Le Jeu de la dame : critique échecs et drame sur Netflix

Arnold Petit | 30 octobre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Arnold Petit | 30 octobre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Après le film The Coldest Game avec Bill Pullman, qui s’articulait autour d’une partie d’échecs pendant la crise des missiles de Cuba, Netflix s’intéresse à nouveau à ce jeu aussi complexe que fascinant avec Le Jeu de la dame. Une mini-série de Scott Frank et Allan Scott avec Anya Taylor-Joy adaptée du roman éponyme de Walter Tevis, qui nous plonge dans le monde des échecs avec autant d'intelligence que de glamour.

PAWN SACRIFICE

1967. Beth Harmon (Anya Taylor-Joy) se réveille encore habillée dans la baignoire de la chambre d’un hôtel de luxe parisien après une nuit visiblement mouvementée. Après avoir gobé quelques pilules et remarqué que quelqu'un dort dans son lit, elle se précipite, sous les yeux des clients offensés, vers la salle où elle est attendue par une horde de journalistes. Lorsqu’elle s’installe face à Vasily Borgov (Marcin Dorocinski), grand maître d’échecs soviétique, elle se retrouve devant celle qu’elle était enfant (Isla Johnston) et la mini-série nous emmène 10 ans plus tôt, alors qu’on la plaçait dans un orphelinat catholique pour filles après la mort de sa mère dans un accident de voiture.

Cette séquence d’introduction expose tout le cœur de l’intrigue : une jeune américaine pleine de fougue qui doit vaincre un gaillard soviétique expérimenté, mais aussi elle-même, son passé et ses addictions grâce à un échiquier de 64 cases. Une histoire bouleversante à laquelle on assiste au cours des sept épisodes, nous montrant son ascension en tant que joueuse d’échecs, son passage à l’âge adulte, son émancipation en tant que femme, mais aussi sa chute dans l’alcool et la drogue.

 

photo, Anya Taylor-JoyDon't do drugs, play chess

 

Tout commence dans cet orphelinat austère, où elle apprend les échecs avec Monsieur Shaibel (un excellent Bill Camp), un concierge bourru et réservé qui joue contre lui-même dans le sous-sol miteux de l’établissement, mais découvre aussi le Librium, un anxiolytique distribué quotidiennement aux jeunes filles pour les maintenir tranquilles, pour lequel elle va rapidement développer une dépendance. Sous son effet, les pièces de bois se matérialisent au plafond et leurs formes fantomatiques se déplacent comme dans un rêve chaque fois que la petite prodige bouge sa main dans les airs lorsqu’elle s’apprête à dormir.

Plus tard, Beth est adoptée par les Wheatley, un couple de banlieusards avec un mari toujours absent, qui n’a recueilli l’orpheline que pour fournir une nouvelle occupation à son épouse, Alma (Marielle Heller), une femme au foyer complaisante et alcoolique, qui va encourager Beth et la suivre à travers le globe pour participer à des tournois d’échecs. Ensemble, elles s’amusent, boivent, surmontent leur abandon et se libèrent des carcans de la société.

Alors que la jeune femme construit sa légende aux quatre coins du monde, elle se reconstruit auprès de sa mère adoptive et même si Le Jeu de la dame n’est pas un biopic, mais une fiction, la mini-série dresse un portrait intimiste et complexe de Beth, qui pourrait presque s’apparenter à une sorte de Bobby Fischer au féminin, mais rongée par l’addiction au lieu de la paranoïa.

 

photo, Bill Camp, Isla JohnstonL'élève qui dépasse le maître

 

a beautiful mind

Les échecs ne sont pas ce qu'il y a de plus cinégénique et peuvent même vite devenir ennuyeux, voire carrément pénibles pour n'importe qui ne connaissant pas les règles ou ne s’intéressant pas aux subtilités de ce jeu. Et pourtant, avec une réalisation élégante, réfléchie et ludique, Scott Frank réussit à rendre ce jeu palpitant, explore la complexité de Beth et capte la richesse de son personnage dans les scènes où elle se retrouve seule, mais surtout pendant les parties d’échecs, conçues avec un respect rigoureux. Bruce Pandolfini, professeur d'échecs et auteur émérite sur le sujet, avait aidé Walter Tevis à concevoir les parties d'échecs dans son livre et a également agi en tant que conseiller technique pour la mini-série aux côtés de Garry Kasparov, considéré comme l’un des meilleurs joueurs de tous les temps.

Alors que l’échiquier devient le théâtre d’une guerre psychologique, la mini-série apporte de la tension, de la douceur, de l’humour ou de la frénésie, en séparant l’écran ou en se focalisant sur les pièces, l'horloge ou les visages, mais surtout en captant le regard d’Anya Taylor-Joy. Un regard intense, profond, qui exprime la vulnérabilité, la tendresse et la fureur de Beth, parvenant à délivrer toutes les émotions qu’elle peut ressentir, de la curiosité à l’amusement en passant par l’assurance ou le doute qui l'envahit lorsqu'elle réalise que le coup qui vient de se jouer était le dernier.

 

photo, Anya Taylor-JoyFascination

 

Après Morgane, Split ou The Witch, l’actrice démontre une nouvelle fois qu’elle déborde de talent et s’illustre à travers une performance spectaculaire, pleine de charisme, de délicatesse et d’intensité, pour un personnage dont elle incarne l’évolution tout au long de la mini-série. D’abord taciturne et renfermée, elle mûrit, se découvre et s’affirme en gravissant les échelons pour devenir une joueuse d’échecs de haut niveau ainsi qu’une femme forte, indépendante, imprévisible et pleine de confiance. Elle ébranle les idéaux de la société et l’égo des joueurs d’échecs dans un milieu alors largement dominé par les hommes, où la gent féminine est méprisée, voire exclue.

Sur son parcours, certains d’entre eux tenteront de la soutenir et de l’accompagner, comme Harry Beltik, un champion du Kentucky bienveillant (un Harry Melling attachant, qui réussit enfin à s'éloigner de son personnage de Dudley dans Harry Potter) ou encore Benny Watts (Thomas Brodie-Sangster), un joueur aussi doué que prétentieux.

 

photo, Anya Taylor-JoyBenny Watts, le Pharrell des échecs

 

En plus du casting et de la mise en scène soignée de Scott Frank (qui réalise les sept épisodes et les a écrit avec Allan Scott), la série peut également compter sur la superbe partition de Carlos Rafael Rivera pour bercer les humeurs de ce prodige avec ses compositions, mais s'appuie aussi sur une esthétique impressionnante.

À mesure que Beth grandit et évolue, la photographie de Steven Meizler s’illumine et l'atmosphère terne de l’orphelinat laisse place aux couleurs vives de l’extérieur, de la maison des Wheatley, des luxuriants hôtels ou de sa garde-robe. Des décors d’Uli Hanisch et des costumes de Gabriele Binder absolument somptueux, qui capturent l'esprit des années 60, mais marquent aussi l’épanouissement de Beth et la mentalité dans laquelle elle se trouve.

 

photo, Anya Taylor-JoyQuand la reine rejoint les fous

 

Même si la réalisation, le casting ou la direction artistique sont impeccables, tout n’est pas parfait pour autant. Le scénario souffre de quelques problèmes de rythme et la mini-série aurait peut-être gagné à raccourcir certains épisodes. Plus, elle aurait sans doute gagné à enlever des passages qui peuvent sembler répétitifs pour développer son intrigue politique autour de la Guerre Froide ou préparer sa fin qui, aussi satisfaisante soit-elle, force le trait pour tenter de tout relier dans les dernières minutes.

Néanmoins, ces quelques défauts ne parviennent pas à entacher le frisson et le plaisir ressentis simplement en regardant Anya Taylor-Joy bouger des pièces de bois sans dire un mot (et observer le visage de celui qui se trouve en face se décomposer devant autant de génie).

Le jeu de la dame est disponible sur Netflix depuis le 23 octobre 2020 en France

 

affiche

Résumé

Aussi belle que perspicace, Le Jeu de la dame est une mini-série captivante, réalisée avec un soin méticuleux, dans laquelle Anya Taylor-Joy est magnétique et porte un scénario prenant malgré ses quelques défauts.

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commentaires
Carel34
25/01/2021 à 13:10

Quel performance de Anya Taylor-Joy ! , intrigue intéressante, bien joué , l’époque des années 60 est fidèlement représentée, quelques longueurs pour moi vers le milieu de la série pour pinailler . J’espère qu’ils ne vont pas tirer sur la corde et faire une saison 2 , la conclusion de cette mini-série est parfaite .

zoso
21/12/2020 à 09:41

Vraiment pas très réaliste comme série. Non ,on ne devient pas un bon joueur en jouant seul en regardant le plafond (fantasme récurent depuis le joueur d'échecs de Zweig. Non on n'est pas obligé d'être orphelin ou drogué pour devenir un génie.
Regardez la diagonale du fou, ou lisez "le gambit Albanais", c'est beaucoup plus réaliste !
https://www.amazon.fr/gambit-albanais-Arnaud-Borowski-ebook/dp/B00AW8CP44

DanB
26/11/2020 à 16:38

C'est pour moi la meilleure série de Netflix. Outre l'intrigue, le jeu de l'actrice est en tous points exceptionnel. Son regard, ses expressions, son jeu sont ceux d'une merveilleuse actrice.
J'espère la revoir très prochainement tenir des premiers rôles dans des films et des séries.
Peut-être le jeu de la dame n° 2 ?

Sascha
23/11/2020 à 23:40

Pfiou quelle serie. Ça fait du bien de voir Netflix s aventurer vers d autres séries plus matures. Enfin.

Myrtille93
20/11/2020 à 11:14

Très bonne série. Excellents acteurs captivée du début à la fin. Je conseille vivement.

Kyle Reese
19/11/2020 à 00:14

Magnifique série. Du très très haut niveau. L.histoire est passionnante. La mise en scène est d’une élégance et d’une fluidité exceptionnelles. Le casting est tout simplement parfait. La reconstitution impeccable. La musique a l’avenant, le morceau du générique de fin avec ces animations graphiques sont superbes.
Et surtout Anya Taylor-Joy et ses yeux si troublant. Comment fait elle ?
La mini série de l’année et une série qui fait un bien fou.

Kyle Reese
17/11/2020 à 00:59

Je suis à la moitié et c’est juste tout simplement brillant. Les échecs n’ont jamais été aussi sexy.
Anya Taylor-Joy est aussi jolie que talentueuse et fascinante. Elle a tout d’une grande. J’en suis baba. Sans doute la plus belle surprise de l’année.

Birdy
14/11/2020 à 14:04

Maintenant je parlais des possibilités inexploitées...
La mise en scène : l'idée du plafond est brillante et fait mouche immédiatement. Matérialiser le génie est complexe, ils y sont parvenus. Il y avait matière à illustrer le brio de la jeune surdouée avec encore plus de force. Je n'ose imaginer ce projet entre les mains d'un Scorsese, Fincher, ou Spielberg.
La formation dans une cave avec un vieux bourru épaté, génial. Et la petite de 10 ans est top.
La directrice de l'orphelinat est présentée comme mal aimée, pourtant on ne la voit pas etre Cruella.
La mère adoptive : ils pouvaient creuser cette relation et offrir des scènes mémorables, il y en a peu finalement. Mais la bienveillance de cette femme délaissée envers la jeune joueuse d'échec est ultra rafraichissante.
Les adversaires : pour moi le point améliorable. Ils ne sont que des antagonistes de fonction. Surtout Borgov, qui aurait pu/du être bien plus. Pourquoi si peu de scènes quand ils se croisent dans les tournois internationaux avant la finale ???
La stratégie : on passe à côté hélas, ce serait sans doute indigeste sinon, mais l'étude comportementale des adversaires et leur façon de jouer, puis de s'effondrer, aurait pu être plus poussée.

Mais je chipote car vraiment une telle qualité d'ensemble est rare.

Birdy
14/11/2020 à 13:55

Dévorée en 1 journée, impossible de décrocher de ce petit bout de femme qui grandit sous nos yeux, et explose les codes stupides de l'époque. Les possibilités inexploitées ne font pas le poids face au plaisir de suivre la relation mère/fille du duo d'actrices, ni la jouissance devant les mines déconfites des petits snobinards arrogants écrasés par... une femme ?!?

Chrisdeberg
03/11/2020 à 14:03

Vue déjà deux fois, je ne m'en lasse pas. Série autant intelligente que magnifique, tout comme l'héroïne.
Pour moi, un petit chef-d'œuvre...

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