L'Exorciste : Dévotion – critique qui mérite de brûler en enfer

Antoine Desrues | 11 octobre 2023 - MAJ : 12/10/2023 17:53
Antoine Desrues | 11 octobre 2023 - MAJ : 12/10/2023 17:53

La saga L’Exorciste est un monument de chaos. Passé le chef-d'œuvre inaugural de William Friedkin, chaque suite ou prequel a essayé de rebooter l’univers en désavouant les précédentes tentatives. Non content d’avoir essayé la même chose avec ses trois Halloween, David Gordon Green remet le couvert aux côtés du producteur Jason Blum avec L'Exorciste : Dévotion, premier volet supposé d’une nouvelle trilogie. Un blasphème, moins film de possession que de dépossession d’un classique de l’horreur.

Dévotion ou copier-coller ?

Deux chiens se jettent l’un sur l’autre en grognant. Cette image discrète mais séminale de l’introduction de L’Exorciste devient le premier plan du nouveau film de David Gordon Green. Pour sûr, le réalisateur veut montrer qu’il a potassé ses classiques, et troque le déroutant prologue en Irak de l’original pour une mise à jour à Haïti. Or, cette seule note d’intention pose déjà le problème d’un projet voué à foncer dans le mur.

Tout le génie du film de Friedkin réside encore aujourd’hui dans sa gestion brillante de la fameuse “inquiétante étrangeté”, transcrite par un programme de cinéma... qui n’en est justement pas un. Si ce n’est pour présenter le Père Merrin et le démon Pazuzu, le début de L’Exorciste ne donne aucune direction narrative. Avec son obturateur qui fait saccader l’image et ses passants bizarres, chaque scène déambule, sans but précis, tout en instiguant la présence d’un Mal qui s’immisce petit à petit dans cet univers. On ne peut pas le voir ni le comprendre, mais on peut déjà le ressentir, avant qu’il ne s’attaque à la jeune Regan.

 

 

 

À l’inverse, Dévotion emploie son introduction pour poser la base de ses enjeux, et les traumatismes qui vont définir ses personnages, à commencer par Victor Fielding (Leslie Odom Jr.), le père ultra-protecteur d’Angela (Lidya Jewett), l’une des nouvelles victimes de possession. Certes, cette énième suite a le droit d’oser une entrée en matière plus efficace, mais à force de se cheviller à son modèle, elle en oublie l’essentiel : le temps.

Ce temps, c’est celui qui a permis à William Friedkin de signer l’un des plus grands crescendos du cinéma fantastique. Avant de se permettre quelques images-chocs, chaque scène s’étire, teste les limites du possible, et perturbe le spectateur par rapport à ses habitudes. On ne sait pas quand le Mal peut frapper, avant de réaliser qu’il a toujours été là, caché entre les photogrammes. Malheureusement, David Gordon Green ne peut jamais approcher son film avec le même brio, malgré des tentatives évidentes pour coller à ces longs plans dérangeants lorsqu’il présente la maison de ses protagonistes et ses potentiels angles morts.

 

L'Exorciste : Dévotion : photo"La situation nous échappe ! Voilà qu'elles sont deux maintenant !"

 

Les démons de l'ennui

La descente aux enfers ne tarde pas à pointer le bout de son nez, alors que le long-métrage se vautre dans un ensemble d’effets branques, d’un mixage sonore éreintant à des sursauts de montage bêtement démonstratifs. Comme si le cinéma évanescent et intangible de Friedkin était transformé en algorithme, Green ne puise de L’Exorciste que sa forme (ou du moins ce qu’il en comprend) pour l’appliquer sur chaque séquence, par ailleurs trop courtes pour engendrer la même montée en tension et la même gêne.

Quelques micro-passages ont beau toucher du doigt une horreur du quotidien efficace (cette batterie de tests médicaux, dont des prélèvements vaginaux qui accentuent la métaphore du viol du film original), tout est précipité par son programme narratif. Dévotion enchaîne ses scènes sans envie, comme s’il se forçait à façonner son récit jusqu’au final tant attendu. Un contresens complet de son modèle, où l’effroi provenait de sa gradation, sans possibilité d'anticiper un plafond de verre. L'innocence pervertie de cette jeune enfant devenait soudainement ce tabou qu’on regardait droit dans les yeux, alors que sa déliquescence ne connaissait pas de limites.

 

L'Exorciste : Dévotion : Photo Olivia O'Neill"Je possèderai David Gordon Green et lui ferai vivre un enfer" - William Friedkin

 

La surenchère d’avoir cette fois deux gamines possédées – Angela et sa meilleure amie Katherine – n’aide en rien à pallier ce manquement. Au contraire, elle accentue le piètre espoir de son réalisateur de donner de la chair à son intrigue. Ce nouvel Exorciste voudrait utiliser ses dilemmes cornéliens pour questionner la foi de ses personnages, tout en construisant par le double un regard sur la parentalité, notre rapport aux autres et à Dieu.

Sur le papier, pourquoi pas, mais dans les faits, on ne peut que lever les yeux au ciel face à l’évidence de son écriture, où le père athée retrouve la foi, tandis que les parents chrétiens sont ébranlés dans leurs croyances, et la bienveillance qui va avec.

 

L'Exorciste : Dévotion : Photo Leslie Odom Jr., Ellen BurstynEn cas d'allergie : attention, cette image peut contenir des traces d'easter eggs

 

Vade Retro Legacyquel

Mais la véritable tragédie de Dévotion n’est pas tant d’être programmatique que d'être piraté par un autre programme : celui du legacyquel. À partir de là, on comprend pourquoi le film a passé toute sa première moitié à presser le pas. Tout en essayant de recréer à sa sauce les passages obligés du chef-d'œuvre d’origine, il est contraint à mi-parcours de tout arrêter. Pourquoi ? Pour réintroduire au chausse-pied Ellen Burstyn dans le rôle de Chris MacNeill, avec en prime un remix obligatoire du thème si mémorable de Mike Oldfield (personnellement, on en a ri dans la salle).

Au-delà de transformer l’ancienne mère esseulée en pseudo-experte des exorcismes (qui avait demandé ça ?), le récit assume de manière fendarde qu’il ne sait pas quoi faire de cet ajout, et le laisse sur le bas-côté comme un chiot abandonné pendant les vacances d’été. Dévotion devient alors aussi bicéphale que sa menace démoniaque. À vouloir à tout prix réinvestir le film de Friedkin tout en composant son héritage, il ne peut contenter personne. Les fans de la première heure vont souffler du nez et crier au sacrilège, tandis que le jeune public sans doute visé n’aura que faire de voir son récit parasité par Mamie Nova et son crucifix.

 

L'Exorciste : Dévotion : Photo Ann Dowd, Olivia O'NeillQuand tu laisses les témoins de Jéhovah passer ta porte

 

Pire encore, cette absence de point de vue franc et de direction en vient à contredire toute l’ambiguïté si géniale de L’Exorciste. L’imagerie catholique n’était pas juste mise en valeur. Elle servait de repère, de langage familier soudainement remis en cause, tout comme la foi de ses personnages. Au cœur de ce monde filmique des plus nihilistes, quelle peut être la valeur de ces signes et symboles, si ce n’est leur inévitable vacuité ou leur désacralisation ?

Autant dire que David Gordon Green est loin de se poser les mêmes questions, comme l’affirme le ridicule absolu de son exorcisme final. En plus de vouloir jouer la carte des multiples retournements de situation par la présence de personnages secondaires, son propos sur l’unité sombre dans les platitudes du catho porn, avec pour vague twist un défilé Benetton du christianisme, qui regroupe ses croyants issus de mouvements différents comme la nouvelle troupe des Avengers.

C’est sans doute dans ces moments que l’échec de Dévotion fait le plus grincer des dents. Là où les reboots d’Halloween n’ont fait que dévitaliser les codes déjà bien éculés du slasher, cette nouvelle mouture de L’Exorciste confirme à quel point le film de William Friedkin reste un one-shot de génie, qui ne peut être résumé au triste programme par lequel ses nécromanciens essayent de le définir. Au moins, les suites du long-métrage avaient jusque-là eu le mérite d’aller dans d’autres directions. De son côté, David Gordon Green a moins été inspiré par les flammes de l’enfer que par la chaleur rassurante du micro-ondes, pour en sortir un plat sans saveur.

 

L'Exorciste : Dévotion : Affiche française

 

Résumé

Il est assez fascinant de voir L’Exorciste : Dévotion rater tout ce qu’il entreprend, au point où ses paradoxes finissent de nourrir sa bêtise et un contresens de son modèle. On espère juste que William Friedkin ne se retourne pas dans sa tombe.

Autre avis Mathieu Jaborska
La première partie, bien que maladroite, accumule les bonnes idées... Et la seconde se charge de les gâcher les unes après les autres, tournant de fait à la parodie inconséquente du film de Friedkin, tartinée de fan-service ridicule. Restent quelques jolies visions d'horreur.
Autre avis Judith Beauvallet
Le film démarre presque bien, avec une mise en scène prenante, un mystère bien introduit et des acteurs solides. Mais dès que le récit rentre dans le vif du sujet, tout se casse la figure et le ridicule et les incohérences prennent le dessus, sans parler du discours conservateur particulièrement grossier.
Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.7)

Votre note ?

commentaires
@tlantis
24/10/2023 à 22:05

Et j’aurais pas penser mais ss fais passer celui de Russel crow pour un film sympa

@tlantis
24/10/2023 à 22:02

Me suis pas endormi ! Mais il y a rien à garder dans ce film c’est vide ! Et les scènes ridicules …ils ont même pas réussi à remixer le générique d’une manière sympa

@tlantis
24/10/2023 à 20:41

Les 30 premières minutes sont d’un chiant … j’ai envie d’arrêter le film ou dormir

Togoforwardyouhavetogoback
22/10/2023 à 16:06

-Tiens fiston, tu n'as qu'à finir le scénario du film que j'ai commencé.
-Tu es sûr papa ? Je n'ai que 12 ans après tout.

Marc
17/10/2023 à 00:01

Une véritable bouffonnerie ce film est plat sans saveur c'est une forme de hamburger ou actif sans viande sans salade sans tomates et sans fromage

JChris
12/10/2023 à 01:31

Friedkin ne risque pas de se retourner dans sa tombe vu qu'il a été incinéré... Ouf!

Franken
12/10/2023 à 00:27

@Vespéral..............."son traitement quasi documentaire [...] où l’épouvante n’est qu’[...] un décorum au service de thématiques autant sociétales que théologiques [...] Après c’est vrai…ce n’est qu’un film. Pourquoi je m’énerve."

À force de lire des gens pour qui ce film se résume à une gamine qui vocifère des insultes en faisant tourner sa tete, ça en devient rassurant, ce genre d'énervement parfaitement futile ... :p

Vespéral
11/10/2023 à 22:10

Il faut vraiment être pétri de convictions ou avoir le syndrome d’hubris ou de Dunning-Kruger pour oser affronter une œuvre matricielle aussi puissante que l’Exorciste de 1973 (pour moi l’autre version de 2000 imposée par Friedkin a scarifié son caractère extrême notamment au niveau des dialogues). Parce qu’on ne va pas comparer Halloween et l’Exorciste quand même en termes de complexité même si les deux sont effectivement de véritables chefs d’œuvres dans leur genre. Ça ne lui donnait pas cette légitimité à s’attaquer à cet autre classique.

J’aime tellement ce film. Je l’ai tellement disséqué, décortiqué depuis que j’ai 12 ans. J’en ai presque 50. Je le porte au pinacle et pas uniquement parce qu’il est inégalé par son traitement quasi documentaire mais parce qu’il a toujours été pour moi un vrai film dramatique où l’épouvante n’est qu’une incidence ou un décorum au service de thématiques autant sociétales que théologiques.
Une œuvre minérale sans la moindre concession, à bien des égards terrifiants c’est vrai, comme nous ne pourrions plus en faire à l’heure actuelle avec comme fil conducteur la dégénérescence et la perte de l’être le plus cher : son enfant confronté à l’inconnu de la maladie dont la cause est inexplicable et inexpliquée et l’impuissance horrible du parent qui en decoule jusqu a perdre tout espoir ou ses convictions dogmatiques.

Nous parlons grâce à des films récents de la « suspension volontaire d’incrédulité » au cinéma (bonjour Monsieur Wick), mais bordel l’Exorciste en est l’une de ses plus belles manifestations. Par le réalisme du traitement de Friedkin, on en vient à croire en presque tout, à vivre par empathie le calvaire de cette famille qui elle vient à croire en l’irréel tandis que d’autres ( les prêtres) vivent les tourments d’âmes blessées dont la croyance en un être spirituel est remise en cause : une vrai litote pour des personnages indéfectiblement liés à leurs destins.
On en vient à croire à des têtes retournées à 360 degrés à des vomis fluorescents métaphoriques, à une petite fille qui vient à faire (subir) des actes d’une violence ( y compris sexuelle) hallucinant et tellement chargés de symboles…sans en rire une seule seconde et remettre en cause le côté pathétique et ridicule de certaines scènes.

Non sérieusement on ne doit pas salir un film aussi riche, aussi unique dans sa forme même si beaucoup en rient maintenant à force de voir tellement de conneries explicites et n’arrivent pas à en percevoir toute son essence tellement inédite pour l’époque…mon époque.
Green a blasphémé en pondant un tel ersatz. Il n’a rien compris au modèle. Il ne lui rend même pas hommage avec un minimum de dignité. Des fois il faut savoir rester humble et rester à sa place.
Après c’est vrai…ce n’est qu’un film. Pourquoi je m’énerve.
Peut être parce que il est tout simplement tout en haut de mon top 20 des films qui m’ont le plus marqué dans ma vie. Viscéralement et qui m’a fait aimer le cinéma tout court.
La dévotion…

Franken
11/10/2023 à 15:23

Revu récemment, je suis impatient d’avoir la transcription de cette scène mystère…

sylvinception
11/10/2023 à 13:42

Désolé mais je connais le film par coeur, et je ne sais vraiment pas ou tu as été chercher ça...

Plus
votre commentaire