Films

Soul : critique morte à l’intérieur (comme Pixar)

Par Simon Riaux
25 décembre 2020
MAJ : 30 mai 2023
137 commentaires

Soul devait être un raz-de-marée de Noël dans les salles, mais une pandémie en a décidé autrement, le transformant en produit d’appel pour Disney+. Le nouveau film de Pete Docter est-il l’évènement attendu ? 

photo

VIENS VOIR LE DOCTER 

La carrière de Docter est un progressif mouvement vers la mélancolie et l’abstraction. Monstres & Cie était une exploration du subconscient déguisée en buddy movie, Là-haut un faux film d’aventures et vrai récit de deuil, quand Vice Versa triturait la matière même de nos émotions en questionnant le concept d’acceptation. Avec Soul, l’auteur traite désormais de nos âmes, de pourquoi, comment nous nous accomplissons, et finalement, pourquoi nous souhaitons, envers et contre tout, ne pas mourir. 

 

photoQuand on arrive en ville…

 

Vaste programme, qui appelait une vaste réflexion plastique, de celle que Pixar a menée plusieurs fois au cours de son histoire, et qui s’incarne ici à travers deux défis, tant esthétiques que plastiques. Le premier consiste à représenter visuellement des idées aussi vaporeuses que l’âme, l’au-delà, l’inconscient ou la névrose. Difficile, il convoque des influences aussi variées que Dali ou Escher, tant dans les jeux de perspectives, les contrastes de matière, que leur douceur parfois piégeuse. 

Une charte à laquelle le film applique un tour de force technologique assez impressionnant. En effet, la plupart des éléments graphiques présents dans l’outre-monde sont duveteux et ne disposent pas de contours nets. Ce type de modélisation représente en soi un challenge technologique de taille, que les équipes de Docter ont relevé avec un brio indiscutable. Jamais pris en défaut, Soul propose même ici et là des jeux sur la matière, des mélanges 2D/3D parfaitement inédits, qui passionneront les amateurs d’animation. 

 

photoD’intéressants (et métaphysiques) jeux dimensionnels

 

R.I.P(IXAR) 

Cette technicité ahurissante souffre malheureusement d’une direction artistique nettement moins inspirée. De la galerie des âmes aux airs de glaviots sucrés, en passant par un monde réel qui peine à sortir de la représentation désormais générique de la ville, Soul est un miracle technique qui manque cruellement… d’âme.  

En témoigne la scène du barbier, sidérante de fluidité, de précision, et encore une fois d’accomplissement technique, mais terriblement convenue dans son découpage, son discours, et les interactions entre ses personnages. Comme si le studio ne pouvait plus proposer que de solides mises à jour de ses exploits d’hier. Ainsi, il ne suffit pas de modéliser à la perfection la fourrure d’un chat pour nous faire oublier la médiocrité de son design ou la dimension fonctionnelle de son écriture. 

Ce constat vaut aussi pour la narration. À la manière de Rebelle, le scénario opère à son mitan un retournement certes malin (et inattendu), mais qui va soudain contraindre l’intrigue à changer un peu de braquet, la rendant souvent beaucoup trop superficielle. Et on s’agacera plus d’une fois de voir le film traiter ses meilleures idées par-dessus la jambe, à la manière de l’âme torturée d’un trader qu’on transformera en trois coups de cuillère à pot en humaniste patenté (venant d’une multinationale telle que Disney, qui vient de sacrifier le cinéma à ses actionnaires, la pilule est amère). 

 

photoDangers de l’ecstasy

 

COULEZ MES LARMES, DIT L’ACTIONNAIRE 

Et plus généralement, malgré la malice de ses idées, les trouvailles qui se succèdent manquent toutes d’aboutissement. Plus encore que dans Vice-Versa, la profondeur des thématiques se heurte à la rapidité de l’exécution, au grand-écart kamikaze d’un projet qui veut bouleverser les grands et éveiller les petits, tout en s’ouvrant sur la mort de son héros. Un point de départ assez affolant, qui sera finalement miné par un discours tristement convenu sur l’existence et l’inspiration, invraisemblablement contredit par un épilogue qui n’assume soudain plus la dimension funèbre et tragique de son récit.

 

photoAnd all that jazz…

 

Énième film de Pixar à nous parler de la mort, de la nécessité des adieux et de l’abandon, Soul arrive deux ans après le renvoi de John Lasseter, chef d’orchestre et créateur du studio, écarté dans le sillage de MeToo, suite à de nombreuses accusations de harcèlement sexuel au sein de l’entreprise. Lasseter était connu pour avoir installé au sein de Pixar et entre ses metteurs en scène un système d’émulation créative réputé. On se demande si la firme à la lampe est encore capable de transcender son propre programme

Une nouvelle fois, l’impression d’assister à un requiem imparfait prédomine, comme si cette équipe naguère géniale ne pouvait plus qu’observer, de loin, sa propre dissolution dans l’empire Disney, et nous encourager à lui faire ses adieux. Une mise en perspective qui touche, passionne, mais témoigne aussi de profondes imperfections de cet ambitieux projet. 

Soul est disponible sur Disney+ depuis le 25 décembre 2020

 

Affiche us

Rédacteurs :
Résumé

Miracle technologique et proposition plastique souvent ambitieuse, Soul souffre d'une direction artistique hésitante et de son incapacité à tout à fait assumer son sujet et ses thématiques.

Autres avis
  • Alexandre Janowiak

    Dans la lignée de Vice Versa et Coco, notamment dans ses thématiques (les émotions, le deuil), Soul est surtout un voyage introspectif de Pixar : l'histoire d'un studio un peu perdu et déprimé qui espère retrouver son âme pour mieux renaître. Touchant, entraînant et exaltant.

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Flo

Après « Vice-versa », Pete Docter a voulu se créer un défi allant plus loin… Mais le réalisateur reste confiné dans son emploi de cinéaste conceptuel, invité à Cannes.
S’attaquer ainsi au sens de la Vie, à ce qui nous façonne, étant un très très gros morceau. Trop pour rester un film Tout Public, surtout pour toucher d’abord les enfants (le sous-texte réservé ensuite aux adultes).
Alors sa conception d’un Grand Avant, sorte d’envers à l’Au Delà (montré ici comme le seul et unique antagoniste, plus angoissant que cette bureaucrate forcenée qui va traquer les protagonistes)… C’est bien sûr un réservoir d’idées visuelles et cartoonesques, bénéficiant d’une esthétique Rétro aussi bien américaine que latine. Ou d’une b.o. électro expérimentale des ex de Nine Inch Nails.
Très ambitieux, très travaillé. Et ça porte clairement la marque de Docter…

Sauf qu’il y a aussi toute une partie, finalement importante, sur Terre. Et dès que Docter a choisi que son personnage serait un jazzman (il est fan), plutôt qu’un aspirant acteur… pour lui il devait évidemment être noir.
Et même si son héros est tiraillé entre ses envies d’artiste et le confort d’un emploi d’enseignant, à l’instar de Pete Docter lui-même chez Pixar…
Même s’il arbore le physique grand et dégingandé du réalisateur (en VF, Omar Sy se cale dessus sans contraste, contrairement à Jamie Foxx), et même si Docter y injecte du buddy movie désarticulé à base d’échanges de corps… le fait est que toute cette partie terrestre se doit d’être grandement supervisée par des garants culturels, pour éviter toutes erreurs et plaintes. Tout un staff mené par l’auteur Kemp Powers, qui devient un autre film traitant de l’identité afro-américaine Et new-yorkaise, dans un univers hyper réaliste, magnifié par la musique de Jon Batiste.
Très ambitieux, très travaillé. Mais plus totalement le film de Docter.

On se retrouve alors avec un pré Au Delà aculturel (et sans religions) et une Terre culturellement très marquée… Et les deux films/mondes ne sont ni opposés l’un à l’autre (on doit visuellement se plaire dans les deux), ni assez associables, malgré une certaine facilité à passer de l’un à l’autre, surtout pour les individus les plus perchés. Avec une temporalité relative un peu fastoche.
Contrairement à « Coco », où les deux mondes (plus ou moins perméables, mais avec le Surnaturel en guise de justification) sont liés au sein d’un Tout culturel – où on pouvait quand-même imaginer qu’il existait d’autres mondes des morts, réservés à différents groupes…
Là, dans « Soul », on pourrait se consacrer à l’un des deux mondes, pleinement… Mais au sein d’un seul film, il n’y a pas assez de place, on est à l’étroit.

Les rebondissements y finissent par être trop forcés pour être naturels : un chat sans pouces opposables ne peut manipuler une tondeuse, donc on sera obligé de passer chez le Barbershop – pareil avec le pantalon qui craque, hop ! direct chez maman couturière pour se confronter à elle. L’amorce de chaque moment menant à une exploration de la culture noire n’est pas bien amené, et il serait étonnant que ça vienne de Docter.
Ce qui complique encore plus le tout, c’est que les deux protagonistes ne sont pas conçus pour être agréables, pendant quasi tout le film. Surtout le personnage principal Joe Gardner (« jardinier » oui, mais son rôle pourtant évident de mentor n’est pas assez souligné), qui refuse d’évoluer plus vite que ce que le film lui apporte comme révélations, comme vision de son existence avec du recul.
Alors que le personnage de 22 est plus intéressant, mais lui/elle aussi enfermé dans une évolution narrative, qui doit en garder sous le pied pour un baroud final (très sombre).

Un manque d’empathie qui requiert une exigence certaine, pour suivre un déroulement qui laissera beaucoup de questions en suspens, mais qui donnera au moins une réponse possible au sens de la Vie : l’accumulation de petits moments de plénitude, comme autant de perles sur un collier. Ou sur un boulier. Ou comme avec les boules de souvenirs dans « Vice-versa ».
Bref c’est un film terminé en catastrophe pendant confinement, et privé d’une sortie salles qui correspondait mieux à son ambiance enveloppante…
Mais c’est aussi un film destiné à être continuellement revu, afin de mieux décortiquer les diverses parties qui constituent sa somme. Et qui génèrent des réflexions effectivement profondes.

Gigoo

Un des meilleurs pixars selon moi, mon préféré avec la haut, superbe visuellement , très adulte , très beaux messages sur le sens de la vie .. faut être aigri pour ne pas voir toutes les qualités de ce film

Simon Riaux

@camille

Après de longs mois à ourdir un plan diabolique afin de faire passer Geoffrey pour quelqu’un qui n’aime rien, je constate mon échec, non sans amertume.

Geoffrey Crété

@camille

On vous conseille d’aller regarder les autres critiques, parce qu’on est plusieurs à écrire 😉
(Et être accusé.e.s de ne jamais rien aimer, de ce côté c’est assez équitable)

Camille

Écran large, prenez une bonne résolution pour l’année 2021 :
Arrêtez de donner toutes les critiques au même journaliste. Il aime rien !