Paul Verhoeven explique pourquoi le cinéma américain est devenu un bidon de lessive

Jacques-Henry Poucave | 10 novembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jacques-Henry Poucave | 10 novembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Comme l’a prouvé le remarquablement tordu Elle, Paul Verhoeven n’a rien perdu de son talent ni de sa hargne. Il le prouve une nouvelle fois avec l’analyse implacable du cinéma américain qu’il vient de délivrer.

Interrogé par l’équipe de Fandor, Paul Verhoeven a expliqué pourquoi selon lui, le cinéma américain grand public s’était transformé en bidon de lessive. Auteur d’œuvres extrêmement violentes, sanglantes, provocatrices et politiquement engagées, le cinéaste a développé tout au long de sa carrière un discours extrêmement agressif sur le libéralisme, la vulgarité de la société de consommation et plus généralement sur la trahison inhérente à tout système politique.

 

Elle

 

Un cinéma jubilatoire et souvent provocateur, qui ne s’accommode pas du tout de la norme PG-13, comme le prouvent Basic Instinct, Robocop, Total Recall, ou le récemment réévalué Showgirls. Pour le metteur en scène, c’est bien la volonté de l’industrie d’assagir ses productions pour rentabiliser chaque film au maximum, qui est responsable de la sagesse actuelle du cinéma de divertissement.

« Le norme PG-13, c’est la traduction de la volonté des studios de faire de l’argent. Les films classés R sont exclus parce qu’ils limitent le public potentiel. Le système capitaliste domine totalement l’industrie américaine du cinéma. Il n’est question que de recettes. Toute négociation au sujet de l’art ou du sens est vouée à l’échec. Le cinéma américain n’a plus de sens désormais. Son seul sens, c’est l’argent. Ça s’est réduit à ça, et c’est horrible.

 

Photo Arnold Schwarzenegger, Total Recall

 

Le capitalisme peut accepter de cohabiter avec d’autres valeurs que l’argent, mais on dirait que les studios ne savent plus s’intéresser aux films qu’en termes de profit. C’est ce pourquoi le classement R a disparu. Du coup vous attirez plus de monde, mais vous sacrifiez tout ce qui est provocateur ou sexuel. Vous sacrifiez tout ce qui peut offenser les gens. Aujourd’hui, si vous allez dans un multiplexe, tout est PG-13.

 

Photo Arnold Schwarzenegger

 

Vous pouvez toujours vous exprimer dans le cinéma américain. Regardez The Big Short, qui me paraît un film très bien fait. C’est toujours intéressant et innovant. Il est toujours possible de faire de bons films américains, et il y a là-bas énormément de talents, mais il n’est pas utilisé à son plein potentiel… Je ne pense pas que les choses vont rester ainsi. L’équilibre pourrait se renverser. »

Et les nombreux remakes des chefs d’œuvres de Paul Verhoeven parlent plutôt en faveur du réalisateur, tant ils se sont systématiquement avérés de tragiques appauvrissements de ses travaux.

On notera que suite à Deadpool, certains studios, comme la Fox, ont commencé à regarder les films classés R d’un autre œil (comme en témoigne l’arrivée prochaine de Logan), mais on est encore très loin d’assister à un retour de la provoc et du subversif du côté de Hollywood.

 

photo, Elizabeth Berkley

Tout savoir sur Paul Verhoeven

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commentaires
sylvinception
10/11/2016 à 17:39

" Car si on enlève la vulgarité et la violence, le film raconte strictement la même chose que ce que l'on voit depuis des années."

Pas mieux.

Baneath88
10/11/2016 à 13:18

Bonne analyse de Verhoeven, loin du pamphlet anti-blockbusters désormais très répandu.
Mais l'exemple de Deadpool est à double-tranchant. Le film a peut être usé d'un ton plus libéré et d'un niveau de violence plus élevé, mais ça n'empêche pas que le film se montrait totalement incapable de proposer vraiment quelque chose de différent. Car si on enlève la vulgarité et la violence, le film raconte strictement la même chose que ce que l'on voit depuis des années. Pire que ça, le ton se retourne même contre le film vu que les hypothétiques moments de tension sont sans cesse désamorcé par l'humour bas de plafond de son héros.
Son succès pourrait très bien donner naissance à des films rated-R du même tonneau, au lieu d'ouvrir vraiment un nouvel espace créatif.
À la rigueur, je préfère des films PG-13 qui sont peut être plus "sages" mais aussi beaucoup plus intéressant sur le fond et la forme.

Dirty Harry
10/11/2016 à 13:03

En effet : l'idée de ne plus vouloir offenser personne pour soi disant ramener plus de monde a montré aujourd'hui que c'est l'inverse : l'oeuvre de Paul Verhoeven, Donald Trump (car il faut des offensés de tous les cotés, pas toujours du même et pour moi ce type c'est de l'art contemporain !) mais n'oublions pas que Flaubert a choqué en sont temps, Baudelaire a eu 6 procès contre bonnes moeurs au XIXe, Oscar Wilde, Gainsbourg, on pourrait y aller : le vrai grand art n'est pas consensuel et met du sel dans l'époque. Tandis que les trucs encensés sur le moment disparaissent très vite (qui se souvient des "Nuits Fauves" ?)

Paehon
10/11/2016 à 11:52

Verhoeven a tout dit.

Le fossoyeur de films a fait une vidéo sur le sujet il y a peu, je vous invite à la voir.