Histoire de Lisey : critique à la Stephen King sur Apple TV+

Salim Belghache | 5 juin 2021
Salim Belghache | 5 juin 2021

Après la réussite artistique Servant de M. Night Shyamalan ou l'incroyable uchronie spatiale For All Mankind, la plateforme Apple TV+ semblait vouloir revenir en force avec une série adaptée d’un roman de Stephen KingHistoire de Lisey (Lisey’s Story en anglais) a été l’occasion pour Pablo Larraín à la réalisation et J.J. Abrams à la production de collaborer avec le maître de l’horreur. Attention mini-spoilers !

Le genre murmure à l'oreille des marionnettes

L’élégance du générique faisant l’apologie du ventriloquisme du dimanche est au-delà de sa qualité visuelle, une porte d’entrée effective au monde de Lisey's Story. On aperçoit les reproductions en marionnettes de Lisey (Julianne Moore) et Scott Landon (Clive Owen), collés ensemble jusqu’à ce que Scott soit aspiré par une lumière, laissant au passage plusieurs pages de manuscrit signées par Stephen King. Lisey se trouve donc seule et le titre de la série suspendu grâce à des fils tenus par des mains en bois pour conclure ce générique explicite.

Cette entrée en matière maligne met en exergue les qualités intrinsèques de la série. Elle profite d’un côté du talent littéraire de Stephen King. De l'autre, elle jouit de la virtuosité de son réalisateur, le Chilien Pablo Larraín (Neruda, Ema). Au-delà de la beauté plastique, c’est une mise en abyme ingénieuse de la mystification de l’auteur de fiction qui doit gérer tout un monde et des personnages. L’autre subtilité qu’apporte le générique est au niveau de l’intrigue de ce couple séparé par la mort (et par un autre monde), qui est ainsi résumée d’entrée par l’image et non pas par des dialogues.

 

photo, Histoire de Lisey, Julianne MooreAu fil de la balançoire

 

Outre cette ambiguïté autour de la passerelle entre les deux formes d’art (littéraire et audiovisuel), la richesse de son univers fait en sorte que la série gravite autour de plusieurs genres qui apportent à la série un cachet supplémentaire. Entre l’expression du deuil à travers le drame amoureux et la mise en lumière d’un monde fantastique accompagné d’un petit brin d’épouvante, Lisey's Story est une série intrigante dans son processus.

Pour rappel, la série s'attarde sur Lisey Landon, femme de l'écrivain Scott Landon décédé deux ans plus tôt. À la suite de plusieurs événements troublants dont la folie de sa soeur Amanda et la venue de Jim Dooley, un fan dangereux obsédé par l'oeuvre de son mari, Lisey va devoir plonger dans son passé et découvrir la face cachée de son mari et le monde terrible de Boo Y'a Moon.

Et mine de rien, ces aller-retour permanents entre différents genres semblent avoir été une parfaite occasion pour Pablo Larraín de questionner toutes les ressources de mise en scène à sa disposition pour nous plonger dans ces mondes disparates. Un peu comme un David Lynch en grande forme, Pablo Larraín a fait travailler ses méninges, bien aidé par le talentueux Darius Khondji (directeur de la photographie de Seven, Uncut Gems ou encore The Lost City of Z) et une direction artistique au meilleur de sa forme, pour créer l’inattendu à chaque nouvelle séquence. On retiendra notamment, les nombreuses incursions dans le second monde fantastique, mais également la déformation de la réalité dans les flashbacks de Lisey, incarnée magnifiquement par Julianne Moore (également productrice exécutive sur la série).

 

Photo Julianne MooreC'est pour l'instant intrigant, mais...

 

Gimme Gimme more 

Cependant, si l’élégance de la mise en scène accompagne le tout avec une grande adresse, elle ne comble pas une narration trop longue et parfois trop complexe à suivre pour le spectateur. Bien que la composition des acteurs soit au rendez-vous, l'agencement de ces huit épisodes de Histoire de Lisey est assez frustrant à cause d’un manque de rythme critique devant l’amplitude d'un récit bien trop ambitieux. Ce qui en soi est assez préoccupant surtout quand l’ambiance inquiétante tombe grandement à plat. D’autant plus qu’elle est ô combien importante lorsque nous plongeons dans le monde fictif de Boo’Ya Moon.

La discontinuité des espaces, mais également du récit, forme tout l’intérêt de la série sans pour autant briller et Histoire de Lisey n’échappe pas à d’autres petits écueils. En effet, malgré le surplus d'esthétisme de Pablo Larraín, la place prédominante du jeu de piste mémoriel de Stephen King fait du tort à ce beau projet pour la plateforme Apple TV+.

L’étude psychologique des origines de Scott Landon est la véritable impasse de la série qui juxtapose bon nombre de clichés, au détriment de Lisey, plus complexe et moins caricaturale.

 

Photo Julianne Moore"J'aime beaucoup le bruit de l'eau..."

 

Effectivement, le modèle dans lequel s’engouffre Histoire de Lisey, se voulant formellement audacieux et en même temps voulant répondre aux excès de la résolution de l’intrigue, rend finalement l’ensemble fastidieux et sans épaisseur. Quitte à partir sur un postulat de départ d’un rendement inférieur, les outils du thriller froid, teinté d’épouvante n’auraient pas fait de mal à la série qui s'engouffre dans un tropisme psychologique.

Vus les épisodes 6 et 7 prenants, qui s’intéressent davantage au personnage principal, la série se décomplexifie et amorce une efficacité bien plus appréciable. Enfin, le réalisateur chilien parvient alors à lâcher la pression lorsque Jim Dooley (Dane DeHaan) entre dans la maison de Lisey. En vue de se débarrasser de cette figure d’incel - aka célibataire involontaire qui déteste les femmes -, Lisey et ses soeurs Amanda (Joan Allen) et Darla (Jennifer Jason Leigh) dans une forme de rébellion féminine tendent un piège à ce fan obsédé par Scott Landon. La violence de la scène et l'utilisation de chaque détail, dont la lampe en forme de phare, sont une belle immersion à ce qu'aurait pu être Histoire de Lisey.

 

Photo , Jennifer Jason Leigh, Julianne MooreJennifer Jason Leigh en soeur un peu folle

 

Cette atmosphère de thriller fait beaucoup de bien et arrive en fin de compte à créer une tension chez le spectateur grâce à des enjeux clairs. Simplement, et c’est assez dommage de le dire, cette ambiance arrive après tant de péripéties que ressentir ses sensations fortes à ce moment-là est tardif et semble presque superflu.

Dans ces conditions, le retour de Pablo Larrain sur le terrain de la mémoire de l’être aimé et la résolution du deuil depuis Jackie n’est finalement pas la plus grande réussite de sa carrière et a certainement été avorté par des fils narratifs un peu trop tendus.

Les deux premiers épisodes d'Histoire de Lisey sont disponibles sur la plateforme Apple TV+ depuis le 4 juin 2021. Un nouvel épisode chaque vendredi.

 

Affiche US officielle

Résumé

Malgré une excellente direction artistique, l'écriture de Stephen King et la réalisation de Pablo Larraín ne parviennent pas à nous maintenir en éveil jusqu'au bout. Alors qu'elle aurait très bien pu être une série majeure de l'année 2021, Histoire de Lisey n'est finalement qu'un petit pétard mouillé, sans grande saveur et à consommer avec modération.

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commentaires
Moixavier58
06/06/2021 à 16:29

C'est comme Duma key, il ne faut pas l'adapter. Le livre se suffit emplement

Meuh!
06/06/2021 à 00:59

En même temps JJ à la prod, est ce qu'on devait s'attendre à quelque chose de fou ?

Val
05/06/2021 à 22:53

J'avais lu le livre, et ça avait été une grosse déception.

Kyle Reese
05/06/2021 à 13:19

Noooonn ! Encore une adaptation insatisfaisante du King. Et seulement 47% sur metacritic.
Bon je vais acheter le livre pour cet été du coup.

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