Reptile : critique d'un polar qui a un lézard sur Netflix

Lino Cassinat | 3 octobre 2023
Lino Cassinat | 3 octobre 2023

Premier long métrage du talentueux réalisateur de clip Grant Singer, qui en a également écrit le scénario avec Benjamin Brewer et Benicio Del ToroReptile est un polar noir qui entend nous plonger dans les recoins les plus sombres de l'âme humaine. Mais tout le talent de Benicio Del Toro, Justin TimberlakeAlicia Silverstone et Michael Pitt, toutes les références de qualité et tout le fabuleux travail d’ambiance parviennent à rattraper une histoire inégale au dénouement plat.

Y'A COMME UN LÉZARD SUR NETFLIX

Reptile partait sur le meilleur pied possible. Malgré une BO un peu flashy, le film se met en place avec un montage introductif d'une précision mortelle. Si le film dure 2h15, Grant Singer et son talentueux chef opérateur Mike Gioulakis mettent moins de cinq minutes à poser leur ambiance et leur intrigue en un seul et même geste, un montage introductif redoutable d'efficacité.

On reconnaît immédiatement les talents de découpage du premier, qui avait déjà livré quelques clips mémorables, ainsi que l'inquiétante étrangeté de la photographie du second, qui a déjà traumatisé tout un public sur It Follows et Us.

 

Reptile : photoUn Reptile qui a de la gueule

 

Il faut ajouter à cela le superbe casting de Reptile, qui fait des étincelles. Benicio Del Toro n'a bien évidemment plus rien à prouver, cependant il impressionne encore dans un rôle de détective de la police rurale américaine somme toute assez quelconque, mais qu'il agrémente de nombreux petits détails. Reptile n'en oublie pas pour autant ses partenaires de jeu, tout aussi impliqués, et les multiples gros plans que Grant Singer accorde à chacun témoigne d'un amour sincère autant pour ses personnages secondaires que pour les acteurs qui les incarnent.

Pendant la majeure partie de son déroulé, Reptile en met donc plein les yeux tout en s'amusant à perdre son spectateur dans un labyrinthe de faux-semblants. La sinistre enquête étouffe son héros à mesure qu'il s'enfonce dans le bourbier. L'ombre de la mort plane, grandit ; plus la vérité est proche, plus les murs se rapprochent. On pense à True DetectiveMare of EasttownL.A. Confidential ou encore Misanthrope, les fans de noirceur que nous sommes boivent du petit lait en serrant les fesses.

 

Reptile : photoAttention les yeux

 

LOVE YOU LIKE A REPTILE

Quand soudain, voici venir le dénouement de l'histoire, et c'est la déception. La boîte à énigme était somptueuse, sa serrure relève du travail d'orfèvre, mais la clé de l'intrigue requise pour l'ouvrir est en mousse. Et dans la boîte ? Rien. Du vent. Pourtant plus tendue que le string de Pierre Ménès grâce à une réalisation au cordeau, la fusillade finale fait s'écrouler Reptile sur lui-même une fois la poudre noire retombée et l'adrénaline redescendue. Reptile nageait dans une eau noire d'encre, mais cette noirceur cachait la profondeur d'une flaque.

On ne spoilera rien ici, bien que cela nous empêche de rentrer dans les détails de cette déception. Tout au plus se contentera-t-on de dire que le fond de l'affaire est d'une étonnante banalité, d'autant plus cinquante ans après la sortie de Serpico et tous les excellents épigones qu'il a engendrés.

 

Reptile : photo-Chérie ? -Quoi ? -J'ai plus d'idées

 

On croyait distinguer un gigantesque crocodile émerger lentement depuis les remous vers notre frêle carcasse tremblotante, mais alors que la bête bondit pour enfin nous choper à la gorge après avoir méticuleusement préparé son embuscade, c'est un mignon petit Kaiminus qui surgit pour nous mordiller le petit doigt. Et il a encore ses dents de lait.

On croyait tenir avec Reptile un thriller criminel froid, vicieux, retors. En réalité, Netflix accouche encore une fois d'une oeuvre quasiment inoffensive, malgré une tenue technique indéniablement supérieure à ce à quoi la plate-forme nous avait régulièrement habitués. C'est d'ailleurs la meilleure manière de voir le verre à moitié plein : Netflix semble enfin acquérir une forme de savoir-faire, et le potentiel du réalisateur Grant Singer est pour nous clairement identifié... pour peu qu'il parvienne à se relever de l'accueil critique tiédasse de son premier long métrage.

 

Reptile : photo, Justin Timberlake, Frances FisherC'est qui le meilleur ? C'est QUI le meilleur ?

 

TORTUE qui aurait pu être GÉNiALE

Son potentiel de scénariste est en revanche largement à revoir, puisque la lumière de la grande révélation ultime de Reptile apporte un cruel éclairage sur les manquements et négligences de l'écriture. L'équilibre est inégal, l'édifice penche aussi dangereusement que la tour de Pise. Reptile souffre principalement d'un problème de structure, qui le pousse à amener un grand nombre d'éléments sur la table. Problème : s'ils sont pourtant tous très intrigants, les 3/4 d'entre eux s'avèrent complètement inutiles à l'arrivée et se retrouvent exfiltrés bien maladroitement.

Qu'il s'agisse d'un tatouage montré avec insistance en gros plan, de 15 minutes consacrées à une morsure mystérieuse, ou de personnages secondaires lâchement abandonnés en cours de route (au point que pour l'un d'entre eux on ne saurait vous dire s'il est vivant ou mort, et non ce n'est pas par volonté de lui donner une fin ouverte), les fausses pistes de Reptile sont moins des impasses éclairantes, des petites histoires à l'intérieur de la grande, que des détours pour faire gagner du temps. Et tant pis si l'intrigue ne tient pas tout à fait debout à cause de cela.

 

Reptile : photo, Michael PittTiens donc, Michael Pitt dans un rôle inquiétant, quelle audace

 

Les films à enquête reposent plus que tout autre sur les informations communiquées au spectateur, et sur l'ordre dans lequel celles-ci sont données. Et c'est en revisitant Reptile qu'on se rend compte qu'il s'emmêle les pinceaux. Parfois même au point de tricher avec le spectateur avec des montages confus (la séquence de l'appel téléphonique à l'assassin), ou de s'appuyer sur des incohérences pour construire son mystère. Autant de péchés malheureusement impardonnables pour un film du genre de Reptile, malgré tout le bien qu'on aurait aimé en dire.

Reptile est disponible sur Netflix depuis le 29 septembre 2023

 

Reptile : photo

Résumé

On a apprécié 80% du visionnage, mais les 20% ratés sont si essentiels que c’est tout Reptile qui s’en retrouve gâché. La définition même d’une frustration.

Autre avis Alexandre Janowiak
Si son histoire est assez basique, Reptile reste un polar solide dont le rythme latent, l'atmosphère étouffante et la force tranquille de Benicio Del Toro impressionnent pour un premier film.
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Lecteurs

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commentaires
Sanchez
02/11/2023 à 10:45

J’ai adoré cette petite pépite. Ultra classique certes , inspiré largement par True Detective , mais tiré à 4 épingles. La mise en scène , le jeu d’acteur (benicio est impartial) , tout est très bien maîtrisé. J’ai été happé du début à la fin et totalement conquis.

ton pote
24/10/2023 à 18:33

@superlapin Le réal dit qu'il a choisi le titre Reptile car le film démontre la nature duplice et changeante des êtres humains - comme un reptile qui perd/change de peau. La scène finale sur la paraffine est une variation sur le thème : même ceux qui sont sur le droit chemin - comme le perso joué par Del Toro - peuvent/doivent changer de peau pour avancer et affronter les heurts de la vie.

Alxs
21/10/2023 à 00:05

Je me demande si j’ai aimé car c’est au dessus du niveau abyssal des productions Netflix habituelles ou si ce film a des vraies qualités … peut être un peu des deux : réalisation soignée et efficace, Benicio toujours au top, ambiance assez réussie mais aussi … Justin à côté de la plaque (non ce n’est pas un acteur c’est sur) on devine assez vite qui est louche dans l’histoire et qui est trop louche pour que ce ne soit en fait pas le tueur … rien de très fin dans l’histoire en somme qui ne tient que grâce à son premier rôle.

Hervé
05/10/2023 à 14:55

Il serait temps que Netflix arrête de faire autant de bouses, Bill Gates a dit que c'est pas bon pour le climat...

SuperLapin
05/10/2023 à 11:20

J'ai apprécié, mais je n'ai pas saisi pourquoi on avait un plan sur la main avec la paraffine.

JaimeLesSpoilers
04/10/2023 à 20:31

On se doute assez vite que le tueur est le policier...

ton pote
04/10/2023 à 15:20

Je trouve l'article plutôt dur si on juge qu'écran large se montre généralement assez généreux concernant beaucoup de films passables et plus mainstream. Dénouement plat ? Il aurait fallu que cette ambiance noire et pesante débouche sur quoi pour que le jugement soit plus positif ? Un trafic d'êtres humains ? Un complot ? Des puissants qui boivent du sang ? Ce que nous montre Reptile, c'est la réalité : des agents corrompus, la dissimulation des crimes, la société qui part en sucette juste devant notre porte. La scène d'action finale ténue et originale - bonjour le frisbee - est loin d'être plate à mes yeux. Ni non plus le tout dernier cut magnifique qui conclut le film. Sans être un chef d'oeuvre, enfin un film à la hauteur du talent de Del Toro.

Satan LaBitt
04/10/2023 à 10:56

C'est du vu et revu. Ni bon ni mauvais, mais déjà fait ailleurs.
Je me faisais une joie de revoir Alicia Silverstone, mais si elle a du temps de présence, elle n'a rien à jouer. Dommage.

Alxs
04/10/2023 à 10:27

J'ai adoré ce film alors que je m'attendais à un énième polar. Tout est une histoire de faux semblant, l'enquête est constamment au premier plan mais ce n'est pas le sujet du film. Le plan sur la main dans la parafine symbolise à lui seul tous les enjeux. Dommage que la critique soit passée à côté. Et mention spéciale à la BO de Ketev juste monstrueuse.


04/10/2023 à 10:06

Je partage totalement votre avis ,le soufflet s’effondre si vite à la fin ,que j’ai cru m’être endormie et avoir raté un passage . Mais j’ai adoré le jeu des acteurs et surtout j’aurai aimé qu’une « certaine scène »avec Timberlake soit un peu plus étoffé . Je ne regrette pas de l’avoir regarder pour autant ,mais je ne le reverrai pas …

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