Expats : critique loin des yeux, (très) près du coeur sur Amazon

Axelle Vacher | 18 février 2024
Axelle Vacher | 18 février 2024

Cinq ans après l’acclamé L’adieu (lequel a notamment remporté l'Independent Spirit Awards du meilleur film), la scénariste et réalisatrice sino-américaine Lulu Wang poursuit son exploration du deuil et des complexités inhérentes aux cellules familiales en adaptant au format sériel le roman homonyme de Janice Y.K. Lee sur Amazon Prime Video. Produit par Nicole Kidman, Expats projette sur cette toile de fond contemplative une étude méticuleuse des disparités sociales au sein d’une ville pétrie de paradoxes.

A ghost story

Dressée sur une oeuvre si concise qu'il pourrait être délicat d'y déceler une poignée de leitmotiv, Lulu Wang est malgré tout parvenue à établir une prédilection manifeste pour les thématiques liées à la perte, l'intime, ainsi qu'aux disparités culturelles. Là où elle explorait avec une habileté controversée les intrications morales d'une réunion antemortem dans son Adieu, la cinéaste choisit désormais de se focaliser sur l’enchevêtrement tragique de trois Américaines expatriées à Hong Kong.

Intelligibilité narrative et émotionnelle oblige, le roman original de Janice Lee débute bien avant le drame qui en rythmera l'intrigue par la suite ; mais plutôt que de suivre ce modèle, Wang propulse immédiatement le spectateur au coeur de la tragédie. Sa vision n'est pas celle d'un bouleversement, mais d'une persistance, d'une acclimatation, d'un apprentissage. D'un refus, aussi. Plutôt que d'introduire son récit par une exposition quelconque, la cinéaste et scénariste choisit la confession ; celle de Mercy, jeune immigrante américano-coréenne interprétée avec une vulnérabilité brute par Ji-young Yoo.

"Ces histoires parlent toujours des victimes. La personne responsable n'est jamais mentionnée. [...] Moi, je veux connaître ces auteurs. Je veux connaître ceux qui ont causé ces drames. Ces gens comme moi."

 

Expats : photo, Ji-young YooOn soulignera par ailleurs la beauté des cadres et surcadrages

 

L'évènement en question est initialement laissé tacite au spectateur, lequel conjecture sans le confort de la certitude. Un procédé éprouvé, certes, mais dont l'expectative n'en demeure pas moins prompte à l'engagement. L'occasion pour la cinéaste d'introduire précautionneusement les multiples visages peuplant son récit.

Plus qu'un étalage de personnages divers, la série déploie avec acuité les enjeux propres aux arcs narratifs des trois femmes et de leurs entourages. Il est alors question de pardon, d'affliction, des attentes et interrogations relatives à la maternité – ou plus généralement, à la féminité –, aux attaches sociales et géographiques ; mais surtout, Expats est le récit d'une hantise. La figuration des fantômes par les multiples sous-genres horrifiques est un moyen comme un autre d'octroyer une certaine matérialité à ses propres démons pour mieux les exorciser par la suite. Mais la réalité n'est que rarement aussi indulgente.

Ici, le spectre de la tragédie s'affranchit des jumpscares et des violons hystériques ; il est désormais lancinant, contemplatif, étiré. Les six épisodes dont profite la série se déroulent un à un selon un rythme quasi punitif, lequel force le spectateur à en éprouver les secondes comme les douleurs. 

 

Expats : photo, Sarayu RaoSarayu Rao, dont le personnage a été complètement réécrit en sa faveur

 

americans (nightmare)

Il aurait été d’une simplicité sans nom de réduire le récit aux mélancolies de ses trois protagonistes tout en reléguant leurs privilèges au second plan – voire, en faire tout à fait fi. Mais c’est justement là que jaillissent toutes les sensibilités de Wang. Motivée par le besoin de transposer sa propre chronique familiale au scénario de L'Adieu, celle-ci réitère l'exercice en injectant au récit de Lee son expérience déracinée.

Sino-Américaine née à Pékin puis émigrée aux États-Unis à l'âge de six ans, la cinéaste a ainsi confié lors d'un entretien accordé aux colonnes de Vogue ne pas savoir comment se définir elle-même : Suis-je une expatriée ? Suis-je une immigrée ? À quelle communauté est-ce que je m'identifie le plus, et comment est-ce que je raconterais l'histoire de l'intersection de ces différentes identités [...] ? Je ne savais pas si je pouvais être tout pour tout le monde”.

En usant de cette interrogation personnelle comme point de départ, Wang propose un objet à la croisée des identités, des communautés, de leurs préoccupations respectives et par extension des moult dissonances socio-économiques dont regorge Hong Kong.

 

Expats : photo, Ji-young YooUne idylle à l'épreuve du mouvement parapluie de 2014

 

Le quotidien luxueux de la nouvelle bourgeoisie expatriée est dépeint avec le même intérêt que celui des classes autochtones plus modestes, rythmé par les revendications politiques, les commérages, les manifestations pro-démocrates et les jeux de bingo. Un parti-pris qui a par ailleurs valu à la série d'être interdite à la diffusion dans la ville même où elle prend place, le gouvernement local ayant, d'après le South Morning China Post, reproché à certaines séquences de ne pas représenter la ville sous une lumière favorable.

À cet égard, le cinquième épisode se démarque particulièrement, tant par sa durée (1h40) que sa mise à l'honneur des domestiques employées à domiciles par lesdits expats ; Margaret et Hilary, bien entendu, mais également pléthore d'autres occidentaux, débarqués sur le sol du "port parfumé" par obligation professionnelle ou en quête de renouveau. Initialement figurées dans l'ombre, jaillissant des recoins à la moindre convocation, elles se voient finalement émancipées du regard inattentif des familles dont elles assurent le service par la cinéaste, qui règle alors son dispositif cinématographique à leurs échelles.

 

Expats : photoInternal Affairs

 

hong kong, mon amour

Le susmentionné cinquième épisode, intitulé Quartier Central, pourrait se concevoir comme un rétropédalage à demi coupable, une défense maladroite pensée pour prévenir en amont les éventuelles doléances d'un public las de suivre les ennuis de ménages fortunés. Il serait néanmoins réducteur de chercher à opposer cet arc narratif à ceux de Margaret, Hilary ou encore Mercy. Plus qu'une trame complémentaire à l'accident autour duquel s'articule le récit, cette démarche de la cinéaste force la perspective, interroge son sujet et soulève l'un des aspects les plus nobles de sa proposition sérielle.

À l’aide de l’objectif inquisiteur de sa directrice photo Anna Franquesa-Solano (laquelle avait déjà officié sur L’Adieu), la cinéaste figure la ville comme un personnage à part entière : complexe, contradictoire et multidimensionnel. Plus qu'un théâtre d'inéquités sociales, plus qu'un terrain de jeu pour carriéristes opportunistes, Hong Kong se fait entité vrombissante aux battements erratiques.

 

Expats : photo, Nicole KidmanTriste détective

 

Néons colorés, architectures de tôle et de pierre, rues saturées de corps, commerces approvisionnés à l'excès, camionnettes rafistolées ou véhicules derniers cris, végétations luxuriantes et bouis-bouis aux éclairages rasants sont autant d'organes participant à la reconstruction d'une métropole marquée par le débordement.

Que l’on ne s’y méprenne pas, il n’est jamais question de jugement ou de raccourcis faciles. Aucune moralité particulière n’est à retirer de cette étude nostalgique-pragmatique où les souffrances des uns n’éludent nullement celles des autres. Chaque personnage s'y fond comme un pavé dans la marre. En un sens, Expats réussit là où le Lost in Translation de Sofia Coppola se satisfaisait d'une exploration convenue, d'un orientalisme malavisé. Si la ville est un personnage, elle est subséquemment sujette aux mutations par contact. La note d'intention de Wang peut ainsi se résumer à ce qu'observait déjà Janice Lee dans son ouvrage :

 

Expats : photo, Nicole KidmanIn the mood for loneliness

 

"[Les expats] sont alors balayés et conduit sur l'autoroute, laquelle est si propre, si nouvelle en comparaison des villages qu'elle longe, vestiges de ce qui se trouvait là avant que tous ces nouveaux immeubles ne s'érigent ; ces complexes gigantesques construits pour loger une population toujours plus croissante, ces gens qui seront bientôt leurs collègues, leurs employés, leurs employeurs, leurs chauffeurs. Tous se dispersent, rapidement absorbés par ce nouveau foyer, ne devenant plus qu'un visage dans la foule." 

Les cinq premiers épisodes d'Expats sont d'ores et déjà disponibles sur Amazon Prime Video. Le sixième et dernier épisode de la série seront diffusés le 23 février prochain.

 

Expats : affiche

Résumé

Par ce portrait sensible de femmes abîmées par leurs circonstances respectives, Wang propose une expérience intime à concevoir davantage comme un très long-métrage qu’une série. Le déplacement géographique des uns et le confinement des autres lui confèrent ainsi l’opportunité d’étudier à quoi se rattache réellement le sens du Soi, des racines, et du foyer.

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commentaires
alulu
19/02/2024 à 22:17

@Xcice

Comme tu dis. À propos de Jodie Foster, ça faisait un moment que je n'avais rien vu d'elle. Son dernier film, c'était Inside Man, ça date pour tout dire. Ça ne m'a pas gêné de la revoir decker avec son age dans True Détective. Par-contre, ce qui me gêne et qui me fait même sortir d'un film par moment c'est de voir une actrice ou un acteur avec une tronche qui ne leur appartient plus, qui n'exprime plus rien, sauf le désappointement. Ça en devient risible même si la peine n'est jamais loin. Mais bon certains vont te dire qu'ils sont heureux comme ça, oui, probablement avec un cocktail d'anti-dépresseurs. Les seuls qui doivent êtres heureux, quant on y pense sont leurs chirurgiens. Mickey Rourke, n'en parlons pas. Lui qui voulait probablement finir vieux-beau, va finir vieil épouvantail. Et Tom Cruise, l'ex de madame, bouffie comme il est, doit bannir le soleil au risque d'exploser façon pop-corn.

Tom’s
19/02/2024 à 13:38

Kidman est capable de jouer de façon géniale et la scène suivante elle est sur des mimiques ou ce qu’on lui reproche semble en découler .

petitbiscuit
19/02/2024 à 13:28

le botox en abusé ça craint

Xcice
19/02/2024 à 12:22

@Alulu, @Abepe,

Heureusement y'a plein d'actrices qui vieillissent au naturel et c'est rassurant. Jodie Foster, Sigourney Weaver, Judi Dench par ex etc... Les pauvres Kidman, Madonna, Adjani n'ont plus d'expressions faciales. et ressemblent à des monstres de foire désolé. Idem pour les mecs (Mickey Rourke etc...)

alulu
19/02/2024 à 11:50

@Abepe

La preuve que tu ne t'en moques pas. C'est vrai qu'une personne botoxé à mort, qui n'a plus d'expression faciale, ça n'influe pas sur son jeu. Et après, ça veut donner des leçons, des principes sur le cinéma sur le maquillage, le travestissement que, grosso-modo, tout le monde connaît. Pour tout dire, j'en parlais quasiment avant que tu en parles, le coté poseur en moins.

Mais bon, tout de suite l’anathème, ça bloque sur la forme alors que le fond tend sur l'acceptation de soi. Et je le redis, elle aurait été plus avenante en acceptant ses rides. Le constat est triste à voir, elle ne fait ni dans les 30 ans, ni rien. Pour tout dire, ça me fait penser au film, La mort vous va si bien, ça en devient grotesque. Et si ça te chagrine parce qu'elle est une femme, ma petite bafouille aurait été la même avec un acteur donc ta psychologie à deux balles, tu peux te la carrer bien profondément dans ton immonde fondement.

Euh
19/02/2024 à 10:55

C'est Jooooli...ment chiant, hélas

HK
19/02/2024 à 10:13

1er épisode : Bien mais c'est normal. On découvre les personnages et le contexte.
2ème épisode : Bien car l'histoire commence vraiment.
3ème épisode : Ca ralenti et devient mou
4ème épisode : Consternant car une histoire qui fait du sur place. WC, ascenseur en panne et morgue chinoise. 3 lieux ou rien ne se passe.
Encore 2 à voir mais j'ai peur ...

Xcice
19/02/2024 à 07:28

La chirurgie c'est tabou, on en viendra tous à bout

Vu
19/02/2024 à 04:33

...et loin de valoir 4 étoiles. Et loin de valoir lost in translation que j'ai adoré. Incomparable.

Le 2 premiers épisodes sont corrects mais les épisodes 3 à 5 font concurrence aux meilleurs somnifères.

Mention spéciale aux interminables arcs de l'ascenceur bloqué et de la morgue.

Et l'épisode 5 on a même pas pu le finir avec ma compagne.

bof
19/02/2024 à 02:08

La critique est prometteuse. Il va être temps de reprendre un mois d'abonnement sur Prime (ça faisait longtemps).

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