Mort sur le Nil : critique qui coule

Alexandre Janowiak | 18 novembre 2022 - MAJ : 22/11/2022 10:25
Alexandre Janowiak | 18 novembre 2022 - MAJ : 22/11/2022 10:25

Après avoir lancé le Poirot Cinematic Universe avec Le Crime de l'Orient-ExpressKenneth Branagh continue donc les aventures du célèbre détective privé belge sur le grand écran avec une autre adaptation d'un livre culte d'Agatha Christie : Mort sur le NilLe moyen pour le cinéaste de rassembler à un nouveau casting de stars avec Gal GadotArmie HammerAnnette Bening ou Letitia Wright, et de redresser la barre après le navet qu'était Le Crime de l'Orient-Express ?

Hercule poireaute

Lors de ses premiers instants, Mort sur le Nil épate et surprend. S'ouvrant sur un prologue d'une dizaine de minutes, le film plonge le spectateur au coeur des tranchées de la Première Guerre mondiale dans un joli noir et blanc et une mise en scène travaillée. En quelques minutes, Kenneth Branagh amène du souffle, de l'ampleur à son long-métrage. Un moyen surtout pour le cinéaste et acteur principal d'approfondir le personnage d'Hercule Poirot, de mieux connaître les drames qu'il a vécus et de dévoiler les secrets dissimulés sous son énorme moustache.

Toutefois, quelque chose cloche très vite avec cette ouverture et une question vient rapidement accaparer les esprits : qu'est ce que cet aparté guerrier vient faire dans Mort sur le Nil ? Et bien pas grand-chose, et la réponse va se confirmer au fil du long-métrage.

 

Mort sur le Nil : Photo Kenneth Branagh"Aïe no woo iz ze meurdereur"

 

Devant Mort sur le Nil, il est évident que Kenneth Branagh vit un véritable drame avec ce Poirot Cinematic Universe : il rêve de faire un film sur Hercule Poirot alors que ses enquêtes n'ont justement rien à voir avec lui. Cela se sentait déjà dans Le Crime de l'Orient-Express où le détective devenait une véritable figure héroïque, délaissant son attitude maniérée et guindée pour se jeter dans la gueule du loup et s'offrir un gros trip d'action. Avec cette nouvelle enquête, Kenneth Branagh continue donc de faire du détective une grande figure tragique désireuse de régler les problèmes à coups de courses-poursuites vigoureuses et affrontements musclés.

La volonté du cinéaste est même explicitée littéralement par un des personnages s'adressant à Hercule Poirot en fin de film : "J'aurai préféré ne pas vous rencontrer dans vos oeuvres". Un désir parasite qui se ressent inévitablement dans la mise en scène du long-métrage. Ce n'est pas anodin si seul le long prologue a le droit à une réalisation soignée, aux mouvements de caméra habiles et à l'écrin visuel plaisant : c'est tout ce  qui intéresse le réalisateur. Et forcément, le résultat final le subit énormément.

 

Mort sur le Nil : photo, Kenneth BranaghRentrer dans le vif du sujet au bout de dix mille ans

 

momifié sur le nil

Passons le fait qu'une production aussi impressionnante (un budget de 90 millions a priori) repose sur des effets spéciaux d'une telle médiocrité entre fonds verts mal calibrés (voire pas calibrés du tout) et modélisation digne d'un logiciel fonctionnant uniquement sur Windows 97. Même s'il est tourné en 65mm (oui oui comme Lawrence d'Arabie ou Ben-Hur), rien ne semble réel dans Mort sur le Nil et ce ne sont pas ses incohérences visuelles régulières qui viennent sauver sa bouillie numérique (ces ballons apparemment victimes de la gravité uniquement dans le bateau et non en extérieur).

Une chose est sûre, c'est difficilement compréhensible ou simplement inacceptable de proposer aux spectateurs un long-métrage aussi ignoble techniquement alors même que son tournage est terminé depuis décembre 2019 et que sa post-production a duré deux années de plus que prévu. On se refusera également à évoquer trop en profondeur la mise en scène peu inspirée de Kenneth Branagh.

 

Mort sur le Nil : photo, Armie Hammer, Gal GadotDans le film, il y a des ballons dans cette scène (et ils ne servent à rien)

 

Certes, elle est parfois frappée par quelques idées malignes du cinéaste, à l'image d'une scène centrale du film. Dans un geste audacieux, l'événement en question semble parti pour être raconté à travers un plan-séquence opportun permettant de jouer avec la spatialisation et le temps, deux éléments primordiaux dans un huis clos pareil. Sauf que finalement, à peine la tension grimpant et le dispositif commencé, le plan-séquence sera abandonné pour un découpage farfelu laissant de côté toute forme d'ambition scénique.

Sans surprise, l'ensemble est donc extrêmement fade et sur-symbolique (ces corps momifiés...), le Britannique n'ayant absolument aucun point de vue sur l'enquête qu'il raconte. Et si l'on ne s'attardera pas plus sur ce point, c'est parce qu'un autre paradoxe encore plus problématique encombre le long-métrage : son récit en lui-même.

 

Mort sur le Nil : photo, Annette Bening, Tom Bateman"Tu as une idée de ce qu'on fait là ?"

 

rendez-vous avec l'ennui

Dans son Mort sur le Nil sorti en 1978, le réalisateur John Guillermin et le scénariste Anthony Shaffer (derrière The Wicker Man ou Le Limier, et qui s'est fait spécialiste des adaptations des livres d'Agatha Christie par la suite) avaient choisi de prendre quelques libertés avec leur matériau d'origine. Leur adaptation avait beau ne pas être tout à fait exacte (et un peu bancale ici ou là), elle se tenait et ne dénaturait jamais l'oeuvre originelle.

De leurs côtés, Kenneth Branagh et Michael Green (scénariste du film, comme pour Le Crime de l'Orient-Express) parviennent à réaliser un exploit : être trop fidèle tout en étant complètement à côté de la plaque. Car si les deux hommes semblent avoir souhaité coller au plus près du livre sur l'identité du ou des coupable.s (on ne dira rien à ce sujet pour les novices) des événements au coeur du film, ils ont aussi ajouté des pans d'intrigues inutiles, rendant le récit brouillon et surchargé.

 

Mort sur le Nil : photo, Armie Hammer, Gal GadotTrop de personnages tue la caractérisation

 

C'est bien simple, la plume acérée et précise d'Agatha Christie est remplacée par une intrigue totalement illisible. On ne va pas vous cacher que même en connaissant tous les tenants et aboutissants de l'histoire, Mort sur le Nil est tellement mal raconté qu'il est épuisant à regarder. Outre l'absence de rythme du film, causée en grande partie par les apartés du récit sur le personnage de Hercule Poirot et les liens de son enquête avec ses souvenirs passés (l'amour tout ça tout ça...), les personnages sont complètement foirés.

La plupart n'ont pas assez de temps à l'écran pour prendre vie (exception faite des personnages de Gal Gadot, Armie Hammer et Emma Mackey) et forcément, leur profondeur en pâtit. À trop vouloir tout relier, voire moderniser son récit en confrontant certains personnages à leur statut et des sujets actuels (l'homosexualité, le racisme...), Mort sur le Nil ne réussit jamais à développer les multiples suspects et donc à rendre son whodunit captivant.

Et ce n'est pas illogique tant l'enquête finit presque au second plan quand elle vire à la remise en question intérieure (voire intime) de Hercule Poirot et se transforme en affaire personnelle (à cause de plusieurs personnages, uniquement inventés pour cette nouvelle adaptation).

 

Mort sur le Nil : photo, Emma MackeyEmma Mackey, seule réussite du film

 

mission Cléopâtre

Bref, autant narrativement que techniquement, Mort sur le Nil est une véritable catastrophe, et ce malgré la présence d'un casting cinq étoiles à son bord. Gal Gadot a beau être l'une des stars du moment (avec Wonder Woman), sa palette d'émotions ou d'expressions faciales se confirme ici comme l'une des plus restreintes d'Hollywood. On se demande d'ailleurs presque si le long-métrage n'était pas surtout le moyen de prouver qu'elle était la mieux placée pour jouer Cléopâtre quand elle apparaît habillée en pharaonne dans un plan WTF sorti de nulle part.

Armie Hammer, lui, a beau s'en sortir honorablement, il visite régulièrement les terres du surjeu (qui sanglote comme ça, sérieusement ?). Des affres probablement causées par la direction d'acteur trop théâtrale de Kenneth Branagh, moins mauvais que dans Le Crime de l'Orient-Express le concernant, qui ne tire rien de la grande majorité de son casting (la pauvre Annette Bening).

Reste heureusement une actrice pour redorer un peu le blason de ce périple : Emma Mackey. La jeune actrice française dégage quelque chose d'à la fois séduisant et inquiétant en permanence, collant parfaitement avec l'ambiguïté de son personnage. Trop peu toutefois pour empêcher Mort sur le Nil de se couler lui-même.

 

Mort sur le Nil : Affiche officielle

Résumé

Après Le Crime de l'Orient-Express et Artemis Fowl, Mort sur le Nil continue de prouver que Kenneth Branagh est un des pires réalisateurs du moment.

Autre avis Geoffrey Crété
Mort sur le Nil, vif sur le Nul : moins mauvais que Le Crime de l'Orient-Express, mais toujours aussi magnifiquement dispensable derrière l’esbroufe.
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Lecteurs

(2.6)

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commentaires
Méthanol
09/09/2023 à 08:24

Luxueux film sur papier glacé, qui ne détonneront jamais ceux avec Peter Ustinof

Jazz
04/12/2022 à 01:59

Critique navrante... les thématiques du film vont ont complètement échappés, votre analyse est digne d un élève de 1ere année

Kenneth braquemare
19/11/2022 à 07:50

Ce film est nul, les films de Branagh sont nuls.

Rêveur
18/11/2022 à 22:29

Pour moi, c'est toujours plus sympa qu'une bouillie Marvel, se regarde vraiment sans déplaisir.

Ah mince,
18/11/2022 à 21:19

pourtant je trouvais la composition de Poirot par Daniel Craig plutôt drôle ...

Attends, m'a trompé, j'ai confondu avec Glass onion !

My bad.

Oui ce Kenneth Branagh sent le nul et non avenu. Il y a quand même un bon moment que Kenneth fait des gros cacas maintenant.

Alexandre Janowiak - Rédaction
15/02/2022 à 10:48

@Bengals

Ce n'est pas parce que votre équipe a perdu à 1 min de la fin au Superbowl qu'il faut dire n'importe quoi. Pour compléter ce que disait Simon, pour des notes négatives sur Mort sur le Nil, Moonfall, Big Bug ou Inventing Anna (pas de chance, la semaine dernière était pas folichonne), il y a eu bien plus de notes très positives ces derniers temps entre Enquête sur un scandale d'Etat, The Innocents, Looop Lapeta, Super-héros malgré lui, Les voisins de mes voisins sont mes voisins, The Souvenir Part I & II, Adieu Paris, My hero Academia, Une jeune fille qui va bien...

Alors vous savez, ceux qui disent qu'on aime rien, on comprend très vite que ce sont ceux qui ne nous lisent pas beaucoup.

Simon Riaux
15/02/2022 à 10:04

@Bengals

La majorité de nos critiques étant positives, comme en témoignent celles de ces derniers jours avec pas moins de 5 sorties portées aux nues, vous risquez d'être un peu surpris du coup :)

Quant à l'objectivité, rassurez-vous. Non seulement ça n'existe pas, mais dans le cadre d'une analyse critique, c'est une faute professionnelle ou un aveu d'incompétence.

Et faites attention, aucune critique n'est faite pour qu'on s'y fie. Une critique ça sert uniquement à accompagner la vie d'une création, à proposer de la faire exister hors un simple visionnage et à donner quelques possibilités, pistes ou désirs d'analyse.

Bengals
15/02/2022 à 10:01

Vue votre critique qui annonce une vrai bouse (comme dans 95% de vos critiques), je pense que j'irais le voir ^^
Même si effectivement à chacune de vos critiques, ce n'est "qu'un avis", malheureusement je trouve il est souvent à côté de la plaque et pas du tout objectif (et c'est dommage car au final, on ne peut quasiment jamais s'y fier).

Tom’s
09/02/2022 à 09:45

Le premier film et celui ci mme combat! Mépris du travail de Christie, Casting de dingue et BraNagh n’en fait rien de valable, et le souvenir de tous les films qui au gré des intrigues te font voyager, filmant de vrais décors et paysage, le tout CGi pour figuré un train, la neige mais en mode low cost, empêche d’y croire, tu prend les mme’ et cale ça sur le’ Nil!! Aussi mauvais réal pr les studios il n’empeche que les films ont fait de l’argent donc on le rappel pr tenir la barre lol

pc
09/02/2022 à 09:21

Kenneth Branagh était plus à l aise dans ses merveilleux Shakespeare. J avais vu sa première boursouflure Herculeene. Cette critique ne vient que confirmer ce que j avais pressenti dans la BA pour ce deuxième acte. Quant à Gal Gadot c est une des plus mauvaises actrices que je connaisse. On enlève sa plastique avantageuse qui lui permet aujourd'hui d être là il ne reste pas grand chose en terme de présence.

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