Message from the King : rencontre musclée avec Fabrice Du Welz

Simon Riaux | 10 mai 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 10 mai 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Message From the King comptait parmi les excellentes surprises du Festival de Beaune, tout en os brisés et mâchoires serrées. Forcément quand l’occasion de poser quelques questions à Fabrice Du Welz se présente, on ne passe pas notre tour.

Deux ans après Alleluia, nous retrouvons donc celui qui secoua sévèrement le cinéma de genre francophone avec Calvaire, toujours énergique, le regard vif, le verbe direct et électrique.

Adorés, critiqués, craints ou redoutés, les œuvres du metteur en scène n’ont cessé de provoquer des réactions aussi vives que les passions qui animent ses personnages sont brutales. Une force vive qui se retrouve souvent dans le processus créatif présidant à ses films. Message from the King, avec sa production démarrée en quatrième vitesse, ne fait pas exception à la règle.

 

Photo Chadwick Boseman

 

« A l’origine, c’est le producteur David Lancaster, de Bold Films, qui ont fait Drive, Night Call, Whiplash, etc… Il les quitte au moment où on abandonne un film ensemble. Je fais Alleluia. On se voit à Cannes, on se dit qu’on va trouver un moyen de collaborer. Quelques mois plus tard, mon agent me dit qu’il a un scénario de David, que je dois lire très rapidement.

Le film est prêt, il est backé, il est financé. Je me dis, il y a David derrière, Chadwick est là, je trouve le scénario correct, ça va me permettre d’appréhender un Los Angeles poisseux, à la Ellroy, complètement déréglé. Cette histoire de personnages complètement glauques à la fin m’intrigue. Je me dis OK, je pars pour Los Angeles. Une fois sur place, j’ai un vrai coup de foudre pour Chadwick Boseman, pour son intelligence, son humanité. »

 

Photo Chadwick Boseman

 

Et si le long-métrage s’impose sans mal comme une des séries B les plus intelligemment stylisées de ces dernières années, le tournage puis la post-production n’auront pas été de tout repos pour Du Welz, désireux de maîtriser l’orientation du film.

« Je voulais mettre en scène le film, lui donner une direction et un regard, de manière très dogmatique, mais il n’était pas question de faire le beau avec la caméra. Je voulais faire un film à la André de Toth, et avec un vrai regard sur l’environnement. Que le décor devienne un antagoniste.

Je n’avais pas le temps de préparer beaucoup de choses, je voulais faire du story board au maximum, et essayer de suivre Chadwick. »

 

Photo Chadwick Boseman, Teresa Palmer

 

Or, la méthode de travail old school du cinéaste, privilégiant une approche organique de la mise en scène, une utilisation de la longue focale synonyme de précision et de rigueur l’a obligé à se battre pour sa vision sur le plateau.

« Ce qui a été très difficile, c’est que je me suis retrouvé tout seul, comme le personnage. On me soufflait pas vraiment dans le dos. C’était un environnement hostile. Pour le choix du chef opérateur, ça a été compliqué, je n’ai pas pu avoir recours à mes chefs opérateurs habituels, et on me poussait à prendre quelqu’un de connu.

Moi j’ai rencontré cette chef opératrice polonaise, Monica Lenczewska, dont j’avais beaucoup aimé le travail sur un précédent film, mais surtout le boulot de photographe, en pellicule. Elle était avec moi. Mais ça n’a pas été sans mal.

 

Photo Chadwick Boseman

 

Je me suis retrouvé face à une équipe technique difficile. Par exemple j’avais un chef électro incroyable. Le mec a bossé avec Fincher, Oliver Stone… Sauf que le gars ne bosse plus en pellicule depuis dix ans. Ces gens ont perdu un œil, une technicité, c’est comme les tailleurs de pierre, à un moment donné, un savoir-faire disparaît.

Le pire ça a été le pointeur. Je me suis retrouvé avec des flous, donc tout le monde panique. J’ai eu des soucis techniques terribles, tout le temps. Tu ne te retrouves pas avec des techniciens mauvais, loin de là, mais des gens dont la dynamique de travail est très différente.

Moi, je cherche les textures, je suis obsédé par les textures. Je crois à une trinité entre les peaux, les décors et la lumière. Le temps de faire comprendre ça, c’est très long. Faire bosser le chef déco avec le chef op et les comédiens de concert, c’est difficile, d’autant plus que le numérique a énormément compartimenté et désolidarisé les départements. »

 

Photo Chadwick Boseman

 

Fabrice Du Welz ne se plaint pas. Alors qu’il évoque tensions, négociations et discussions, c’est aussi un plaisir bien particulier qui se lit sur son visage : un appétit pour la lutte, et un désir farouche de défendre une certaine conception du cinéma. Et, sans doute, un désir bien légitime de se frotter au mythe hollywoodien.

« Qui que tu sois là bas, tu touches aux limites, à tes propres limites. On peut ne pas aimer le film, mais pour arriver ça… Même pour accoucher d’une souris, pour accoucher d’une souris, il faut se battre. À Beaune, on  a fait un dîner avec Park Chan-Wook.

 

Photo Teresa Palmer

 

On a discuté de son expérience américaine. Je lui ai demandé pourquoi avec sa renommée, il tournait aux Etats-Unis un film comme Stoker. Et ce qu’il m’a répondu est intéressant. Il m’a dit qu’il faisait ça d’abord pour les comédiens, qui sont exceptionnels là-bas. Et il a ajouté quelque chose qui m’a marqué : « Aux Etats-Unis, les contraintes sont telles, les problématiques que tu dois résoudre sont si importantes, que si tu parviens à faire un bon film aux USA, alors tu es l'un des meilleurs. »

Pour autant, le réalisateur reconnaît bien volontiers qu’il aura dû travailler son montage au corps pour trouver un terrain d’entente avec la production,  pas forcément toujours partante pour ses expérimentations formelles et narratives les plus radicales. Ainsi, après la séquence au cours de laquelle Chadwick Boseman se fait passer à tabac, le film devait enchaîner sur une scène d'hallucinations extrêmement forte.

Une idée bien présente dans le produit final, mais qui a été grandement simplifiée.

 

Photo Luke Evans

 

« Dans mon cut d’origine, il y avait une dimension onirique, quelque chose de métaphysique, on était dans la Near Death Experience. C’est ce qui fait de lui la machine à tuer du dernier acte.

Je voulais beaucoup plus développer ça. C’est sûr que quand tu te fais tabasser comme ça, tu ne te remets en deux minutes. Pour moi c’était important. Mais entre la pression des producteurs, les codes du genre, on a dû ramener tout ça à quelque chose de plus rapide. »

Et on se dit que si la méthode Du Welz sied naturellement mieux aux techniques de production du vieux continent, le cinéaste pourrait bien revenir filmer du côté de l’Oncle Sam.

 

chadwick boseman

 

« Je ne suis pas chrétien, je ne suis catholique. Mais on a construit des cathédrales, des lieux de transcendances. C’est quelque chose qui a un peu disparu de notre conception des arts ici. Je considère Mel Gibson comme le plus grand cinéaste américain contemporain, c’est le Antonin Artaud américain, son dernier film m’a mis à genoux.

Et j’ai l’impression qu’on a perdu de ça, de ce rapport à la transcendance et à la douleur, à la nécessité de se dépasser pour atteindre quelque chose. »

 

Affiche

 

 

Tout savoir sur Message from the King

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Okay
11/05/2017 à 16:01

@Euh
Aimant simplement les précédant travaux du monsieur, je crains simplement qu'ils aient dénaturés la vision du réal, en quelque sorte enlevé l'âme première de son film. Et d'avoir un film qui joue sur deux tableaux, pour au final dire oui mais... Ne pas jouer à fond et faire des concessions pour une vision tierce est parfois dangereux.
Donc pas de raccourci, et ton # de chialeur tu peux te moucher avec.

Euh!
11/05/2017 à 09:54

@Corleone c'est ce qu'on pressent déjà durant le trailer concernant Boseman il a l'air vraiment magnétique!
Ce qui me réconcilie un peu avec l'acteur que j'avais vraiment trouvé transparent dans Civil War.

corleone
11/05/2017 à 04:09

Ce film est un pur de chez pur… oui je fais parti des privilégiés qui l'ont vu depuis un certain temps. Tout ce que je peux vous dire c'est que Boseman c'est la vraie nouvelle star black à la Denzel et qu'un mec commeDe Welz, faut juste etre un anti-cinephile pour rater un de s3s films.

Euh!
10/05/2017 à 23:01

@Okay c'est pas pour autant que le film en perd toute l'ame du réal!
Meme s'il a du faire des concessions, il s'est battu pendant tout le long de la conception du film pour imposer ces méthodes, c'est ce qu'il explique dans le reste de l'article qd mm...
De plus faut arrêter de donner a chaque fois le mauvais rôle aux producteurs!
ils servent aussi de garde fou à des réal trop zélé!
Qui te dis que le cut d'origine était le meilleur que celui qui a été retenu au final?
#stoplesracourcisfaciledeteubéquiralepourleplaisirderaler

Okay
10/05/2017 à 20:16

@Euh
Non non j'ai bien lu...

"Dans mon cut d’origine, il y avait une dimension onirique, quelque chose de métaphysique, on était dans la Near Death Experience. C’est ce qui fait de lui la machine à tuer du dernier acte.
Je voulais beaucoup plus développer ça. C’est sûr que quand tu te fais tabasser comme ça, tu ne te remets en deux minutes. Pour moi c’était important. Mais entre la pression des producteurs, les codes du genre, on a dû ramener tout ça à quelque chose de plus rapide."

Euh!
10/05/2017 à 19:51

@OKay ou le mec qui lit de travers et qui retient que ce qui l'arrange pour en faire sa vérité...

Euh!
10/05/2017 à 19:48

Toujours intéressant d'avoir la vision d'un réal frenchie qui s'exporte au states pour avoir qq détails sur l'envers du décors! pouce levé! ahah
Et ca donne envie de voir son film en plus! Si c'est pas magique ça! ^^ (et de voir le dernier Mel Gibson par la mm occaz!)

Okay
10/05/2017 à 19:33

Bon bah au final ce n'est pas son film mais celui des producteurs auquel on a droit, comme dab...