Master Class Silent Hill

Ilan Ferry | 20 avril 2006
Ilan Ferry | 20 avril 2006

Attendu par quelques milliers d'aficionados, l'adaptation cinématographique du jeu Silent Hill arrive très prochainement sur nos écrans. Histoire d'accompagner dignement la sortie de son bébé, Christophe Gans s'est prêté au jeu de la Masterclass vendredi 14 avril à la Fnac des Halles où il était attendu au tournant par une horde de fans trépignant d'impatience à l'idée de voir leur jeu préféré crever le grand écran. Un événement d'autant plus important que le réalisateur n'est pas venu seul mais accompagné du créateur du jeu Akira Yamaoka par ailleurs compositeur de la très belle bande originale de la saga horrifique de Konami.

Christophe, qu'est ce qui vous a fasciné dans Silent Hill ?
Christophe Gans : Ce qui m'a fasciné c'est la façon instantanée que l'on a d'être absorbé par l'atmosphère de Silent Hill, à savoir un univers à la fois plastique, graphique, mystique voire métaphysique et qui m'a littéralement soufflé après seulement trois heures de jeu. J'ai donc appelé mon producteur attitré Samuel Hadida en lui disant que c'était la première fois que je jouais à un jeu qui avait la stature d'un grand film et qu'il fallait absolument qu'on en obtienne les droits, ce qui s'est révélé être un long travail de plusieurs années avant qu'on soit finalement choisis par la Silent Hill team pour porter cette lourde responsabilité.

 


Cela a été une vraie profession de foi filmique puisque vous avez fait traduire une interview en japonais pour pouvoir convaincre Akira Yamaoka …
Christophe Gans : Je suis parti du principe que Silent Hill était un jeu tellement unique que ses auteurs voudraient forcément que son adaptation soit aussi respectueuse que possible. J'ai donc réalisé une vidéo que j'ai faite traduire en japonais où je leur disais que s'ils me choisissaient, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour respecter Silent Hill et leur rendre justice car ce qu'ils ont fait est incroyable.

 

Akira, beaucoup de grands studios ont eu des vues sur Silent Hill, pourquoi avoir fait confiance à Christophe et pas à quelqu'un à d'autre ?
Akira Yamaoka : Lorsqu'avec l'équipe de Konami nous avons vus la vidéo envoyée par Christophe et la passion avec laquelle il parlait de Silent Hill, nous avons été immédiatement convaincus.

 


Christophe Gans vous a beaucoup consulté durant l'écriture du scénario, c'est la première fois qu'on voit un éditeur de jeux vidéos aussi impliqué dans la transposition cinématographique de l'un de ses jeux…
Akira Yamaoka : À la base les Silent Hill se distinguent des autres jeux par leurs éléments psychologiques et leurs dramaturgies très poussés, c'est ce qui nous a poussés à suivre ce projet d'aussi près.

 

Le film représente t'il votre propre vision de Silent Hill ?
Christophe Gans : J'espère que ce ne sera pas simplement la mienne, car je pars de l'hypothèse que chaque personne ayant joué à Silent Hill a fait un voyage avec sa façon de le vivre, ses peurs et son rythme à lui, et que, par conséquent, ce qu'il en a ramené est forcément la vérité. Nous avons abordé Silent Hill non pas comme une tige mais comme une véritable arborescence. Il n'y a pas une façon de jouer à Silent Hill mais des millions qui sont autant de joueurs. C'est pourquoi je me suis entouré de deux autres grands gamers, Roger Avary et Nicolas Boukhrief, et nous avons comparé ce que nous avions ramenés tous les trois de ce voyage. Si je voulais faire une adaptation respectueuse vis-à-vis des fans, il était important que nous gardions cette idée de mémoire collective.

 


Comment parvient-on à satisfaire aussi bien les fans que le grand public ?
Christophe Gans : Jusqu'à maintenant les adaptations de jeux vidéo étaient très opportunistes, seuls les titres et les personnages étaient repris. Au lieu de capter l'essence du jeu vidéo, le cinéma s'est contenté de prendre ce qui ressemblait à du cinéma faisant ainsi de Lara Croft une sous Indiana Jones et de Resident Evil un sous film de zombies. Les jeux vidéo doivent etre pris pour ce qu'ils sont et non pour du sous-cinéma, ainsi on parle beaucoup de l'influence de l'Echelle de Jacob sur les jeux Silent Hill. Or, le premier piège aurait été de faire du film une nouvelle version de l'Echelle de Jacob. Silent Hill est avant tout un jeu extraordinaire avec une ambiance qui lui est propre et dont le support est le jeu vidéo. Il était dans mon intérêt, mais aussi dans celui des fans et des créateurs, que j'évite de faire un travail de fan boy, c'est-à-dire enfermer le film dans une étroitesse en totale contradiction avec ce qui fait l'intérêt du jeu. Il s'agissait avant tout pour moi de montrer ce qui en faisait une œuvre unique, à savoir un univers pyramidale où toutes les interprétations psychologiques et spatiales sont possibles.

 

 


Akira, comment s'est passé votre travail sur la bande originale ?
Akira Yamaoka : Quand j'ai commencé à travailler sur le jeu Silent Hill, je me suis toujours dit qu'il fallait donner un coté particulier au son et ne pas se contenter d'une simple musique mais de quelque chose de plus diffus. J'ai eu exactement la même réflexion quand on m'a demandé de travailler sur le film, il ne fallait pas se contenter d'obéir aux ficelles du film d'horreur type, aussi bien au niveau de la mise en scène que de la musique.

 

Pourquoi avoir transformé le personnage principal du jeu Silent Hill en femme ?
Christophe Gans : Roger, Nicolas et moi étions d'accord pour adapter Silent Hill 1 et ainsi raconter la quête d'Harry Mason à la recherche de sa petite fille dans la ville de Silent Hill. Après avoir mis tous les dialogues du jeu sur un script, nous nous sommes rendus compte que quelque chose ne collait pas avec ce personnage principal qui était tout le temps en train de pleurer et de s'évanouir. Nous avions le choix entre le durcir un peu plus, sans toutefois le transformer en héros d'action, ou en faire une femme, ce qui était d'autant plus intéressant que cela faisait sens avec tout ce qu'on savait de Silent Hill. Soudain ça devenait un film sur la maternité, l'immaculé conception, les sorcières… Silent Hill est en fait un matriarcat et si on poussait le personnage masculin hors de notre vue, il n'y avait plus que des femmes et une problématique de femmes. En transformant Harry Mason en personnage feminin, on savait exactement où on allait c'est-à-dire vers un film mythologique sur Silent Hill. On a changé les noms et il était clair pour nous que cela ne se déroulait plus dans la même dimension que le premier Silent Hill.

 


Comment créer chez le spectateur néophyte une identification avec le personnage principal de Silent Hill ?
Christophe Gans : Pour moi l'identification à un personnage au cinéma marche à partir du moment où le film est bon. C'est plus difficile de retranscrire au cinéma la subjectivité qui nous anime quand on joue à un jeu comme Silent Hill. Son intérêt réside dans sa capacité à inviter notre perception de manière constamment ludique, et ainsi solliciter l'intelligence du joueur, il est ici réellement question d'interactivité. Silent Hill, le jeu, c'est aussi l'histoire d'un homme plongé dans un monde crypto ésotérique qui découvre peu à peu des indices sur l'histoire de cette ville. C'est un univers qui est destiné à un public actif dont je fais partie, donc plus exigeant et hargneux, et auquel je m'adresse à travers les films de genre que j'ai envie de faire aujourd'hui. La recette du film de genre reste la même, mais le langage évolue. Il ya dix ans, Samuel Hadida et moi nous nous demandions comment traduire le langage du manga à l'écran. Avec Silent Hill nous nous sommes tout naturellement demandé comment traduire son langage ludique afin de correspondre à un public structuré par ce dernier. Ainsi, je pense qu'il peut y avoir des points d'émergences entre le cinéma, passif, et le jeu actif, lorsqu'une équipe passionnée et raisonné s'adresse à un public intelligent.

 

Akira Yamaoka : En tant que producteurs de Silent Hill, nous voulions faire ressentir au spectateur une sorte de peur universelle et nous avons pris beaucoup de plaisir à travailler sur la traduction de cette peur à l'écran.

Comment avez-vous trouvé Jodelle Ferland qui joue le double rôle de Sharon et Alessa la petite fille maléfique de Silent Hill ? (Attention Spoilers !)
Christophe Gans : Dans la mythologie Silent Hill, Alessa existe sous trois incarnations différentes : Cheryl (Sharon dans le film) sa part bonne mise à l'abri dans la réalité, et deux autres formes, une projection d'elle brulée et une autre non brulée. Quand nous avons commencé à travailler dessus, je me suis dit qu'il faudrait trouver une petite fille capable de jouer au moins trois Alessa (nous avions même songé à engager des triplés de peur de ne pas trouver un enfant capable de faire tout cela à la fois) sachant que nous allions tourner dans le désordre un film dont l'histoire se situe dans quatre dimensions distinctes avec une fille de 10 ans qui doit jouer trois personnages différents ! Je me suis souvenu d'une petite fille de 8 ans qui jouait dans un épisode de Kingdom Hospital (Adaptation américaine de la série de Lars Von Trier. NDLR). Au Canada, j'ai appris qu'elle jouait dans Tideland de Terry Gilliam, j'ai ainsi demandé à voir les screen test et j'ai été littéralement bluffé : on la voyait avec trois têtes de poupées fixées à ses doigts, changer de voix selon les têtes de poupées et tenir une conversation entre chacune d'elles, elle jouait donc trois rôles différents. J'ai réalisé qu'elle était l'actrice idéale pour jouer ces rôles, l'obstacle qui semblait le plus infranchissable a finalement été résolu en premier puisque elle fut la première actrice a être castée dans le film. Elle était saisissante, car contrairement aux autres acteurs qui me demandaient constamment dans quelle dimension se situaient les scènes qu'on venait de tourner, elle savait où on était car elle jouait, revenant ainsi aux origines memes de ce film qu'est le jeu. C'était incroyable de la voir se projeter à un endroit de l'espace et du temps et arriver a être absolument constante par rapport à ça.

 


L'histoire de la ville de Silent Hill s'inspire t elle de l'incendie de Centralia en Pennsylvanie ? (Attention spoilers !)
Christophe Gans : Nous voulions représenter la réalité de Silent Hill, contrairement au jeu qui le montre comme un espace dans le brouillard, car nous savions qu'à un moment donné du film le mari de Rose allait partir à sa recherche et que nous y inclurions un flashback racontant l'histoire d'Alessa. Silent Hill étant un lieu métaphorique il nous fallait quelque chose d'évocateur. C'est à ce moment que Roger Avary m'a envoyé un lien sur une ville minière d'Amérique appelée Centralia, ayant connue un incendie qui l'a transformée en ville fantôme où il est désormais impossible d'entrer du fait des émanations toxiques qui s'en dégagent. Ainsi, nous avons rapidement fait un parallèle entre Silent Hill et Centralia, cette dernière restant une ville maudite sous laquelle les feux de charbons bruleront pour toujours. Nous nous sommes donc servis de ce qui était arrivé à la ville de Centralia pour nourrir la mythologie de Silent Hill. Enfin, comme nous voulions éviter que les créatures soient prises en photo et mises sur le net, nous avons donc décidés, durant le tournage, d'appeler le film « Centralia ».

 

Comment êtes-vous parvenu à traduire visuellement l'univers de Silent Hill ?
Christophe Gans : Selon moi, Silent Hill est une jungle peuplée d'une faune particulière, les monstres ne sont pas le sujet même du récit. J'ai voulu pousser un peu plus loin le concept du jeu où il suffit de les éviter. De fait, si on conçoit que la dimension de Silent Hill est l'enfer, alors ces monstres sont des damnés au sens poétique du terme : ils sont un peu comme les fantômes japonais, c'est-à-dire des résidus de sentiments oubliés aussi forts que la haine ou la culpabilité. Les monstres nous mettent mal à l'aise car ils nous rappellent des souvenirs enfouis. Patrick Tatopoulos et moi avons voulus renforcer ce sentiment par leurs formes dégénérées, mais proches de l'humain, et les avons imaginés comme des sculptures d'art moderne dont on ne voit pas tout de suite le sens mais qui nous obligent à projeter nos sentiments dessus. À titre d'exemple l'Homme sans bras et Red Pyramid sont des références directes aux œuvres d'Alberto Giacometti et de Francis Bacon. Nous nous sommes posés la question de la représentation surréaliste de ces créatures afin qu'on ne les voit non pas comme des monstres mais comme des fragments de la réalité de Silent Hill et ce, afin de rester fidèle au jeu. La promiscuité avec ces choses étant pour beaucoup dans la peur crée par le jeu, il était hors de question de les faire en images de synthèses, c'est pourquoi j'ai fait appel à des danseurs en costumes afin qu'ils donnent à ces créatures une réalité vis-à-vis des comédiens. J'ai beaucoup travaillé sur leurs mouvements en postproduction en les inversant, les étirant ou encore en changeant très légèrement leurs silhouettes afin de renforcer leurs aspects surnaturels. Produire un travail réellement plastique sur ces créatures était pour moi le seul moyen de rendre justice au travail des créateurs du jeu. Avec ma chef décoratrice Carol Spier nous avons abordé le décor comme un corps malade qui est en train de pourrir, faisant ainsi ressortir l'idée de Silent Hill comme espace organique. C'est un aspect qui m'a été évoqué par le jeu et qui est très vite devenu une des bases de direction du travail sur les effets spéciaux.

 


Akira, qu'avez-vous pensé de cette adaptation ?
Akira Yamaoka : J'ai pu voir le projet prendre tournure petit à petit et je suis d'autant plus satisfait du résultat qu'il est très difficile de rendre tangible une adaptation de jeux vidéos.

 

Merci à Jean-Samuel Kriegk de la Fnac
Rencontre retranscrite pour Écran Large par Ilan Ferry

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