L'Exorciste : Dévotion - le vrai gros problème du film (et du cinéma d'horreur américain)

Mathieu Jaborska | 12 octobre 2023 - MAJ : 12/10/2023 17:43
Mathieu Jaborska | 12 octobre 2023 - MAJ : 12/10/2023 17:43

Le nouveau film L'Exorciste, sous-titré Dévotion, représente parfaitement le plus gros défaut des franchises d'horreur américaines du moment.

C'est peu de dire que L'Exorciste : Dévotion ne nous a pas convaincu, nous et une bonne majorité de la presse cinéma. Le film de David Gordon Green doit pourtant inaugurer une toute nouvelle trilogie, qui devrait théoriquement se poursuivre avec The Exorcist: Deceiver, déjà daté à 2025. C'est dire à quel point Blumhouse et Universal croient au potentiel de la franchise récemment acquise pour la bagatelle de 400 millions de dollars. Ils pensent avoir trouvé la formule parfaite, la formule qui corrompt le cinéma d'horreur américain depuis plusieurs années.

 

 

Legacy-quoi ?

La voilà, la formule ultime, qui aurait du rehisser les héritiers de Pazuzu au sommet du box-office : L'Exorciste : Dévotion est un "legacyquel", hideux néologisme popularisé – entre autres – par le cinquième Scream et désignant les films revendiquant une filiation directe avec un grand classique du cinéma populaire. Issus du filon nostalgique exploité sans relâche par Hollywood dans les années 2010, ces longs-métrages entendent ignorer les nombreuses suites de tel ou tel slasher ou blockbuster, tout en s'inscrivant dans une logique de franchise.

Un paradoxe qui a à de nombreuses reprises prouvé sa popularité dans le domaine de l'horreur américaine. À ce jour, le représentant le plus célèbre des "legacyquel", leur spécimen type, est le Halloween de 2018, déjà réalisé par David Gordon Green. Jamie Lee Curtis y poursuivait son affrontement avec Michael Myers, comme si les nombreuses suites leur inventant des liens familiaux n'avaient jamais existé. Ce fut un véritable carton, dont les studios américains ont forcément pris note : 259 millions de dollars au box-office mondial pour 10 millions de budget, un regain d'intérêt pour la saga et une trilogie à la rentabilité garantie.

 

Halloween : photo, Jamie Lee CurtisLes origines du mal

 

Ils furent nombreux à se placer sur ce créneau pour toucher leur part du butin. Spyglass et Paramount ont joué cette carte (non sans quelques moqueries) dans leur reboot de Scream, également couronné de succès. Lionsgate et Twisted Pictures, bien qu'ils n'aillent pas jusqu'à nier l'existence de leur saga aux oeufs d'or, ont promis un retour aux sources wanesque dans la promotion du pourtant très débile Spirale (carrément surnommé "l'héritage de Saw" en France). Quant à Bad Hombre, boite de Fede "remake d'Evil Dead" Alvarez, elle a tenté sa chance avec la franchise Massacre à la Tronçonneuse, au risque de complètement travestir le propos politique de Tobe Hooper.

Les deux premiers ont relancé des licences à l'arrêt et rempli les poches de leurs producteurs. Ni une ni deux, Blumhouse, qui avait lancé les hostilités, a taché de se trouver une autre franchise juteuse pour appliquer sa méthode. Et ce fut L'Exorciste, acquise grâce à Universal pour 400 millions de dollars et destinée au traitement d'Halloween. Sauf que sa logique ne s'applique pas à tout et n'importe quoi, puisque la saga L'Exorciste... n'est constituée que de legacyquels, before it was cool.

 

L'Exorciste : Dévotion : Photo Leslie Odom Jr., Ellen BurstynR.E.G.A.N... qu'est ce que ça peut bien vouloir dire ?

 

Produit dans la douleur, chaque opus prétendait faire suite au chef-d'oeuvre de Friedkin, du blockbuster excentrique de Boorman à la série télévisée, en passant par le troisième volet de William Peter Blatty, carrément titré L'Exorciste : La suite. Tous font revenir d'une manière ou d'une autre les personnages originaux et tous ont été reçus avec méfiance. Mais l'obsession de Jason Blum et son réalisateur prouve surtout que la systématisation du procédé ne peut faire que du mal au cinéma d'horreur grand public américain.

 

L'Exorciste : La suite : photo, George C. Scott, Brad DourifLa vraie, vraie suite, avant la fausse vraie suite

 

Burstyn flames

Difficile de douter de la sincérité qui anime une partie du Halloween de 2018. Jamie Lee Curtis était de toute évidence ravie de retrouver son rôle de Laurie Strode. On ne peut cependant pas en dire autant de Ellen Burstyn, incarnant à nouveau le personnage de Chris MacNeil, mère de Regan. C'est l'un des ingrédients essentiels du legacyquel sauce Gordon Green : le retour des protagonistes originaux, envers et contre tout.

L'actrice n'était pas très enthousiaste à l'idée de participer à ce reboot.  « Au début, elle était très sceptique » se rappelait le cinéaste au micro d'A.frame. « Sa réponse immédiate a été : "Mon Dieu, non". Je pense que des gens lui ont proposé des suites de nombreuses fois, donc je lui ai dit : "Si tu n'es pas dans mon film, soit au moins mon amie." » Ils auraient sympathisé et le réalisateur se serait ensuite inspiré de leurs conversations pour enrichir le scénario, ce qui l'aurait flattée. Une bien belle histoire, aurait dit Jean-Pierre Pernaut.

 

L'Exorciste : Dévotion : Photo Ellen BurstynQuand tu vois arriver les exécutifs de Blumhouse

 

Bien que Burstyn elle-même ait confirmé son attachement à son collègue, la vraie raison de sa présence est moins séduisante. À The Hollywood Reporter, elle racontait en 2022 :

« Vous savez, ce qui s'est passé, c'est que j'ai refusé beaucoup de versions de L'Exorciste 2, j'ai dit non chaque fois. Cette fois-ci, ils m'ont offert un gros paquet d'argent, mais j'ai quand même dit non. Et ils m'ont surpris en revenant et en disant : "On double l'offre". J'ai dit : "OK, laissez-moi y réfléchir". Je me suis dit que c'était beaucoup d'argent, qu'il fallait que j'y réfléchisse.

J'ai tout de suite pensé : "J'ai l'impression que le diable me demande mon prix". Puis j'ai pensé : "Mon prix est un programme d'étude pour les étudiants talentueux de notre Master de Pace University. C'est mon prix". Donc, j'y suis retournée, j'ai renchéri et j'ai fini par obtenir ce que je voulais. Et j'ai un programme d'étude pour jeunes acteurs. »

Ou comment utiliser sa notoriété pour faire une bonne action.

 

L'Exorciste : Dévotion : Photo Ellen BurstynPremier cours : comment se méfier des chèques

 

L'obstination de Blumhouse, ainsi que la profondeur de son chéquier, en dit néanmoins long sur le cynisme de son entreprise. Plus question d'accorder une fin digne de ce nom à un personnage adoré, mais de reproduire à tout prix la formule supposément gagnante. Une nouvelle forme de normalisation du schéma horrifique américain, qui empoisonne clairement Dévotion, puisque les séquences où la comédienne apparait sont parmi les pires du film.

Pire encore, elles amenuisent la composante horrifique du récit et la tension associée, puisqu'en envoyant le personnage principal crapahuter à la recherche de Chris MacNeil sur fond de remix de Tubular Bells, David Gordon Green et Peter Sattler écartent du récit la gamine possédée, bien planquée dans un hôpital psychiatrique. Or, la terreur de l'original derrière laquelle Blumhouse court désespérément vient justement du répit que le scénario n'accorde pas au spectateur, forcé d'assister au calvaire de Regan dans son intégralité.

 

L'Exorciste : Dévotion : Photo Lidya JewettPendant ce temps, à l'hôpital

 

C'est bien la prétendue recette miracle, entre autres choses, qui plombe le rythme de cet énième reboot. Et surtout, elle n'est plus la garantie d'un succès automatique, puisque la production déçoit au box-office avec 51 millions amassés dans le monde après deux semaines d'exploitation maximum, ce qui serait à peu près acceptable pour son budget de 30 millions, mais qui est très, très loin de rentabiliser les 400 millions de dollars d'investissement, suites ou pas suites.

Peut-être peut-on espérer que les studios américains en profitent pour revoir leur stratégie, voire cesser de tirer les vieilles figures du cinéma d'épouvante de leur retraite pour se concentrer sur les nouvelles, comme le faisait un certain studio Blumhouse il n'y a encore pas si longtemps.

Tout savoir sur L'Exorciste : Dévotion

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commentaires
Mr funky
13/10/2023 à 17:19

@nero blackworld

Stupidité motivée par une cupidité sans limite...

Nero BlackWord
13/10/2023 à 16:31

Cette époque aura été mémorable pour la stupidité sans limite d'une poignée d'êtres humains au milieu du ras-le-bol, ou l'ignorance, d'un milliard d'autres.

Saul
13/10/2023 à 06:33

Mais c'est fou.. soit vous êtes très médisants, soit ya quand même un gros gros problème avec le film : mais chaque photo sensée être d'horreur que vous posté qui en est tirée semble sortir d'un scary movie ^^ (la dernière photo ici encore)

Bond
12/10/2023 à 19:41

La série télé était pas mal du tout , et ressemblait à une suite du premier déjà