Le Problème à 3 corps : critique du nouveau mastodonte de Netflix

Mathieu Jaborska | 21 mars 2024 - MAJ : 21/03/2024 18:13
Mathieu Jaborska | 21 mars 2024 - MAJ : 21/03/2024 18:13

Netflix sort enfin sa très redoutée adaptation du best-seller Le Problème à 3 corps de Liu Cixin, taillée (et financée) pour devenir le nouveau mastodonte de la plateforme. Afin de s'en assurer, elle est allée chercher les rois déchus du blockbuster télévisuel David Benioff et D. B. Weiss (Game of Thrones) – accompagnés par Alexander Woo en co-scénariste – ainsi qu'un casting composé de Jess HongEiza GonzálezBenedict WongLiam Cunningham et Jonathan Pryce. Le défi était de taille, et sans surprise, il n'a pas vraiment été relevé.

Du trône de fer à la tonne de fric

Il va désormais sans dire que la trilogie de Liu Cixin est une oeuvre majeure de la science-fiction contemporaine. D'ailleurs, elle a très rapidement fait des émules en Chine, inspirant de nombreuses fan-fiction, un film avorté et même une première série produite par la toute puissante Tencent. À une époque où les grandes fresques du genre séduisent les multinationales du divertissement (Foundation, Dune...), celles-ci ont évidemment jeté leur dévolu sur le premier tome. Un temps considérée par Amazon, qui aurait hésité selon le Financial Times à claquer 1 milliard de dollars dans l'affaire, l'adaptation s'est finalement concrétisée chez Netflix.

Derrière cette course aux intellectrons, il y a l'envie toujours très forte de trouver la fameuse "nouvelle Game of Thrones", la série des années 2020 qui rassemblera la planète pop culture. Des aspirations explicites, puisque les exécutifs de la plateforme sont carrément allés proposer le projet aux showrunners de la saga de fantasy, controversés depuis sa triste fin, ainsi qu'à Alexander Woo (The Terror), avec une enveloppe pour le moins cossue de 20 millions de dollars par épisode. Le pilote tente d'ailleurs d'accrocher à tout prix le spectateur, en glissant une petite bande-annonce de la saison dans ses dernières minutes.

 

Le Problème à 3 corps : Alex SharpPromis, il va servir à la fin

 

Et il faut dire que la géniale trilogie littéraire s'y prête, avec ses idées narratives toutes plus passionnantes les unes que les autres, ses montées de suspens, ses sursauts de violence existentielle et ses cliffhangers redoutables, à condition d'y mettre beaucoup d'argent... et de prendre le temps de restituer l'ampleur de son intrigue. La série qui débarque en grande pompe sur Netflix (elle a même le droit à sa propre petite intro) remplit donc le premier prérequis, mais clairement pas le deuxième.

 

Le Problème à 3 corps : photoThe floor is CGI

 

Science sans conscience

Le Problème à 3 corps est notamment réputé pour ses concepts scientifiques, typiques de l'auteur : sans jamais se départir d'une approche très "hard science", ils sont poussés dans des retranchements extrêmes, qui en viennent à questionner les caractéristiques de la nature humaine et de son rapport inégal avec l'univers. Ça, les scénaristes l'ont bien compris. Ils font le pari de réduire les quelque 430 pages du premier tome et même une partie des deux suivants en 8 épisodes, n'en gardant de fait que lesdits concepts... Mais pas le reste.

La série les enchaine à un rythme métronomique, baladant ses personnages-fonction de scène clé en scène clé, comme si seul comptait l'effet "waouh" qu'ils suscitent, sans détailler plus que ça leurs implications philosophiques et personnelles. C'est l'archétype de l'adaptation fainéante qui se contente d'accaparer les meilleurs moments du roman, voire d'en constituer une liste... qui tourne de fait vite au ridicule. Car sans les cheminements de pensée ou les descriptions détaillées de Liu Cixin, le récit tourne à l'élucubration inconsistante, qui plus est bien incapable de donner la moindre importance à la vie ou à la mort de quiconque.

 

Le Problème à 3 corps : photo, John Bradley, Jess HongJess Hong, qui s'en sort... pas trop mal

 

Les abonnés de la plateforme non familiers de l'oeuvre risquent d'être encore plus perdus dans ce passage en revue express de ses grands épisodes, moins prenant qu'un résumé Wikipedia et qui sacrifie, faute de temps, ses recoins les plus sombres.

Ye Wenjie, fascinant produit de la révolution culturelle chinoise dont l'individualité va condamner la masse, accomplit l'acte fondateur de la saga après 3 épisodes. Les conséquences vertigineuses du sacrifice final ou de la véritable nature des antagonistes abstraits sont expédiées en un dialogue. Quant au héros du premier volume, Wang Miao, il est remplacé par plusieurs scientifiques vingtenaires (pas de doute, on est sur Netflix) se relayant à l'écran sans gagner la moindre consistance au fil du récit. Car le travail d'adaptation essuyé par Benioff, Weiss et Woo consiste surtout à faire du remplissage entre les grosses séquences.

 

Le Problème à 3 corps : photo, Eiza GonzálezEiza González, qui s'en sort... moins bien

 

Un remplissage qui tente en vain de concilier l'univers dense de Liu Cixin et le modèle de la série moderne à l'américaine. Les scénaristes chamboulent complètement la chronologie de la trilogie pour enfoncer au forceps des histoires de coeur en champ contre champ dans son catalogue de physiciens BCBG. Hors de question bien sûr de rester sérieux : ils ajoutent un personnage excentrique campé par John Bradley, lequel parvient par miracle à générer encore plus de malaise que dans Moonfall.

Bref, l'objectif est de récupérer toutes les bonnes idées du roman et de les balancer dans la mixture télévisuelle habituelle, avec en guise de liant des dialogues triviaux multipliant les poncifs. Le comble pour l'adaptation d'un livre aussi inventif. Dès le premier épisode, la messe est dite : pour exposer les métiers de ses deux héroïnes, le scénario envoie un figurant le leur demander...

 

Le Problème à 3 corps : photo, John BradleyObjectif incarner tous les pires personnages du divertissement contemporain

 

GO BIG OR GO EXTINCT

De toute évidence, Netflix a embauché le duo d'auteurs non pas pour reconvoquer la complexité politique de Game of Thrones, mais pour cracher autant de thunes qu'elle. Sauf que même sur le terrain du grand spectacle, il s'agit d'une déception. La version que nous avons pu voir étant encore temporaire, on se gardera difficilement de commenter sa laideur ahurissante (oups, trop tard), autant au niveau des effets spéciaux que du production design général. Mais qu'on soit ou pas attachés au roman, impossible de ne pas relever le manque flagrant d'ampleur avec lequel est traitée cette histoire, dont les grandes lignes ont pourtant une incidence massive sur l'avenir de la planète Terre et de ses habitants.

Bénéficiant de plusieurs centaines de millions de dollars de budget, la série est absolument incapable d'assumer cette ambition, balayant des répercussions mondiales d'une poignée de stock-shots de gilets jaunes et répartissant tous ses enjeux entre ses maigres personnages. Elle en devient involontairement comique grâce à celui campé par Liam Cunningham, chef enquêteur nommé généralissime de la Terre apparemment, qui décide pour 7 milliards d'habitants au nez et à la barbe de 4 clampins scientifiques dans une pièce de 30 m².

 

Le Problème à 3 corps : photo, Liam Cunningham"Bonjour, je suis le chef de tout"

 

C'était bien la qualité que cette adaptation avait le plus de chances de restituer, avec ses énormes moyens, mais c'est peut-être l'aspect qui déçoit le plus. Décidément, la plateforme ne peut s'empêcher de lisser ses grosses productions, même avec l'une des oeuvres de science-fiction les plus mégalos de ces dernières années entre les mains.

Et il y a de quoi craindre la suite, La Forêt Sombre étant autrement plus spectaculaire, cérébral... et futuriste. Finalement, malgré le tapage médiatique, Le Problème à 3 corps n'est qu'une preuve de plus que les montants délirants affichés par les services de SVoD sont jetés par les fenêtres. Ne restent plus que les vraies bonnes idées des récits qu'ils adaptent.... Mais quitte à s'en contenter, autant les lire directement.

Le Problème à 3 corps est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 21 mars 2024.

 

Le Problème à 3 corps : Affiche

Résumé

Une adaptation qui se contente de balancer en vrac tous les concepts géniaux du livre dans une mélasse télévisuelle indigne de l'ampleur du récit et de son budget indécent.

Autre avis Alexandre Janowiak
Malgré son univers de science-fiction passionnant et ultra-ambitieux, Le Problème à 3 corps ne parvient (presque) jamais à déployer ses atouts, rushe tous ses enjeux, bâcle ses personnages et fonde son suspense sur des cliffhangers poussiéreux. Un bazar pas inintéressant et parfois amusant, mais surtout rageant et frustrant !
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commentaires
Muscida
06/04/2024 à 17:11

"adaptation" ratée. Elle ne suis que vaguement l'histoire originale. Le casting occidentalisé pour je ne sais quelle raison fait complètement rater certains messages. Je pense que la série Netflix est bien pour ceux qui n'ont pas lu les livres ou vu la série chinoise, qui elle est fidèle et joue sur le mystère au lieu de révéler l'aspect le plus important de la saison au bout d'un épisode..

spade247
03/04/2024 à 15:03

Je n'ai réussi à lire que le premier tome qui était franchement indigeste.
Le tome 2 est dans ma bibliothèque depuis un moment et je pense qu'il va continuer à prendre la poussière. Est-ce un problème de traduction ? Je ne saurai dire.
Donc plutôt satisfait de cette adaptation qui ravive ma curiosité à suivre la suite de cette histoire.
Il faudra attendre surement plusieurs années avant d'avoir la saison 2 mais pour le coup j'ai hâte.

Serieman
31/03/2024 à 05:28

J'ai failli zapper cette série en lisant votre critique .
heureusement ma curiosité a fait que j'ai regardé l'intégralité en un weekend.
j'ai été agréablement surpris ,comme quoi le goût et les couleurs ne se discutent pas

Sam Daren
30/03/2024 à 16:56

Enfin une critique qui n'est pas lobotomisé. A force de bouffer que de la série médiocre, on vient à trouver que c'est normal.
Je ne connais pas le roman, mais cela saute aux yeux que tout est expédié, et qu'il y a parfois du remplissage.
On reconnaît rapidement les codes de Netflix, des personnages plats et lissé, du non sens total car pas besoin de t'expliquer c'est la science, des raccourcis pris pire que dans Mario Kart, avec du Deus Ex Machina.
Ca promettait au 1er épisode malgré quelques impairs mais rapidement elle déçoit beaucoup.

Anderton
27/03/2024 à 16:26

Je viens de finir cette 1ère saison... J'ai comme une impression d'avoir vu les atermoiements de personnages issus de "This is us" étant accessoirement des génies dans une série de SF où on pousse loin les potards de la science :
*ATTENTION DEBUT SPOILER ALERTE
- faire péter 300 bombes nucléaires dans l'espace toutes les 10 secondes pour faire voyager une sonde à la vitesse de la lumière...
- une nanofibre qui fait tout (découper un supertanker en tranche, filtrer de l'eau, servir pour une toile solaire ultra légère et méga résistante)
- des protons omniscients aux pouvoirs sans limites qui se baladent partout, tout le temps, qui savent tout, peuvent faire n'importe quoi... C'est à se demander pourquoi ces protons n'ont pas plonger l'humanité tout entière dans une hallucination collective pour qu'e les humains s’entretuent et ainsi laisser une planète Terre complètement disponible sans aucune menace humaine, un peu plus propre environnementalement aussi...
Bon, on passera sur les facilités scénaristiques :
- c'est quand même un sacré fruit du hasard que les 5 potes ont tous un rôle crucial à jouer au même moment; quelle est la probabilité que 5 génies de la même génération se connaissent comme des frérots et développent des solutions technologiques qui dépassent de loin nos limites actuelles ??
- le sauvetage de l'humanité via un plan sur plusieurs décennies voire centaines d'années entre les mains d'un groupe à la cool dans un château anglais...
- le super chef qui décide tout, tranquille... Quand on voit que dans notre actualité (ex : les directives de l'UE), tu ne peux prendre aucune décision sans que ce soit passé à la moulinette pendant des années à coup de lobbying et de compromis en tous genres...
- la non-solution quant à la façon dont Will va fournir à l'humanité tout ce qu'il aura appris sur la civilisation ET ("Oh, s'il est si intelligent, il trouvera bien une solution !") - sacré pari sur l'avenir !
- la conclusion de la saison en mode "Allez, on s'y remet !"
*ATTENTION FIN SPOILER ALERTE
Perso, ce sont plutôt les flashbacks que j'ai trouvés super intéressants, et beaucoup plus prenants en termes d'intensité dramatique...
Bref, super déçu par cette série; je n'ai pas lu les romans mais ça divise pas mal aussi, semble-t-il...

Barney
27/03/2024 à 01:19

Pour avoir commencé par la version Netflix pour ensuite embrayer sur la production chinoise, il n'y a pas photo, elles n'ont strictement rien à voir. Three Body 2023 est tellement plus intelligente, philosophique, passionnante, envoûtante et le casting est infiniment plus crédible et attachant. Bref, tous ce qui n'est pas cette version USA puérile. Si l'histoire vous interpellent et que vous avez la flemme de vous manger le roman, je vous conseil chaudement l'adaptation chinoise qui est disponible en vostfr sur Rakunten.

Fanch44
25/03/2024 à 14:52

Du coup je reviens après avoir tout vu : c'était brillant, une superbe adaptation, qui pose bien tout à l'avance pour que tout soit adapté de bout en bout nickel. Bien sûr faut accepter que les personnages soient des versions modifiées de ceux du livre (qui honnêtement, n'étaient pas très marquants, à l'exception peut-être de Luo Ji. Pas le point fort de l'auteur...), ici ils sont bien plus attachants. On peut voir sinon le talent de mise en scène, que ce soit dans la fameuse scène sanglante de l'épisode 5, ou dans celle ou Ye Wengjie prends la fameuse décision. Beaucoup de tension, une écriture au cordeau, bref, un régal ^^

Prometheus
24/03/2024 à 23:10

Série vue ce week-end. J'ai adoré les premiers épisodes, moins les 3 derniers.
Quelques effets spéciaux ne sont clairement pas au niveau (l'épisode avec le paquebot, franchement au secours).
Combien d'années avant d'attendre la 2eme saison ? Si c'est 2 ans, je ne pense pas m'accrocher.

Yaourth
24/03/2024 à 20:30

En réponse à @Mouais :
la cryo est effectivement dans les livres. L'auteur a piqué pas mal d'idées dans d'autres romans. Il y a beaucoup d'idées "originales" du P3C qu'on retrouve dans l'excellent "Les Âmes de la Grande Machine" de Sean McMullen (sorti en 99 et beaucoup mieux écrit) : l'éradication périodique d'une civilisation par des phénomènes cosmiques plus ou moins naturels, le calculateur humain....
Autre pillage du P3C, l'effet miroir du proton géant (entre autres) est directement copié du Voile de l'Espace de Robert Reed (1994).

Un autre fondement de toute l'histoire du P3C est à aller chercher chez A.Reynolds (Cycle des Inhibiteurs)... pour l'instant ça n'apparait pas dans la série mais c'est dans l'introduction du livre 1.

Bon, non, sérieux, je pige toujours pas la hype autour de ce roman. et c'est pas faute d'essayer.

Yaourth
24/03/2024 à 20:07

Je viens de la terminer. La bonne surprise c'est que c'est moins pénible que les livres. On sent une envie de bien faire, d'aller chercher l'essence de l'intrigue et certains personnages sortent de la caricature (issue du livre... ce n'est pas un problème de passage en série). Le flic est clairement le personnage le plus attachant. Même les scènes du jeu vidéo (soporifiques et interminables dans les romans) arrivent à être regardables.

Bon par contre, pas de miracle : ça ne tient pas debout. Mais alors pas du tout... l'auteur peut essayer de masquer les incohérences profondes derrière tout le charabia mystico-scientifique possible, le développement de l'intrigue est intrinsèquement pétée.
A un certain niveau ça ressemble à une mauvaise histoire sur le voyage dans le temps, avec des paradoxes jolis à première vue, mais qui s'effondrent dès qu'on creuse (oui, je pense à Tenet...).
Là c'est pareil, chaque morceau de l'intrigue pris séparément est alléchant, mais une fois qu'on met tout bout à bout, ça ne peut pas fonctionner. Et ça fonctionne d'autant moins que l'auteur veut nous vendre de la hard-science. Mettre du vinaigre dans une bouteille de Bourgogne, ça ne change pas le gout.

Pour ceux qui n'ont pas lu le livre : la suite est encore plus bordélique...

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