du pilote de Guillermo Del Toro.

 

Photo

 

INSANE

Guillermo del Toro aime les jeux vidéo, et cet amour aurait dû donner lieu à des rendez-vous importants avec le public. L'un d'eux était une trilogie intitulée Insane et devait sortir en 2013.

Insane a été annoncé en 2010 par le cinéaste et le studio Volition via un teaser. Del Toro parle de son projet : "Avec cette série de jeux vidéos, je veux emmener le joueur là où il n'a jamais été auparavant, où la moindre action le pousse à questionner son sens de la morale et de la réalité. THQ et Volition sont enthousiastes à l'idée de concrétiser ce tout nouvel univers de jeu vidéo". Il décrit la chose à MTV comme un jeu lovecraftien, tordu, avec bien évidemment des créatures. Del Toro collabore justement avec le dessinateur Guy Davis, après leur expérience avortée sur Les Montagnes hallucinées.

Plus qu'enthousiaste, il partage avec Collider son travail en 2011 : "Je suis venu dans le monde du jeu vidéo avec beaucoup d'humilité parce que je ne voulais pas me dire, 'Oh je sais comment faire un film, donc je sais comment faire un jeu'. Je suis venu pour essayer d'apprendre un nouveau moyen qui me servira en tant que narrateur. Avec un jeu vidéo, on ne doit pas faire un scénario, mais vingt. (...) On est vraiment très, très vilains avec le jeu. On essaie tout un tas de choses qui ne passeraient pas dans un film. On est encore à deux ans et demi ou trois ans de la fin, parce que développer un jeu est long".

Mais en 2012, c'est la fin : Insane est abandonné. La situation financière de THQ est une cause plus que probable. Del Toro récupère les droits de son bébé, avec l'espoir pour beaucoup qu'il trouve une nouvelle maison. Ce qui n'arrivera vraisemblablement jamais.

 

 

SILENT HILLS

Nous sommes en 2014, et la saga Silent Hill, pour culte qu’elle soit, est à bout de souffle. À force d’épisodes répétitifs ou désincarnés, même les fans hardcore semblent avoir perdu la foi, et la team Silent ayant été démantibulée, on voit mal comment la plus poétique, philosophique et plastiquement accomplie des créations horrifiques de ces vingt dernières années pourrait renaître de ses cendres.

Jusqu’à ce que débarque un teaser jouable sur Playstation 4. Ce qu’il révèle est un mélange d’imagination débridée, d’interactions d’une intelligence sans nom, démultiplié par la puissance évocatrice d’un univers enfin renouvelé et compris. Le mystérieux P.T. ne dévoile pas seulement la fabrication d’un nouveau Silent Hill intitulé Silent Hills, il dévoile que ses auteurs ne sont autres qu’Hideo Kojima et Guillermo del Toro, lesquels ont invité Norman Reedus à incarner le héros.

Ces quelques minutes jouables renouent avec les éléments centraux de la franchise, sa philosophie et son talent pour la mise en scène. Mais ces éléments sont ici hybridés avec la capacité de Kojima à interroger le joueur dans son propre rôle, et la puissance évocatrice des images pensées par Del Toro. Le résultat est une des propositions les plus terrifiantes jamais vues manettes en main.

Tout cela volera en éclat quand Konami décidera purement et simplement d’abandonner la production de jeux AAA et d’éjecter Hideo Kojima. Une décision industriellement rationnelle et artistiquement incompréhensible, qui aboutira au massacre d’une des promesses les plus fabuleuses de mariage entre cinéma et jeu vidéo, dont Guillermo Del Toro expliquait encore récemment ne pas s’être remis.

 

  

JE SUIS UNE LÉGENDE

Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi les vampires de Je suis une légende ressemblent tant à ceux de Blade 2 ? Tout simplement parce que le premier réalisateur approché par Will Smith pour réaliser le blockbuster sous étendard Warner n’était autre que Guillermo del Toro. Lequel avait initialement ramené dans sa besace le responsable des effets spéciaux Steve Johnson, également à l’œuvre sur la deuxième aventure de Blade.

On pouvait donc espérer un récit sépulcral, où la notion même d’humanité eut été questionnée, comme dans le chef d’œuvre originel de Richard Matheson (où Neville, dernier survivant de son espèce, était bien obligé de se poser la question du sens de son existence), doublé d’une performance technique démente. En effet, les tests d’effets spéciaux mécaniques (chers à del Toro) sont toujours visibles sur les Internets, et écrasent instantanément l’abominable rendu numérique du produit final.

Mais le cinéaste s’en alla mettre en scène le phénoménal Hellboy II - Les légions d'or maudites, laissant la place libre à Francis Lawrence, qui ne manqua pas de mettre ses grosses patounes dans une mécanique bien huilée et uniquement pensée comme un véhicule propret pour Will Smith. Et du coup, on se dit que le travail de Del Toro sur la série The Strain, dans lequel des vampires partent à l’assaut de Manhattan, trouve ses racines tout près de Je suis une légende...

 

affiche

 

DROOD

Pourquoi Guillermo Del Toro s’est-il passionné pour Drood, le roman de Dan Simmons (dont The Terror arrive prochainement en série) ? Il y est question du célèbre romancier Dickens, et comment il fit la rencontre de Drood, être surnaturel croisé au sortir d’un accident de train, occupé à avaler l’âme des victimes. Le récit nous est transmis par un ami fervent de Dickens, qui croit dur comme fer que son ami s’enfonce dans la folie et commet les meurtres qu’il reproche à Drood, quand lui-même s’enfonce dans la consommation d’opium.

En 2012, del Toro compte bien s’atteler à cette tâche et il est aisé de comprendre pourquoi, et comment le projet s’inscrivait dans son univers. Il connaît de longue date l’œuvre de Simmons, devenu mondialement célèbre avec ses incroyables Echiquier du Mal et la saga d’Hyperion. Mais Drood est peut-être sa création qui colle le plus au cinéaste.

Son monde à la fois baroque, victorien, et situé dans les bas-fonds fantasmatiques de Londres, évoque par endroit le marché délirant de Hellboy II - Les légions d'or maudites, quand la nature monstrueuse qui sommeille en chaque personnage fait écho aux thématiques du metteur en scène. Esthétiquement, on pourra même penser que Crimson Peak a posé les jalons de ce qu’aurait pu être Drood, qui apparaît encore officiellement comme « en développement », mais dont on n’a plus aucune nouvelles…

 
 

Photo Jessica Chastain, Tom Hiddleston Crimson Peak

 

LA BELLE ET LA BETE

Sur le papier, cette adaptation souhaitée par Warner Bros avait tout pour séduire : un réalisateur accompli, rompu aux grands classiques de la culture populaire et toujours du côté des monstres. Soit la promesse d’une iconographie riche, pour ne pas dire somptueuse, d’une représentation de la Bête originale, ou à tout le moins créative, ainsi que d’une variété de tonalités appréciables.

Pour ne rien gâcher, Emma Watson devait se joindre à la fête. Malheureusement il n’en fut rien. En 2014, la sortie de Crimson Peak est repoussée, et Warner fait face à plusieurs problèmes : la version du Livre de la Jungle d’Andy Serkis ne sera pas prêt à temps pour devancer le concurrent Disney, Pan de Joe Wright est repoussé et inquiète le studio. Par conséquent, jouer encore une fois l’adaptation live d’un classique, qui plus est en opposition frontale avec Disney, qui maîtrise le sujet à la perfection, ne se présente pas sous les meilleurs auspices.

Comble de l’ironie, c’est la même Emma Watson qui rejoindra finalement le projet de Tonton Mickey, pensé comme un strict remake du dessin animé de 1991. Réussite tonitruante au box-office, le blockbuster écrase pour un bon bout de temps toute éventualité de voir Guillermo s’atteler à la tâche.

 

Photo La Belle et la bête version 2017

 

PINOCCHIO

« Si vous avez 35 millions de dollars et que vous voulez rendre un mexicain heureux, je suis là »

Guillermo del Toro a prononcé ces mots pendant la promotion de son dernier film La Forme de l'eau, et ils concernent son adaptation de Pinocchio en animation 3D. Vieux de 10 ans, ce film est abandonné depuis novembre 2017, faute de financement. Dommage car le projet est prêt à être livré clés en main : les designs et les marionnettes sont déjà faits. Alors, qu’est ce qui freine les financeurs ?

Évidemment, c’est que Guillermo Del Toro ne fait rien comme tout le monde, ou plutôt, il ne fait pas de contes enchanteurs. Tout comme Le Labyrinthe de Pan et L'Echine du diable avaient un ancrage très forts dans leurs contextes historiques (en l’occurrence, la guerre civile d’Espagne), le Mexicain ne veut pas d’une lecture à la guimauve du conte de Carlo Collodi. De fait, son projet, situé pendant la période mussolinienne de l’Italie, est un « Pinocchio anti-fasciste ».

Mais rester fidèle à la nature politique propre aux récits surnaturels (on suppose dans ce cas en opposant une marionnette à des humains) et ne pas vouloir prendre son public pour des imbéciles ne semble malheureusement pas chauffer les investisseurs. Les refus en cascade ont semble-t-il fini de démotiver Guillermo del Toro concernant ce projet.

 

Photo GepettoLe célèbre Pinocchio de Disney

 

LE DARK UNIVERSE

À l'origine supervisé par Chris Morgan et Alex Kurtzman, le responsable de l’horrible La Momie avec Tom Cruise, le Dark Universe est une tentative d’Universal de créer un univers étendu autour des monstres historiques du studio (Dracula, la momie, l’homme invisible, Frankenstein, le loup-garou, le fantôme de l’opéra et même Quasimodo). Or, quand on parle de monstre, Guillermo del Toro n’est jamais bien loin.

Le studio a en effet offert les rênes de ce projet au Mexicain en 2007 et alors là, attention les yeux : pour une fois, ce ne sont pas des producteurs qui ont dit non au réalisateur, c’est Guillermo del Toro lui-même qui a refusé. C’est d’ailleurs selon ses dires une de ses plus grosses erreurs, mais elle est tout à fait compréhensible.

Il sortait tout juste du Labyrinthe de Pan et s’apprêtait à se lancer dans Hellboy II - Les légions d'or maudites, tout en menant de front son projet d’adaptation lovecraftienne Les Montagnes Hallucinées (annulée à un fil en 2011 par la même Universal), soit deux films qui lui tenaient vraiment à coeur. Le Dark Universe est donc allé chercher un repreneur, et aller s’abîmer chez Alex Kurtzman, ce qui nous frustre tout de même un poil.

 

Photo Sofia BoutellaLa Momie version 2017

 

Le projet Dark Universe a beau laisser un peu dubitatif en soi, on ne peut que se prendre à imaginer ce que cela aurait donné avec Del Toro aux commandes - surtout que lorsque le studio Universal à récupéré Hellboy pour le deuxième film, le cinéaste a vite confié ses fantasmes d'un grand univers partagé avec tous ces monstres. Tout le monde reconnaît au moins la grande qualité de son travail en termes de direction artistique/création d’univers et pour une fois, un studio lui aurait donné carte blanche. C’est d’autant plus regrettable que Guillermo del Toro essaye depuis longtemps de monter son Frankenstein, ou encore de s’emparer de La Créature du Lac Noir (elle aussi au programme du Dark Universe). Or, cette dernière a quand même inspirée le superbe La Forme de l'eau, excusez du peu.

Bref, qu’on aime ou pas le cinéma de Guillermo del Toro, ça n’aurait jamais pu être pire que cette bouse infâme que fût La Momie avec Tom Cruise, qui s'est en plus révélée très problématique : après une carrière moyenne en salles de ce premier opus, l'univers étendu survendu par le studio avec un casting de stars est plus ou moins en grosse pause, avec La Fiancée de Frankenstein et les autres projets repoussés indéfiniment.

 

Dossier publié une première fois en février 2018

 

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commentaires
Adam
11/05/2019 à 17:32

C'est bizarre j'étais certain d'avoir lu il y a quelque mois que son projet de pinocchio allait arriver sur netflix

Faboloss
05/03/2018 à 19:25

Peut être un peu trop tard mais tu peux trouver la vidéo sur la chaîne stevejohnsonfx sur Youtube.

Bah quoi ?
25/02/2018 à 15:58

Où es ce que je peux trouver" les tests d’effets spéciaux mécaniques" de Je suis une légende ???
Vous avez énormément piqué ma curiosité !
Merci beaucoup d'avance
Superbe dossier d'ailleurs qui est aussi un crève coeur ... ( aaaah si j'avais 35 millions ...)

ttopaloff
24/02/2018 à 14:53

Tout comme lui, on est encore nombreux à ne pas s'être remis de l'annulation de Silent Hills...

Geoffrey Crété - Rédaction
23/02/2018 à 22:59

@Delpiero971

Il en "manque" plus encore...
Il a évidemment fallu faire des choix, notamment basés sur la somme d'informations disponibles et précises sur certains des projets abandonnés ou avortés.

Delpiero971
23/02/2018 à 22:49

Manquent Blade 3 et Justice League Dark dans ses projets abandonnés

Kean
23/02/2018 à 18:08

Les montagnes hallucinées..
Fantasme absolu.
Mais j’y crois.

Jojo
23/02/2018 à 12:49

J'aurais tellement aimé qu'il fasse The Hobbit, il aurait ajouté sa touche personnelle !