Honigfrauen : critique de la Stasi en maillot de bain sur Arte

Lino Cassinat | 22 avril 2022
Lino Cassinat | 22 avril 2022

Très gros succès d'audience à la télévision allemande, Honigfrauen de Ben Verbong accoste cinq ans après sur Arte TV et propose de suivre les tribulations de deux jeunes Allemandes de l'Est de 1986, incarnées par Cornelia Gröschel et Sonja Gerhardt. Proposant un curieux mélange de comédie et de gravité, d'amourettes à la plage et de parties d'espionnages avec des membres de la Stasi en maillot de bain, Honigfrauen aurait pu être une vraie trouvaille si la "mini-série" avait eu plus d'inspiration et d'ambition.

ILS ONT DES CHAPEAUX GRIS, VIVE LA HONGRIE

Au mois de juin 1986, Catrin et Maja, deux soeurs d'Allemagnes de l'Est veulent partir en vacances se baigner, faire la fête et rencontrer des garçons. Un programme normal pour deux jeunes filles normales. Cap sur le camping du lac Balaton en Hongrie, haut-lieu touristique balnéaire d'Europe centrale... mais aussi une passoire dans le rideau de fer communiste.

Pour promouvoir l'activité touristique du lieu, le lac Balaton est en effet ouvert aux touristes de l'Ouest, ce qui en fait un lieu de choix pour les retrouvailles entre proches séparés par le mur de Berlin et l'absurdité du monde, mais aussi pour les passeurs clandestins. Sans le savoir, Catrin et Maja ont posé leur tente sur un sacré guêpier d'espions.

 

Honigfrauen : photoCatrin et Maja

 

Il paraît qu'une dictature, c'est quand les gens sont communistes, qu'ils ont froid, portent des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair. Commençons donc par remercier vivement Honigfrauen d'exploser ce cliché et de proposer une imagerie différente, moins portée sur la tentation exotique et le tourisme chez les mangeurs de rutabaga et plus sur l'exploration des sentiments, des envies et des désirs d'une jeunesse qui subit le joug d'un régime totalitaire en fin de règne, mais n'a pas arrêté de vivre et de rêver pour autant.

Tons chauds, soleil doré, espièglerie et musique pop : les tyrannisés ne sont pas si éloignés de nous finalement, à moins que ce ne soyons nous qui sommes plus proches d'eux qu'on ne l'imagine. C'est toute la délicate opération qu'Honigfrauen parvient à réaliser dans ses deux premiers épisodes : rapprocher deux mondes qu'en réalité rien ne sépare, ayant les mêmes aspirations et les mêmes besoins. Rapprocher deux peuples qui s'aiment, mais qui ont du mal à s'entendre. Rapprocher les stigmates du présent des souvenirs du passé, pour mieux fraterniser et résorber le trauma.

 

Honigfrauen : photoBienvenue à la résidence Balaton

 

De même, Catrin et Maja aspirent au bonheur, et même, sont heureuses dans une certaine mesure. Mais, comme l'Allemagne coupée en deux, les deux soeurs n'ont pas la même définition du bonheur, et cette différence leur fera prendre deux chemins différents. Elles n'en restent pas moins soeurs à jamais, et leur lien n'est mis à l'épreuve que par des individus extérieurs, mais jamais à cause de ressentiments propres.

Le succès d'Honigfrauen outre-Rhin s'explique dès lors assez facilement : en abordant un sujet doux-amer avec autant d'optimisme chaleureux que de réalisme froid, Honigfrauen parvient à restituer une époque disparue sans tomber dans la nostalgie ou le romanesque. On s'est bien amusés, mais c'est mieux maintenant, sans la surveillance et l'état policier.

 

Honigfrauen : photoEt donc ça c'est le maillot de bain règlementaire à la Stasi ?

 

OHNE DICH, KANN ICH NICHT SEIN

Alors certes, quiconque aura vu Good bye, Lenin ! marchera en terrain connu, voire aura probablement un sentiment de redite en moins bien. S'il est difficile de reprocher à une oeuvre d'explorer les traumas du pays dont elle est issue - aucune nation n'étant pas née d'une forme de tragédie -, il est vrai que le film de Wolfgang Becker sert ici de modèle écrasant. Même ton histori-comique, mêmes péripéties loufoques, mêmes personnages impulsifs et ingénieux.

Heureusement, Honigfrauen s'en sort grâce à son cadre estival et son ambiance bucolique, loin des banlieues grises. Le décor de la "série" donne un souffle légèrement différent, plus sucré et plus drôle, qui produit un sentiment moins tristounet que son déprimant aîné... mais aussi et malheureusement d'énormes dissonances tonales et quelques invraisemblances chez les personnages.

 

Honigfrauen : photoL'amour à la plage

 

Que Maja soit irréfléchie, volage, et qu'elle tombe amoureuse en un haussement de sourcil suave de Tamàs, le gérant d'un hôtel cinq étoiles couvrant une activité de passage illicite, passe encore. Mais qu'elle soit aveugle au point de s'improviser elle-même passeuse à peine 24 heures plus tard, c'est beaucoup demander. C'est un exemple, mais Honigfrauen souffre parfois de quelques effets de contraste peu flatteurs, de quelques déséquilibres qui laissent un sentiment de désorientation dans le ton.

De même, lorsqu'un personnage secondaire finit en barbecue après une tentative ratée de traverser la frontière vers l'Ouest sans que cela ne choque plus que cela nos deux protagonistes ni que cela ne fasse dérailler le cours de la série, qui reprend presque derechef sur les blagues et les coquineries, donne à penser que malgré de belles prémices, Honigfrauen n'a pas grand-chose à raconter au-delà de son décor et n'a pas prévu de trajectoire bien remarquable à ses personnages.

 

Honigfrauen : photoEst-ce un moustique ou un micro ?

 

ANOTHER BRICK IN THE WALL

Et de fait, il suffit à Honigfrauen d'environ un épisode et demi pour raconter sa substantifique moelle, avant que la machine ne se grippe. Maintenant que tous les effets de sens ont été produits, qu'on a abordé l'officier de la Stasi tombé amoureux par mégarde, le père convaincu par l'idéologie de la RDA, le couple mi-Est mi-Ouest ne pouvant se retrouver qu'une fois par an au lac Balaton, le parent de la RFA séparé de son enfant secret né en RDA que reste-t-il à raconter ? Est-il même possible de raconter quoi que ce soit, tant nos personnages sont eux-mêmes victimes d'un système contre lequel ils ne peuvent rien faire ?

Plutôt que d'accepter une forme d'immobilisme inévitable (le mur de Berlin ne va pas tomber tout de suite), Honigfrauen se met à s'agiter dans tous les sens, et c'est là que réside la véritable faiblesse de cette "mini-série" : sa deuxième moitié plus portée sur des péripéties encombrantes, comme autant de passages obligatoires pour résoudre toutes les intrigues et donner une porte de sortie à chacun avant d'en finir. Un moment laborieux et prévisible, qui fige les personnages, devenus de simples automates, et fait retomber le charme procuré par la première moitié.

 

Honigfrauen : photo- Là c'est le moment où on rajoute un triangle amoureux flingué c'est ça ? - Oui

 

Indéniablement, Honigfrauen souffre également de son format ultra-bâtard : trois épisodes de 1h30. Pas vraiment une série, certainement pas un film, à la limite d'un très gros téléfilm, Honigfrauen a le cul entre deux chaises et pâtit d'un manque de choix clair à ce niveau. On ne saurait dire s'il y a trop d'éléments pour un film ou pas assez pour une vraie mini-série digne de ce nom, mais c'est à l'évidence un des deux, comme le prouve l'ellipse ahurissante introduisant le dernier épisode, intégrant même des événements nouveaux dans son résumé des épisodes précédents, comme s'il y avait eu un épisode caché entre les 2 et 3. Il y a clairement un manque de direction ou un remontage.

Toujours est-il que le manque de renouveau narratif est compensé par un surplus d'action un peu braillarde, et que l'artificialité de l'augmentation du rythme se fait vraiment sentir. D'autant que Honigfrauen manque de grandes scènes pour pouvoir être vraiment efficace dans cet exercice. Resterons malgré tout à la fin de Honigfrauen quelques dialogues et surtout quelques situations qui créent une curieuse résonnance avec notre époque : s'il n'y a que la politique qui sépare les êtres, ce n'est pas grand-chose, mais ce pas grand-chose non-canalisé peut prendre des proportions démesurées.

Situation absurde : il est plus facile de se réunir de part et d'autre des rives d'un lac que de traverser un mur de quelques centimètres d'épaisseur.

Honigfrauen est disponible en intégralité sur Arte TV depuis le 22 avril 2022

 

Season 1 : Affiche officielle

Résumé

Honigfrauen commence bien et décrasse de nombreux clichés faciles, mais laisse à désirer, la faute à un manque de renouvèlement et une fin laborieuse. Pas mal, mais pas de quoi casser un mur de briques.

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