For All Mankind saison 2 : critique d'une guerre des étoiles sur Apple TV+

Alexandre Janowiak | 23 avril 2021 - MAJ : 23/04/2021 10:46
Alexandre Janowiak | 23 avril 2021 - MAJ : 23/04/2021 10:46

Lors de son arrivée sur le marché du streaming, Apple TV+ a beaucoup fait parler d'elle grâce à sa série post-apocalyptique See et surtout grâce à The Morning Showqui avait même eu droit à ses nominations aux Golden Globes. Pourtant, la série la plus ambitieuse et prometteuse de la plateforme était probablement For All MankindPassée quasiment inaperçue, c'est la première des trois à revenir avec une saison 2, encore plus passionnante que la précédente.

ONCE UPON A TIME... IN THIS WORLD

For All Mankind est basée sur un postulat très simple : que se serait-il passé si le premier homme à avoir posé le pied sur la Lune avait été soviétique ? En partant de ce point-là, Ronald D. Moore, créateur de l'éminente Battlestar Galactica entre autres, avait donc largement remanié l'histoire de la conquête spatiale dans la saison 1 (se déroulant de 1969 à 1973), tout en conservant une importante dose de réalisme. Dès son ouverture passionnante, la saison 2 s'amuse énormément avec l'Histoire à travers des images d'archives détournées (ou complètement fausses), et surtout en racontant les faits marquants de la décennie écoulée.

Ainsi, John Lennon et Anouar El Sadate ont survécu à leur tentative d'assassinat quand Jean-Paul II a succombé à la sienne. Pendant ce temps, Dallas est aussi un succès planétaire à la télé dans cette réalité et Elvis Presley est bien décédé. En revanche, Israël et l'Égypte n'ont pas trouvé d'accord à Camp David, le Prince Charles s'est marié avec Camilla Parker-Bowles (et non Diana), Roman Polanski a été arrêté avant de s'enfuir des États-Unis et Ronald Reagan a été élu président dès 1976 et reconduit pour un deuxième mandat en 1980 (de justesse, étonnamment).

 

Photo Wrenn SchmidtUne entrée matière...

 

Bref, Ronald D. Moore se permet des petits clins d'oeil (même à Star Trek) à l'Histoire pour mieux modifier peu à peu notre passé et nous plonger dans les années 80 d'alors, la saison 2 reprenant directement en 1983 (le but étant de sauter de décennie en décennie entre chaque saison pour montrer l'avancée de la conquête spatiale). Et ce qui compte le plus finalement dans cette salve d'archives, ce sont surtout les avancées technologiques faramineuses connues par le pays et, de facto, le monde entier (au moins occidental) puisque les ordinateurs et téléphones portables existent déjà par exemple, tout comme les voitures électriques.

Le moyen de pérenniser le propos préliminaire de la série et surtout le dessein de Moore à travers For All Mankind : la description d'un monde plus juste, plus inclusif et tout simplement meilleur (mais pas forcément moins dangereux). 

 

Photo Sonya Walger... très tendue

 

MOON WAR

Impossible de ne pas rappeler qu'avec sa saison 1, l'uchronie spatiale se transformait également en uchronie féministe. Alors que les Soviétiques avaient envoyé le premier homme sur la Lune, ils avaient également réussi à envoyer la première femme. De quoi chambouler les plans des Américains, qui, bien décidés à se montrer aussi ouverts et égalitaires, mettaient en oeuvre une mission portée par des femmes. Et de facto, si une bonne partie des astronautes sont des femmes, les perspectives ont pu changer et évoluer plus rapidement.

Terminées les simples fonctions de femmes au foyer ou mère de famille, les femmes ont, elles aussi, autant le droit de marquer l'Histoire et d'y participer que les hommes. Ainsi, dans For all Mankind, dès les années 70, le rôle des femmes est plus important qu'il ne l'ait aujourd'hui en 2020 dans notre monde. Une vision particulièrement jouissive qui offrait alors un point de vue extrêmement pertinent sur le rôle qu'a finalement pu jouer l'hégémonie américaine sur le développement de l'humanité (cela reste de la fiction bien sûr, mais pourquoi pas ?).

 

photoLa parité déjà quasi respectée

 

Et si la NASA n'avait pas vu son budget diminué ? Et si, en faisant face à un ennemi capable de le concurrencer sur un terrain aussi gigantesque que la course aux étoiles, l'Amérique avait évolué vers une meilleure version d'elle-même ? Et si, de facto, l'influence des États-Unis sur le monde (occidental au moins) pendant la Guerre froide avait permis d'élever l'humanité à un autre niveau, plus juste, plus ambitieux, plus faste... ?

C'est l'objet de la saison 2 de For All Mankind puisqu'en 1983, la petite base lunaire de 1973 est devenue une énorme station occupée par une douzaine d'astronautes. Au-delà, un Rover a d'ores et déjà été envoyé sur Mars (qui est un objectif dans les esprits de la NASA) et évidemment la guerre des étoiles (Star Wars littéralement) continue entre l'URSS et les États-Unis. En découle surtout une véritable course à l'armement entre les deux pays, cette fois sur la Lune, se battant pour prendre le contrôle de lieux riches en ressources.

 

photoUne course aux ressources

 

BRAVE NEW WORLD

Plus encore, la série a d'autres objectifs désormais. Depuis la saison 1, les femmes sont aussi importantes que les hommes, ou tout du moins ne sont plus du tout rabaissées, ignorées... Dans cette saison 2, elles n'ont donc plus besoin d'être poussées sur le devant de la scène, elles y sont déjà.

Margo Madison (Wrenn Schmidt) est une des manageuses de la NASA. Molly Cobb (Sonya Walger) est une des seniors de la conquête spatiale et une des astronautes les plus badass. Tracy Stevens (Sarah Jones) est devenue une vedette de la télé américaine. Et puis la petite nouvelle Sally Ride incarnée par Ellen Roe (première Américaine astronaute dans notre monde) n'est finalement qu'une simple nouvelle astronaute qui suit la longue lignée passée avant elle. Cette fois, ce sont donc les minorités et la diversité qui sont plus mises en avant.

En ligne de mire, évidemment, l'intégration beaucoup plus rapide et importante des minorités dites visibles. Ainsi, la jeune Danielle Poole (Krys Marshall), femme Afro-Américaine d"ores et déjà allée sur la Lune en 1973, prend enfin des galons. Elle devient l'un des fers de lance d'une mission commune entre l'URSS et les États-Unis et surtout la commandante en chef de la mission en question. Elle jouera par ailleurs un rôle d'autant plus majeur dans le récit en fin de saison.

 

Photo Krys MarshallLa lumière enfin sur eux/elles

 

Mais c'est aussi le cas des minorités dites invisibles, avec notamment le personnage d'Ellen Wilson magnifiquement interprétée par Jodi Balfour. C'est probablement le personnage le plus fascinant de la série. Lesbienne, elle dissimule son orientation sexuelle à travers son faux mariage, et gagne dans le même temps une importance cruciale à la NASA au fil des épisodes.

Sans trop en dire, son parcours est destiné à grandir encore tant l'amour que lui porte Ronald Reagan en personne aura sans doute une influence majeure sur la suite (en politique probablement). Reste alors à savoir comment sera abordée sa sexualité en public, le moment venu : un obstacle dans son ascension ou une particularité acceptée comme normalité ? Tout laisse à croire que ce sera la deuxième option.

Une chose est sûre, c'est là où For All Mankind parvient le plus souvent à émouvoir et à émerveiller. Sa capacité à lier les conséquences intimes et publiques, personnelles et professionnelles, micro et macro, pour en faire de véritables noeuds de l'intrigue et des facteurs centraux de l'évolution de l'univers. 

 

Photo Jodi BalfourJodi Balfour, trop méconnue

 

FROM THE MOON TO...

Alors indiscutablement, For All Mankind n'est pas exempt de défauts et subit quelques-uns de ses choix artistiques. En premier lieu, la durée de ses épisodes. Non pas que la saison manque de substance, au contraire, elle est d'une richesse de tous les instants. Toutefois, difficile de ne pas avoir la sensation que certaines séquences se répètent ou que la série fait parfois un peu de forcing.

Sur les dix épisodes qui composent cette saison, aucun ne dure moins de 55 minutes et plus de la moitié dépasse les 1h, jusqu'à atteindre 1h16 pour le dixième. Alors forcément, le temps peut parfois sembler long (la préparation de Gordo Stevens aka Michael Dorman, par exemple) et malheureusement, une partie des spectateurs sera largement rebutée par ce format, à l'heure où d'autres plateformes proposent des The Mandalorian ou WandaVision.

Par ailleurs, la série manque parfois sa cible, à l'image du couple Baldwin porté par Joel Kinnaman et Shantel VanSanten. Alors qu'Ed Baldwin était au coeur de la série, aussi bien sur le plan spatial que sur le plan humain (avec la mort de son fils pendant qu'il était sur la Lune), les scénaristes ne réussissent jamais vraiment à le mettre en avant ici. Pire, la relation chancelante avec son épouse est particulièrement ennuyeuse et si elle permet de creuser le duo, elle vient également casser le rythme de la série ici ou là.

 

Photo Shantel VanSantenUn personnage qui n'arrive pas vraiment à éclore

 

Rien cependant qui ne vient enlever à For All Mankind sa force et sa remarquable densité. Joyau visuel entre ses sublimes effets spéciaux dans l'espace, mais également le travail dingue accompli sur les images d'archives remodélisées (mouvements des lèvres...) et la crédibilité de la série lors des incrustations, la série repose surtout sur l'écriture de ses créateurs et scénaristes.

Ronald D. Moore n'en est pas à son coup d'essai et sait parfaitement où il veut mener ses personnages, son uchronie et finalement l'humanité qu'il construit. Ses choix et ceux de ses co-créateurs (Matt Wolpert et Ben Nedivi) et co-scénaristes (David WeddleBradley ThompsonNichole Beattie et Joe Menosky) amènent toujours à quelque chose d'impactant, de pertinent, d'émouvant ou de spectaculaire. Par conséquent, la saison 2 monte crescendo en puissance et, à l'image de la saison 1, gagne en suspense, en tension, en bouleversements et surtout en spectacle au fil de ses épisodes. 

 

photoLa frontière entre beauté et danger est mince

 

Si l'on ne révélera rien de précis de ce qui se déroule sur la Lune, impossible de ne pas confier que les trois derniers épisodes sont de grands moments du petit écran. Jonglant entre les genres du thriller, du film de guerre et de l'action (coucou Ad Astra), la série se transforme en pur spectacle intelligent où les conflits internes deviennent des enjeux mondiaux ou les choix individuels se mutent en sources d'inspirations universelles.

Et si For All Mankind impressionne tant, c'est aussi car elle n'a jamais peur de conclure des arcs (quitte à tuer/blesser des personnages phares). La course aux étoiles et la crainte d'une guerre nucléaire ne sont pas des jouets et bien des réalités. Réalité qui connait forcément ses bonheurs et ses malheurs (tragiques), mais pour mieux continuer à avancer... plus loin encore. Rendez-vous pris pour la saison 3.

Les saisons 1 et de 2 de For All Mankind sont disponibles en intégralité sur Apple TV+

 

affiche

Résumé

Le voyage est parfois long, mais il vaut le coup d'être vécu. Avec sa saison 2 ambitieuse, pertinente et éblouissante, For All Mankind confirme son statut de meilleure série d'Apple TV+.

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Lecteurs

(3.8)

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commentaires
Yellow submarine
28/04/2021 à 21:24

Cette série est un petit bijou. Rien de plus a dire. Foncez la voir

Numberz
26/04/2021 à 12:19

@ souleater

Je me doute bien que ça existe "ailleurs" sauf que j'ai pas le Matos pour télécharger ou pour regarder en stream, ni le débit en fait. Donc pour moi c'est pas possible en ce moment.

Stefou49
23/04/2021 à 15:23

On a pas du voir la même série, désolé mais tout ce qui touche au personnage d'Ellen est foiré. Niveau 0 de crédibilité. Pour moi la saison 2 ne va pas assez loin et fait parfois preuve d'une naïveté agaçante qui tranche avec la qualité d'écriture globale. Il y a un trou d'air de six épisodes où il ne se passe pas grand chose et où j'ai fini par me demander si la conquête spatiale n'était plus qu'un vague contexte. Le 1er épisode est d'une telle qualité par rapport au reste que c'est vraiment dommage. Autre point, la sur féminisation qui vire parfois à la parodie. Je retiens quand même certaines scènes hallucinantes qui sont franchement jouissives. Le problème majeur de cette saison est son incapacité à s'ouvrir, pas de nouveaux personnages, peu de changements dans les relations et une sorte de statu quo qui laisse songeur sur la capacité des scénaristes à notre offrir un final en beauté dans la saison 3...

JR
23/04/2021 à 11:13

Commencé la série cette semaine, je/on en est déjà au début de la saison 2. Très beau, très juste, très bien écrit (l'évolution de ce monde est follement crédible, et c'est purement jouissif).
Très belle découverte, au point de regarder le décollage de Thomas Pesquet d'un autre œil).

souleater34
01/04/2021 à 23:58

@Numberz Si tu cherchais un peu sur le Web, tu trouverais ton bonheur...(comment crois-tu que je me régale avec The Expanse?)

starre warze
21/02/2021 à 20:32

çà bombarde dans tous les sens ou c'est pour les intellos ????

JR
21/02/2021 à 19:59

@kyle

Me le note, j'hésitais... Me méfie de N. S. a la TV, Wayward Pines m'avait bien refroidi.

Kyle Reese
21/02/2021 à 12:54

@JR

tout à fait d'accord sur Defending Jacob, très bon.
Il y a aussi la saison 2 du très troublant Servant qui est en court de diffusion.

Geoffrey Crété - Rédaction
21/02/2021 à 09:51

Oui, on va la ressortir du coup :
https://www.ecranlarge.com/saisons/critique/1177886-defending-jacob-critique-qui-rend-son-verdict-sur-apple-tv

JR
21/02/2021 à 08:59

(à part El qui en avait fait une critique plutôt positive)

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