Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe - critique d'une double peine sur Netflix

Lino Cassinat | 15 mars 2023 - MAJ : 15/03/2023 11:49
Lino Cassinat | 15 mars 2023 - MAJ : 15/03/2023 11:49

Le docu-Netflix est devenu quasiment un sous-genre en soi, en particulier depuis Tiger King. Mais quel est son code esthétique ? En réalité, il est mince : Don't F**k With Cats : Un tueur trop viralL'Homme le plus détesté d'Internet, Chaos d'anthologie : Woodstock 99, tous ces films ont simplement déterré un sujet figé si puissant, si absurde ou si immoral, qu'il se suffit à lui-même sans démonstration. Le docu-Netflix est en somme l'art du truisme. Que se passe-t-il alors quand Netflix se penche sur un sujet en cours, requérant une vraie démarche réflexive ? Réponse avec Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe : une petite catastrophe.

plus c'est long, plus c'est bon ?

Il ne faut pas plus de cinq minutes à Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe pour avouer son échec. Ou plutôt, il lui faut bien 40 minutes de meublage et de perte de temps en contextualisation inutile pour réussir à étirer sur la durée d'un long-métrage une (non)-démonstration qui peut se résumer en cinq minutes, préliminaires et douche compris. On croit d'ailleurs pendant toute cette première partie que Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe n'est rien de plus que la promesse de son titre, à savoir une présentation chronologique de l'entité Pornhub.

 

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe : PhotoLes présentations sont faites

 

Une entité dont il n'y a d'ailleurs en soi pas grand-chose à dire, si ce n'est que, comme le streaming classique avant l'heure, Pornhub a arraché le pouvoir des producteurs pour le donner aux, ou plutôt au diffuseur, devenu tout-puissant grâce à Internet. Une révolution en soi et, en même temps, une histoire commune de l'ère 2.0. Pornhub est né d'un acte industriel de prédation capitaliste, mais ce n'est qu'une conséquence d'une évolution de la loi du marché due à une bascule technologique. Les usages se transforment et pendant ce temps, les consommateurs et les travailleurs et travailleuses du sexe ont simplement changé de maître.

C'est en tout cas ce sentiment d'indifférence qui se dégage de la longue présentation liminaire de ce documentaire, jusqu'à ce que l'on comprenne que son thème principal l'embarrasse beaucoup, car elle n'a pas les armes pour le traiter. Elle le sait, nous le savons, et c'est ce savoir qui transforme l'indifférence en pointe d'agacement. Car une fois le résumé historique balancé et la question des partages de contenus non vérifiés par des utilisateurs anonymes de Pornhub abordée (et ainsi, celle des vidéos de viols et/ou à caractère pédopornographique), une certaine ligne rouge est franchie qui rend la consensualité typique du docu-Netflix contre-productive (on reste polis).

 

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe : PhotoEntretien, montage d'archives, entretien, montage d'archives...

 

double peine

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe est pris dans l'étau du respect de son cahier des charges aseptisé et de son sujet qui lui aurait demandé un minimum d'engagement et d'investigation. Malheureusement, c'est la première option qui est adoptée, et il en résulte une suite de catastrophes en cascade. En premier lieu, le choix des interlocuteurs. Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe nous présente quantité de travailleurs et travailleuses du sexe qui nous parlent de leur vie de freelance, quelques anciens employés de Pornhub, un syndicat du porno, et "deux" (vous comprendrez plus loin) associations.

Brillent par leur absence : les victimes, et Pornhub. Conséquence immédiate : le vrai scandale est toujours frileusement et indirectement traité. Nous sommes constamment renvoyés à sa périphérie du fait que les personnes interviewées lui sont elles-mêmes périphériques, et leur situation est délicate. Leur mission, qui devient celle du documentaire : défendre l'existence de leur métier sans critiquer trop durement leur employeur hégémonique qui a merdé.

 

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe : PhotoQuand la moitié du casting travaille avec ou même directement pour Pornhub, le champ argumentatif s'en voit très réduit

  

Logiquement, les propos tenus sont complètement inintéressants au regard de la gravité des dérives de Pornhub. Mais la fadeur a cette fois-ci une conséquence plus néfaste encore, et là, c'est la double peine : en plus de lisser l'oeuvre, elle invisibilise les dérives en question en détournant le sujet. Le problème nous dit-on, c'est la morale de sa direction. Traduction : si les gens étaient plus gentils, le monde serait moins méchant.

Un principe qui se heurte à une réalité dure comme un parpaing dans la tronche, Pornhub tire principalement ses profits de son trafic. Plus il y a de volume et d'interdits, plus il y a d'utilisateurs sur le site, et plus le site s'enrichit. Mais au nom de la sacro-sainte neutralité objective journalistique, il n'y aura jamais, ô grand jamais, le moindre discours critique sur le système qui a rendu cette dérive possible. Juste des atermoiements (promis juré, Pornhub a changé), de l'observation, et, bien sûr, une contorsion du vrai sujet d'indignation pour le transformer en faux débat bien binaire dans lequel l'extrême-droite peut venir se rouler : pour ou contre la pornographie.

 

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe : PhotoFallait pas appuyer sur ce bouton-là

 

tape dans le fond bon sang

Quand on n'a aucune colonne vertébrale pour structurer sa pensée ou qu'on est d'une pusillanimité crasse, c'est la meilleure bouée de sauvetage du monde, et quand il s'agit de nager vers sa lâcheté, Netflix se transforme en Poutine qui fait le papillon. Là c'est évidemment beaucoup plus facile, la manœuvre est même extrêmement connue et assez grossière. Il suffit de distribuer la parole en donnant l'illusion de la pluralité et de l'absence d'influence idéologique et le tour est joué.

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe est si neutre qu'on ne nous informera que cinq minutes avant la fin que l'une des interlocutrices du film est une lobbyiste d'extrême-droite chrétienne planquée derrière le paravent d'une association de protection des enfants. Au fond, le seul moment où Netflix ne relaie pas une communication bien rodée, il donne la parole à ceux qui empoisonnent le puits. La normalisation de la bête immonde continue.

 

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe : PhotoBonjour, c'est l'extrême droite présentable

 

C'est qu'il ne faudrait surtout pas se mouiller. Tant pis si les uns utilisent les enfants violés comme boucliers humains pour interdire la pornographie. Tant pis si les autres s'embrouillent et se retrouvent à marcher sur les corps d'adolescentes kidnappées pour défendre la pornographie, assimilée à leur employeur. Tant pis si l'hypocrisie de tout un chacun, volontaire ou non, permet d'évacuer ce que le sujet de Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe a de véritablement obscène, de cultiver in fine un tabou : la consommation gratuite ou la production de porno moderne implique de passer par une megacorporation qui a les outils pour faire du profit grâce au viol et à la pédophilie.

Qu'on se rassure, c'est fini tout cela. Promis juré. Pornhub a changé grâce au scandale, et on peut à nouveau jouir de la pornographie sans entrave ni mauvaise conscience. Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe nous montre une farandole de performers heureux, et nous répète qu'avec le consentement c'est plus marrant. Vive la queerness, la liberté, la diversité. Le film se termine et l'on se quitte avec la désagréable impression qu'on a moins sauvé la pratique de la pornographie des griffes des petits curés réactionnaires que l'économie inhumaine qui se nourrit d'elle. Le geste est presque poétique : le grand requin blanc a été noyé grâce à la brosse à reluire.

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe est disponible sur Netflix depuis le 15 mars 2023

 

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe : Affiche française

Résumé

Pornhub : Gros plan sur le géant du sexe apporte la preuve que les documentaires Netflix sont excellents lorsqu'il s'agit de raconter une histoire, mais désastreux lorsqu'il s'agit de construire un point de vue critique. Autant confier de la nitroglycérine à un kangourou.

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Lecteurs

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commentaires
thou
15/03/2023 à 21:20

Morcar t'es juste le benêt de service.

Morcar
15/03/2023 à 15:20

J'ai plutôt pensé que le titre de la critique était un jeu de mot avec "double péné", mais peut-être ai-je l'esprit trop mal tourné ^^

Tengaar
15/03/2023 à 14:59

C'est un documentaire anglo-saxon. Il est très rare qu'un documentaire anglo-saxon soit autre chose qu'un enchainement d'interviews cutés vides de sens et promettant que l'on va vous expliquer quelque chose qu'on ne présentera au final jamais en détails.
Tous ces documentaires sont totalement exaspérants et irregardables. S'il y a bien quelque chose fait mieux que le reste du monde ce sont des documentaires où on apprend vraiment quelque chose en les regardant.

Prisonnier
15/03/2023 à 14:10

J'aurais été Netflix, au lieu de mettre le tudum sur le N, j'aurais mis le X. Ça aurait été au moins amusant.

Geoffrey Crété - Rédaction
15/03/2023 à 14:02

@NemesisTheWarlock

Double Peine c'est beaucoup plus drôle et subtil je trouve.

NemesisTheWarlock
15/03/2023 à 13:43

Vous n'avez pas osé écrire "Double pine" dans vos titres... Vous devenez trop sages. Je venais voir si ce doc allait faire du mal à cette industrie peu reluisante, mais je vois que je peux me passer de ce visionnage (con)(sensuel)...

Kyle Reese
15/03/2023 à 13:25

Je suis déçu, vous n'avez pas fait le jeu de mot pourtant facile à trouver ... le Do-cul !
Bref c'est pas cash investigation ni complément d’enquête à ce que je vois.

Pornhub est une entreprise qui brasse des millions voir milliard avec des costards cravates dans des bureaux et des technicos qui s'occupent des serveur. Leur bizness, c'est la diffusion, c'est donc la quantité avant tout, il faut nourrir la bête. C'est comme pour le streaming de musiques sauf que c'est bien plus délicat car c'est de la pornographie à ne pas mettre entre toutes les mains donc, or le site comme tous les sites X peuvent être visible par tout le monde, peu importe l'age, là est déjà le scandale qui perdure depuis des lustres, soit disant parce qu'il n'y a pas de solution technique satisfaisante. Quand on sait protéger l'accès à un compte en banque on sait faire. Bref. Sinon ce genre de sites s'est crée de manière immorale/illégal en s'appropriant des films, clips de films de la production mondiale du porno pour se créer une base monstrueuse de démarrage. C'est seulement plus tard qu'ils ont régulés les choses et payent les productions qui détiennent les droits ... au lance pierre. Je ne sais plus d’où je sais tout ça, un doc surement (Arte peut être) mais pas celui-ci. Sans parler effectivement des contrôles absent ou trop limité sur des vidéos problématiques. Depuis quelques années il y a la réponse des sites de Fans ou les actrices/acteurs reprennent le pouvoir sur leur images. Là ou le système est dégueulasse c'est quand une actrice veut enlever ses vidéos de ces plateformes alors qu'elle n'avait pas signé pour ça ... elle ne peut pas. (ex Mia Khalifa qui a réussi a se reconvertir malgré tout). Bref, de toute façon je crois n'avoir jamais vu de doc Netflix donc ...

Miami81
15/03/2023 à 12:59

Autant confier de la nitroglycerine à un kangourou!.... :D :D Y'a pas à tortiller, journaliste cinéma c'est un métier :D :D

Cidjay
15/03/2023 à 12:46

Bof, J'ai toujours préféré Xhamster...

@tlantis
15/03/2023 à 12:22

En gros comme 99% des reportages Netflix sans intérêt et sans recherche journalistiques … du racolage pour un oublie aussi rapide .

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