Pearl : critique de la Magicienne d'Os

Mathieu Jaborska | 16 août 2023
Mathieu Jaborska | 16 août 2023

Écrit à quatre mains pendant la production de l'excellent X et tourné dans la foulée, le prequel Pearl aura mis presque un an à parvenir légalement en France. L'origin story du personnage de mamie meurtrière de Mia Gothtoujours supervisée par Ti West, nous arrive donc directement en VOD ce 16 août 2023.

Les Années folles

X racontait la fin de la première ère du porno de masse, à l'aube de l'émergence de la vidéo, et par conséquent l'agonie d'un cinéma d'exploitation encore fébrilement indépendant. Les enjeux de Pearl sont eux logiquement situés en 1918, aux premières heures du sexe filmé et de sa propagation en Europe, puis aux États-Unis, sous le manteau. Une fois de plus, la pornographie clandestine expose les paradoxes de toute une époque, paradoxes qui vont progressivement ronger le personnage éponyme.

Pearl est une jeune fermière désemparée : son Jules est toujours au front, les temps sont durs, la grippe espagnole rôde, son père est lourdement handicapé et sa mère dévote lui pourrit la vie. Sa seule échappatoire, c'est le cinéma grand public, ses comédies musicales et ses espoirs de carrière de danseuse. Un fantasme en plein essor dont Ti West épouse les codes chatoyants. Son film jouit d'un CinémaScope Technicolor à l'ancienne (magnifique photographie de Eliot Rockett), esthétique typiquement hollywoodienne qu'il ne va pas trainer – évidemment – à tâcher de sang.

 

Pearl : Photo Mia GothPearl arbore

 

En effet, et la pauvrette l'apprend à ses dépens, l'idéal du cinéma musical en train de bourrer le crane des jeunes démunies comme elle est un mirage dans un monde où le puritanisme le plus morbide côtoie la naissance de la pornographie. Comme dans X, la simultanéité de l'exploitation du sexe et de l'abstinence viennent complètement détraquer un esprit coincé dans ses illusions. Un subtil glissement résumé dans cette scène-référence au Magicien d'Oz, où la douce rêverie d'une amourette avec un épouvantail, à jamais affiliée au classique tout doux de Victor Flemming, tourne à la partie de jambe en l'air malsaine. Et dans le processus, les photogrammes volés se perdent.

Avec patience et précision, West retourne le rêve hollywoodien comme un gant et précipite sur son anti-héroïne de quoi la faire embrasser sa face sombre. C'est la naissance d'une contre-culture au sens propre, culminant dans un ultime plan inoubliable, expression figée d'un malaise qui ne dit pas son nom. Soit une des définitions de l'horreur que le cinéaste n'a cessé de mettre en scène.

 

Pearl : photo Mia GothNot in Texas anymore

 

Descente aux enfers pavés de bonnes intentions

X dressait un parallèle entre le cinéma d'horreur poisseux des années 1970 et le porno amateur de la même période. Pearl corrèle les débuts de l'horreur américaine à la naissance du film de cul, les deux agissant comme faces sombres d'une machine à rêves déjà dangereuse. Et ce danger, il est finalement incarné par Pearl, qui se transforme peu à peu, bien sûr, en machine à tuer bien flippante. Moins inspiré par Tobe Hooper et ses semblables qu'auparavant, prequel oblige, le réalisateur revoit légèrement sa brutalité à la baisse, même si la toute fin ne manque pas de piquant, et s'appuie un peu moins sur l'humour.

Pas étonnant : ici, tout dépend du personnage, à la fois protagoniste et antagoniste, qui s'imprègne des maux de son environnement jusqu'à attenter à l'existence de son entourage. Goth et West – tous deux à l'origine du scénario – concentrent toutes leurs idées dans Pearl (quitte d'ailleurs à négliger un peu le casting secondaire), qui devient instantanément une figure importante du genre, encapsulant leur vision de l'horreur américaine et de ses prémisses.

 

Pearl : Photo Mia GothShow me what you Goth

 

Bien que X reposait sur le retournement des archétypes représentés par son groupe de chair à canon, son prequel mise tout sur une seule personnalité et donc sur la performance de Mia Goth. En fait, on pourrait presque lui reprocher d'être un véhicule pour l'actrice, repérée dans le Nymphomaniac de Lars Von Trier il y a 10 ans déjà, puisque le metteur en scène lui offre un monologue en plan-séquence fixe impressionnant, laissant volontairement les réactions de son interlocutrice en hors-champ pour mieux souligner le malaise. Mais force est de constater qu'elle est largement à la hauteur de la tâche, capable de changer de visage en quelques secondes.

Elle serait la candidate idéale aux cérémonies de récompenses américaines si celles-ci ne représentaient pas justement l'institution mensongère (allergique aux films d'horreur) dont son rôle est devenu le double maléfique. Et elle incarne à merveille la bipolarité explorée par Ti West tout au long d'un diptyque qui sera, mine de rien, parvenu à tirer le portrait historique et analytique du cinéma d'exploitation dans son ensemble. Portrait qui devrait s'attarder sur sa fin dans le troisième volet MaXXXine, toujours en développement et qu'on attend impatiemment, quand bien même il arriverait encore très en retard dans nos contrées.

Pearl est disponible en VOD depuis le 16 août 2023.

 

Pearl : affiche

 

Résumé

Bâti autour de la performance impressionnante de Mia Goth et moins brutal que X, Pearl est le récit d'une horreur larvée dans l'ombre putride de l'avènement du rêve hollywoodien.

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Lecteurs

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commentaires
Pearl harbor
01/11/2023 à 18:40

Grosse déception pour moi.
J'avais adoré X.
Et la, vraiment un film lambda sans grand intérêt

Si ce n'est son hommage par son générique de début et de fin aux films des années 50.

Pat Rick
17/08/2023 à 19:32

X n'était pas fameux.

indy75
16/08/2023 à 18:20

Beaucoup aimé le film. Peut être le meilleur du genre depuis des années. Ça prends certes son temps pour raconter cette histoire mais c'est cadré aux petits oignons, avec une chouette photo et une Mia Goth incroyable.

Effectivement son monologue est intense (on en fait encore de longue scène sans coupe sur le visage d'une comédienne filmé en gros plan ?) tout comme son expression dans le troublant et couillu générique de fin.

J'avais aussi bien apprécié X.

Tuco
16/08/2023 à 17:31

Meilleur générique de fin de l'histoire :)

Akitrash
16/08/2023 à 12:12

Personellement j'ai été conquis par X et par Pearl... Deux films à la fois très proches et très différents, mais tout autant jubilatoires... Vivement MaXXXine!

Kyle Reese
16/08/2023 à 12:06

J'ai été épaté par le jeu de Mia Goth, vraiment. Son personnage d'abord à la marge se révèle clairement dérangé, et sa performance le rend étrangement très touchant avec cette fin déstabilisante. J'ai bien plus aimé ce film que X, mais les 2 se complètent très bien, mieux vaut les voir d'ailleurs à la suite. C'est de l'horreur qui s'insinuent lentement. Cette actrice aurai dû avoir des prix je suis bien d'accord avec vous. D'ailleurs je n'avais pas remarqué qu'elle jouait 2 rôles à la fois dans X. Et oui vivement la suite rien que pour elle.

Claremce bodicker
16/08/2023 à 11:28

Pearl est techniquement réussi avec de bonnes idées mais ça s essouffle , c est beaucoup trop long par rapport à X , il n a pas eu le succès escompté à cause de cela , ça reste beau, chiadé mais ça fonctionne moins bien cette fois vivement la suite

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