Mystère à Venise : critique d'un Halloween en gondole

Judith Beauvallet | 10 septembre 2023
Judith Beauvallet | 10 septembre 2023

Les adaptations des romans d’Agatha Christie par Kenneth Branagh sont désormais une trilogie. Après Le Crime de l'Orient-Express et Mort sur le Nil, l’acteur-réalisateur so British revient devant et derrière la caméra pour porter à l’écran La Fête du Potiron, sous le titre Mystère à Venise. Une nouvelle fois, il réunit pour l’occasion un casting bien fourni, avec Kelly ReillyCamille CottinTina FeyJamie Dornan et Michelle Yeoh. Est-ce suffisant pour faire un bon film ? Toujours pas. Mais il n’empêche que ce nouvel Hercule Poirot apprend de ses erreurs et s’améliore.

Peut mieux faire

Depuis son premier film sorti en 1989, l’acteur shakespearien Kenneth Branagh a réalisé plus d’une vingtaine de longs-métrages, dans lesquels il s’est souvent octroyé un rôle. Grand bien lui fasse, au détail près qu’il est rarement aussi bon derrière une caméra que devant, malgré quelques réussites.

Féru des adaptations littéraires, et après avoir poncé Shakespeare (Henry V, Beaucoup de Bruit pour rien, Hamlet, Comme il vous plaira, Peines d’amour perdues), Branagh s’est employé depuis 2017 à massac... à adapter l’œuvre d’Agatha Christie pour le grand écran, en revêtant lui-même la moustache d’Hercule Poirot et peinant à faire oublier l’incarnation de David Suchet dans l’adaptation télévisée.

 

A Haunting in Venice : photo, Kenneth BranaghLa double-moustache, la vraie star du triptyque

 

Le Crime de l’Orient-Express et Mort sur le Nil n’avaient pas particulièrement convaincu (en tout cas, pas la personne qui écrit ces lignes, pourtant très cliente des enquêtes policières qui se jouent dans de beaux costumes entre deux tasses de thé), et le troisième épisode des aventures de Poirot s’inscrit dans la digne lignée de ses prédécesseurs. Pourtant, celui-ci parvient à se démarquer tout de même quelque peu, en changeant légèrement de paradigme.

Car avec Mystère à Venise, le réalisateur revient à une tendance qui l’a toujours attiré : celle du fantastique. En effet, il s’y est frotté dès 1991 avec Dead Again et a confirmé, entre autres, en 1994 avec sa version de Frankenstein et en 2015 avec son Cendrillon commandé par Disney. Pour ce nouveau film, Branagh retombe dans le lyrisme gothique qui lui ressemble peu et qui penche parfois, devant son objectif, davantage du côté du ridicule que de l’enchanteur. Néanmoins, il le fait ici de manière beaucoup plus mesurée, pour le plus grand bien du film. 

 

Mystère à Venise : photoÀ défaut d'un carnaval : une mascarade

 

en progrès

Le premier élément qui frappe, en termes d’amélioration, c’est l’abandon bienvenu de la soupe numérique esthétisante qui tentait vainement de faire du Crime de l’Orient-Express et de Mort sur le Nil des films beaux à regarder (à défaut du reste). Adieu la neige bleue en pixels et les fleuves de fond d’écran Windows.

Ici, beaucoup plus de décors en dur et même quelques scènes véritablement tournées à Venise : ça fait plaisir à voir et ça donne un petit (petit) supplément de classe à l’ensemble. En retenant par la même occasion la tentation d’en faire des caisses (certaines personnes sont encore traumatisées par la semi-explosion complètement gratuite du château à la fin de Frankenstein, sous un ciel déchiré par les éclairs), Branagh assume de raconter une histoire de fantôme, que la hantise soit imaginaire ou pas.

 

Mystère à Venise : Photo Kelly ReillyLa trop rare Kelly Reilly

 

Par conséquent et par contraste avec les films précédents, il ne lésine pas sur les séquences d’épouvante et s’amuse des apparitions mystérieuses et d’un décor classique de maison hantée. Cet équilibre trouvé entre modestie des effets et sincérité dans le fantastique apporte un ton général plus sympathique et moins pompeux, où le suspense prime sur la poudre aux yeux et le cabotinage.

D’ailleurs, Kenneth Branagh lui-même semble avoir retenu la leçon des moqueries qui avaient plu sur sa moustache et son jeu lors du volet précédent, et il incarne ici un Hercule Poirot moins caricatural, moins bavard, et donc moins pénible. Troisième film oblige, son personnage manque peut-être un peu d’écriture puisqu’il n’a plus autant besoin d’être caractérisé, mais c’est presque dommage parce que pointe enfin le nez d’un Poirot intéressant et sur lequel on voudrait (cette fois-ci) en savoir davantage.

 

A Haunting in Venice : photo Conjuring 4

 

LAISSE LES GONDOLES À VENISE

Pourtant, si Mystère à Venise est le meilleur de la Poirologie de Branagh, le film souffre de trop de maladresses pour vraiment tenir ses promesses. La faute, notamment, à la réalisation de Branagh, puisque sa mise en scène fait très rarement mouche. En effet, l’essentiel de ses cadres est déséquilibré, et sans même parler des innombrables plans débullés qui fatiguent l’œil sans raison, la mise en scène donne l’impression que le réalisateur ne sait jamais où placer sa caméra.

L’équilibre dans l’image est toujours faussé et la symétrie est systématiquement approximative, tandis que les décors sont terriblement mal utilisés. Ajoutons à ça une photographie pauvre, et l’on est forcé de constater que Branagh a réussi à faire un film moche en filmant Venise de nuit, ce qui est tout de même un comble. Par ailleurs, si l’incursion dans le fantastique est plaisante, quitte à raconter une histoire de fantôme, il est regrettable que Branagh ne sache faire autrement que de se reposer sur les effets les plus basiques et les plus éculés de n’importe quel sous-Conjuring.

 

Mystère à Venise : Photo Kelly ReillyAgatha Christique

 

D’ailleurs, le film commence sur une tentative de jumpscare particulièrement risible impliquant une attaque de pigeon. À partir de là, le déroulé sera rythmé par des jumpscares (au son plutôt qu’à l’image) inutiles environ toutes les minutes, pour maintenir artificiellement la tension plutôt que de réellement la construire. Et pour cause : difficile d’élaborer un suspense crédible dès lors que la résolution du mystère apparaît grosse comme un éléphant au bout d’une petite moitié de film.

Espérer que le scénario en a davantage sous la pédale pour déjouer les attentes et sortir un twist de secours de derrière les fagots est inutile : l'histoire se termine exactement de la manière dont le spectateur pouvait le prédire. Et ce ne serait pas si grave si Branagh parvenait à étoffer un peu la structure traîtresse du whodunit à la Christie, où la résolution arrive forcément dans un monologue interminable de Poirot qui assemble les pièces du puzzle devant son assemblée de suspects.

 

Mystère à Venise : Photo Michelle YeohDe quoi pousser les hauts cris

 

Si le film parvient donc à faire mieux que les précédents pour la simple et bonne raison que ce n’était pas difficile (et aussi parce que, avouons-le, Branagh a su retenir quelques leçons), la qualité globale reste extrêmement moyenne. Le casting semble d'ailleurs encore perdu dans l’interprétation de personnages à l’écriture qui frôle le comique (une pensée pour Michelle Yeoh pour qui l’impossible scène de spiritisme est particulièrement cruelle). À ce stade, on ne sait plus s’il faut souhaiter que Branagh s’arrête sur cette note "moins pire", ou si une curiosité malsaine nous fait espérer qu’il continue.

 

Mystère à Venise : Affiche française

Résumé

Branagh fait mieux qu'avec ses deux Poirot précédents, en élaguant les effets numériques et le cabotinage d'une part, et en se permettant de jouer avec l'épouvante d'autre part. Mais pas de quoi s'enflammer devant cette intrigue à la résolution courue d'avance et filmée sans talent.

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Lecteurs

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commentaires
Marc
03/10/2023 à 16:45

J'ai commencé Le Mystère de Venise puis zzzzzzz 30 minute de sommeil profond... je me suis réveillé quand Hercule Poirot annonce le coupable. C'est... zzzzzzzz

Dr ik
30/09/2023 à 01:12

Et c est quand même bien mieux que mort sur le nil avec dont son affreux plan qui me hante encore aujourd hui... celui du sphinx et des pyramides à deux doigts du nil...

Dr.ik
30/09/2023 à 01:07

Assez d accord avec la critique. Pour moi c est le meilleur poirot de branagh, dans sa forme : l ambiance plus glauque que d habitude; l aspect bien plus vrais du film; l ajout du surnaturel, même si on sait qu il s agit d un poirot et qu il sera balayé au final; le côté moins surjoué (ou alors j ai pris l habitude de son jeu) et le fait qu il y ait moins de star m importe peu au final, tellement leurs jeux sont convenus pas trop besoins d avoir des excellents acteurs... par contre j ai trouvé les intrigues des deux premiers bien plus retorses. Ici c est vrais que l énigme peut vite être résolue par soi même, mais je n ai pas pu trouver les 3 twist de fin. Donc au final, quand même une bonne surprise ce film.

Bidou
12/09/2023 à 15:07

Rien a voir avec Poirot d'aghata Christie.

Un est ancien policier belge, ne sait servi d'une arme qu'à sa mort et était un grand catholique

Loïc
11/09/2023 à 19:10

Comme d'habitude, écran large n'aime rien donc ça doit pas être si mal. Moi j'ai aimé les deux précédents volets

Max04
10/09/2023 à 18:42

La filmographie de Branagh ne démérite pas, bien au contraire. Mais il est surtout un réalisateur "classique" et c'est dans ce classissisme qu'il est le meilleur. Loin de l'esbrouffe d'un mort sur le Nil par exemple. En attendant je préfère voir ce 3em opus qu'un Jonathan Cohen en flic mélomane. Une simple histoire de goûts

Tor
10/09/2023 à 16:33

Son adaptation de Cendrillon est exceptionnelle

JPB
10/09/2023 à 14:33

J'ai beaucoup aimé "Henry V", "Beaucoup de bruit pour rien" et "Hamlet. Conclusion : il devrait revenir à Shakespeare. Il devrait adapter ses sonnets, tiens, qui en révèle infiniment plus sur la vie privée de Shakespeare que ses pièces géniales.

Sa fascination pour la littérature policière a peut-être pris naissance à l'époque où il actait dans la série "Wallander"...

Sanchez
10/09/2023 à 10:54

@paqpa
Rumeur démentie

Tonto
10/09/2023 à 09:56

En ce qui me concerne, je n'avais pas détesté les précédents, mais il est vrai que celui-ci est celui qui se rapproche le plus de ce qu'on peut attendre d'un Hercule Poirot adapté d'Agatha Christie.
J'avoue que pour ma part, je n'ai pas détesté le "twist de secours". Il apporte une petite touche de gravité voire de profondeur qui n'est pas inintéressante.
Bon, maintenant, ça reste du Branagh avec ses manques de subtilité mais quoi qu'on en dise, je trouve que ses Poirot restent dans la moitié supérieure de sa filmo, certes en-dessous des Shakespeare, mais au-dessus de quasiment tout le reste.

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