Marvel, Star Wars et Black Panther : comment Disney est devenu l'empereur du marketing de masse

Jacques-Henry Poucave | 19 février 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jacques-Henry Poucave | 19 février 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Tout le monde n’aime pas Disney. Nul besoin d’être un spécialiste de l’histoire du cinéma pour l’écrire, tout comme il n’est nul besoin d’être un analyste très fin pour noter que le studio reste capable de vendre à peu près n’importe quoi au public, avec une réussite qui semble ne jamais devoir se démentir.

Il y a quelques années à peine, un projet tel que Black Panther aurait semblé pour le moins irréaliste et pas nécessairement promis à un succès planétaire. Peu de temps après sa sortie et son démarrage spectaculaire, il ne fait aucun doute que Disney est en passe de réussir un nouvel exploit commercial. Une performance impressionnante, qui fait suite à une séquence promotionnelle maîtrisée, réfléchie, dense, au cours de laquelle la plupart des commentateurs auront permis au film de Ryan Coogler de sortir auréolé d'une image extrêmement positive.

 

Photo Letitia WrightUn blockbuster armé jusqu'aux dents

 

Quel que soit le projet, quelle que soit sa réussite finale, son accueil par le public et la critique : on n’a quasiment jamais vu une production Disney se faire assassiner lors de sa séquence promotionnelle. Pourquoi et comment le studio parvient-il à obtenir la bienveillance du plus grand nombre quand il s’agit de vendre des blockbusters finalement bien peu différents de ce que propose la concurrence ?

 

PhotoNon, les Porgs n'expliquent pas tout

 

MAITRISE DE L’AGENDA

Entre la première bande-annonce dévoilée de Justice League, au Comic-Con de 2015, et la sortie du film en novembre 2017, plus de deux ans se sont écoulés, au rythme d’une promotion d’autant plus harassante qu’elle a dû régulièrement se métamorphoser pour s’adapter aux transformations du film et de ses séances de tournage additionnel.

En comparaison, Disney semble avoir été d’une retenue invraisemblable avec son Avengers : Infinity War, rassemblement super-héroïque le plus ambitieux produit à ce jour par le studio de Mickey. Le film est attendu pour le 28 avril 2018 et ce n’est que durant les tous derniers jours de novembre 2017 que le premier trailer a été dévoilé.

 

Photo , Joe ManganielloJustice League : ou comment teaserun méchant dont on n'est même plus sûrs qu'il apparaisse dans un film

 

On pourrait croire à une stratégie de rétention, mais la relative sobriété promotionnelle autour des Derniers Jedi, qui ambitionne d’être le plus gros succès de l’année mais dont la présence médiatique n’est pas comparable avec celle du Réveil de la Force, indique qu’il s’agit de stratégie à long terme.

En effet, il semble que Disney ait opté pour des plans d’attaques plus ramassés, et par conséquent plus denses, lui permettant de saturer l’attention du public et l’espace publicitaire durant une période réduite, précédant la sortie de l’œuvre en question. Un choix qui a comme avantage de permettre de limiter les spoilers tout en maintenant une forte tension, et possiblement de ne pas créer de lassitude chez les spectateurs.

Car plus un film se dévoile, plus il prend le risque de dévoiler un élément polémique, déplaisant, mal interprété, ou tout simplement de générer un effet d’exaspération (voir le cas The Amazing Spider-Man : Le destin d'un héros). En choisissant de manier simultanément le bazooka publicitaire, tout en limitant sa fenêtre de tir, le studio a peut-être atteint un point d’équilibre pertinent.

 

PhotoInfinity War se sera dévoilé moins de 6 mois avant sa sortie

 

MAITRISE DE LA PAROLE

Il y a quelques jours, Margot Robbie annonçait sans crier gare, et sans que Warner accompagne sa sortie, qu’un spin-off consacré à Harley Quinn était dans les tuyaux. Quelques semaines plus tôt, Ben AffleckMatt Reeves et d’autres participants sous-entendaient qu’ils n’avaient aucune idée du planning de The Batman et de qui était véritablement aux commandes.

Il ne fait aucun doute que les mêmes doutes, questionnements et errements existent chez Disney. Le studio a d’ailleurs plusieurs fois géré des situations crises potentiellement explosives pour son image. On se souvient de l’éjection d’Edgar Wright d’Ant-Man, du renvoi de Patty Jenkins de Thor : Le monde des ténèbres (laquelle triomphera plus tard avec Wonder Woman chez la concurrence), ou encore du bordel sans nom qui s’est étalé dans les coulisses de Rogue One et a beaucoup inquiété.

 

Photo Felicity JonesRogue One : succès critique, public et artistique, malgré une boucherie en coulisses

 

Sauf que dans chacun de ces cas, il faut se plier en quatre pour trouver des déclarations officielles d’acteurs, scénaristes, producteurs ou exécutifs en train de critiquer ou remettre en cause le fonctionnement de l’empire Disney. Même quand Phil Lord et Chris Miller se font virer de Han Solo manu militari, dans des conditions rien moins qu’ubuesques, pas une goutte d’acrimonie ne filtre, personne ne crache dans la soupe.

Tonton Disney est parvenu à maîtriser presque parfaitement la prise de parole autour de ses productions. De l’extérieur, personne ne semble jamais commettre la moindre fausse note, ce qui facilite énormément la transmission via les médias et les réseaux sociaux d’un message marketing, qui souffre de très peu de voix discordantes et suffit souvent à donner l’illusion de la cohérence. On note également que dans la relation entretenue avec les journalistes, l’entreprise la joue plutôt fine.

 

Photo Paul RuddEdgar Wright viré, Edgar Wright humilié, mais Edgar Wright se taît

 

À l’heure où nombre de blockbusters sont purement et simplement cachés à la presse, tout comme quantité de comédies françaises, Disney n’hésite pas à montrer ses productions deux, voire trois semaines avant leur sortie, exception faite des Star Wars (dévoilés au dernier moment, mais montrés tout de même). Pour une presse et des commentateurs obligés par l’industrie de travailler en flux de plus en plus tendus, cette attitude assure inconsciemment une relative bienveillance, stratégiquement bienvenue.

 

Photo Star Wars : Le Réveil de la Force Star Wars : Le Réveil de la Force

 

MAITRISE DES TALENTS

En témoigne l’arrivée de nouveaux visages doués mais encore relativement peu connus du grand public dans Star Wars, et la capacité de Marvel à introduire sans cesse de nouveaux héros non sans faire passer ses méga stars au second plan : Mickey tient ses acteurs.

 

PhotoMarvel pourrait se débarrasser de sa figure de proue, Robert Downey Jr.

 

Chez Marvel et chez Lucasfilm, aucun talent n’est jamais au-dessus du film. On parie que si demain Robert Down Jr. tempêtait contre Kevin Feige, une grande partie sinon la quasi-intégralité du public prendrait fait et cause pour la firme et le personnage d’Iron Man à travers elle. Même la personnalité brillante d’un Benedict Cumberbatch n’aura pu circonscrire l’écriture automatique de l’origin story du Doctor Strange.

Il suffit de voir la panique provoquée par les sorties de Josh Trank sur Les 4 Fantastiques, ou les accusations anonymes faisant de Tom Cruise un tyran de mauvais goût sur le plateau de La Momie pour constater combien Disney gagne à ne pas laisser ses artistes tenir la dragée hautes aux films sur lesquels ils travaillent.

 

PhotoJosh Trank, réalisateur maudit des 4 Fantastiques

 

MAÎTRISE DE LA CHAINE DE FABRICATION

De l’écriture, en passant par la pré-production, le tournage, la post-production puis le marketing, Disney ne délègue rien et conserve la mainmise sur chaque étape. Un choix industriel qui protège la firme contre certains dérapages que doivent gérer ses concurrents.

Ainsi, quand Gal Gadot, au lendemain du scandale Weinstein et des accusations portées contre Brett Ratner, déclare qu’elle ne participera pas à Wonder Woman 2 si le producteur y participe, c’est parce que la Warner délègue une partie de la production à la société du même Ratner en renfort de DC Films sur l’œuvre de Patty Jenkins.

 

Photo J.J. Abrams, Mark HamillLes secrets du Réveil de la Force auraient-ils été protégé sans l'hégémonie du Studio ?

 

Il en va ainsi de nombreuses productions hollywoodiennes qui, si elles sont largement financées et contrôlées par un gros studio très pointilleux, dépendent parfois juridiquement de plusieurs entités ou deals qui externalisent une partie de la fabrication des métrages – c’est de ce genre d’accord que bénéficient J.J. Abrams et sa boîte Bad Robot avec Paramount.

Une orientation sans doute synonyme d’une plus grande souplesse et légèreté pour les studios, mais qui leur fait encourir le risque de devoir régulièrement, voire en permanence, négocier. Un souci dont Disney s’est en partie extrait, en avalant des marques comme Marvel, Star Wars, Indiana Jones et sans doute très prochainement une partie du catalogue de la Fox.

 

Photo Gal Gadot Gal Gadot et le pouvoir de Wonder Woman à portée de bras

 

L'IMPOSSIBLE CRITIQUE

Et s'il devenait véritablement risqué de dire et écrire du mal d'une production ? La question peut sembler délirante, néanmoins l’unanimisme autour des Derniers Jedi puis de Black Panther interroge. Depuis bientôt dix ans, le studio parvient avec brio à maîtriser presque totalement les tous premiers échos issus de projections de presse ou avant-premières pour happy fews. Si peu de monde s’illusionne sur la valeur de ces avis à chaud, ils permettent néanmoins de donner un premier la et de créer un fond de l’air.

Plus intéressant : ils permettent de délivrer rapidement les éléments de langage qui serviront de musique de fond lors de la sortie du long-métrage en question. Ainsi au lendemain des premières projos des Derniers Jedi entendait-on déjà causer des supposées audaces mythologiques du scénario, obligeant les futures critiques à adresser cette question, quand les avis à chaud de Black Panther décrivaient le film comme « politique », faisant de la question un élément central de l’appréhension du film.

 

Photo Michael B. JordanMichael B. Jordan

 

Cette dynamique, extrêmement maline, a pour effet de générer un questionnement vicieux et sacrément favorable aux productions Disney : le critique (qu’il soit spectateur, journaliste ou à mi-chemin entre les deux) peut-il prendre le risque de se désolidariser de la majorité des consommateurs, dont tout laisse à croire qu’elle aime ou aimera le film débattu ? – quand bien même la satisfaction réelle du public est à peu près impossible à mesurer dans l’instant ou dans le temps.

En témoigne les réactions parfois délirantes ou outrées, comme vous pourrez les trouver dans les commentaires de notre critique de Black Panther, dont la majorité a été rédigée AVANT la sortie du film, pour nous expliquer que nous étions aveugles/décédés/demeurés/daltoniens/incompétents et bien sûr racistes.

Faut-il dès lors tenter de devancer les goûts des cinéphages et toujours traiter positivement les produits Disney ? Là aussi la réponse est complexe, les torrents de critiques positives concernant Les Derniers Jedi ayant également agacés de nombreux spectateurs énervés par la proposition de Rian Johnson. Quoi qu’il en soit, la rédaction, puis la publication d’avis très engagés (positivement ou négativement), devient alors sacrément complexe.

 

Photo Chadwick BosemanL'intouchable Black Panther

 

Disney fabrique-t-il de meilleurs films que les studios concurrents ? Telle n’est pas la question (un indice chez vous : « non »). Mais quand on se penche sur la bienveillance avec laquelle la majorité de ses films sont accueillis par le public mais également la presse, il semble évident qu’en matière de pure orientation stratégique, tonton Mickey reste de très loin le patron du game.

 

AfficheUn triomphe avant le couronnement de Avengers : Infinity War

 

Tout savoir sur Star Wars : Les Derniers Jedi

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commentaires
Djé
20/02/2018 à 16:53

Il me semble que vous avez réutilisé un de vos vieux articles, agrémenté d’une simple mise à jour. Vous le ressortirez après Solo?
Sinon, la recette disney c’est peut être un peu quand même de faire les choses properement. Qu’on aime ou pas, les marvels et starwars sont esthétiquement soignés, les scénarios attendu et sans vraies prises de risques, mais ça marche parce que ça fait rêver une grande partie du public. Et ça n’empèche pas d’aimer des films doués de plus de sensibilité ou,plus cortiqués.
Les exemples parfaits pour étayer mon propos, c’est justice league et les 4 fantastiques, écris à l’arrache et visuellement laids, et assez mal joués, bah ça marche pas, alors,qu’un iron man, avec le charisme de Robert Downey jr, et un second degrés absent des 2 exemples précédants, bah ça marche.

Geoffrey Crété - Rédaction
20/02/2018 à 12:11

@Raoul

On dit rois du marketing car la méthode fonctionne, et donne de vrais résultats. Des résultats solides, qui vont au-delà d'un démarrage puissant suivi d'un bouche-à-oreille catastrophique et d'une chute de fréquentation, une fois la promo terminée et le film offert au public. Preuve que dans les salles, le public est satisfait et est satisfait de la manière dont sont vendus ces films.

Pour ce qui est de la manipulation, de la propagande, et tout ce qui relève des théories, des rumeurs, de cas isolés, de conclusions tirées ou de soupçons : ce n'était pas le sujet. Pas plus que la qualité des films d'ailleurs (on a clairement exprimé notre point de vue sur Black Panther, et on nous l'a bien reproché).

Nous n'avons pas oublié John Carter ou Tomorrowland : ils ont chacun eu un dossier où on a pris le temps de revenir sur leur sortie, mais ici l'idée était de se concentrer sur les succès (qui sont majoritaires) de Disney, et la machine de guerre Marvel.

https://www.ecranlarge.com/films/dossier/1002569-l-indefendable-john-carter-l-enorme-flop-de-disney-qui-se-revait-star-wars

https://www.ecranlarge.com/films/dossier/989842-le-mal-aime-a-la-poursuite-de-demain-gros-flop-mais-petite-merveille-de-disney-a-re-decouvrir

Raoul
20/02/2018 à 11:57

Vous dîtes rois du marketing, je dis manipulation de la presse (ou de ce qu'il en reste), propagande sur fonds de copinage (la menace à un twittos "influent" : mets 20/20 au Last Jedi sinon t'iras plus jamais à une avant premiere mondiale d'un Star Wars), et acteurs/réalisateurs pris en tenaille par une superMajor qui tirent les ficelles du cinéma hollywoodien par l'ensemble de ses ramifications. On peut dénoter d'un bon savoir-faire marketing par rapport à Warner/DC, certes, mais, la qualité des films n'est quand même pas folichonne. Et en tout cas, on peut pas dire que la créativité soit l'apanage du Disney version décennie 2010. Tout se ressemble, tout est lisse, on ne sait même plus le noms des réals... C'est d'une tristesse.

Par contre vous semblez omettre John Carter dans votre analyse, four de 2012 qui a du plombé les comptes de Disney de 200/300m$, là pour le coup les premières fausses critiques n'ont rien rattrapé du tout !

Mordhogor
20/02/2018 à 10:26

Bravo pour cette analyse pertinente. Il faut le dire quand c'est bon. Rien à faire d'avis ronchons comme celui de "hgh", même si j'ai moi aussi souvent l'impression de consulter un blog. Là, c'est intéressant et la différence de politique interne avec l'autre géant sautait de toutes façons aux yeux. DC a toujours eu un train de retard, et - on ne sait pourquoi, puisque Warner pourrait bénéficier des méthodes de Disney -, cumule les mauvais choix, la mauvaise communication, les annonces de choses qui ne se feront pas, essayant vainement d'intellectualiser ce qui ne doit pas l'être. Peut-être un effet de la politique Disney, je ne voulais pas aller voir Black Panther (rien à voir avec les articles, la sortie, ça datait de bien avant : je ne voyais pas l'intérêt de cette nouvelle origin story, le personnage ne me parlant pas), et cette nuit, j'en ai bizarrement rêvé, le héros (et plein d'autres), sauvant à nouveau ce qui restait du monde (ouais, mon rêve a fait de sacrés dégâts, ce qui est arrivé à la Sokovie, c'est du pipi de chat !) d'une menace incroyable. Du coup, dimanche, j'y vais !

pere colateur
19/02/2018 à 20:32

C'est pas moi qui leur apporterais 20 centimes a cette firme débilitante. Hier soir j'ai quand même voulu regarder " la belle et la bête" sur canal , 5 mn aprés j'allais vomir !

Pseudo
19/02/2018 à 20:21

WOW
Et ben punaise...juste bravo pour votre article, moi qui vous chier dessus à de nombreuses reprises, là juste bravo. Cet article interroge et est vraiment bon.

Je précise que j'ai aimé black panther, mais c'est pas le sujet et je vous trouve là très pertinent.

captp
19/02/2018 à 20:12

J'aime bien votre analyse moi .
Je reste cependant convaincu que le public va finir par se lasser... Il le faut bordel grrr

Synapse
19/02/2018 à 19:13

@hgh

Hey ducon, tu nous expliques pourquoi il t'a vexé comme un pou l'article ?

Ou à quoi c'est une réponse ?

Ou en quoi ils ont les chevilles gonflées ?

Parce que t'as l'air d'être un bon gros gagnant.

hgh
19/02/2018 à 19:02

ce nombrilisme ... ça devient écran large/ Don Quichotte ...
si ce site n'était dans une mécanique de contenu putassier, ça pourrait etre crédible... malheureusement j'ai plus l'impression d'avoir à faire à des blogueurs... cette réponse sous forme de pseudo analyse très foireuse dans ces comparaisons warner/disney, c'est médiocre ça manque de contenu, ou sinon pourquoi pas faire un article sur la propagande catholique de warner, histoire de bien rendre binaire l'industrie du cinéma ...
sérieusement c'est pathétique, c'est de l'analyse de paquet de lessive mais en plus avec un côté prétentieux qui ne paye pas de mine...
bref dégonflez les chevilles ...

The White Knight
19/02/2018 à 14:46

@Dredd
"je hais cette firme qui standardise tous ses films, mais j'irai quand même voir ce Black Panther"

En une phrase tu as résumé cet article... Tu détestes les films Disney (à tort ou à raison là n'est pas la question, chacun a droit à son avis!) mais tu vas quand même les voir au ciné. Ça paraît inexplicable mais c'est en ce sens que Disney est le "patron du game" comme dit EL !

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